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De la Constitution de 1987

Serge H. Moïse

Nul n’est sensé ignorer la loi. C’est vite dit, selon Ernst et Ertha Trouillot. Et quelle loi, questionnent-ils avec lucidité et clairvoyance?

La juristique étant ce qu’elle est, il serait utopique de s’attendre ou à demander à tout le monde d’en maîtriser parfaitement et les concepts et la terminologie, d’autant que, comme toute science, elle évolue selon une dynamique qui lui est propre, avec des avancées parfois lumineuses sans se départir de ses zones d’ombre plutôt réfractaires dont les racines remontent à la nuit des temps.

La vérité des faits historiques étale au grand jour que le peuple haïtien, dans sa grande majorité, a évolué dans l’ignorance la plus totale de ses droits et de ses devoirs, donc de la loi.

S’il est vrai que la justice d’une société est le reflet de sa culture, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

Le président et le premier ministre se plaignent du dysfonctionnement de la justice alors qu’il leur incombe, de par le mandat à eux confié, de veiller au bon fonctionnement de nos institutions «art. 136» et au respect des lois de la république. Qui veut duper qui?

Cela nous ramène aux propos du prince déchu qui se prélasse, nostalgique, sous les cieux lointains de l’Afrique du Sud et qui se déclare toujours président constitutionnel de la république d’Haïti.

De quelle constitution parle-t-il? De celle qu’il n’a fait que violer dès son avènement au pouvoir? «démantèlement de l’armée» entre autre, jusqu’à son départ précipité dans les conditions que l’on sait? Ou encore, celle dont parlent, du bout des lèvres, sans la moindre conviction, les dirigeants de ce pays et la plupart de nos femmes et hommes politiques depuis le vingt neuf février deux mille quatre.

Cette imposture crée encore plus de confusion chez ceux-là qui veulent vraiment un changement, un mieux-être pour l’ensemble de la famille haïtienne et non ce perpétuel recommencement qui ramènerait au pouvoir, une chapelle, un clan, ni meilleur ni pire que les précédents, puisqu’au pays, on ne l’a répété que trop souvent «Plus ça change, plus c’est pareil».

Nous nous targuons tous d’être des démocrates, des chrétiens, dans ce cas seule la vérité, la nôtre peut nous affranchir. Encore, nous faut-il la reconnaître, l’appréhender et nous l’approprier.

Commençons donc par la clamer haut et fort à ceux-là qui ne le sauraient pas, en ce qui a trait à notre situation vis-à-vis de la constitution de mil neuf cent quatre-vingt sept. Cette dernière n’est simplement pas en vigueur, du moins pas en application depuis le départ du président Aristide.

En effet, la constitution de 1987, à l’instar des vingt-deux autres qui l’ont précédée, a été élaborée, taillée sur mesure dans l’intérêt de l’équipe qui avait le vent en poupe sans tenir compte le moins du monde de l’intérêt collectif. Quelle poisse!

A partir du 29 février 2004, on se réfère, dit-on, à l’article 149 de la constitution. L’a-t-on lu, ne serait-ce qu’en diagonale, le susdit article? Il faut croire que non, puisque nombre d’analystes politiques, de politiciens au verbe haut et creux, toute la pléthore de politicailleurs jouent aux constitutionnalistes à la con et induisent la population en erreur puisqu’un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.

Déjà en 1987, la charte n’avait rien de fondamental, hormis le préambule et le chapitre traitant des droits et libertés individuelles. Les esprits avisés s’étaient prononcés, timidement faut-il l’avouer, compte tenu de la savante manipulation et la charge émotive qui prévalaient à l’époque. L’article 291 n’avait pas manqué de mettre en relief l’esprit revanchard, la mesquinerie et les turpitudes qui doivent disparaître de notre paysage si on veut rejoindre et intégrer le monde civilisé. Autrement l’observateur donnera raison à Gustave d’Alaux qui affirmait: Si les Haïtiens font des constitutions absurdes, ils excellent à les violer.

Aujourd’hui, les néophytes, les profanes sont à même de réaliser que la constitution de 1987 n’a rien à voir, ni de près ni de loin avec le quotidien haïtien. Rien de ce qui se fait depuis le 29 février 2004 n’a pour référence ou boussole cette charte dite fondamentale.

Mme Myrlande H. Manigat, entre autres, en a fait l’exégèse mais handicapée par sa pudeur de professeure et femme politique elle n’a pas osé aller  jusqu’au bout de sa pensée, convaincue que d’autres prendraient le relais, comme Jacobi qui disait ne pas travailler pour le bonheur de l’humanité mais pour l’honneur de l’esprit.

Qu’il suffise de relire attentivement les articles 13, 15, 52-3, 143, 145, 175, 176, 185, 189, 259, 260, 262, 263, 264-1, 282a, 284-4, entre autres, pour l’édification la plus complète de l’urgente nécessité de faire enfin, ce qui aurait dû être fait au lendemain du 29 février 2004, c'est-à-dire, la reconnaissance en toute honnêteté et de concert avec toutes les composantes de la nation souveraine, que la constitution de 1987 avait vécu son historicité, qu’elle était inopérante, caduque, n’étant pas en adéquation avec la réalité sociale, politique et économique du pays.

Est-il trop tard pour se ressaisir et éviter au prochain gouvernement élu démocratiquement, à la fin de l’année en cours, le carcan d’une charte obsolète, déphasée. Laquelle se révèle d’ailleurs, une loi-programme, une constitution dure, inappropriée, contreproductive et suicidaire.

Il est grand temps que les avocats, les juristes, les sociologues, les couches saines de la population, les femmes et hommes politiques se prononcent sans ambages ni fioritures sur cette situation anachronique et perfide qui est la nôtre.

La justice ne vit pas de scandale, elle en meurt disait l’avocat/poète Etzer Vilaire. N’est-ce pas le corolaire parfait de l’autre qui nous avertit depuis longtemps que: «De toutes les corruptions intellectuelles, la plus dangereuse est celle de l’esprit juridique car elle donne aux pires exactions, une apparence de  légalité».

Jusques à quand, sœurs et frères en la patrie, nous livrerons-nous au jeu de l’autruche? Enfouir sa tête dans le sable des magouilles et turpitudes en tous genres et s’imaginer que la vérité ne luira pas de tous ses feux s’avère aberration et aveuglément qui ne conduisent qu’aux profondeurs abyssales; encore que nous n’en soyons pas si loin.

Réveillons-nous, sortons vite de notre torpeur car plus tard risque d’être trop tard.

Serge H. Moïse av.
10 mars 2005
Le Nouvelliste 22 avril 2005

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