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Emplois, protection sociale et masse salariale dans la sous-traitance.

Fritz Deshommes

12. Novembre 2009

Quelle est la masse salariale supportée par la sous-traitance?

Quel devrait en être le montant nécessaire dans la perspective d’un salaire minimum journalier  de 200 gourdes?
Ces deux interrogations, annoncées dans notre dernier article1, font l’objet du présent travail.

Rappelons que la masse salariale est fonction, entre autres:

  • du niveau des salaires pratiqués;
  • du nombre d’ouvriers;
  • du nombre d’heures de travail;
  • des avantages sociaux;
  • des règlements internes.

Nous attirons l’attention sur l’étude intitulée « Impact Eventuel du Nouveau Salaire minimum sur l’avenir de la sous-traitance en Haïti2», datée de Mai 2009 et présentée par le Strategic Management Group («SMG» dans le reste du présent texte) de M.  Lhermite François. Cette étude a été commanditée par l’Association des Industries d’Haïti (ADIH) dans le cadre de sa bataille contre les 200 gourdes de salaire minimum. Même si ses conclusions reflètent la position de ses commanditaires, elle contient de précieuses indications sur le secteur de la sous-traitance, lesquelles sont abondamment utilisées dans le cadre de ce travail, avec bien entendu la vigilance critique nécessaire.

Encore une fois le salaire minimum de 70 gourdes constitue notre référence principale. La raison en est que le nouveau salaire minimum de 125 gourdes, applicable seulement à partir d’octobre 2009, n’a pas encore fait l’objet de données solides, susceptibles d’éclairer notre analyse.

1.- Nombre d’ouvriers

Au mois de mai 2009, le personnel de la  sous-traitance  était composé comme  suit, selon l’étude du «Management Strategic Group» (MSG):

  • 26905 ouvriers, à titre de «main d’œuvre non spécialisée»;
  • 2620 superviseurs;
  • 495 techniciens (électriciens, mécaniciens, plombiers, etc.…);
  • 305 professionnels de spécialités différentes (ingénieurs, gestionnaires, comptables, etc.…).

Soit un total de 30325 emplois.

Soulignons que  les chiffres les plus  courants fournis par les patrons eux-mêmes, lors d’entrevues à la  presse où ils mettent l’accent sur l’importance  de  leur apport au niveau de l’emploi, oscillent entre 22000 et 25000. Lors de la conférence de presse tenue le 13 mai dernier par l’ADIH pour protester contre le vote des 200 gourdes de salaire minimum par le Parlement, c’est le chiffre de 25,000 emplois qui avait été retenu3.  Dans  un échange virtuel  avec M. Jacques Mali qui défendait le point de vue des employeurs de  la sous-traitance, ce dernier avançait le chiffre de 23,0004.

Toutes ces estimations, visaient-elles seulement les ouvriers non qualifiés ou la « main d’œuvre non spécialisée»? C’est-à-dire, le gros des ouvriers de la  sous-traitance, dont le nombre est estimé à 26,905 par le «SMG», donc un chiffre supérieur de 2000 au moins aux estimations les plus courantes du secteur patronal? Ou réfèrent-elles à tous les types d’emplois offerts dans l’assemblage, c’est-à-dire, incluant également les techniciens, les professionnels, les superviseurs, les administrateurs? Dans ce cas, la différence est de plus de 5000 emplois.

Nous avons choisi dans le reste du travail de considérer dans la plupart de  nos calculs le point de vue qui convient le plus aux employeurs:

  • Un nombre d’ouvriers de 26905;
  • Un nombre d’emplois de 30325.

Dans cette perspective, le profil du personnel d’une entreprise moyenne de la sous-traitance se présente comme suit:

  • 1076 ouvriers;
  • 105 superviseurs;
  • 20 techniciens (électriciens, mécaniciens, plombiers, etc.…);
  • 12 cadres (ingénieur, comptables, gestionnaires, …).

En moyenne, chaque superviseur contrôle 10 ouvriers.

Tableau I : Profil du personnel de la sous-traitance

Catégories d’employés Emplois du secteur Emplois par entreprise
Ouvriers 26905 1076
Superviseurs 2620 105
Techniciens 495 20
Professionnels 305 12
Total 30325 1213

Source: Calculé à partir des données de l’étude «Impact Eventuel du Nouveau Salaire Minimum
sur l’avenir de la sous-traitance en Haïti» / Strategic Management Group, Mai 2009

2.- Nombre d’heures de travail

Le  Code du Travail prévoit une  semaine de travail de 48 heures, à raison de 8 heures par jour pendant 6 jours. Néanmoins, «les parties peuvent se mettre d’accord entre elles pour répartir la durée hebdomadaire autrement que par huit heures par jour», «sans excéder neuf heures par jour pour les établissements industriels5».
 Au-delà, « les heures supplémentaires fournies ainsi en excédent de la durée normale du travail seront payées avec une majoration de 50%6».

En réalité, la pratique  des heures supplémentaires est presque tombée en désuétude. Le système de tarif et de module,  décrit  plus  haut, porte  l’ouvrier à se concentrer essentiellement à la réalisation du volume de production correspondant aux 100% d’efficacité, quelque  soit le temps nécessaire, pourvu qu’il se circonscrive à l’intérieur des heures d’ouverture de la journée. Certains patrons  estiment que l’ouvrier  a intérêt au système de tarif dont le rendement financier serait plus  intéressant.

Il est généralement admis que les heures d’ouverture des usines de sous-traitance s’étendent de 6h30 a m à  6h30 pm du lundi au samedi. Il peut arriver que les ouvriers travaillent également certains dimanches et jours fériés.

Cela veut-il dire que tous les ouvriers travaillent 12 heures par jour pendant 6 jours par semaine? Evidemment non. Ce ne sont pas toutes les usines qui adoptent cet horaire. Certaines se contentent même des 48 heures réglementaires, à raison de 8 heures par jour pendant 6 jours. D’autres travaillent plus longtemps en fonction des commandes à honorer.

L’étude du «Management Strategic Group»   a dénombré un volume  de 77.5 millions de minutes  de  travail hebdomadaires7, soit en moyenne 48 heures de travail par  ouvrier. N’y sont pas pris en compte les congés payés prescrits par la loi (congé annuel, congé de maladie, jours fériés chômés).

3.- Protection et Avantages Sociaux

L’ouvrier a droit, selon la loi:

  • Au repos hebdomadaire payé, comprenant au  minimum vingt-quatre heures consécutives, pour autant qu’il ait fourni six jours de travail durant la semaine ou quarante-huit  heures;
     
  •  A «Des jours fériés chômés ou des jours de chômage autorisés par arrêté présidentiel8». Ils sont au nombre de 12, précise le document du CFI susmentionné9;
     
  • Au  congé annuel, d’au moins quinze jours consécutifs  par an, comprenant treize jours ouvrables et deux dimanches. «Dans le cas d’un emploi irrégulier, le congé annuel se calcule sur la base du nombre de jours de travail fournis, y compris le dimanche et les jours fériés, divises par vingt-quatre (24)10»;
     
  •  Au congé de maladie, d’une durée de quinze jours, sur présentation du « certificat médical émanant du médecin de l’entreprise ou d’un service de sante publique11»;
     
  • Au congé de maternité dans le cas des femmes enceintes, d’une durée de douze semaines dont six sont payables par l’entreprise.

Dans la réalité on ne peut garantir que toutes ces dispositions sont appliquées.

Toutes les entreprises assurent-elles à leurs ouvriers le repos hebdomadaire payé, surtout celles qui ne travaillent pas six jours par semaine, même si les 48 heures règlementaires sont fournies? Le montant payé pour cette journée doit-il correspondre au salaire minimum ou au salaire moyen (normal) de l’ouvrier?

Les jours fériés chômés sont-ils effectivement  rémunérés?  A  quel salaire?

Comment sont gérés les congés de maladie et de maternité?

La  clause qui exige de ne pas dépasser 9 heures consécutives de travail par jour est-elle respectée en régime de  sous-traitance?

Selon le Centre de Facilitation des Investissement (CFI)12, l’ouvrier devrait bénéficier également :

  • De la carte de santé, à la charge exclusive de l’employeur et obligatoire pour tout travailleur dans les trois mois consécutifs  à l’embauchage;
     
  • Du service médical de l’entreprise à la seule charge de  l’employeur;
     
  • De formation professionnelle à travers la taxe sur la masse salariale «destinée au financement de la formation professionnelle des ouvriers des entreprises, à la charge exclusive des employeurs et payable au plus tard le 10eme jour de chaque mois: 2% du montant des salaires mensuellement payés par l’entreprise»;
     
  • De l’assurance «contre les accidents de travail, la maladie et la maternité, sous la responsabilité  exclusive  de l’employeur» (3% pour les entreprises industrielles);
     
  • D’assurance-vieillesse et incapacité, payable à part égale par l’employeur et l’ouvrier (6% chacun dans le cas de la sous-traitance).

Là encore, il faudrait vérifier l’application de  toutes ces dispositions. Les entreprises disposent-elles d’un service médical? Les ouvriers bénéficient-ils de la  formation professionnelle que devrait financer la taxe sur la masse salariale? Sont-ils tous enrôlés à l’OFATMA?

4.- Règlements internes

Les règlements internes de l’entreprise influent également sur la masse salariale, notamment le régime des sanctions, les modalités  de recrutement, les motifs de révocation, les garanties syndicales.

Le Code du Travail prescrit en son article 399: «Le règlement intérieur de travail porte sur l'ensemble des mesures indispensables aux activités, à la discipline et à la bonne marche de l'entreprise, les règles concernant l'hygiène et la sécurité dans le travail, les instructions concernant la prévention des accidents et les premiers soins à donner en cas d'accident et, en général, toutes autres indications jugées nécessaires. Ce règlement doit en outre stipuler:

  1. les heures d'entrée et de sortie des travailleurs; le temps destiné aux repas et au repos pendant la journée;
     
  2. le lieu et le moment auxquels doit commencer et se terminer la journée de travail;
     
  3. les divers types de salaires et les catégories de travailleurs auxquels ils correspondent;
     
  4. le lieu, le jour et l'heure de la paie;
     
  5. les dispositions disciplinaires et les procédures de leur application;
     
  6. la désignation des membres du personnel auxquels doivent être présentés les doléances, revendications et réclamations en général;
     
  7. les différentes catégories de travailleurs et les travaux ayant un caractère occasionnel».

Dans la réalité, les règlements internes des usines de sous-traitance sont-ils élaborés en conformité des lois, conventions collectives et contrats en vigueur? Sont-ils préalablement approuvés par la Direction du Travail, comme l’exigent  les articles 396 et 398 du Code du Travail?

Par exemple, comment sont traités les absences et les retards? Est-il vrai qu’un jour d’absence entraine la perte du salaire de deux jours?  Que deux jours d’absence sont sanctionnés au double? Que trois jours d’absence constituent une cause de révocation sans préavis13?

Quelles sont les voies de recours dont dispose l’ouvrier à l’intérieur de l’usine? Quelle instance lui garantit ses droits? Le droit d’association est-il respecté? Combien de syndicats existent actuellement dans le secteur?

Comment sont gérés les ouvriers à l’essai? Quelles sont leurs conditions de travail?

Se pourrait-il que certaines clauses soient conçues de manière à générer des économies de masse salariale en faveur de l’employeur au détriment des droits des travailleurs?

Les règlements internes font-ils partie de ces documents que l’ouvrier signe dès son recrutement sans lire, sans comprendre ? Sont-ils toujours en harmonie avec les prescriptions légales?

Des témoignages reçus à ce sujet – et qu’il faudrait confirmer- suggèrent la nécessité d’investigations plus poussées et même de régulation de la part de l’Etat.

5.- Masse Salariale

La masse salariale considérée dans ce travail regroupe non seulement le volume des salaires et «primes» directement versés aux ouvriers mais également toutes les dispositions légales liées aux salaires y compris les avantages sociaux.

Nous faisons la différence entre:

  • la masse salariale effectivement supportée, c’est-à-dire, celle dont s’acquitterait réellement les employeurs. On verra qu’elle ne comporte pas un certain nombre d’avantages sociaux.
     
  • la masse salariale « idéale » ou « légale », exprimant le montant qui aurait dû être versé par les employeurs si tous les aspects prévus par le Code du Travail étaient respectés en termes de protection sociale.
     
  • plus loin, nous estimons également la masse salariale nécessaire dans la perspective d’un salaire minimum de 200 gourdes.

5.1- Masse salariale effectivement supportée (salaire minimum 70 gourdes)

Selon le SMG, la masse salariale mensuelle versée directement aux ouvriers, superviseurs,  administrateurs, et professionnels est de   quatre millions de dollars, soit quarante-huit millions de dollars l’an14.
Par catégorie d’employés, elle est repartie de la manière suivante:

  • 77% aux ouvriers (main-d’œuvre non qualifiée);
  • 11.44% aux superviseurs ;
  • 11.56% aux administrateurs, professionnels et cadres15.

Le salaire brut par ouvrier comprend:

  • Un salaire minimum légal de 70 gourdes par jour effectif de travail, majoré d’une prime de rendement
     
  • Un bénéfice de 70 gourdes par dimanche16», précise le rapport susmentionné.

On peut assumer que, pour les autres catégories, la masse salariale directe couvre et le salaire et la journée de repos.
Le tableau suivant indique la répartition des 48 millions

Tableau II : Masse salariale distribuée directement aux employés de la sous-traitance

Catégorie d’employés Masse Salariale annuelle en millions d’USD Nombre d’employés par catégorie Salaire mensuel en USD Salaire journalier (pour un mois  de 30 jours) Salaire journalier pour un mois de 26 jours
Ouvriers 36.96 26905 114.5 3.81 4.40
Superviseurs   5.49  2620  174.66   5.8222 6.72
Techniciens, Cadres, administrateurs, professionnels   5.55 800 578.00  19.27 22.23
 Total/Moyenne 48,00 30325 132.00 4.4  5.08

La distribution des revenus salariaux au sein de l’entreprise est telle que:

  • Le salaire d’un superviseur est supérieur de 53%  a celui d’un  ouvrier;
     
  • Les autres catégories prises globalement gagnent en moyenne 2.3 fois plus qu’un superviseur et 4 fois plus qu’un ouvrier. Cette dernière donnée gagnerait à être désagrégée entre les techniciens (électriciens, mécaniciens, plombiers), les cadres moyens (comptables,…) et les cadres supérieurs (gestionnaires, administrateurs, …).

Pour arriver aux coûts réels supportés par l’entreprise, en termes de masse salariale, il faut ajouter les avantages sociaux. «S’ajoute à cette rémunération brute, un boni calculé à 1/12 de la somme des autres composantes de la rémunération brute.  En plus des avantages versés directement à l’ouvrier, le secteur contribue à l’ONA, et à l’OFATMA à hauteur de 6% et 3% respectivement (exigences légales), paie 3% de la masse salariale à titre de taxe (TMS et CFGDTC), et accorde 15 jours de congé payés au personnel17». Soit un supplément de 24.5 %.

La masse salariale réellement supportée par l’entreprise au profit des ouvriers est donc de 46.06 millions de dollars.

Il importe de noter les points suivants:

  • Le secteur de l’assemblage – si l’on s’en tient au rapport du « Strategic Management Group » - n’octroie pas tous les avantages sociaux prévus par la loi, dont:
    • Les jours fériés chômés;
    • Le congé de maladie;
    • Le congé de maternité18.
       
  • Dans le compte consolidé du secteur, un montant de 72.8 millions est consacré aux coûts variables19 dont 63.6 millions au salaire des ouvriers.  Or les calculs que nous venons d’effectuer, en utilisant les données fournies par cette étude commanditée par les patrons de l’assemblage, nous  permettent d’affirmer que la masse salariale annuelle relative aux ouvriers est plutôt de 46.02 millions, soit une différence de 17.58 millions de USD;
     
  • Or nos calculs sont plutôt généreux. Ils assument que les avantages sociaux indiqués par le rapport sont effectivement octroyés: la journée hebdomadaire de repos, les paiements de cotisation à l’ONA et l’OFATMA. Peut-on en être sûr ? On peut se rendre compte que le salaire journalier, calculé sur la base d’un mois de 30 jours, aboutit à un montant de 3.81 USD alors que sur la base d’un mois de 26 jours, tel que l’indiquent les feuilles de paie utilisées dans l’étude, ce salaire journée passe à USD 4.40, plus proche du salaire moyen pris en compte. 

5.2.- La masse salariale «idéale» ou «légale» (Salaire minimum 70 gourdes)

Si  le secteur octroyait  tous les avantages sociaux prévus par la loi, à combien devrait se chiffrer la masse salariale, toujours dans le cadre d’un salaire minimum de 70 gourdes?

Dans ce système qui fait intervenir le tarif, les modules, la productivité et les spécificités de chaque  usine, tous les ouvriers ne sont pas logés à la même enseigne en termes de rémunération. Le rapport du MSG les classe en trois catégories20:

  • Ceux qui reçoivent en moyenne le strict salaire minimum, essentiellement des ouvriers à l’essai. Ils représentent 9% du total des ouvriers;
     
  • La deuxième catégorie gagne en moyenne 154 gourdes par jour. Elle représente 53% des ouvriers et constitue la majorité;
     
  • Les ouvriers les plus performants représentent 38% du total. Leur salaire journalier moyen dépasse 200 gourdes par jour et se situe à 218 gourdes.

L’on retrouve ainsi un salaire journalier  moyen pondéré de 173 gourdes ou US $ 4.33.

Tableau III : Structure du salaire moyen journalier dans le secteur

 Catégorie Salaire Moyen Journalier  % du Total  Salaire Pondéré en USD

USD   

GDES
1 1.75  70 9% 0.0875
2 3.87   154 59% 2.0625
3 5.45  218 38% 2.18
Salaire moyen pondéré     4.33

Source: Strategic Management Group, Impact Eventuel du Nouveau Salaire Minimum sur l’avenir de l’industrie de la Sous-Traitance”, Mai 2009, p. 7

Pour une population de 26905 ouvriers, la masse salariale journalière devrait être d’US $ 116,498.65. Pour une année de 365 jours, elle sera de 42.5 millions de dollars US. Sont ainsi couverts en plus des jours de travail, la journée hebdomadaire de repos  prévue par le Code du Travail et les jours fériés.

En y ajoutant le boni annuel (1/12 du salaire), le congé annuel payé (0.5/12 du salaire), les contributions versées à l’ONA (6%) et à l’OFATMA (3%), les taxes supportées au titre du TMS (2%) et de la CFGDCT (1%), l’employeur devrait supporter un supplément de 24.5% de masse salariale.

En outre, en faisant l’hypothèse que 50% des ouvriers bénéficient du congé de maladie (0.89 million) et 5% (les femmes) du congé de maternité (0.26 million), la masse salariale brute devrait se chiffrer à  54.05  millions de dollars US.

Rappelons que dans ce calcul:

  • Tous les jours de chômage et la journée de repos hebdomadaire sont comptabilisés et rémunérés au taux du salaire moyen réalisé par l’ouvrier suivant son rendement;
     
  • L’ouvrier bénéficie du congé de maladie et du congé de maternité;
     
  • Les autres avantages sociaux prévus par la loi sont effectifs.

Rappelons en plus que nous avons adopté le nombre d’ouvriers le plus élevé de toutes les données disponibles.

6.- Masse salariale dans la perspective d’un salaire minimum de 200 gourdes

Dans l’hypothèse d’un salaire minimum de 200 gourdes, quel devrait être la masse salariale à supporter par les patrons?

Dans un premier temps, on est tenté de déterminer ce qu’impliquerait un salaire moyen de 200 gourdes. Du salaire moyen actuel (US $ 4.33) aux 200gourdes convoités (US $ 5.00), la distance est de 15.5%.

La masse salariale passerait donc à 62.43 millions de dollars US pour un salaire moyen de 200 gourdes.

Rappelons que nous sommes ici dans la perspective d’un salaire moyen. Comment alors passer au salaire minimum tout en respectant les objectifs de productivité? Comment augmenter le salaire minimum à 200gourdes sans qu’il n’en résulte une perte d’intérêt de l’ouvrier pour augmenter ses performances?

Revenons alors au tableau  des classes de salaires moyens journaliers. Notons que 91% des ouvriers gagnent déjà plus de 154 gourdes ou US $ 3.87. Rappelons que ces 91% se composent des 53% qui gagnent  US $ 3.87 et des 38% qui atteignent déjà  US $5.45 par jour.

Entre les 154 gourdes ou US $ 3.87 et les 200 gourdes (US $ 5.00), la différence n’atteint pas  30%. Si tous les salaires augmentent de 30% on pourra aisément concrétiser l’idée d’un salaire minimum de 200 gourdes tout en respectant les critères d’efficacité et de productivité.

Dans une telle perspective, la masse salariale passerait à 70.27 millions de dollars US.

Tableau IV: Masse salariale dans la perspective d’un salaire minimum de 200 gourdes selon le nombre d’ouvriers

Nombre d’ouvriers Masse Salariale en millions de dollars US
26905 70.27
25000 65.29
22000 57.46

Mais,  dira-t-on,

  • Et ceux qui gagnent 70 gourdes en moyenne ? Les 30% d’augmentation ne leur permettraient évidemment pas d’atteindre les 200gourdes;
     
  • Les 154 gourdes dont  on est parti, même  si elles concernent  91% des ouvriers, constituent  un salaire moyen  gagné par rapport à des tarifs différenciés, établis en fonction de niveaux d’efficacité spécifiques.

En réalité, les 9%  qui gagnent encore 70 gourdes sont essentiellement  des ouvriers à l’essai. Leur poids n’est pas  significatif. On s’y réfère  souvent pour montrer l’impossibilité des 200 gourdes. Mais devaient-ils dicter  la norme en termes de rémunération?  En règle générale, un ouvrier à l’essai n’a pas les mêmes droits qu’un employé régulier. Pendant les trois premiers  mois de son recrutement, il est censé être sous  observation et sa productivité n’est pas encore à point. Selon Richard Coles, l’expérience démontre que  12 à 16 semaines (3-4 mois) suffisent pour qu’il puisse travailler à plein rendement et atteindre le taux maximal d’efficacité21. Luckner, un ancien ouvrier, confirme qu’en trois mois il a pu maitriser le travail et accéder au «tarif». C’est également le cas de la plupart de ses collègues22.

En outre, ce sont les patrons qui fixent (et changent)  à volonté les différents niveaux de tarif aussi bien que les quantités correspondant au salaire minimum, aux différents taux d’efficacité et au salaire maximum. Les critères y relatifs ne sont pas coulés dans du béton et ne sont pas obligatoirement  les plus adéquats. Les membres du Conseil Supérieur  des Salaires  auront  tout le loisir de s’y pencher pour opérer les ajustements  nécessaires en fonction des capacités physiques réelles des ouvriers, de la nécessité de leur garantir un salaire décent dans  un cadre de travail raisonnable et du souci de les motiver à accroître leur productivité.

Dans le cadre de nos propositions, le tableau des rémunérations montrerait des niveaux de salaire oscillant entre 200 gourdes (salaire minimum) et 283 gourdes (salaire maximum) en fonction du rendement.

Nous avons déjà démontré combien les différences entre les niveaux d’efficacité prévus sont tout à fait excessives et, comme le confirme la réalité, artificielles.  Il s’avère donc nécessaire une readequation de l’échelle de salaire sur une base plus objective  par les instances compétentes en la matière.

Dans le  même temps,  pour ne pas bousculer les hiérarchies et maintenir  des normes  de fonctionnement efficaces, les rémunérations des  superviseurs et cadres supérieurs devraient être révisées à la hausse. Etant donné que leurs salaires sont plus élevés, ils pourront être affectés d’un coefficient d’augmentation inférieur, soit 20% par exemple. L’ajustement en question, s’appliquant au poste «Salaire supervision et administration» (13.1 millions de dollars), impliquera des dépenses supplémentaires de 2.62 millions de dollars US et le poste sus-indiqué passera à 15.72 millions.

A noter que, compte tenu des disparités de salaire caractérisant les composantes de ce groupe (superviseurs, techniciens, professionnels, cadres moyens et supérieurs), les 20% d’augmentation ne devraient pas être uniformément appliqués à tous. Par exemple, les superviseurs pourraient bénéficier de 25%, les techniciens de 15 à 20%, les autres cadres entre 15 et 10%. Rappelons qu’un superviseur gagne en moyenne 53% de plus qu’un ouvrier; les  autres catégories  (prises globalement, nous ne disposons malheureusement pas de la désagrégation entre techniciens, professionnels, dirigeants) plus de 400%.

Ainsi une augmentation de 30% de la masse salariale relative aux ouvriers, assortie d’un ajustement de 20% pour les superviseurs, techniciens, professionnels et cadres supérieurs, devrait permettre aisément de concrétiser les 200 gourdes de salaire minimum. Soit un montant de 70.27 millions de dollars pour les ouvriers et  de 15.72 millions pour les superviseurs et cadres supérieurs.

Tableau V : Masse salariale suivant différents scenarios

Masse salariale Montant en million de dollars US
Réelle (S. M. = 70 gourdes 46.02
«Légale» (S.M. = 70 gourdes) 54.05
Projetée (S.M. = 200  gourdes) 70.27

NB: S. M. = Salaire Minimum

En résumé, en utilisant les données fournies par les employeurs eux-mêmes, nous avons pu déterminer :

  • La masse salariale effectivement supportée par le secteur dans le cadre d’un «salaire minimum de 70 gourdes assorti d’une prime de rendement». Elle se chiffre à 46.02  millions de dollars pour les ouvriers;
     
  • La masse salariale «idéale», telle qu’elle devrait être calculée en tenant compte des prescriptions légales relatives aux avantages sociaux. Un montant de 54.05 millions a été dégagée;
     
  • La masse salariale nécessaire dans la perspective d’un salaire minimum de 200 gourdes. Les employeurs devraient pouvoir dégager un montant de 70.27 millions de dollars.

Il importe de noter que nos calculs ont été effectués avec la plus grande «générosité». Nous avons adopté le nombre d’ouvriers le plus élevé parmi les données disponibles. Nous avons tenu à intégrer tous les avantages sociaux légalement prévus.

La question qui vient alors tout naturellement à l’esprit est la suivante:

La sous-traitance peut-elle supporter un salaire minimum de 200 gourdes?

C’est l’objet de la prochaine section.
                                                                                 

Fritz DESHOMMES
Octobre 2009

Notes

  1. Voir notre précédent article intitulé: «Critères et modalités de rémunération dans la sous-traitance», in «Le Matin» des 5, 6 et 9 novembre 2009,  «Le Nouvelliste» des 5 et 6 novembre 2009,  «AlterPresse» du 5 novembre 2009 et «Potomitan» du 5 novembre 2009.
     
  2. En mai 2009, les  deux  composantes du Parlement avaient  voté une  loi  fixant à deux cents gourdes le  salaire minimum légal. Les employeurs de la sous-traitance avaient fortement protesté à l’époque.
     
  3. «50% des 25,000 emplois existant actuellement dans le secteur des exportations de produits d’assemblage, en particulier du textile, seront supprimés en Haïti si l’Exécutif promulgue la loi établissant le salaire minimum à 200 gourdes», disait l’ADIH dans le Nouvelliste du 14 mai 2009.
     
  4. Message de Jacques Mali sur Haïti-nation en date du 14 août 2009: Le «Patronat Haïtien demande de faire une exception pour seulement 23 mille de ses 63 mille employés en ce qui a trait au salaire minimum» [haiti-nation@googlegroups.com] 
     
  5. Code du Travail, Art. 96
     
  6. Centre de Facilitation des Investissements (CFI). «Le Code du Travail en Haïti». www.cfihaiti.net
     
  7. Strategic Management Group, op. cité, pp. 3
     
  8. Code du Travail, Art. 108
     
  9. CFI, ibid.
     
  10. CFI, ibid.
     
  11. Code du Travail,     Art. 13
     
  12. CFI, op. cité
     
  13. Entrevue Sony Esteus – Luckner/  «Nou Tout anndan» / Radio Kiskeya / 1-8-09.
     
  14. SMG, pp. 3
     
  15. Ibid
     
  16. Ibid
     
  17. Ibid
     
  18. Il est vrai que le conge de maladie et le conge de maternite figurant dans le texte du contrat publie en annexe de notre precedent article. Les fait est que ces avantages sociaux ne sont pas pris en compte dans les calculs du SMG.
     
  19. Ibid, pp. 5
     
  20. SMG, pp. 7
     
  21. Entrevue  Valery Numa – Richard Coles, L’Invité du Jour/ Radio Vision 2000 /  2-7-09
     
  22. Entrevue citée Sony Estéus -Luckner

 

 Viré monté