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Le nouveau recteur de l’UEH:

«De quoi est fait l’avenir d’une société
qui ne se soucie guère de sa jeunesse»?

Source: Le Nouvelliste, 17 juin 2016

On s’achemine vers la fin de l’année académique. Comme de coutume, à pareille époque, des dizaines de milliers de bacheliers et leurs parents ont le regard tourné vers l’Université d’État d’Haïti (UEH). Ils sont inquiets. La jeunesse est l’avenir d’une société. C’est donc l’avenir de ce pays qui se joue dans cette crise sévère qui secoue l’UEH. Bonne nouvelle: Un nouveau Conseil exécutif vient d’être élu à la tête du plus grand centre universitaire du pays. Une évolution positive, de l’avis de plus d’un. Notre collaborateur Serge Jules Audate a rencontré le professeur Fritz Deshommes.

Le Nouvelliste: Professeur Deshommes, vous avez été élu recteur de l’UEH, cela fait déjà un mois. Vous n’avez pas pu encore être investi dans vos nouvelles fonctions. On ne sait pas grand-chose de votre programme, de votre plan d’action. Pouvez-vous nous dire de quoi seront faits les premiers jours de votre mandat? Quels sont les premiers chantiers que vous comptez ouvrir? Comment comptez-vous aborder la crise profonde qui secoue l’UEH?

Fritz Deshommes: Dès son intronisation, le nouveau Conseil exécutif mettra le cap sur l’organisation des assises ou des états généraux de l’UEH. Il s’agira d’aménager un espace de dialogue, de discussion et de participation sur les grands défis qui se posent à l’institution et sur la manière de les résoudre dans l’intérêt de ses composantes, de ses entités et de la société.

Imaginez que nous arrivons à nous mettre d’accord sur une vision commune, des programmes et des projets communs et que toute la communauté se mobilise sur les voies et moyens de régénération, de fonctionnement et de développement de notre Alma Mater. La tâche du nouveau Conseil exécutif n’en sera que plus facile et l’UEH renforcée.

Mais comment comptez-vous organiser ces assises? Quel en sera le mode opératoire? Avez-vous déjà des propositions concrètes à mettre sur la table? Comment comptez-vous vous y prendre pour que ces débats ne se terminent en queue de poisson?

Nous disposons déjà de deux documents fondamentaux, prêts à être versés à ces assises:

  • le plan stratégique de l’UEH / horizon 2020;
     
  • l’avant-projet de loi organique de l’UEH.

Le plan stratégique de l’UEH ambitionne d’en faire une université phare pour la Caraïbe, en plus d’être le plus important établissement national d’enseignement supérieur. Il définit la vision et la mission de l’UEH, ses valeurs et ses grandes orientations stratégiques. La plupart des problèmes auxquels est confrontée l’institution y sont abordés et une feuille de route est proposée pour les résoudre. De la gouvernance aux relations partenariales en passant par la condition enseignante, l’académique, la recherche, les infrastructures, les services à la communauté, tout y est.

Au moment de son élaboration et de son adoption, le plan stratégique avait fait l’objet d’une large participation et de validation formelle. Les problèmes de ressources avaient empêché sa mise en œuvre.  Nous pensons que la plupart de ses propositions demeurent pertinentes et les assises nous offriront l’occasion de les actualiser et de les revalider.

Sitôt cette étape franchie, il constituera la référence pour le rectorat, pour les campus, pour les facultés, pour les départements d’études et de recherche, pour les laboratoires ainsi que pour les recteur, vice-recteurs, doyens, vice-doyens, professeurs, personnel administratif, étudiants. Face aux pouvoirs publics, face à la société civile, face au secteur privé et autres partenaires, l’université pourra parler d’une seule voix, exprimer ses besoins de manière plus systématique, plus ordonnée et plus crédible, et se prévaloir de critères de performance objectifs et mesurables.

L’autre document que vous avez mentionné est l’avant-projet de loi organique. Quelles sont vos attentes à son sujet?

Quant à l’avant-projet de loi organique de l’UEH, il viendra réconcilier les divers courants qui existent au sein de l’institution sur la meilleure manière de la diriger, de l’organiser, de désigner ses dirigeants, sur le poids de chacune de ses composantes, sur les droits et devoirs des uns et des autres, leur statut. Il permettra également de se mettre d’accord sur les diverses instances qui la composent, la place des entités de province, les relations avec l’État et les collectivités territoriales, ainsi que les organisations et associations de la société civile. Il viendra surtout combler l’immense vide législatif et réglementaire qui a causé tant de tort à l’institution et qui la rend, aujourd’hui encore, impuissante face aux situations les plus élémentaires.

À part les assises, avez-vous en tête d’autres actions pendant cette période? La crise est profonde. Il y a toutes sortes de revendications des différents corps qui composent l’UEH. Comment comptez-vous les satisfaire?

Parallèlement et en attendant que les assises portent leurs fruits, des démarches seront entreprises pour trouver les ressources nécessaires en vue de:

  • satisfaire les revendications salariales du personnel administratif à travers l’application de la grille négociée en octobre 2015;
     
  • éponger les arriérés de salaire des professeurs pour les exercices 2014-2015 et 2015-2016;
     
  • dynamiser la vie étudiante à travers l’intensification des activités sportives, culturelles et de loisir régulières;
     
  • augmenter les capacités du rectorat et des facultés en termes de cafétéria, bibliothèques, laboratoires, d’autres infrastructures et équipements d’apprentissage et de recherche ainsi que d’autres services généraux à l’intention des professeurs, du personnel administratif et des étudiants;
     
  • proposer aux étudiants un plan d’assurance-maladie.

Cette liste reprend effectivement la plupart des revendications exprimées durant la crise. Mais êtes-vous sûr de pouvoir trouver les ressources requises en la circonstance? Quand allez-vous entamer ces démarches?

En réalité, ces démarches ont déjà été entamées et nous espérons que le budget rectificatif 2015-2016, en discussion au niveau du Parlement, commencera à apporter des réponses appropriées aux attentes de l’institution. Dans l’immédiat, compte tenu de la situation politique et financière nationale, nous nous en tenons à un minimum. Nos demandes ciblent exclusivement les deux premiers points cités: la grille salariale du personnel administratif et les arriérés de salaire des professeurs. Un montant de 110 millions de gourdes est requis en la circonstance. Les autres points feront l’objet de demandes plus importantes dans le cadre du budget 2016-2017.

Vous ne perdez pas de temps alors. Vous avez raison. La situation le commande.  D’autres actions qui marqueront les premiers jours de votre mandat ?

Notre mandat sera marqué également par d’autres points que nous estimons d’importance capitale compte tenu de la profondeur de la crise qui affecte à la fois l’UEH et la société globale et des défis qui les interpellent.

 Il y a d’abord la nécessité du rapprochement entre l’UEH et la société. L’UEH tiendra à rappeler son caractère d’université d’État et sa mission particulière en ce sens. Elle fera valoir qu’elle demeure un organisme d’État, au service de la nation, dans le plein respect de son statut constitutionnel. À ce titre, elle proposera de manière systématique aux institutions publiques (ministères, organismes autonomes, organismes indépendants) la signature d’accords de partenariat pouvant porter sur la formation initiale et continue, sur des recherches et des études, sur des stages, des emplois, le service social étudiant, etc..

Seulement l’État? Et le reste du corps social?

Le secteur privé, le secteur associatif, les organisations civiques, les syndicats, les ONG seront également approchées, sollicités, pour des accords mutuellement bénéfiques. Toutes les parties impliquées (l’université, le secteur considéré, l’étudiant, le professeur) devraient y trouver leur intérêt.

Il importe de préciser à ce sujet que la réforme des curricula, couverte par l’axe 4 du plan stratégique, prévoit de «renforcer l’adéquation entre l’offre de formation et les besoins de développement de la société haïtienne». Elle tiendra compte des opinions des utilisateurs potentiels ou réels en vue de s’assurer de la pertinence des enseignements de l’UEH, de l’employabilité de ses étudiants et de sa présence effective dans la chaîne des compétences que nécessite notre nation.

D’autres points encore?

Il y a aussi la désespérance de nos jeunes. Nous tenons à lancer un appel solennel et pressant à la société dans son ensemble, à l’État, au secteur privé des affaires, à tous les secteurs de  la société civile pour qu’ ils se rendent compte de l’état de désespérance dans lequel se trouvent nos  jeunes – jeunes bacheliers, jeunes universitaires, jeunes diplômés – qui demeurent des laissés-pour-compte en dépit de leurs efforts, de leur disponibilité, de leurs compétences. Nous devons reconnaître que très peu d’opportunités leur sont offertes. C’est pourquoi nous en retrouvons un bon nombre à passer d’une faculté à l’autre, à exhiber des attitudes et des comportements souvent incompatibles avec leur niveau d’études.

De quoi est fait l’avenir d’une société qui ne se soucie guère de sa jeunesse? D’une société qui n’a que faire de sa relève?

C’est une question très sérieuse qui déborde le cadre de l’université pour se planter au cœur même de notre société. Le Conseil exécutif se fera le devoir d’interpeller les élites politiques, économiques et sociales sur cette question cruciale qui concerne la survie même de notre nation. Il ne manquera pas de proposer des solutions à ce sujet. 

                      
Propos recueillis par Serge Jules Audate

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