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La théâtralisation du pénombre
dans Valse des ombres
d'André Fouad

James Stanley Jean-Simon
Critique littéraire et écrivain

jeansimonjames@gmail.com

 

 

"Je me suis mis à planter quelques ombres"

 

 

 

 

Valse des ombres, André FouadÉditions Milot • ISBN 978-2386170508 •
2024 • 90 pages • 17,44 €.

Valse des ombres

Le texte ici part à la quête, à la recherche, s'inquiète à fond, des mille effets de la cause. Puisque prendre langue à la marée des conséquences permet de mieux murer la cause,  l'urgence tient de cet ordre.

Vivre est un dialogue au monde et la musique par l' harmonie qui s'y opère, communique, converse, parle, énonce. Et l' autre, présent ou brillant par son absence, demeure à quelque lieu par une certaine prosopopée du terme :  présence. D'où découle la théâtralisation presque certaine de notre présence au monde, une quasi- mise en scène. Et celle-ci ne presse-t-elle pas la nécessité de l'action? L'être humain est action! André Fouad a affirmé dans son recueil et, ce, bonne guerre que: "l’incandescence de ma lampe errante /tape très fort l’œil /des fenêtres humaines". Le corrélat alors entre les concepts - théâtralisation- mise en scène- action - demeure intense et y marque certainement notre présence.

Cette volonté de citer l'ombre trouve son pendant dans l'outrecuidance de la dénoncer. Et explose en paroles:

"loin du littoral
j’ai vu
j’ai collecté dans mes bagages de simple voyageur
ombres unisexes
histoires inachevées
silences-sirènes
des ombres sur la croix" (p.75)

Ailleurs, n'oppose-t-il pas :

"le vent a trop de marges à remplir"

Mais quel chemin prendra le poème lorsque le monde demeure théâtre de corps sanglants:

"le sang chante encore
des airs désuets
quelle métaphore à fignoler
entre les nuits de couvre-feu" (p.55)

Le poète André s'y emploie par ce désir puissant d'ouverture au monde. Alors que le monde actuel s'enferme dans les bruits de guerre et des rumeurs sanglantes, dans la danse et la musicalité des ombres d'ici et d'ailleurs, dans le verrouillage de la parole où Big Brother is watching us, all ~ (Big Brother nous regarde, contrôle tout).

Ces vers extraits du recueil d' une étonnante clarté en attestent:

"Regard tendre de ces harpes
endimanchées
le vent a la main gauche
sur le cœur"

Rythmes divers et champs lexicaux

La musique se déploie en chants, chansons, cantiques, et épousent la diversité des instruments musicaux (harpes, vieux chant, cantatrice) des rythmes (la musique «POP» , riffs majeurs, ce goût d’afro-beat, ce faux air de reggaeton, le bruit des bottes des «Navy», le blues des sans-voix d’outre-tombe), l'oiseau qui clame, Ella Fritzgerald, John Coltrane, jazzy, virtuose, airs désuets, chant urbain, partition des cimetières, cantiques, etc. Loin d' être heureuse, la musique paraît mélancolique, à souhait et ne semble point trahir la mélodie de la valse des ombres.

Un champ lexical, s'apparentant aux deux thématiques-  autour desquelles est structuré le poème: (le chant, la danse, les rythmes): la musique et les ombres- s'y déploie à pleine bordée dans le texte. Quelques exemples se rapportant à la chanson ont été nommés ci-dessus. Pour l' ombre, on y remarque les termes et expressions (nuages, demi-teinte, le soleil ne s’est jamais remis/ de ses pénibles voyages antérieurs, ombres orphelines, tunnels des Bantous, soleils pourris, nuit à moitié, encres, les citadelles des ténèbres, etc).

Praxis

Si le recueil témoigne du présent, fait acte de présence, ce n'est nullement dans l'inanité de célébrer l'ombre. Celle-ci noircit le réel, le vrai telle dans l'allégorie de la caverne de Platon. Il faut agir, aller au devant du monde, des choses et déchiffrer le nombre vrai.

"au nom de toutes les nuits
je revendique partout le droit
à l’illumination des graffitis des miroirs
j’ai dit halte
aux valses m’écrivant des pamphlets"

André Fouad n'a pas refusé le combat. Si le poème voyage, -la poésie est voyage-, arpente le monde, les terres du monde, y développe une certaine géographie des ombres qui dansent, la cartographie de la noirceur et de l'obscure où fonce l'homme. S'il coule des  parfums de chairs nues à Rio, flotte des airs de Trinidad, le temps fuit et ne se remballe pas sur Broadway (le temps va si vite / et ne revient plus /sur ses jambes de marionnettes / à Broadway ( p.73), les échos des vents de Gwada, de Sydney, des fleuves du Niger, Kansas City, etc. S'il dialogue avec Biasquiat, peuple son propos d'anglicismes (stripper, addicts, underground, western, subways, liberty city, tweets, etc), ce n'est que pour trouver la dimension de la théâtralisation du monde et des ombres, des apparences qui crèvent la vue. Cette mise en scène livre en spectacle les chères petites ombres - si seduisantes- qu'elles montent en notes harmoniques pour faire tourner les pas, les torses, les coeurs, les corps.

"de quel côté des mers naîtront
les voi(x) es irréversibles des papillons

vers l’autre rive gauche
les lucioles n’ont pas encore fait tâche d’huile
aux sérénades des trouvères du Cap-vert"…

La théâtralisation du pénombre ou le dialogue des ombres

La théâtralisation du pénombre ou le dialogue des ombres. Le texte de Fouad défile à travers les poèmes cet effet de mise en scène de l'ombre où la représentation tient lieu de théâtralisation. Les lignes suivantes ne disent pas nécessairement le contraire:

"les flamboyants de San Francisco sont si sombres
comme l’avenue des songes en cavale" (p.61)

Ou:

" la mer de mes saisons buissonnières
a les bras coupés
les palmiers nocturnes se jettent
vers l’horizon en feu de paille" (p.59)

Le mot théâtralisation lequel se définit telle "action de donner un caractère dramatique, vivant à quelque chose, à un événement (Wikipédia)." Qui dit théâtre, dit donne à voir, dialogue, scène et représentation. Les poèmes de Valse des ombres parlent, dialoguent un tu, (ta, te, ton) un vous (souci de collectivité), littéralement absent, mais trop présent, se rend ô combien nécessaire par l' existence du monologue (L'une des formes du dialogue théâtral). Si le poème ne se morfond pas, est prétention de se dire soi-même, au contraire, il s'adresse dans son projet au monde.

"je peins les bordels des nuits
là où les étoiles -adultes ressuscitent
les prénoms de ces femmes
aux jambes longues
aux verbes si précoces"

Il y enfonce encore:

"je redeviens rudes et éternels piocheur d’étoiles
hors des murs numérotés"

Il y monte à côté de ces battements des pouls, des rumeurs, des airs musicaux qui chantent, célèbrent la diversité du monde et de ses doutes, de ses joies fugaces et des malheurs, où "la nuit des subways est mon ultime secret endimanché". Magloire Saint-Aude n' est jamais trop loin. Avec les réminiscences remontant au fameux "Dialogue de mes lampes". André Fouad, de plain-pied, s'y réfère et ne s' interdit guère à la souscription allusive (veilleuse, lampes, dialogue, lampadaires, ressuscitent, songes, fantômes).

À l'heure où la guerre étouffe et ébranle profondément la forêt des certitudes, les pas de valse, livrant en scandale les ombres, ne tirent leur importance que dans la révélation d' un monde faussement vrai qui refuse de mourir. Mais le poète croit que:

"la solitude
est l’énigme de mon poème «Made in Hollywood»
chorégraphié"

Le poème, aux pas légers autour d'une danse, se fait dialogue, fait dialoguer les ombres. Il y révèle cette volonté de nier le vrai. À force de valses et d' enfermement. À force de barbouillage, de demi-teinte et de contre-vérité. Novlange (collages tweets), Big Brother, 1984 et George Orwell ont, sans doute, sous la plume d' André Fouad, passé par là.

Ici, chez nous, si le mal fédère et se met ensemble, vit de concert, la poésie de Fouad, au contraire, révèle par la magie des mots la théâtralisation des ombres du monde. Ce n' est point un euphémisme, si le poème de Fouad déshabille les ombres.

James Stanley Jean-Simon

Notes:

Fouad, André, Valse des ombres, Éditions Milot, Paris, 2024.
Jean-Simon, James Stanley, La poésie comme voyage, Le National, 22/03/2022.
Platon, La République.

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