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Leçon de courage et de foi
d’une survivante,
Carine Joseph Joiceus

 Par Paul Sanon et Wilfrid Suprena

 

 

Août 2010

 

 

 

 

 

 

 

 

Carine en uniforme et Ti Blanc.

carine in uniform et Ti Blanc

Le tremblement de terre du 12  Janvier 2010 a provoqué des milliers de morts (300.000) selon les estimations les plus conservatrices et les amputations se comptent aussi par dizaines de milliers. À la suite de cette tragédie d’une telle  ampleur, la tendance générale de la société en tant que corps et entité est de placer l’événement en soi ou les détails  corollaires sous la bannière d’une crise collective. Les sentiments, les émotions voyagent d’un bout à l’autre, d’une extrémité à l’autre sans référence à l’individu avec sa vie et sa routine quotidienne. Quid de l’individu victime ou touché avec son histoire, ses traumatismes etc.? De son passé, de son  approche philosophique, de ses besoins immédiats, de ses mécanismes d’adaptation on s’en fout. La société est plus encline à les peindre avec la grande brosse de la généralité sans tenir compte des particularités. Un exemple vivant de cette mésinterprétation est la vie de Carine Joseph Joiceus, l’une des victimes du tremblement de terre meurtrier de Janvier 2010.

D'une famille modeste, Carine est née à Petit-Goâve, ville de l’Imperial  Bonhomme Coachi, du feu Hubert Deronceray, en l’an  de grâce 1981. Elle fréquenta le Lycée Faustin Soulouque de sa ville natale avant de boucler son cycle secondaire au Centre d'Etude Nouveau Millénaire de Port-au-Prince en 2003. N’ayant pas été admise à  l’université d'État, elle s’est faite marchande ambulante dans la perspective de parachever ses études universitaires et aussi de payer les frais de scolarité obligatoires. Et pour cause, ses maigres bénéfices lui ont permis de fréquenter l'Université de Port-au-Prince, un établissement privé, en 2004.

En 2005, sa  cousine Louis-Mard Marjory lui a conseillé de s’inscrire à «L'Ecole Nationale des Douanes». Un an plus tard, comme employé à plein temps des douanes avec un mari aimant, et comme étudiant à temps partiel en comptabilité, Carine vivait décemment. Malheureusement, elle  était en classe et suivait ses cours réguliers quand la terre, soudainement, sous ses pieds et ceux de ses camarades trembla furieusement et violemment. Le bâtiment s’effondra. Dans la foulée, les étudiants affolés qui ont pris les devants pour fuir la catastrophe, ont tous péris sous son regard apeuré quant une toiture en béton armé s’écoula presqu’à la proximité de ses pieds. Instinctivement, elle s’abrita sous une table, mais pour son malheur, reposa son bras gauche  sur une table adjacente. Alors un pan de la toiture  atterrit tout droit sur  le bras exposé et l’écrabouilla.

Pendant  plus de 30 heures, elle a saigné sous les décombres et à expéimenté des douleurs atroces. Amis et membres de la famille, particulièrement son mari, son petit frère, son beau-frère, sa marraine et son parrain avec des outils rudimentaires ont tout fait et sans relâche pour créer un chemin d'accès pour la sauver. Plusieurs fois, son petit frère Anndo est descendu au labyrinthe pour lui apporter de l'eau à boire. Son mari était exceptionnel. Cependant, beaucoup de mérite revient à Ti-Blanc, un homme de condition modeste qui a tout risqué pour libérer le bras gauche de Carine avec tous les outils  à sa portée et tous les moyens du bord.

À un moment donné, Carine, consciente qu'une autre réplique pourrait empirer la situation a opté d'utiliser la main droite pour couper la main gauche dans le but de se libérer. Ti-Blanc a refusé.

Après de nombreuses heures et des manœuvres innombrables, Ti Blanc et Carine ont réussi à libérer le bras gauche. Ce qui  leur a permis de fuir cet environnement infernal. Malheureusement, par le temps où Carine a été transportée à l'hôpital Zanmi la sante de Cange, le bras  gauche était  déjà gangrené et une amputation était devenu inévitable. Fait important et significatif à noter est  l’abnégation et l’apport combien précieux de Ti Blanc, modeste, simple mais doté d’un courage et d’un sens de bénévolat extraordinaire en la circonstance. Il est vrai qu’il a été compensé. Cependant pour expliquer son dévouement Ti Blanc a mis en exergue le comportement courtois, respectueux, empreint de civilité que lui a toujours témoigné Carine. En ce sens, il dit avoir fait son devoir en lui rendant la réciprocité.  

Carine a toujours été connue pour son pragmatisme et son équanimité même dans les moments les plus difficiles. Au lieu de s’agoniser sur son amputation, Carine s’est estimée chanceuse d'être encore en vie surtout après avoir entendu ou avoir été témoin oculaire des derniers soupirs de  beaucoup de ses camarades de classe. «Pourquoi moi» est une question qu'elle s'abstient de poser!

Durant  notre interview, Carine était calme,  minutieuse et méticuleuse.  Sa voix ne dégageait aucun soupçon  de tristesse et de colère. Cependant la mention du mot handicap a en quelque sorte altérée son humeur. Son intonation et inflexion ont changé sans pour autant trahir  ouvertement un malaise. Au prime abord, on pensait que ce petit changement était en phase avec l'idée que nul ne peut totalement cloisonner ses sentiments divers parce que les grandes émotions subissent une poussée verticale de bas en haut pour se joindre à d’autres émotions. Curieusement, après avoir écouté attentivement Carine, nous avons réalisé que le problème était  plus sémantique qu’émotionnel. En fait, contrairement à la sagesse conventionnelle en Haïti, Carine est de cette école de pensée qui croit que la perte d'un bras ou d’une jambe ne rend pas une personne invalide. Avoir un handicap pour elle, est un état d'âme et ne diminue ou ne réduit en aucune manière le potentiel physique ou mental d’une personne. C'est plutôt une façon de se voir. Elle est une personne à part entière possédant un bras fort et, inévitablement, tout le corps complotera pour compenser et renforcer dans le but ultime de maintenir l'état d'équilibre (mental et physique).

En somme, l'histoire n'est pas seulement le récit des rois, des étoiles, des empereurs ou des conquêtes. Elle est aussi celui des simples individus qui, même sous d’inimaginables pressions et stress ont la capacité de nous enseigner sur les grands principes de l’humanité tels que: le courage, la foi, l’équanimité, la sagesse, la charité, l’abnégation et surtout l'amour du prochain.

Aujourd'hui, Carine est reconnaissante et se dit très heureuse. Elle a recommencé à travailler comme agent douanier à l’institution douanière de Port-au-Prince; Elle conduit sa propre voiture; Elle fait du bénévolat pour plusieurs organismes à but non lucratif et continue à lutter sur cette terre ingrate. Bravo à Carine.

NB: Carine ne voulait  pas que nous publions le texte sans remercier à nouveau tous ceux qui ont participe à cette  grande entreprise de rescousse individuelle, en particulier son mari, Hervé Joiceus-son frère Anndo Chery, son beau-frère – son parrain  Révérend  St-Louis Michelin, et son cousin par alliance Gerald.

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Carine Joseph Joiceus: an inspiring story

By Paul Sanon

Carine and Husband.

Carine and Husband.

The January 2010 earthquake caused thousands of  deaths  and a multitude of amputations. As a result of any tragedy of this magnitude, society is often  inclined to place all such occurances into one collective meltdown of extreme feelings, without taking into account the individual lives affected. We don’t stop to consider the particular past,  longing, philosophical approach, and coping mechanism  of the individuals . Carine Joseph Joiceus’ life story is one such example.

Of a modest family, Carine was born in Petit-Goave in 1981 and  attended Lycee Faustin Soulouque of Petit-Goave before completing her high school requirements at Centre D’etude Nouveau Millenaire of Port-Au-Prince in 2003. Unable to enter a state university,  and in order to pay for her tuition, Carine became a small vendor. With her few saved pennies, she enrolled at the University of Port-au-Prince, a private institution, in 2004.

In 2005, her cousin Marjory Louis- Mard advised her to attend the one-year program at “L’ecole Nationale des Douanes” to become a customs agent.A year later, as a full-time Customs’ employee with a loving husband, and a part-time college student majoring in accounting, the healthy Carine was living confortably. Unfortunately, she was in school when the 2010 earthquake hit the western part of the island. As the whole class was rushing out, the whole building collapsed. A big chunck of the ceiling came down an killed all the students that were in front of her. Instinctively, she took cover under a table but rested her left arm over the adjacent table. This move saved her life but a big piece of concrete crushed the exposed arm.

For more than 30 hours, she was under the rubble bleeding and in excruciating pain.  Friends and family members went beyond the call of duty, especially her husband, brother, brother-in-law, and  god-father with almost bare hands digged tirelessly to  create a path for her rescue. Many times, her brother Anndo  had to go to the labyrinth to bring her water. Carine’s husband was exceptional. However, a lot of the credit should  go to Ti Blanc, a man who does daily menial jobs, who risked his own life  to reach her and liberate Carine’s left arm with a few  available rudimentary tools.

At one point,  Carine, aware that an aftershock could bury them deeper  was willing to cut  with her able right  hand  the trapped arm in order to get free. Ti Blanc refused, after many hours and countless maneuvers, Ti blanc and her  succeeded into freeing the arm and were both able to escape  from this infernal environment. However, by  the time Carine was transported to  “ Zanmi la Sante”hospital in Cange, the arm was gangrened and amputation became inevitable. It is also important to note that even tough some monetary compensation was awarded to Ti Blanc, but he claimed to have done it because Carine has always treated him with the utmost respect and civility.

 Carine has always registered, on some level, as practical, and in control even in moments of crippling stress. Instead of agonizing over her amputation, Carine feels lucky to be alive, especially after hearing or witnessing many of her classmates’ last breaths. “ Why me” is a question that she refrains from asking! 

In our interview, Carine was calm and very detail-oriented. Her voice did not have any taint of sadness and anger. Shockingly, When I referred to her as a handicap, her intonation and inflection changed without overtly betraying her malaise. At first, we thought that this little change was in tune with the notion that no one can fully compartmentalize feelings because  big emotions bleed at the edges and seamlessly run into other emotions. Surprisingly, after listening carefully to Carine, we realized that the problem was more semantic than emotional.  Carine is from that school of thought that believes that losing one arm or a leg does not make you handicap. Being handicap, for her, is a state of mind; it is more about one’s feeling of self. For Carine, she is a normal person with one strong arm, and  inevitably  the whole body will compensate in order to maintain the state of equilibrium. 

In sum, history is not only about stories of kings, stars, emperors or conquests. It is also about ordinary people of humble origins who even under crippling stress still are able to teach us about courage, faith, resolve, wisdom, charity, self-surpassement and hope. Today, Carine  is grateful and claims to be very happy. She is back to work as a custom agent, drives her own car, volunteers with many non-profit organizations and continues soldiering on like the rest of us. Kudos to Carine.

NB - Carine does not want us to publish the text without once again thanking everyone who has contributed to her rescue, specially her husband, Herve Joiceus- her brother Anndo Chery, her brother in-law – her god-father rev St-Louis Michelin, and  her cousin-in-law Gerald.

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