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Farah-Martine Lhérisson, une promesse assassinée Le Nouvelliste | 2020-06-19
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J'ai éprouvé cette même sensation lors de l'assassinat de mon frère poète Jacques Roche en pleine rue de la capitale, Port-au-Prince, ville qui mange ses enfants à grandes bouchées.
Sensation de vide. Sensation d’apocalypse. Sensation de la fin d’une époque, sensation de fin du monde. Sensation d'impuissance face à ladisparition d'une fleur des îles, une fleur, une promesse....
La poétesse, 49 ans, est tombée sous les balles assassines des bandits ainsi que son mari, l’ingénieur Lavoisier Lamothe (56 ans), dans leur résidence à Péguy-Ville. Les assassins ont fait feu sur le gardien, brutalisé les servantes. Le fils du couple, Laurent Lamothe (12 ans), est marqué à jamais par ce drame. Et notre mémoire de poète porte le deuil de ces êtres chers que l'insécurité chronique d'Haïti a ravis à notre affection.
Comme à l’accoutumée, l’enquête va se poursuivre dans ce pays où la vie des citoyens ne vaut plus rien.
Farah, on était de la même génération. On a connu les affres du régime des Duvalier, les secousses de 1986, les fausses promesses des généraux, des prêtres, des chanteurs-présidents, l'embargo, le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le choléra, les grèves, les peyi lòk, et aujourd'hui la Covid-19.
Quelque part, on est traqués par la misère, la malchance, la précarité, les inégalités sociales et l'injustice. Oui, l'injustice qui frappe toutes les portes chez nous.
Tu as soufflé tes quarante-neuf bougies. Tu avais la vie devant toi. Professeure de belles lettres, Haïti attendait de belles floraisons dans le paysage littéraire, parce que tu étais une belle voix qui nous donnait le goût de vivre dans ce pays.
Oh, Farah, tu ne t'attendais pas à être fauchée baignant dans ton sang, toi et ton mari.
Le robinet du sang recommence à couler à flots en Haïti, pour le grand plaisir des assoiffés de sang.
Les escadrons de la mort sont les plus tranquilles dans ce coin de terre où le crime reste impuni. Les assassins sont dans la ville. Ils mènent grand train de vie et sont respectés pour leur grande capacité à s’organiser en réseaux de criminels. Depuis toujours, leurs activités fonctionnent dans ce pays où le drapeau de la mort flotte comme carte de visite. Les agents de la mort ont déjà emporté sur leur route Jacques Stephen Alexis, Jacques Roche, Wilhems Edouard, Richard Brisson, pour ne citer que ceux-là.
Je revois les Vendredis Littéraires chez Trouillot
Je remonte le temps et je pense aux séances merveilleuses, enflammées des Vendredis Littéraires sous la direction de l'immense poète et romancier Lyonel Trouillot à Delmas 29 durant les années 1995-2000. C'était la belle époque où l'on récitait des vers et ouvraient nos trésors de mémoire pour que les plus beaux textes de littérature emplissent les instants dans le havre culturel de Trouillot. On savourait la poésie, la chanson, les discours littéraires. Une belle fenêtre s’ouvrait sur la beauté des êtres et des choses. On communiait sur les accords du partage, de lagénérosité, de l'altruisme. On était réconciliés avec l’univers puisque la poésie nous mettait dans un état fusionnel avec l’infiniment grand et l’infiniment petit.
On avait des amis en commun: James Noël, Faubert Bolivar, Bonel Auguste, Jean-Euphèle Milcé, Wooly Saint-Louis Jean…
Aujourd'hui je pleure ton absence. Tu crées en moi un vide qui ne sera jamais comblé par le temps, car le temps de nos jours, poétesse de l'itinéraire-zéro, devient mangeur d'hommes, mangeur de talents, de rêves... En t'écrivant là où tu es, il me revient à l'esprit ce vers ô combien significatif et d'actualité de René Philoctète que tu aimais tant:
“Je reviens si fatigué des giboulées du Nord.
le soleil que j'ai bu est froid comme la mort".
Farah-Martine Lhérisson, le soleil que nous buvons est froid comme la mort. Personne n'est à l'abri. Aujourd'hui, c'est toi. Demain, mon tour, peut-être. Ainsi s’allonge la liste des semeurs de la mort. Selon l’humeur et les intérêts du moment, ils décident de sonner le glas.
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A Farah-Martine Lhérisson par Ernest Pépin.
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