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Vers un aménagement linguistique en Haïti

Wigueny Sainterveut
Le Nouvelliste, 30 août 2011

Haïti: Dans ce fameux ouvrage intitulé «L'aménagement linguistique en Haïti: enjeux, défis et propositions», écrit par un groupe de spécialistes en linguistique, la question de la coexistence des deux langues officielles du pays est posée dans une rigueur scientifique innovante. Les auteurs identifient des problèmes majeurs liés à la problématique du bilinguisme, les analysent en profondeur et proposent des pistes consensuelles de solutions à ce phénomène. L'ouvrage traite essentiellement d'un aspect d'une importance majeure pour le développement du pays et l'intégration d'une catégorie sociale déterminée dans la vie sociopolitique du pays. Il s'agit de l'aménagement linguistique en Haïti, plus précisément du statut du créole et du français en tant que deux langues officielles du pays au niveau de l'administration publique et comme langues d'enseignement et langues enseignées.

La dichotomie entre le français et le créole remonte jusqu'à la période coloniale où le français était survalorisé parce qu'elle était la langue des maitres. Le créole de son côte était perçu comme une langue inférieure utilisée par les esclaves pour communiquer entre eux. Notre société d'aujourd'hui ayant hérité de cet antagonisme linguistique reproduit sous d'autres formes des perceptions positives et négatives vis-à-vis de l'une et de l'autre. De nos jours, le français est associé à une classe de gens formés, éduqués et riches et le créole est vu comme la langue des pauvres, des analphabètes, des illettrés.

Les auteurs prennent le contrepied des détracteurs du créole qui soutiennent qu'il n'est pas une langue. Les spécialistes démontrent qu'il est une langue à part entière qui s'est constituée à travers le temps. D'ailleurs plusieurs écrivains, poètes, romanciers ont fait du créole leur langue d'écriture. En effet, malgré le fait que la Constitution de 1987 confère au créole le statut de langue officielle à côté du français, force est de constater que cette langue continue de faire l'objet de stigmatisation et de dévalorisation continues un peu partout mais surtout à travers l'administration publique et aussi dans le système éducatif. Les documents de l'administration publique sont en majorité rédigés uniquement en français. Le français sert de langue d'enseignement dans les écoles et à l'Université. Et le créole se voit reléguer complètement au second plan malgré son statut de langue officielle. Il est essentiellement réduit à son rôle de simple langue maternelle et de langue orale de communication pour l'ensemble des Haïtiens.

La problématique du bilinguisme a toujours été un épineux problème dans la société haïtienne. Malheureusement, les autorités qui se sont succédé au pouvoir au cours des deux siècles écoulés n'ont jamais pris des mesures aptes à garantir une cohabitation meilleure et beaucoup plus juste des deux langues du pays. Au contraire elles ont contribué à renforcer l'opposition qu'il y a entre les deux langues aggravant ainsi les divisions sociales et l'exclusion d'une grande partie de la société dans les affaires du pays.

Ce livre interpelle la conscience de tous nos dirigeants sur la nécessité de divorcer avec cette pratique d'écrire une chose sur le papier et d'agir d'une manière complètement différente. Si dans la Charte fondamentale le créole est reconnue comme une langue officielle, en est-il ainsi dans les faits? Aujourd'hui, peut-on affirmer que le créole est une langue officielle en Haïti? Cet ouvrage se révèle très utile surtout par rapport au contexte de reconstruction où l'on est actuellement. Il s'inscrit dans le souci de favoriser une importance égale à chacune des deux langues du pays. Il constitue une contribution importante dans le processus de la résolution du problème de la diglossie dans notre pays. A partir des analyses approfondies, les auteurs fournissent un ensemble d'informations, d'idées novatrices pouvant permettre à nos dirigeants de trouver un équilibre entre les deux langues officielles du pays. Ils encouragent la mise en place d'une véritable politique dans le but de répondre aux problèmes posés par ce phénomène de diglossie et aussi d'assurer à nos deux langues une place égale dans la société. Les auteurs vont jusqu'à plaider en faveur d'un projet de loi portant sur l'aménagement et la didactique des deux langues haïtiennes.

Cet ouvrage offre aux dirigeants de ce pays une occasion en or de corriger une situation qui a trop duré. Les idées qu'il renferme pourrait servir aux décideurs politiques comme point de départ afin de faire d'autres réflexions beaucoup plus poussées pour voir dans quelle mesure on peut insuffler au créole une représentation sociale beaucoup plus valorisante par rapport au français. Ce livre s'inscrit dans la perspective de valoriser la diversité linguistique. Il nous appelle à servir de cette diversité au profit du pays et non à son détriment. Il nous montre que la variété est une richesse. Ces deux langues ont toutes les deux joué un rôle fondamental dans notre histoire de peuple et font partie de notre patrimoine culturel. Ainsi, nous nous devons de les protéger.

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