Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Le mythe originaire

James Stanley Jean-Simon

La littérature haïtienne a-t-elle vu le jour avec la proclamation de l’indépendance nationale?

La question de l’origine de la littérature haïtienne a toujours été liée à la fondation de l’État haïtien. D’ailleurs, plus d’un critique ont fait coïncider la genèse du fait littéraire haïtien à la proclamation nationale, le 1er janvier 1804 aux Gonaïves. Les travaux des littérateurs tels Pradel Pompilus et Berrou, Ghislain Gouraige, Henock Trouillot ont contribué à asseoir le mythe de l’origine lequel semble tenir son point d’appui du mythe créationniste des grands commencements. Auparavant, pas de littérature, autant que le système colonial fut, et Haïti ne fut pas encore.

Cette thèse a trouvé sa source la plus féconde dans ce que le critique et romancier haïtien Jean-Claude Charles1, de regretté mémoire, souligne comme «le point symbolique saisi dans la liturgie du grandiose propre à la vision dorsainvillienne»2 de nos critiques. Il s’agit de «marquer d’une pierre singulière (libérale/nationale) ce moment à partir duquel une nouvelle couche dominante va pouvoir organiser la production d’un discours indépendantiste au service de ses propres intérêts»3. L’objet de définir le sujet: Littérature Haïtienne, à marquer du sceau des grands débuts, du mythe originaire, quitte à ignorer, ou passer au dam d’un grand mépris les productions littéraires antérieures à la fameuse délimitation, tient de cette quête originaire.

L’acuité du mythe originaire, par ailleurs, ne fut pas vécue par nos critiques, de manière solitaire. Aussi, pour le besoin de la cause, ces derniers ont tenu, après avoir posé le mythe de l’origine, à procéder au découpage du fait littéraire haïtien en cinq «étapes ou périodes», car il faut au peuple, son «Lagarde et Michard national». Depuis, toute renonciation au sacro-saint de cette délimitation se trouve suspect d’hérésie ou du moins de sacrilège. Cette approche de la critique littéraire nationale ne se départit point des accusations affublées à la littérature nationale à ses débuts: «une littérature d’imitation», comme une exécration de celle-ci au rang de fait littéraire national autonome.

La critique nationale semble s’inspirer d’un mimétisme aveuglant la critique française d’alors. Souci de reproduire du moins fidèlement par la forme la tentative de la critique française. Le débat n’est point ici l’enfermement du discours de l’imitation dans une rhétorique assassine dont les théoriciens de l’inexistence de la littérature haïtienne ont confiné le fait littéraire national. En effet, l’imitation peut-être une source d’enrichissement, surtout lorsqu’elle sait se parer du baume de l’originalité.

La production d’un sens, ce qui peut être entendu comme le présupposé d’un corpus et d’un contenu défini, participe également de cette quête, du mythe originaire. La littérature haïtienne, telle qu’elle sera pensée et définie par nos premiers critiques, tentera de transposer les rivalités sociales pré- existantes entre les groupes dominants et de les opposer dans un processus ambivalent: la dualité du général ou de l’universel au typique, au national. Bonjour les étiquettes! Les apparences de ce qui est près du modèle français ou ne l’est pas. Les formules assassines du genre: «Georges Sylvain est une dilettante, un évadé des lettres haïtiennes» ou «Etzer Vilaire est un poète égaré sur la terre d’Haïti», qui ont connu de beaux jours et en connaitront certainement d’autres, face au refus ou mépris manifeste du ministère de l’Éducation Nationale à l’évaluation ou au renouvellement de l’enseignement littéraire dans les classes humanitaires haïtiennes.

Le mythe originaire a porté en lui tout ce qui pourrait le rendre fécond surtout après l’établissement du corpus, source de toutes les dérives et étiquettes, du présupposé thématique et de la périodicité arbitraire.

Le débat autour de la genèse de la littérature haïtienne n’implique pas nécessairement son inscription dans un moment chronologique. Notre premier souci est, loin de la recherche de repères historico-politiques, l’inauguration d’un débat ou sa continuation pour l’instauration d’un nouveau paradigme autour du fait littéraire haïtien. Il s’agit moins d’originer la littérature haïtienne à un certain moment historique. D’établir les liens entre le destin de la production littéraire à la marche –Histoire, dans notre cas, à la proclamation de l’indépendance nationale, sur la Place d’Armes des Gonaïves, le 1er janvier 1804. La problématique du mythe originaire trouve sa pertinence dans la nécessité d’instaurer une (ré) lecture, un rapport autre au débat des critiques littéraires haïtiens. D’interroger les énoncés fondant l’arme de la critique littéraire. Le jeu n’est pas ici perdu, au contraire, contribue à enrichir le débat.

Des travaux historiques et littéraires d’éminents intellectuels comme Jean Fouchard ou les témoignages de Moreau de Saint-Méry notamment éclairent que le moment zéro «où rien ne fut» (Jean-Claude Charles), comme pour trouver une origine historique à notre littérature, est une thèse qui porte en elle ses propres faiblesses.

Les productions littéraires, avant la naissance de l’État-nation, qu’elles émanent des strates de la colonie dominguoise (colons ou anciens libres) témoignent, en effet, d’une réalité dont les sentiments et accents partagés ne sont pas très différents «de ceux que l’on exprimera après 1804 pour défendre l’indépendance». Il en est de même du théâtre à l’époque coloniale, lequel s’inspira des mœurs locales. Brueys d’Aigalliers, par exemple, a chanté avec amour sinon avec grâce et originalité, «les fruits, les fleurs, les oiseaux et la verdure éternelle de l’ile». Les châtiments et douleurs infligés aux esclaves ont été, par ailleurs, dénoncés sous la plume des témoins de cette époque antérieure à la période fondatrice.

Soulignons le fait littéraire haïtien n’intègre pas uniquement le texte écrit. A côté de l’écrit, vit, respire une oralité ou une riche oraliture qui témoigne d’un passé transversal au mythe originaire. Un passé qui eut existé même au-delà. Nos fameux contes, proverbes et chants notamment en font partie.

Interroger ce passé pour mieux l’intégrer au présent dans un dialogue fructueux, n’est pas un vain prétexte. Si prétexte, il en faut. On ne peut bâtir le présent sans un questionnement de ce qui fut. Sans interroger le passé.

Le mythe originaire a eu et en aura de beaux jours devant elle. L’horizon est immense. Il est un fait que la littérature haïtienne s’est réellement épanouie dans la liberté à partir de 1804. Mais lier les premiers jours du fait littéraire haïtien à la proclamation de l’indépendance, à la naissance de l’État-nation est une contribution à originer la littérature nationale à «un moment zéro où rien fut». Participe d’une illusion sur le sujet «Littérature Haïtienne» laquelle est une création spontanée. Telle était l’opinion de la critique littéraire nationale.

Certes, le problème de l’inexistence de la littérature n’est plus à l’ordre du jour. Le peuple haïtien a une littérature nationale autonome. Saluer les travaux d’éminents devanciers ne saurait constituer un dédouanement au jugement porté sur leurs œuvres. Le mythe originaire a trouvé son pendant dans la perspective historique de faire correspondre un événement politique et historique à un autre (littéraire par exemple) auquel il parait lier par une certaine corrélation socio-historique.

Partant de là, se sont venus la question de la délimitation du sujet «littérature haïtienne», la définition d’un corpus et d’un contenu avec tout ce qu’elle porte d’étiquetage, d’omissions. Et l’ignorance ou l’omission de ce qui fut avant 1804- comme quelque chose d’obscur-, car on ne fait aucun lien avec l’indépendance, les héros, la problématique sociale et politique après 1804.

Poursuivre le débat autour de la question littéraire nationale, tel est l’objet de cette communication. La littérature haïtienne s’est épanouie dans la liberté après l’indépendance. Mais n’a pas vu le jour avec la fondation de l’État-nation. Un retour sur les productions littéraires de / à l ’époque coloniale témoigne de la permanence, à quelques exceptions -près, des thématiques à l’œuvre lesquelles seront élargies et amplifiées après 1804 et tout au long du XIX eme siècle haïtien. Il ne s’agit, en effet, d’une petite brèche dans le terreau fertile de la critique littéraire nationale.

L’interrogation du passé est un gage qu’il faut (avoir), pour bâtir d’une manière sereine le présent.

Notes:

  1. Jean-Claude Charles: romancier et essayiste haïtien.
     
  2. Jean-Claude Charles: Quelle fiction? Que faire? Collection Ruptures; Editions Mémoire; 2000; page 17.
     
  3. Ibidem.
     
  4. Histoire de la littérature haïtienne, Dieudonné Fardin et Jadotte, Nouveaux classiques haïtiens, 2009.

James Stanley Jean-Simon
Normalien, poète, professeur
de Littératures et
Directeur de la Radio Union Fm à Petit-Goâve.

boule

 Viré monté