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Un jour...

                        Tes pantoufles

Jeanie Bogart

Un jour... Tes pantoufles Un jour... Tes pantoufles
Un jour... Tes pantoufles, Jeanie Bogart • 2008 • Collection Voix insulaires
Éditions Paroles, Montréal (Québec), Email

PRÉFACE

Ce recueil se lit comme on appréhende un cri. Un cri lancé avec force par une poétesse qui a beaucoup à dire. Et elle ne se taira pas. Qui voudrait qu’elle étouffe? Faut-il bien qu’il sorte, ce cri. Aussi intense qu’un volcan, quelquefois assoupi, jamais endormi, bloc bourdonnant, grondant, montagne formidable dont la base mugissante s’enfonce profondément dans le plancher terrestre, ce cri émerge de sa profonde gestation pour exploser en un solennel enfantement, nous prenant pour témoins.

Cri, volcan, clameur, éclatement. Les entrailles entrées en rébellion sous nos yeux n’expulsent ni lave ni magma. Non. Ce n’est pas ce qui sort quand surgit l’inspiration d’un enfant chéri de la Muse. Plutôt des coulées d’émotions, de sentiments, de désirs. Ce recueil part d’une envie, d’une nécessité, d’une urgence, celle de parler, de se parler, de «lui» parler, de leur parler. De nous parler. De parler pour nous.

Le panache éruptif que nous voyons se déployer est fait de mots. Des mots qui jaillissent après avoir infligé leur morsure à la poétesse. Mais quels mots? Quel choix de mots? Existent-ils seulement, les mots qu’il faudrait pour bien rendre l’arc-en-ciel de sensations qui bouillonnent au fin fond du tréfonds de l’être d’une créatrice qui veut, qui doit s’en libérer?

Nul ne saura jamais si les mots étalés dans le recueil étaient les bons. «Parfois le poète ne trouve pas les mots», nous dit Jeanie… Le meilleur poème ne s’écrit pas, affirme-t-on, puisque le poète, figé, prostré, bloqué à l’heure où la révolte intérieure atteint son apogée, est incapable de se concentrer pour «brusquement recevoir la décharge», pour bien composer le morceau apte à bien traduire le séisme intime. Et il «s’étrangle sur ces mots fous courant à perdre haleine dans sa gorge».
Il n’empêche. «Bons» ou pas, ce sont de beaux mots que Jeanie Bogart nous donne à déguster. Son premier succès est d’avoir pu libérer ses mots, d’avoir pu s’en libérer. Surtout qu’elle n’en a pas peur, des mots ; surtout que son inspiration est indocile, immense, et se donne l’univers pour frontière, c’est-à-dire n’a pas de frontières. Cette inspiration se dresse tel un phallus turgescent et envoie la poétesse flirter avec les éléments, les astres, le soleil, la lune, les étoiles ; elle l’envoie se balader sur une poussière de nuage, jusqu'à la porte du paradis que Dieu lui a fermée au nez. Pas étonnant, dès lors, qu’une telle inspiration s’exprime avec un souffle dont la puissance ne s’est pas accommodée des bornes physiques que la tradition impose au vers : une ligne, pas plus. Ici, le vers ne veut pas s’arrêter, il fonce, se déploie, se fait paragraphe, va jusqu’à se débonder en plusieurs phrases.

Dès lors, peut se demander un lecteur fouille-au-pot, il ne s’agit plus de vers, pas vrai ? Disons, sont-ce des vers longs? Ou plutôt, est-ce de la prose poétique, cette forme mâtinée de la poésie ? Peut-être. Par bonheur, c’est une forme qui, sous la plume et la verve de Jeanie Bogart, transcende le but platement explicatif attribuée à la prose. D’ailleurs, pourquoi s’éterniser sur cette vanité de versification? Ce qui compte, c’est que la poétesse a su bien se distancer de l’expression commune, dite prosaïque; elle a su bien remplir le rôle attribué au poète depuis Aristote, celui d’un concepteur de tournures originales du langage, celui d’un inventeur doté du talent nécessaire à embellir la substance linguistique en tablant tant sur la portée des mots, la musicalité de leur synergie, que sur les attributs formels. Ce qui compte, c’est que le rythme poétique est là, sûr, en belle harmonie avec la langue, soutenu par un sentir esthétique qui révèle le talent de Jeanie Bogart et confirme que tel naît poète ou ne l’est pas. Il n’est donc pas jusqu’aux effets imagés et sonores qui permettent au recueil d’honorer haut la main les plus orthodoxes caractéristiques du concept poétique.

C’est un lyrisme fait d’éclairs passionnés, qui se déverse par à-coups sans rien perdre d’une puissance de ton et de fond qui ravit par sa constance.

Jeanie Bogart a pu parler; ce faisant, elle n’a pas mis de gants. Son recueil est une quête de parole, livrée en détail, mais sans détail. Parole complexe, vecteur de dits et de non-dits. Parole qui navigue çà et là, dans la tête, dans la mémoire, sur le papier, sur les sens surtout… Parole émotion, parole sentiment, parole érotisme. Un orgasme de parole. Une parole qui se cherche et explose en mille mots, encore eux, des mots de feu! Mots qui «nettoient, grattent, frottent, lissent, caressent.»

Parole programme aussi. Pour profondément personnelle qu’elle soit, elle n’en est pas moins plantée dans le vécu de la poétesse. N’allez pas croire que cette poésie-là se désintéresse de la réalité ambiante, telle que nous la vivons sur terre, la réalité de tous les jours, celle des autres, celle de la poétesse bien sûr. Il serait difficile à Jeanie de se désintéresser de ce cadre natal qui a vu son inspiration éclore, qui a dû l’alimenter, et au public et au privé. Elle y revient de temps en temps, sur terre, dans ce «monde vêtu de chimères», dans ce milieu où il arrive aux politiciens «de croasser ou de hennir», où «nos aînés se complaisent dans leurs bavures».

Parole amour, certes, surtout. Amour enrobé de mélancolie, amour quête d’impossible. Non pas que l’amour soit impossible, mais parce que la poétesse le veut total, intégral, tel que l’autre, perdu dans les errements et les palinodies de son humaine imperfection, ne saurait jamais le donner. Amour qui fustige l’être aimé quand celui-ci se comporte «en gamin sous-développé».

J’ai parlé de quête? Mais ce recueil est une quête d’amour! Que dis-je, quête? Un cri d’amour! Mais j’ai aussi parlé de cri…

Dr. Ludovic Comeau Jr.

Viré monté