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Ti-Jean
Par Alain Saint-Victor
Enfance d’autrefois,Teddy Thomas, • Essai autobiographique • 172 p. • |
En suivant les traces de Ti Jean, au cours des années 1940 et 1950, on y découvre un monde dans lequel une bonne partie de la classe moyenne se reconnaît. L’enfance de Ti Jean est emblématique de l’enfance d’autrefois, mais seulement dans ce milieu particulier. Toutefois, cette particularité d’une enfance vécue dans un foyer stable, à la fois conformiste et tolérant, n’empêche d’entrevoir une réalité qui semble commune aux enfants de notre pays, et cela, quelles que soient leur classe sociale et leur éducation.
L’enfance que nous raconte le narrateur se passe dans un univers où le vécu familial, social est conditionné par des normes: Ti Jean apprend très tôt les attentes des parents, à socialiser respectueusement avec le personnel de la maison, à se conformer aux règles de la famille élargie.
Mais il s’y soumet tout en jouissant d’une certaine liberté. Ce qui n’est pas le cas pour tous les enfants de son âge. Il a un poulailler et élève des coqs de combat, il fréquente sans restriction les gamins de son quartier et semble ne pas avoir encore conscience des préjugés sociaux.
Ce monde d’insouciance, où même le père Noël joue un rôle important, est bien celui d’un enfant unique surprotégé, un enfant à qui on cache une certaine réalité sociale et à qui on apprend tôt l’importance du succès scolaire. Tout cela, pour la famille et le milieu social dans lequel l’enfant évolue, constitue une bonne éducation.
Mais cette réalité sociale, qui forme bien la toile de fond de cet univers familial, allait se dévoiler au jeune Ti Jean devenu adolescent. «Il se rendait compte avec perplexité que les parents et adultes des différents milieux ne se fréquentaient pas entre eux et n’allaient pas aux mêmes cercles mondains.» Cette découverte doublée d’une observation qui lui fait comprendre que l’enseignement de l’histoire, tel que pratiqué à l’école, lui était profondément étranger, c’est-à-dire étranger à ce qu’il est et à sa réalité, amenait Ti Jean, peut-être même à son insu, à développer une certaine conscience critique.
Bien entendu, les «pratiques initiatiques» à la vie d’un jeune de sa condition sociale se poursuivaient: l’apprentissage au tabagisme, les plaisirs du carnaval, les relations plutôt platoniques, teintées de romantisme discret, avec les filles, les combats de petits machos pour éprouver sa force physique.
Toutefois, ce monde-là se dissolvait graduellement. Les réalités politiques et sociales de son pays l’imprégnaient avec une telle force que toutes formes d’illusions, toute volonté de s’accrocher à une jeunesse baignée dans le «merveilleux» (pour emprunter une notion chère à Jacques Stephen Alexis) paraissaient vaines. Il fallait faire face à une réalité inexorable: le pouvoir de Lescot imprégné de mulâtrisme, les tentatives ratées d’un certain modernisme avec Estimé et le gouvernement teinté de libertinage de Magloire. Tout cela devait aboutir à la prise du pouvoir par Duvalier et l’institutionnalisation du macoutisne sanguinaire comme politique d’État.
Ce «phénomène macoute», comme le dit l’auteur, a eu pour résultat de briser «la vision et l’enthousiasme de notre enfance d’autrefois». Sous la dictature, l’enfance, telle que la classe moyenne l’a connue, devenait impossible: pour se perpétuer, le pouvoir duvaliérien faisait fi de toute existence humaine. Cette réalité-là, la génération des années 1960 allait la découvrir à ses dépens.
Ce livre de Teddy Thomas est marqué par la mémoire d’une enfance lointaine, celle d’autrefois, où les jeux de marelle, de billes, de cache-cache, les contes, les devinettes prenaient une profonde signification. Cette enfance-là est, d’une certaine manière, l’Haïti d’autrefois, où la sagesse populaire, en particulier celle de la paysannerie, imprégnait profondément l’ethos de la culture nationale.