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Actualités d’un mythe postcolonial:

du zombi indigène au zombie occidental

 

Joël Des Rosiers

Montréal, 17 août 2012

 

 

 

 

 

Max Gesner Beauvoir, ati national du vodou. Photo Frédérique Gircour.

Ati

Actes rares par leur synchronisme ou simulacres des temps modernes, à deux mois d’intervalle, deux colloques scientifiques d’envergure ont eu lieu à Montréal sur le thème du zombie. (La graphie anglo-saxonne du mot écrit zombi ou zombie recouvre désormais un vaste champ médiatique et académique). Pour les organisateurs du premier colloque du 11 mai dernier et qui a convié 16 conférenciers de plusieurs universités québécoises, sous la présidence de Simon Harel et Jérôme-Olivier Allard, tenu dans le cadre du 80e Congrès de l’Association francophone pour le savoir, «le colloque Autopsie du zombie interroge la figure polysémique du zombie contemporain telle qu’elle est représentée dans la littérature, le cinéma, les arts visuels et les jeux vidéo depuis les années 2000.» Il s’agira, précise l’argumentaire, «d’emblée de l’envisager comme une figure de cet Autre qui nous assaille, qui menace de nous contaminer de sa différence, pour ensuite s’intéresser à ses manifestations marginales.

Figure polysémique et investie idéologiquement, le zombie permet aux créateurs de représenter les citoyens marginalisés et de tenir un discours renouvelé sur la justice et l’équité sociale», peut-on lire dans la présentation. J’avais eu l’honneur de prononcer lors de ce premier colloque, la conférence de clôture intitulée «Le savoir du zombi. De Pierre Corneille Blessebois à Jean-Paul Sartre et Frantz Fanon. Vie et mort dans l’inconscient post-colonial.»

Dans le sillage des «zombie studies» qui prolifèrent dans les universités américaines, du 5 au 7 juillet dernier, s’est tenue une deuxième rencontre majeure, Invasion Montréal: Colloque international sur le zombie dont le journal Le Monde a rendu compte. Au cours de ce colloque réunissant des chercheurs de renom, Denis Mellier (Université de Poitiers) a développé sous le thème «Pour une littérature zombie: de l’illusion des métaphores fantastiques» les différentes mises en images de la déshumanisation dans leurs rapports au pays, au citoyen, à la classe politique et à l’individu. Les œuvres d’auteurs haïtiens lui servent à juste titre d’illustrations critiques. Il explique sa démarche dans ce passage, tiré du résumé de sa communication, que je cite longuement: «Deux ans avant les élections présidentielles haïtiennes, le cinéaste Arnold Antonin réalise une satire politique dont la trame explore et réactualise les tenants de la culture vodou. Dans un scénario de Gary Victor (Treize nouvelles vaudou, 2007 et Le sang et la mer, 2010), la fiction aborde l’histoire du zombi Pierre Zéphirin, désormais devenu une superstar médiatique, au point de vouloir briguer la présidence lors du scrutin national. La zombification, selon le mythe caribéen est un procédé effectué «par un boko, un prête vodou qui pratique la magie à des fins maléfiques. Celui-ci jette un sort pour provoquer la mort apparente» (Duff, 2008: 44). L’œuvre cinématographique utilise l’esthétique vodou pour la création d’un univers fantastique. Plus précisément, on y note l’abolition de la frontière morts/vivants de même que l’utilisation d’emblèmes mythologiques: hougan et boko (sorciers), loas (entités divines), guédés (esprits de la mort), etc. L’actualité et les travers du pays sont mis de l’avant grâce au personnage revenu des morts, privé de toute conscience humaine. Cette figure a maintes fois été utilisée dans la littérature caribéenne comme représentation métaphorique de l’esclave, «l’être humain le plus aliéné qui soit, sans identité propre» (Lucienne, 2002: 80). À titre d’exemple, les romans Dezafi (Frankétienne, 1975) et Hadriana dans tous mes rêves (René Depestre, 1988) ont illustré l’état de zombification inspiré de l’inertie et l’impuissance populaires vis-à-vis du règne Duvalier. Arnold Antonin et son long-métrage collaborent donc à entériner cette image du citoyen-marionnette, en l’adaptant aux contextes social et médiatique actuels. L’œuvre cinématographique met en scène «une dénonciation des démagogues et en même temps l’affirmation que le peuple haïtien n’acceptera pas de jouer éternellement le rôle de Zombi qu’on veut lui imposer» (Antonin, 2011).»

Toutefois, on ne saurait parler de la mutation mytho-poétique en zombie moderne qui infecte et travestit l’imaginaire post-moderne sans envisager le destin du zombi indigène haïtien et son instrumentalisation dans une zombiemania médiatique. Encore peu connu du grand public, le processus de zombification s'inscrit dans ce qu'il est convenu d'appeler le surnaturel maléfique haïtien en milieu rural. Et compte tenu de la migration interne vers les villes, il n'est pas étonnant que le phénomène tende à corrompre les milieux urbains et qu'à terme, tout un peuple soit en passe d'être zombifié! Comme nous l'avons vu avec le duvaliérisme, ce temps de la chute hors de notre Histoire. Car depuis, toute notre Histoire s'enroule autour des épisodes fondamentaux de l'avènement de cette dictature, sous la férule d'un faux messie vaudouisant.

Une école critique dont l’anthropologue Frantz Alix Lubin est l'un des représentants s'efforce de rétablir la vérité scientifique sur le zombie à partir d'observations ethnologiques, de leçons de botanique et de toxicologie marine. Le lecteur curieux se réfèrera à son article publié dans les colonnes du Nouvelliste le 13 novembre 2011 et disponible sur le Net: Le processus de zombification en Haïti. Les travaux des chercheurs français, japonais et anglo-saxons - l'anthropologue canadien Wade Davis est l'un de ces pionniers - constituent le cadre théorique qui permet de sortir de l'espace clos d'un crime qui serait ordinaire s'il ne conduisait à la réalisation du plus répugnant d'entre eux. La création d'hommes sans âme, sans attache, sans famille, errant au hasard de chevauchées fantastiques dans les mornes et les fonds sombres après qu'on leur ait rendu chants et prières au cours de fausses veillées des morts.

Trente ans après le séjour en Haïti de W. Davis, venu pour investiguer deux cas documentés de zombis et quinze ans après la publication de son ouvrage devenu un classique The Serpent and the Rainbow, l'article de F. A. Lubin cherche à resituer dans son contexte historique l'actualité scientifique de la zombification en Haïti. S'inspirant d'une bibliographie critique ancienne et récente, l'auteur consacre de nombreuses pages à l'exposition chronologique de l'intérêt scientifique pour ce phénomène depuis l'Occupation américaine. Pointons pour le profane la description précise des effets physiologiques de la tétrodotoxine sur le système nerveux central et sur la fonction cardiaque, poison à l'origine de l'état de mort apparente, effervescence qui confère au texte parfois des allures de manuel de mystères. Si l’on y songe un laps, se pourrait-il qu’une telle approche toxicologique ne soit pas étrangère à la pensée de la personnalité la plus influente du vaudou, Max Beauvoir, ati suprême et aussi chimiste, ce que chacun ne pouvait deviner?

En somme, une grande idée fascine Lubin et l'obsède car son grand-père a été la victime de telles pratiques mortifères: comment les sorciers sont-ils parvenus à la maîtrise de différentes molécules capables de telles lésions physiologiques? Cette science toute-puissante des plantes semble plonger ses racines dans une pharmacopée traditionnelle, sans doute héritée des savoirs sacrés africain et amérindien. Après avoir dénoncé les misères et le manque de ressources de l'institution haïtienne chargée de la sauvegarde du patrimoine national de bio-diversité, l'auteur propose de trouver d'autres voies plus respectueuses des droits humains pour résoudre les conflits qui dressent les hommes contre les hommes.

De fait, envisagé comme crime historique parce qu'il autorise une filiation symbolique avec l'esclavage, le processus de zombification demeure un problème angoissant des rapports entre les hommes de ce pays parce qu'il s'est noué dès la création de la colonie dans un climat de déshumanisation. Mettre fin à la zombification par la loi, propose sans relâche Frantz Alix Lubin, c'est s'acheminer vers la fin de cette douloureuse Histoire, liquider l'héritage de l'esclavage.

Avec l'Indépendance comme avers, le zombi est le seul mythe moderne du Nouveau Monde. Quelle que soit la façon dont nous puissions expliquer sa pérennité en Haïti, abusive, corrompue, falsifiée, il est conforme à l'idée d'une puissance indéfinissable, fondée sur la connaissance des poisons, encore plus formidable et sauvage que celle du Maître sur l'esclave.

Joël Des Rosiers
Montréal, 17 août 2012

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