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La chronique littéraire de Jean Bernabé

Autour de Fanon

3. L’identitarisme, une idéologie pernicieuse

Jean Bernabé

01.01.2012

Le concept d’identité est dangereux, quand, ne se limitant pas aux seuls individus, il est appliqué aux peuples. L’analyse qui suit n’a pas été menée explicitement par Fanon, mais elle tente de s’inscrire dans l’éthique de sa réflexion. D’ailleurs, son combat, par exemple, pour l’unité africaine ressortit à la croyance non pas en une identité africaine, mais en la nécessité politique de ce continent de rassembler ses spécificités, pour mieux se défendre contre le pillage dont il est victime et, partant, s’épanouir.

Pierre est Pierre et Paul est Paul. Tout être humain, parce qu’il est doué d’une conscience singulière est, par là même un être capable de liberté pour autant que la conscience de son identité ne soit pas obscurcie ou opacifiée par des phénomènes divers, pathologiques ou non. En d’autres termes, l’identité est cette réalité qui fait que je suis moi et pas un autre et ce, malgré les différentes modifications liées à l’évolution psychobiologique et à la situation socioéconomique qui nourrissent ou, au contraire, obèrent ma personnalité. Tout comme l’inconscient, au sens freudien du terme, l’identité est aussi une réalité psychique strictement individuelle. Aucun psychanalyste ne saurait coucher tout un peuple sur son divan. Et si une discipline comme l’ethno-psychanalyse présente de l’intérêt c’est parce qu’elle constitue une démarche à travers laquelle des psychanalyses individuelles jugées significatives sont rassemblées et se voient attribuer un sens collectif à l’échelle d’une communauté donnée.

Les consciences ne s’additionnent pas

On l’aura compris, même si les individus s’inscrivent dans une société, il ne s’y produit pas une addition arithmétique de leurs consciences. La notion de conscience individuelle est une redondance, puisqu’il ne peut y avoir de conscience qu’individuelle, à partir de l’action d’un cerveau. Quant à la notion de conscience collective, tout comme celle d’inconscient collectif, elle constitue un abus par trop courant de langage, qu’il convient de remettre en cause. Cela dit, s'il n'y a pas conscience collective, il y a, par contre, prise de conscience collective. Cette opération est le fruit d’une action idéologique exercée par des instances politiques et/ou religieuses pour conduire à une certaine convergence des consciences. Quand Marx qualifie la religion d’«opium du peuple», il ne dit pas autre chose.

Identité et personnalité

L’identité ne pouvant être qu’individuelle, parler d’identité plurielle, c’est produire une contradiction. Paradoxalement, le caractère unique et forcément fermé de toute identité ne renferme pas pour autant l’individu sur lui-même, sauf effet d’une pathologique affectant la personnalité. Il y a lieu, en effet, d’établir une nette distinction entre identité et personnalité. Autant l’accès à l’identité d’autrui nous est fermé, autant l’accès à sa personnalité peut nous être ouvert, à des degrés plus ou moins élevés. La personnalité est un lieu de partage vivant, physique, irradiant, le lieu de l’empathie ou de l’antipathie, tandis que l’identité d’autrui reste, par nature, dans le domaine abstrait de la spéculation. Il est des personnalités froides et austères et d’autres, chaleureuses et chatoyantes. La personnalité évolue, elle n’est pas une donnée figée une fois pour toutes. Remarque importante : l’identité est spécifique et l’invariable, tandis que la personnalité est spécifique, mais variable, c'est-à-dire évolutive.

Bref rappel étymologique

Le mot latin «persona» appartient initialement au domaine du théâtre antique : c’est initialement le masque que l'acteur antique plaçait sur son visage, avec, au niveau de la bouche, un dispositif évasé, permettant d’amplifier le son (du verbe «sonare» signifiant «résonner») de la voix qui le traversait («per») pour atteindre le public. D’où le mot «personnage». Le mot «personnalité» appartient donc à une famille de mots qui  renvoient manifestement à une réalité physique, sonore, concrète et non pas spéculative et abstraite. On n’est pas dans la fermeture narcissique, mais dans une relation à autrui, avec qui on entre en consonance. C’est dire que  parler, comme le fait Edouard Glissant, d’identité close (à laquelle il oppose une identité ouverte) est une redondance, parce que, précisément, l’identité, ne pouvant concerner qu’un individu dans sa singularité, ne peut être que close. Contrairement à la personnalité!

Revisiter le concept d’aliénation

L’aliénation (du latin alienus signifiant étranger») constitue une des cibles du combat de Fanon, qui, rappelons-le, est avant tout un combat pour la libération de l’Homme. Elle peut être tout autant mentale que culturelle ou encore socioéconomique. Mon approche de ce concept ne détient aucun label fanonien, même si l’inspiration du psychiatre qu’il était me motive. Être aliéné, c’est être autre que soi-même, c’est souffrir dans sa personnalité. L’aliénation ne change pas l’identité d’un être puisque, redisons-le, cette dernière est tout à la fois spécifique et invariable. Elle ne saurait donc avoir pour siège l’identité, qui, par définition, est non sujette à modification. Sinon, les mots n’ont plus de sens ! Ce qui peut être modifié c’est l’état de conscience, c'est-à-dire la conscience de son identité, laquelle, dans certains cas, se trouve obscurcie, voire annihilée, sous l’effet d’un phénomène pathologique ou non.

La racine du communautarisme

On ne peut donc pas projeter sur un groupe humain la notion strictement individuelle d’identité, sauf à l’enfermer et, du coup, vouloir le soustraire aux mouvements de l’Histoire. Pendant longtemps, a été nourrie l’illusion du caractère immuable et homogène des communautés, une illusion que la mondialisation met à mal, non sans causer beaucoup de souffrances. Là se trouve la racine du communautarisme. La religion, quand elle exerce une pression très forte sur les individus, au prix de leur liberté de penser, voire de croire de ne pas croire en l’Etre suprême, est aussi une des sources de l’idéologie communautariste, qu’il ne faut pas nécessairement confondre avec le sentiment communautaire, disposition parfaitement normale qui amène les gens de même origine à éprouver du plaisir à se retrouver ensemble, sans pour autant cultiver aucun exclusivisme.


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4. Identité et carte d’identité

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