Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Souvenir de
Raymond Chassagne

Gerry L'Étang

Raymond Chassagne
sur île en île.

 

 

Photo: Mémoire d'encrier.

Raymond Chassagne

J’ai connu Raymond Chassagne en décembre 1989. Il était venu à la Martinique pour un colloque sur Edouard Glissant qu’organisa à Trinité la revue Carbet. Les membres du comité de rédaction de Carbet logeaient à leur domicile les conférenciers. Chassagne donc résida chez moi.

Je garde de ces quatre jours passés avec lui quelques souvenirs. Ce mulâtre haïtien de haute taille avait vécu une histoire éprouvante, fragment de la tragédie duvaliériste. Ancien officier de l’armée d’Haïti, il endura les geôles du dictateur, l’exil aux Etats-Unis puis au Canada. Il était rentré au pays depuis quelques années et semblait vouloir rattraper tout ce temps de rupture forcée. Il parlait d’Haïti comme d’une femme qu’on n’a jamais cessé d’aimer et qui acceptait de nouveau votre tendresse. Il restait toutefois inquiet: cela durerait-il?

Il avait avec lui un de ses recueils, Mots de passe, dont il déclamait les textes après nos repas du soir, puis à l’aéroport en attendant l’avion du retour vers Port-au-Prince. Un de ces poèmes concernait le chant d’une femme de chambre un après-midi à la Barbade. Chassagne, de passage dans l’île, avait dans un hôtel entendu une chambrière fredonnant une complainte populaire. Cet air lui avait inspiré des vers aux mots simples, à l’ordonnancement raffiné, dont émanait une douceur trouble, infinie.

J’ai longtemps cherché Mots de passe, à Pétion-Ville, à Montréal, en vain. Puis j’y ai renoncé. A l’annonce du décès du poète, ces vers, de lancinance et de douceur mêlées, me reviennent  en mémoire et ravivent mon souvenir d’un homme dont l’élégance et le talent sublimaient une douleur haïtienne.  

boule  boule  boule

Raymond Chassagne est mort

Le Nouvelliste | Publié le 27 mai 2013

Dans une note parvenue au journal, nous avons appris la nouvelle du décès de l'écrivain Raymond Chassagne, survenu tôt le lundi 27 mai à l'âge de 89 ans, suite à son hospitalisation sur la rive sud de Montréal.

Né le 13 février 1924 à Jérémie (Haïti), Raymond Chassagne est un ancien officier de l'armée, qui a connu l'exil après un procès politique et une incarcération de neuf mois, dans les prisons de François Duvalier. Séjournant aux États-Unis de 1959 à 1966, et ensuite au Canada où il obtient un diplôme de maîtrise à l'Université McGill en 1975, avec un mémoire portant sur l'oeuvre poétique d'Aimé Césaire, il poursuit ses études à l'Université de Montréal et prépare une thèse de doctorat sur l'oeuvre d'Édouard Glissant en 1979. Il enseigne la littérature au Québec jusqu'à son retour en Haïti, en 1979. Il dispense des cours de littérature et de méthodologie à l'Université d'État d'Haïti à partir de 1980.

Poète, essayiste, Raymond Chassagne est l'auteur d'une oeuvre de haute exigence, qui va de la prose analytique à l'écriture poétique. Le point nodal de son oeuvre est l'aventure haïtienne, qu'il définit comme un «parcours chargé de défis: la dénaturation de la création d'un pays, les subséquences mythiques et les difficultés rencontrées dans la construction d'une véritable citoyenneté».

Ses poèmes ont été lus et endisqués par son ami et compagnon d'exil, le poète Anthony Phelps, avec qui il a cheminé à Montréal, dans une belle amitié qui a donné sens à leur combat contre la dictature, pour la poésie et pour le réveil du pays natal.

Dans son dernier recueil de poèmes, Éloge du paladin (2012), Raymond Chassagne guettait «la voix des troubadours de jadis ou des paladins poètes, lesquels persistent à proposer des voies un peu moins industrialisées, plus claires, plus accessibles, plus humaines en tout cas, et grâce auxquelles l'homme pourrait enfin retrouver sa juste mesure.»

On a pu voir Raymond Chassagne à Montréal, au Centre N A Rive où il était l'invité d'honneur à la Journée du livre haïtien (18 août 2012) et à la librairie Zone libre (27 octobre 2012) où il lançait son recueil Éloge du paladin. Son fils Boris lui a rendu en ces deux occasions un vibrant hommage.

Il a su mêler sa voix à celles des grands poètes du continent américain: Saint-John Perse, Léon Gontran Damas, Aimé Césaire, Édouard Glissant. Il est le dernier de ces paladins, attaché aux mots de la tribu. Sa passion est son pays. La question de Raymond Chassagne est connue de tous: Comment éviter ce «graduel épuisement de l'espoir» afin de trouver la voie pour un vivre-ensemble? Il a passé sa vie à réfléchir sur le mot juste, l'analyse qui dit ce pays déchu, ce «carcéral insulaire»:

Nous vivons d'heures tristes et de chandelles éteintes;
ce n'est pas pluie d'étoiles pour enfants en décembre,
mais pluie de cris

Ce n'est pas seulement un poète, mais un ami que nous perdons.

Source: Mémoire d'encrier.

boule  boule  boule

Raymond Chassagne sur île en île.

Mes adieux à Raymond Chassagne par Eddy Cavé.

boule

 Viré monté