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L'incontestable responsabilité
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Sur mon «Ti chèz ba» aujourd'hui encore j'attends.
J'attends tout doucement. Sans bruit sans compte. Sans hounou-hounou, ni chui-chui-chui-chui.
J'attends non pas cet énième lancement de pierres -bien mérité- en direction des dérives ultra-nationalistes dominicaines dont sont victimes à tous les niveaux dominicains et haïtiens, depuis la dictature de Trujilio (1930) jusqu'à nos jours; mais j'attends une voix!
J'attends cette voix-lumière, cette voix d'au-secours, d'entre les voix, pour crier haut et fort l'incontestable responsabilité de la «république» d'Haïti dans cette crise haïtiano-dominicaine qui menace les consciences paisibles et les vieux jours d'un bon nombre de malheureux innocents. Cela aiderait sans doute à une prise de conscience et stopper une hémorragie haïtienne vieille de plus de deux cents ans.
Cette voix, telle une flèche déchirant un silence trop bavard dans sa complicité, nous conduirait tout simplement dans les années 60, dans le ventre de la «Zafra» pour constater à sa grande indignation la vente de 45 000 coupeurs de canne par le dictateur haïtien François Duvalier au président dominicain Joaquin Balaguer. 20 dollars américains par tête d'haïtiens vendus, ce qui fait un total de 900 000 dollars sur le compte en banque de notre cher Papa Doc de l'époque. Bien sûr, nous confirme la voix, ce trafic d'humains a eu lieu après «EL CORTE» le massacre de 20 000 haïtiens en république dominicaine soigneusement orchestré par le dictateur Rafaël Trujillio en 1937.
À quoi ça sert l'histoire, si elle est sujette à répétition, questionne la voix!
Cette voix ne s'arrêterait pas là, bien au contraire. C'est une voix pied-poudré, une voix grande-gueule, une voix grand-monde qui ne reste pas avec ces pseudo-défenseurs de l'humanité qui prennent comme toujours de la roue libre sur le dos des crises humanitaires pour remplir leur poche et piaffer en politique dans la société.
Le peuple maintenu à jamais dans le mensonge?
Le sensationnalisme aveugle-deux-yeux? «Tout voum c'est do, dododi, dododa»
C'est alors que cette voix marcherait à pied, sans prendre souffle, sous le soleil chaud d'Haïti jusqu'aux confins des montagnes pour constater avec ses deux yeux la zinglindeuse catastrophe écologique, économique, sociale, politique longtemps poussée, caressée, dorlotée, élevée, par une élite haïtienne formée de sans aveux sans pitié, sans honte et sans sentiment.
Depuis 1804, oui, mes amis, dit la voix bien fort !
La voix assisterait impuissante à la fuite vers l'étranger de centaines de milliers de paysans (À partir des années 60-70, plus de 400 000 en République dominicaine, 25 000 aux Îles Bahamas; 30 000 dans les Antilles françaises, 70 000 en boat-people via les côtes de Miami); des paysans longtemps marginalisés, stigmatisés, voués à servir les despotes haïtiens de tout genre et sujets à de nombreux massacres (Juin 1964, 600 paysans assassinés à Thiotte dans le Sud-Est; août de la même année 27 à Jérémie, et des centaines autres exécutés sur les places publiques et dans les prisons par la milice «tonton-macoute» de François Duvalier, juillet 1987, plus de 139 paysans assassinés à Jean Rabel qui attendent encore que justice leur soit rendue)
Comment ne pas fuir cette répression barbare, cette misère, ce merdier politique, questionne la voix!
Le paysan haïtien fut la principale victime d'anciennes pratiques esclavagistes remises à l'ordre du jour dans l'état Duvaliérien et qui perdure aujourd'hui encore: incapacité de circulation à travers le pays, inaccessibilité aux services publics, instauration des corvées au profit des grandes propriétés, expropriation, absence de véritable politique agraire, répression des chefs de section rurale, marginalisation et persécution des pratiques et croyances religieuses traditionnelles, etc...
CONSÉQUENCES: La fuite en grand nombre vers l'étranger, l'insécurité alimentaire de tout un pays et l'engraissement de la politique néo-libérale américaine renforcée par une poignée de bourgeois commerçants haïtiens de plus en plus avares (Les tonnes de riz, de haricot, de sucre, les barriques d'huile de cuisine et d'autres produits de première nécessité achetées en dollar américain et en pesos dominicains, redistribuées petite pile, grosse pile, en bonne marmite sur tout le territoire haïtien).
Haïti, nous rappellerait la voix, c'est 10 000 000 de bouches à nourrir et l'état n'a jamais fait de l'auto-suffisance alimentaire une priorité. Vous comprenez alors, vous dit la voix, quand les émotionnels de toute part crient au boycott de produits dominicains, pourquoi ça fait rire même le bon dieu qui, perché sur les étoiles, n'a pas encore perdu le sens pratique des choses.
Non! La voix ne serait pas dupe. Cette voix connaît très bien cette masse qu'on laisse encore dans l'indifférence totale, l'ignorance, la bondieuserie et le «vive untel!» pour mieux la manipuler, la dominer, et s'enrichir sur son dos.
L'éducation, un échec encore et toujours! Les livres d'histoire («Caonabo fini an prizon» jacquorépètent en plein 21ème siècle les écoliers haïtiens). Les manuels de géographie (On oublie souvent qu'Haïti n'est pas une île, mais une presqu'île, avec la république dominicaine de l'autre côté. Non! On n'a jamais été seuls sur cette île! Notre connaissance de la république dominicaine ne devait pas se résumer à «ce pays qu'on a occupé pendant 25 ans et qui fait trop le fréquent par son arrogance »).
La voix, dans toute sa lucidité, dirait aussi: ce n'est sûrement pas cette élite qui aiderait à renforcer par des programmes censés et crédibles l'éducation et la culture de masse. Elle est trop occupée dans son bizness et ses enfants chéris préfèrent gaspiller le fric facile et parfois sale de papa et maman pour faire piaffer les superstars américaines sur les tas de fatras de Port-au-Prince. Cette élite n'a pas le temps pour ça! Oh non! Même si elle travaille d'arrache-pied de concert avec les ministères à abrutir les masses (Carnaval en veux-tu en voilà). Faire danser tout le monde jusqu'au petit jour. Nous sommes laids, mais nous sommes là! Quand même, nous sommes là! Nous savons brasser le bas de notre petit ventre mieux que tout le monde. Le goût de nos jeunes filles est sans pareil. Nous sommes Open! Open! Notre rhum est le meilleur du monde. D'ailleurs voici la liste des produits locaux qui font notre fierté nationale: rhum, bière, cigarette et on s'arrête là. Ne cherchez pas bien loin! Toute une production de mardigrature grotesque à l'échelle nationale! Pendant ce temps, on ne peut plus compter le nombre de nos braceros "coupeurs de canne" dans les Batey "plantations" dominicaines. Mais, on était où? On l'ignorait sans doute!
Oui, il y a aussi l'investissement économique dans la fête sans cesse! Nous sommes un peuple qui aime fêter, nous rappellent le pouvoir politique. On ne peut se passer des fêtes à coup de crève-tympan: les haut-parleurs du champs de Mars, le vacarme marteau-pilon, les chars et les filles dénudées toujours au rendez-vous. Les grogues coulent à flot. Et si par malheur dans notre grande fête, ils se bousculent, se tuent, s’électrocutent dans des câbles électriques mal entretenus, nos beaux jeunes hommes et jeunes filles, eh bien, on leur fera de belles funérailles. Nationales s'il vous plaît! Cercueil drapé du bicolore national pour s'être tombé sur le champ de grouillarde. Patriotiquement! Et quelques petits services rendus aux familles des victimes pour faire taire les revendications, quelques milliers de gourdes distribués. Ce n'est pas la première glace cassée dans le gouvernement, ce ne sera pas la dernière! Et le ministère de la culture enverra par la suite l'artiste du peuple grièvement blessé à Miami prendre les soins nécessaires pour une chirurgie esthétique digne de ce nom. Et puis, et puis, à la prochaine danse, con-citoyens! Oui au prochain mardi-gras pour masquer tous les problèmes de ce pays. La danse fait oublier les problèmes dans ce pays, parait-il!
Pendant ce temps, constate la voix, les caisses de l'état dilapidées, les crises économiques, les crises politiques; on renverse le président et on se fait renverser à son tour, ainsi de suite, parce qu'en fin de compte le pouvoir est un travail à durée indéterminée pour assurer ses vieux jours et ceux de ses proches.
Mais pour le pauvre petit peuple livré à lui-même; les jours difficiles, les maladies, les cyclones, les tremblements de terre, la famine, le banditisme légal et illégal, les mille petits corridors de Port-au-Prince dans la crasse, la misère noire; les mornes édentées, les campagnes dévastées et délaissées.
Face à tout cela, le seul rêve collectif: partir, partir par dizaine, par centaine, par milliers, par centaine de milliers. Laisser ce tohu-bohu madichonique et cadavérique pour enfin respirer et ne plus avoir à injurier le nom de sa propre mère dans son propre pays. Partir en quête de vie meilleure, d'espoir. Sauve qui peut! Et peut-être revenir après avoir réussi ailleurs ou peut-être aux prochains coups-d'état, à la mort de ces chacals prenant en otage jusqu'à l'air irrespirable.
Mais, en attendant, le rêve n'est pas toujours réalisable: les dures réalités de l'exil. Les familles dévastées. Le racisme des uns et des autres. Les exploitations. Les stigmatisations. Le dur devoir de l'assimilation. La schizophrénie. La solitude. Les crises d'identités. Les reconduites aux frontières. Les épurations ethniques. Les chasses aux sorcières!!!
Mais, et le grand rêve dirait la voix?
Oui, le grand rêve! Répond elle même tout en se questionnant à nouveau: voir un nombre incalculable d'haïtiens sortir de leur zombification, piaffer sur tous les toits de la ville, prendre le béton, sortir dans la rue comme ils sont venus au monde leur premier jour, faire une déblosaille scandaleuse pour nettoyer ce tas de merde qui badigeonne trop longtemps la face de ce si beau pays? !..
Emmanuel Vilsaint
«Ti chèz ba»