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«Les yeux de la nuit» d’Élie Fleurant:
Par Nancy Hérard
Les yeux de la nuit, Élie Fleurant • 2013 • ISBN 978-1466988804 • |
«L’œuvre d’art idéale ne se contente pas de l’apparition de l’esprit intérieur dans la réalité des formes extérieures; c’est la vérité et la rationalité en soi et pour soi du réel qui doivent parvenir à l’apparition extérieure.» Qui parle ainsi? C’est Hegel parlant d’esthétique et qui montre l’unité qui se réalise entre le rationnel et le sensible, entre l’idée et son extériorisation sensible.
Voilà pourquoi le critique n’est pas surpris outre mesure en lisant le dernier recueil d’Élie Fleurant, Les yeux de la nuit. Car il savait déjà que le créateur peut s’installer dans son pathos avec toute son âme et pourtant objectiver la réalité, aborder les formes et les manifestations du Vrai et du Beau comme étant les idéaux de l’esprit humain dans sa quête de l’infinité et de la plénitude de l’existence réelle.
Les yeux de la nuit nous invite au questionnement. Qu’arrive-t-il quand la rigueur de la réflexion philosophique pénètre de plain-pied dans l’antre de la poésie? Qu’arrive-t-il quand Socrate essaie ses sophismes avec les rêveries et l’imaginaire débridés d’Érato, muse de la poésie lyrique? Cette invasion de la philosophie appauvrit ou enrichit-elle l’esthétique poétique ou est-elle une pure provocation de la part d’Élie Fleurant pour nous dire que la Muse peut encore ruminer dans les pâturages du réalisme?
L’entreprise est audacieuse. Osée même. Tout comme elle est nouvelle et originale. Il y a une réalité qui sous-tend cette collection de textes: l’émergence de cette poésie diaphane est une aventure intellectuelle, spirituelle nouvelle qui va consacrer la naissance d’un genre nouveau dans l’écriture littéraire, dans la mystique poétique, vers la terre promise d’une esthétique de la témérité.
On ne peut ne pas se souvenir de Platon s’écriant:
«Lorsque tu regardes les étoiles, ô toi mon étoile
je voudrais être le ciel
et te contempler de mes mille yeux».
La révolution épistémologique de Kant plaçait le sujet comme objet de la connaissance. Élie Fleurant veut faire croire au lecteur que la foi dans le pouvoir démiurgique des mots et des perceptions définit essentiellement l’aventure de la philosophie dans l’univers éthéré de l’art poétique. Avec la philosophie, la poésie devient connaissance du réel. La poésie devient rationnelle. Même les rêveries trouvent leur rédemption dans l’évocation épistémologique des virtualités et des intériorités qui fascinent et qui enchantent…
Des poèmes comme «L’oiseau du crépuscule», «Je pense donc je suis violence», «L’oripeau des ténèbres», ou «Belle de nuit» etc. montrent que la verve d’Élie Fleurant délivre l’art poétique de toutes les conventions du romantisme d’évasion, de la fantaisie pure et de l’irréel pour atteindre le Vrai et le Beau. C’est la philosophie qui permet de voir l’âme et la spiritualité intérieures, en d’autres termes l’intériorité subjective…Élie Fleurant appelle cette nouvelle école, le DIAPHANÉISME. Une école d’humanisme, d’«harmonique sociale», dit-il, «de raison et de conscience».
Avec les oripeaux de la philosophie, l’inspiration d’Élie Fleurant se découvre à la source de la réalité la plus charnelle. La philosophie aussi a un pouvoir de transfiguration et de dramatisation, comme la verve poétique. L’opacité du discours philosophique se dissipe à travers la brillance, l’éclatante lumière qu’irradient les circonvolutions langagières du poète. Fleurant parle «poésie diaphane»…
L’ambition philosophique du poète, de même l’ambition poétique du philosophe, ont conféré à la poésie translucide d’Élie Fleurant une dimension particulière où l’on voit l’homme dans ses faiblesses, l’art dans ses horizons illimités et la société dans ses illusions redoutables.
Certains commentateurs disent que le règne de la philosophie à l’époque contemporaine a mis à mal les écrivains qui avaient senti un besoin de faire un effort dans la réflexion. Même les peintres surfaient sur la philosophie à coups de pinceaux, de palettes diaprées et de symboliques, comme ces pommes de Cézanne ou cette chaise de cuisine peinte par Van Gogh et aussi, pour enfin parler terroir, les pigeons de Gesner Armand.
Il y a aussi l’esthétique de l’engagement, au sens très sartrien du terme. Mon Odyssée à La Havane et Vox Populi sont deux poèmes écrits avec une plume trempée dans l’encre rouge de l‘anti-impérialisme et de l’anti-guerre. Des flèches plantées au cœur d’un système d’oppression.
L’élégance du poète frétille à l’œil nu pour les délices des amateurs de mots; en fait, c’est lui qui a vu le «Sphinx d’Homère et l’alpha d’Éluard» dans son poème intitulé «Enigme de mon équation.»
Fleurant a salué Le Messie noir en Toussaint Louverture comme il ouvre son cœur à La Belle aux yeux dormants dont il a «façonné la silhouette et l’harmonie de son duvet…la belle qui disparait sous les plis des écumes d’ivoire.»
Ce dernier recueil d’Élie Fleurant, poète philosophe, vaut la peine d’être lu.
New York
Octobre 2013