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Marge en avant

Jean Durosier DESRIVIERES

 

 

 

 

 

 

 

La jupe de la rue Gît-le-Cœur

Tel est le titre de l’introduction à l’essai Intention et invention chez Georges Castera fils que l’auteur aimerait partager avec les lecteurs de Potomitan, une manière de les inviter à aller voir du côté des mots réels du poète, ou de la critique, faisant écho à sa voix, dans une sorte de quête des sens, dans tous les sens…

L’œuvre colossale et le talent incontestable de Blaise Cendrars (1887-1961) lui ont valu une jouissance de notoriété dès son vivant. Néanmoins, jusqu’à ce qu’il soit frappé d’hémiplégie, aucun grand hommage national ne lui a été rendu ni par la Suisse, son pays d’origine, ni par la France, sa seconde patrie, pour laquelle il a sacrifié pendant la première grande guerre européenne – dite aussi mondiale – sa main droite, pour devenir un excellent écrivain de la main gauche; aucun grand prix littéraire n’a récompensé la force, la vitalité, l’ingéniosité et la dignité de son travail littéraire non plus. Quand Malraux se précipite en 1958 pour lui remettre la cravate de commandeur de la Légion d’honneur, il était déjà grabataire; puis, surviendra in extremis, quelques jours avant le 21 janvier 1961, la date fatidique de la mort du «bourlingueur»: le Grand Prix littéraire de la Ville de Paris. Et moi qui ai fréquenté l’auteur de façon assidue, à force de me promener dans ses propres écrits et ceux rédigés à son sujet, moi qui suis convaincu de son tempérament bien trempé, je le verrais bien lâcher un bon «Merde !» face à toutes ces glorioles tardives, s’il avait conservé toute son énergie et toute sa lucidité.

Où je veux en venir? Au poète haïtien Georges Castera fils et son œuvre bien sûr: à cette mise à l’honneur tout au long des années 2012 et 2013, à la fausse polémique qu’a suscité l’acceptation du poète, accompagné d’autres écrivains, de se faire décorer par le pouvoir en place. Et dans un pays comme Haïti où l’on cultive assidûment le sens de la démesure, chacun y allait, après la cérémonie du 7 juin 2012 dans l’arrière-cour du palais national, de son cortège de superlatifs, au point d’évoquer «la geste» du poète Anthony Phelps qui a refusé cette mise à l’honneur par le président Marthely, avec pour grief, le fait que celui-ci tolère sur le territoire haïtien l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, champion du non-respect des droits de l’homme, qui demeure encore impuni. Du coup, tous les autres écrivains ayant accepté la distinction de ce gouvernement, semblent passer pour des inconséquents, voire des amnésiques, des traitres, aux yeux de certains. Qu’on se le dise une fois pour toutes: la position réfléchie du poète Phelps est tout à fait légitime et respectable; mais je ne vois guère en quoi l’on a cherché à en faire une caution de discrédit des autres écrivains, dont Castera.

Sans trop vouloir recréer la polémique, il m’est loisible de croire que de nombreux intellectuels haïtiens, y compris ceux qui vivent à l’étranger tout particulièrement, souffrent trop souvent d’un grand déficit de nuances quand il s’agit d’aborder quelques questions internes et quotidiennes, propres au courant de la vie politique et culturelle en Haïti: je pense essentiellement au rapport de l’artiste avec le pouvoir. Je refuse de m’embarrasser d’une légion d’arguments, ici. Je dirai tout simplement: autant que je sache, peu importe les tendances d’autoritarisme – auxquelles nous restons vigilants – qui se développent au sein du pouvoir de Marthely en Haïti, nous ne vivons pas sous un régime dictatorial, un régime tortionnaire, chasseur de créateurs. Ceci étant dit: les autorités politiques, de bonne ou de mauvaise intention, par stratégie ou par franche conviction, sont libres d’honorer les fous et les saltimbanques de la République, lesquels sont libres, de leur côté, d’accepter les honneurs ou non.
Et je ne voudrais point détourner le lecteur de mon but ultime: attirer l’attention sur une œuvre poétique exceptionnelle – celle de Georges Castera fils – qui ne peut, pour sa crédibilité d’ailleurs, se détacher de la grandeur et des faiblesses de son auteur. Cet essai qui résulte d’un travail universitaire entrepris en 2001 est donc une autre forme d’hommage rendu au poète. Dans ce travail, légèrement revu, corrigé et augmenté, je tente de soumettre à l’analyse six compositions poétiques d’expression française du poète, lesquelles représentaient à l’époque l’ensemble de son œuvre: Le retour à l’arbre, Ratures d’un miroir, Les cinq lettres, Quasi parlando, Voix de tête et Brûler.

Le texte castérien, selon moi, est un lieu où le projet du poète est consubstantiellement lié à la création. En conséquence, l’on décèle une certaine incapacité à séparer, dans les compositions considérées, poésie de philosophie, d’Histoire, de discours critique ou de théorie littéraire. Voici mon hypothèse ainsi posée. Dès lors, guidé essentiellement par l’approche thématique qui exige une forte sensibilité du lecteur au texte, il ne me reste qu’à élucider cette hypothèse par une démonstration concluante. Aussi, je me propose dans le cadre de ma lecture critique de considérer un croisement de démarches analytiques précises et pertinentes, pouvant être utiles et efficaces à l’approche des œuvres, dans une perspective méthodologique qui mobilise les connaissances linguistique et sémiotique, tout en tenant compte bien sûr de l’évolution historique des compositions.

Eclairé également par les travaux et réflexions de Gérard Genette, Umberto Eco, Michael Riffaterre et Jean-Michel Maulpoix, je pense pouvoir élaborer une critique opérante de cette poésie dans un mouvement de pensée qui propose trois grands moments au lecteur. Dans un premier temps, il sera question de la situation de Georges Castera fils, de ses compositions, dans le champ culturel haïtien, et de la description sommaire de celles-ci, en essayant de faire état des épitextes (d’autres écrits libres du poète) qui serviront de base aux analyses. Dans un second temps, sera pris en compte, un examen des structures et des thèmes en examinant les titres, perçus comme écho de contenu; cet examen me permettra d’aboutir à quelques questions de fond relatives au sujet et à l’objet poétiques. Enfin, à partir de l’étude des procédés stylistiques, je tenterai d’éclairer une poétique distinctive de l’œuvre du poète et le rapport de sa création au réel.

Certes, dans cet essai qui présente l’étude d’une grande partie de la poésie d’expression française de Georges Castera fils, je ne prétends nullement à des analyses exhaustives; de même, mon intention n’est point d’affirmer, au terme de ma lecture, des conclusions indiscutables, car «la critique gagne à se tenir pour inachevée […], faisant en sorte que toute lecture reste une lecture non prévenue» [Starobinski, L’œil vivant II, La relation critique, 1970: 13] Il ne me reste qu’à espérer que cet ouvrage contribuera à renforcer de façon significative le répertoire des textes critiques sur l’œuvre de ce poète majeur de la littérature haïtienne.

Jean-Durosier Desrivières
Chemin de la petite rocade,
Trinité, Martinique, le 22 mars 2013

 

La jupe de la rue Gît-le-Cœur

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 Viré monté