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L'école française en Guadeloupe 28 Décembre 2009 Cours de LCR à Capesterre-Belle-Eau. Photo F.Palli |
L’histoire de l’École dans les colonies françaises aux dix-neuvième et vingtième siècles, et plus précisément en Guadeloupe, a toujours accompagné les aspirations libertaires des classes populaires (affranchis d’avant 1848, anciens esclaves, petits fonctionnaires). Les colons, eux, n’avaient qu’un intérêt mitigé pour l’instruction de leurs enfants: les écoles primaires religieuses s’en chargeaient ou encore ils les expédiaient en France. Ils n’avaient pas besoin du savoir pour assurer leur pouvoir et leur prestige. Ce sont d’ailleurs les Frères de Ploërmel (institution catholique laïque) qui les premiers s’attachèrent à enseigner aux «gens-de-couleur», transgressant ainsi une forte tradition d’opposition émanant des colons esclavagistes qui ne voulaient pas que l’on alphabétise les esclaves et les affranchis.
Lorsqu’officiellement, l’École républicaine s’affirme en 1882, elle ne fera qu’utiliser en grande partie les instituteurs et les locaux des écoles primaires religieuses dans les bourgs. Cela étant, la guerre entre l’État et l’Église eut très peu de prises sur le climat social de l’époque. On pouvait encore trouver des crucifix dans des salles de classe, tout comme au tribunal! Disons qu’il y avait deux entités scolaires: l’École primaire et le Lycée, ce dernier allant de la 6e à la Terminale. Dans les Cours Préparatoires, le système de l’épellation était de rigueur. Il le sera longtemps encore, jusqu’à la fin des années 50.
Le système colonial, qu’il fût en Amérique ou en Afrique, ne pouvait que générer des idéologies assimilationnistes, où le colonisé lui-même refoulait sa personnalité culturelle et ethnique pour espérer «ressembler au maître». L’idée de liberté chez les esclaves visait celle dont jouissaient les esclavagistes, celle que partageaient les fonctionnaires ou les officiers venus d’Europe… Bien plus, les affranchis trouvaient normal d’avoir eux aussi des esclaves! Finalement, les gens libres ont vite mesuré l’importance du savoir intellectuel comme instrument d’égalité. Alors l’École de la IIIe République finit, elle aussi, par être importée.
I . Les racines de l'école républicaine
Durant la fin du 19e et la première moitié du 20e, ce qui se fait en France en matière de contenus et de méthodes s’applique ipso-facto dans les colonies. Bien que peu nombreux, les effectifs et les personnels de l’École construisent très rapidement une institution qui, par certains égards, pouvait s’assimiler à de «petites habitations esclavagistes» là où le fouet, les punitions humiliantes, une discipline stricte et, en même temps, une vénération du «maître» et du livre, un esprit sacerdotal et un véritable culte pour une France mythique s’amalgamaient de contradictions antagonistes. A la manière d’une religion, avec ses rites et ses prières, l’École restait totalement déconnectée du réel guadeloupéen: «Nos ancêtres les Gaulois» ou «les Quatre saisons» inscrites à la craie sur les quatre murs d’une salle ont longtemps paru «normaux» à des générations d’instituteurs! Le créole était pourchassé comme l’herbe parasite du jardin vivrier, par une idéologie jacobine certes, mais surtout par une volonté partagée de faire oublier les affres de l’esclavage. Apprendre le français et avoir, a minima, le Certificat d’Etudes allaient permettre de «se blanchir», de refouler une obsédante africanité (voire indianité). Le racisme négrophobe avait tellement trituré une non-existence d’esclave que l’instruc-tion scolaire, parallèlement au «titre» d’un nom octroyé avec paternalisme en 1848, complétait la construction boiteuse d’une citoyenneté républicaine factice et aliénante.
Il faut quand même savoir qu’en France s’était opérée, à partir de 1881, une certaine refonte du système éducatif entre la Troisième et la Première, cela au détriment de l’obsolète et féodale Rhétorique, mais également au détriment du Latin de moins en moins discouru.
La langue française, à travers la «dissertation littéraire», accède ainsi, définitivement, à une place centrale, dominante. Les cours d’histoire, après la défaite de 1870, s’érige eux aussi en doctrine chauvine et mythologique, glorifiant, depuis Clovis, tous les héros de l’Ancien-Régime et de la Révolution, afin de préparer «la revanche»! L’Entre-deux-guerres succédant à la victoire de 1918 consacre une France impérialiste et «civilisatrice» (cf. l’Exposition Coloniale de 1931). Les Écoles Normales de garçons et de filles (créées par Guizot en 1833) et le corps inspectoral sont chargés de contrôler cette orientation doctrinale.
Au Primaire, les manuels d’apprentissage à la Lecture vont se succéder, dont le fameux Gabet-Gillard, réduisant la langue instrumentale essentiellement à des items visuels. La Grammaire, héritière de la didactique latine, c’est-à-dire émiettée et paradigmatique, se veut épaulant jusqu’à la Troisième-Lycée l’incontournable dictée et ses questions annexes. Les manuels de Lecture, petit à petit, se construisent à partir de «beaux textes», inédits et/ou littéraires. C’est ainsi que se met en place l’Explication de texte traditionnelle permettant, entre autres, de vérifier le savoir grammatical des écoliers et des lycéens. Mais ce savoir – toujours dans le droit fil de la syntaxe latine et de la vieille Rhétorique – concentre vainement l’attention de ces élèves sur des dites subordonnées, la phrase étant toujours perçue comme «commençant par une majuscule et s’achevant par un point»(sic)!
Avant la Deuxième Guerre Mondiale, le passage en Seconde ne posait pas de problèmes spécifiques, sauf pour les élèves provenant du privé ou des Cours complémentaires du Primaire qui, eux, étaient soumis à un «contrôle de connaissances». En 1947, le BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle) est créé pour tous. Pourquoi? Jadis sous la coupe des Universités, la Seconde et la Classe dite de rhétorique (Première) étaient considérées comme préparatoires au Baccalauréat, fleuron par essence même (et en 2 parties) de l’élitisme scolaire français… C’est donc à partir de là qu’était étudiée de façon explicite la Littérature française. Cela ne veut pas dire que l’enseignement de la langue française n’était pas conçu et organisé autour de la Littérature en ce qui a trait à l’essentiel des textes. Cette Littérature n’avait fait que «remplacer» la Latine jusqu’en 1882, la langue française n’émergeant, avant, qu’à travers une Rhétorique (d’essence médiévale!) et dans les fameux «devoirs» qui consistaient pour l’élève à recomposer le cours de la veille du maître! Bref, ce come-back historique était nécessaire pour bien comprendre l’état actuel de l’institution scolaire française à travers les racines originelles et comprendre ainsi la double-source – à la fois linguistique, didactique d’une part, intellectuelle et culturelle d’autre part – de ses échecs que l’on s’évertue à relativiser et à camoufler.
II. L’échec en France et en Guadeloupe
Le remise en cause fondamentale de l’École française dans ses missions républicaines a littéralement surgi après la révolte de Mai 1968 dans des débats estudiantins et surtout dans des publications de facture autant statistique qu’idéologique. L’ouvrage le plus remarquable reste sans conteste celui des deux sociologues Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET paru en 1971, «L’École capitaliste en France». Depuis, ces deux chercheurs ont continué à publier leurs travaux. Bien qu’ils admettent que le niveau global des jeunes et des gens ait augmenté, ils persistent et signent en disant que cette École demeure l’une des plus inégalitaires, eu égard aux moyens mis en œuvre. En Guadeloupe, le contexte diglottique en accroît l’inefficience.
Pourtant, la France est le pays (hormis le Canada) où les publications pédagogiques et les colloques sur l’École remplissent les rayons des CRDP et les agendas des enseignants, des psychologues scolaires et des universitaires. L’énorme verbatim publié par la «Commission du débat national sur l’avenir de l’École» (Dunod édition 2004) et intitulé «Les Français et leur École – Le miroir du débat» révèle combien l’institution a été passée au crible, par des personnels, des lycéens-collégiens, des parents,de nombreux personnels et associations du para-scolaire, d’anciens ministres de l’Education, des parlementaires, etc.. Depuis lors, quelles conclusions, quels résultats le Ministère en a tiré? Quasiment rien. Après quatre décennies de réformes successives, et récemment le discours de M. SARKOZY sur l’aménagement et l’orientation du Lycée, l’on est sans cesse à se poser les mêmes problèmes sans solutions: l’acquisition des fondamentaux au Primaire – les exigences linguistiques et mathématiques de l’entrée en 6e – l’utilité du collège unique – l’orientation «par défaut» en Lycées – les exclus du système – la banalisation du bac et l’échec massif à l’entrée en fac – etc… En Guadeloupe, l’École française formate de jeunes intellectuels de plus en plus aseptisés et «étrangers» à leur propre pays. Les plus brillants (dont on devrait être fier), provenant le plus souvent de milieux aisés et instruits, témoignent d’une culture plutôt cosmopolite, genre «citoyen du monde». L’École, par ses programmes, ses manuels et son discours culturel n’enseigne pas la Guadeloupe! Jadis et naguére «sanctuaire» servant à renouveler la classe dominante, sa massification des années 70 ne fit que masquer cette fonction traditionnelle de renouvellement, c’est-à-dire la fabrication des élites et à mystifier ceux qui continuent à croire à ses valeurs d’égalité, à sa fonction d’«ascenseur social».
Tout compte fait, en France, l’École aliène et génère de l’échec. Mais en Guadeloupe, elle «éteint», elle étiole littéralement, dès la Maternelle, l’intelligence sociale et culturelle des petits Guadeloupéens d’origine ouvrière et paysanne. Le contexte artificiel de ces classes, tournant le dos au vécu réel et quotidien de ceux-ci, crée une situation diglottique, à la fois langagière et affective, qui paralyse ces petits ou amoindrit la spontanéité de leur discours. Quand ils arrivent au CP, ils ont déjà un handicap à la lecture qui ne s’explique pas «en surface», malgré les progrès psycho-pédagogiques qui ont été réalisés en l’espace d’un demi-siècle dans les sciences du langage…
Jusque dans les années cinquante, on croyait que les enfants qui ne réussissaient pas en classe et qui échouaient aux nombreux examens – véritable course d’obstacles –, n’étaient tout simplement pas destinés aux connaissances intellectuelles et aux exigences d’une assimilation française optimum. «Ou échwé. Manfou a’w!» (Tu as échoué. Tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même!) disait-on. Comment alors expliquer cet échec massif dans la mission égalitariste d’un système qui se dit républicain? L’incrimination du contenu culturel, assimilationniste, de cet École a très tôt été mise en exergue. Elle reste encore le premier facteur d’échec, par ses aspects débilitants et absurdes, dans lequel les enseignants guadeloupéens n’ont plus aucune excuse, même en ce qui concerne l’adaptation des textes littéraires au contexte caribéen.
En réalité, la langue française se situe au centre du débat. C’est elle qui, à partir du CP, intellectualise. Elle est l’épine dorsale du système au côté des mathématiques. Un enfant peut apprendre à compter et à calculer avant d’appendre à lire et à écrire. La cohabitation des deux «langages» se maintient jusqu’en CE2/CM1. Après, il est primordial que les deux fusionnent ou se relaient sur le plan de l’abstraction, de la conceptualisation. En Guadeloupe, tout particu-lièrement, ce relais fonctionne mal:
- par le fait que le créole et la culture ambiante de l’enfant soient refoulés, minorés ou folklorisés,
- par une didactique des maths qui néglige ou abandonne trop tôt les manipulations concrètes qui consisteraient à «mathématiser» d’abord l’envi-ronnement culturel de cet enfant,
- par une «entrée» difficile, aux forceps, de ce dernier dans la langue instrumentale, le Français-Intellectuel, étant entendu que les pratiques francophones, dans ce pays, n’ont rien de populaires comme le Français-parlé-de-France; tout au plus le qualifierait-on de populiste, y compris chez des familles «d’extraction intellectuelle récente» et qui prétendent ne parler que français chez elles!
Or, à la genèse historique de l’École républicaine, engluée jusqu’à la fin du XIXe siècle dans une scholastiques du Latin datant, elle, du XVIIe, toute la didactique de la langue française héritera justement a) de cours de Grammaire latine à dominante morphologique (para-digmatique), b) des aspects secondaires de cette syntaxe (cf. les subordonnées latines) et c) de cours de Rhétorique, là où seul le Français était officiellement admis (nonobstant un environment oral bilingue latin/français!). Avec le recul, on peut d’ailleurs se demander si la disparition de cette Rhétorique et, plus tard, de la Dictée écrite, lue à haute voix, ne furent pas des pertes subies au détriment des performances syntaxiques écrites ou discursives des collégiens et des lycéens provenant des milieux populaires et/ou créolophones.
Une chose est sûre, la massification des années 70 ne changera pas d’un iota la pédagogie élitiste de la langue française. Ce sont les élèves issus de milieux aisés et intellectualisés (qui pouvaient dire la norme à l’oral) qui continuèrent à mieux réussir. Question de statistiques! Bien entendu il ne suffit pas de mettre en lumière les «cas de réussite» provenant de milieux populaires. Quantitativement, comme le reconnaissent également BAUDELOT et ESTA-BLET, la base de la pyramide-du-savoir s’est sensiblement élargie, … sur plus d’un siècle! Mais la population s’est accrue et le niveau des sciences aussi. Et puis, l’illettrisme (à ne pas confondre avec l’analphabétisme) est grandissant chez des adultes qui, après avoir quitté l’École, étant ou non diplômés et compétents dans leur profession, ne lisent plus ou très peu: ils consomment de l’audiovisuel, des magazines à images, de la presse people, etc…
Question de statistiques! À l’entrée en Sixième, entre 15 et 25% des écoliers n’ont pas le niveau linguistique requis, tant en compétence qu’en performance. Après la 3ème, les Lycées professionnels accueillent une majorité d’élèves «par défaut»: ceux-ci ne pouvant pas soutenir le niveau d’une Seconde générale (à l’exception des STI). Dans les LGT, 3/4 des lycéens sont orientés en Première vers les filières dites technologiques, également «par défaut»: car ils ne pourront pas soutenir le niveau scientifique de la série S et le niveau intellectuelle des ES/L.
En quelques quarante ans, et ne comprenant pas réellement la sources profonde de l’échec scolaire, des ministres ont chacun apporté leur Réforme en supprimant quasiment tous les «obstacles» aux passages en classe supérieure. Le Redoublement (souvent mal préparé) est déconseillé (quant au fond, pour des questions d’effectifs!). Ainsi, de la 6e à la Terminale, les élèves «passent», quand ils ne sont pas «repris», c’est-à-dire éjectés après l’âge de seize ans: 1000 à 1200 par an, en Guadeloupe! Et puis, par oral de contrôle ou non, on finit bien par les «aider» à avoir le Baccalauréat.
III. La double source de l'échec scolaire
Quand on interroge de vieux enseignants (80-90 ans), ils disent que l’École et leurs élèves d’antan n’ont rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Tout d’abord, beaucoup d’enfants n’étaient pas scolarisés; certains venaient épisodiquement en classe (cf. la récolte). Le Primaire demeurait la règle et les deux Lycée de Guadeloupe l’exception. En 1950, le lycée Carnot possédait 2 sixièmes et Gerville-Réache une seule! C’était là une sélection à outrance assortie d’une discipline de fer. D’autres enseignants, plus jeunes, continuent à croire que la réussite scolaire s’apparente à une affaire de volonté, de détermination et de constance. En fait, ils feignent d’ignorer et la loi du hasard et celle de l’origine sociale statistiquement parlant. Aujourd’hui, l’École s’articule en quatre établissements d’inégale longueur, soit 3 ans / 5 ans / 4 ans et 3 ans (Maternelle – Primaire – Collège et Lycée) pour un total de 15 ans; ce total voit grosso-modo un enfant de 3 ans atteindre ses 18 ans en Terminale. En vérité, il faut le dire: les huit premières années demeurent décisives!
La double source de l’échec se situe donc à partir de là!
Tout d’abord le séjour en Maternelle se fait sur une espèce de contrat linguistique implicite entre les parents et l’enseignant. Si l’établissement se trouve en milieu urbain, il y a fort à parier que les rapports langagiers se feront en français car les enfants seront en majorité issus de milieux petits-bourgeois, francophone ou de culture française. Une enquête personnalisée de l’enseignant pourra le révéler. Les parents de milieux plus modestes, partiellement créolophones ou diglottiques, préféreront une dominante scolaire française, car – quoi que l’on dise encore –- le préjugé d’un créole qui serait incompatible avec l’ «autre» comme signe de respectabilité, de politesse et de pré-intellectualité, reste tenace, comme enfoui dans «un inconscient d’esclave»! Autrement, dans des Maternelles sises dans des quartiers populaires ou des sections rurales, l’enseignant pourrait avoir des coudées plus franches. Encore le comprendrait-il ou le voudrait-il de par son parcours universitaire et ses connaissances linguistiques. Il arrive que des enfants se taisent ou parlent très peu. Ce n’est pas forcément là une conséquence d’un refoulement du créole; mais cela s’ajoute. Le plus souvent ceux-ci apprennent à jouer le jeu, à faire plaisir à la maîtresse ou au maître, à théâtraliser facticement, voire inconsciemment leur participation collective. Mais parfois, entre eux, «en douce», ils échangent en créole. Et tout au long de leurs années scolaires, il en sera ainsi. Le créole, à l’École, demeure encore un clandestin dans un no man’s land diglottique. Quand cela fait du bruit et quand l’enseignant demande le silence, c’est le créole-du-brouhaha qui se tait pour «laisser entendre» le discours du maître!
Toutefois, pour revenir à la Maternelle, hormis la question de la langue, le décor, l’apparat et le choix des matériaux de construction ou d’activités ludiques (et sur les quatre murs d’une classe) annoncent déjà la «rupture» culturelle. Le beau ou l’esthétique du lieu trace la vision idéologique de l’enseignant; le colonisateur a exotisé la colonie. La Guadeloupe est un pays exotique par ethnocentrisme, mais curieusement pas la France!
Aussi pour tout dire, dès la Maternelle, l’École tourne le dos au «vécu» de l’enfant, tourne le dos au pays. Mais en admettant qu’au sortir des CP-CE1, ce petit élève de 7 ans ait appris à lire et à écrire (cf. environ 75%), on pense que tout naturellement il ira en progressant dans la maîtrise de la langue. Dans la majorité des cas il n’en sera rien. Pourquoi?
Et c’est là, la première face de cette double-source:
1)L’échec syntaxique.
En général, le nombre d’heures consacrées au français et aux maths est sensiblement égal par semaine. C’est l’enseignant qui gère son emploi du temps réduit à quatre jours. Quand on pense qu’en 1958 l’École travaillait le samedi après-midi et que les vacances scolaires étaient deux fois moindres mais mal réparties. Il faut admettre qu’aujourd’hui l’École n’est plus seule à donner du savoir (cf. multiplication des médias, y compris des livres, des journaux et des magazines). Globalement, sur trente ans, les procédés didactiques, la présentation des manuels scolaires et la nature des fournitures scolaires se sont beaucoup améliorés et se renouvellent constamment. Ils participent dès la rentrée scolaire de septembre à cette fièvre consumériste qui s’empare des parents et des jeunes. Pourtant l’École s’est massifiée sans devenir plus efficace et plus rentable.
Les professeurs des écoles s’échinent à enseigner la Grammaire uniquement de façon paradigmatique, c’est-à-dire en procédant par l’étude morphologique, morcelée et successive, des 7 éléments du français (cf. D+N, Pn, A, V, Adv, P et C), priorité étant donnée au 4 premiers. Ils assortissent cette étude d’exemples hors contexte, d’exercices et de tableaux de référence (des paradigmes), particulièrement en ce qui concerne la conjugaison des verbes si nombreux et si divers dans leur déclinaison. Parallèlement à ce travail, ils administrent quelques dictée pour l’orthographe usuel ou fonctionnel (pas autant que jadis!). Et ils font surtout des explications de textes d’auteurs, c’est-à-dire d’extraits littéraires sur lesquels sont posées des questions de compréhension et de grammaire, ces dernières permettant de vérifier les compétences de leurs écoliers. Hormis quelques cas d’élèves ne sachant ni lire, ni écrire ou d’autres semi-analphabètes, mais que l’on fait quand même passer (puisqu’au Primaire il est quasiment interdit de redoubler!), la majorité semble «apprendre le français».
Par conséquent, l’on ne peut pas dire que les professeurs des écoles ne travaillent pas. Ils respectent le Programme et les instructions de l’IEN (l’Inspecteur de leur circonscription). Ils font, par métaphore, une tonne de grammaire descriptive de la langue!
Ajouté à cela, les réponses aux questions des textes expliqués en classe sont les premiers critères permettant de savoir si les élèves possèdent une certaine autonomie d’écriture, une certaine performance syntaxique. Pour la préparation à de petites narrations en CM2, les professeurs discutent du thème et du vocabulaire, mettent leurs élèves en condition d’imprégnation. Certains font même venir des écrivains dans leur classe, etc…
Là encore, on ne dira pas que ces enseignants ne se motivent pas pour obtenir des résultats! Et pourtant, s’il faut se référer aux critères exigés pour le passage en Sixième-Collège (cf. tests d’évaluation), 15 à 25% des élèves sont en grande difficulté de compétence (reconnaissance de mots, fonction morphosyntaxique, orthographe, vocabulaire) et presque la moitié fait preuve d’une performance médiocre (compréhension et qualité des réponses, style, culture personnelle). La situation est bien plus grave en mathématiques!
Cela dit, les quatre années du Collège n’amélioreront en rien les niveaux requis par étape. On a souvent incriminé les deux cycles de cet établissement (le «cyclage» étant lui aussi une mode!) . À y bien regarder, le programme de français de la Sixième et de la Cinquième n’est qu’une répétition de forme et de fond de celui du couple CM1-CM2. Beaucoup de collégiens ont l’air de découvrir des savoirs qu’ils ont manifestement oubliés! Mais pourquoi diable oublient-ils si vite? C’est qu’ils n’ont pas «pénétré» la syntaxe de la langue, en dehors des sempiternelles «subordonnées» et l’éternelle classification restrictive des phrases en «affirmative ou assertive, interrogative, exclamative, négative et injonctive». D’ailleurs beaucoup de gens continuent à dire encore qu’elle (la phrase) commence par une majuscule et finit par un point!
Bref, on ne peut maîtriser une langue que si on la comprend dans sa dynamique. Or sa dynamicité passe par des idées principales qu’elle exprime dans des noyaux de PHRASES principales! Toutefois, cet échec syntaxique ne marche pas tout seul. Il se renforce par le culte d’une subjectivité artistico-littéraire et, pour tout dire, par une aliénation culturelle et coloniale.
2) L’échec intellectuel
Comme on l’a vu supra, au dix-neuvième siècle, un lycéen commençait ses Humanités en entrant en Troisième jusqu’au bac, en passant par la classe de Rhétorique (la Première). Il étudiait essentiellement la Littérature latine avec des compositions également en latin. Petit à petit, la pratique du Latin écrit tombant en désuétude, la Littérature française, à partir de 1882, supplante les œuvres de l’Antiquité. La Rhétorique ou art du discours disparaît. Donc dès le début, l’École républicaine a conservé, si l’on peut dire, la marque et les stigmates féodales de ces Humanités, à savoir une conception exclusivement littéraire et artistique de l’apprentissage du français. Inévitablement, cette conception a rayonné sur l’ensemble des niveaux scolaires, là où pouvaient débuter les études de textes. La grande majorité des professeurs sont eux aussi, depuis des générations, imprégnés, formatés et conditionnés par cette idéologie littératuriste!
Point n’ait besoin de dire que la Littérature est un Art; un écrivain reste un artiste à la manière d’un plasticien, d’un musicien, d’un danseur ou d’un metteur en scène. Dans cet Art, le langage fonctionne tel un matériel qui structure des matériaux idéologiques, des sentiments, des appréciations du réel, etc… Les genres littéraires, par leur nombre et leurs limites, empiètent sur le domaine des autres sciences humaines (philosophie, histoire, psychologie…) et sur celui des médias – puisqu’il en est un également. Toutefois, lorsque l’on examine les innombrables extraits des manuels scolaires, ceux-ci proviennent pour l’essentiel des trois genres majeurs de la Littérature: la Poésie, le Théâtre et le Roman. Ce dernier à lui tout seul occupe plus de la moitié! En ce sens, l’échec linguistique de l’École condamne celle-ci à «surfer» sur la langue en privilégiant l’Art littéraire, privilégiant du même coup les élèves provenant des milieux intellectuels normatifs. Cette littératurisation didactique tient à peu près ce discours: en faisant très tôt aimer la Littérature par les enfants, ils aimeront donc la Langue et, comme par l’opération du Saint-Esprit, ils se mettront à écrire.
Or, parallèlement aux mathématique dont il devrait assurer le relais, l’enseignement de la langue, dans sa logique formelle, construit sur du sable! Il distille du subjectif, de l’imaginaire et de l’invraisemblable à défaut de vrai ou de vraisemblable. Il croît que l’enfant ou l’ado a un besoin constant de fantastique, de merveilleux, creusant ainsi les bases futures d’un idéalisme insidieux qui siéra bien au contexte colonial dans lequel fonctionne l’École française.
Inconsciemment ou non, les enseignants de Guadeloupe ne forment pas des intellectuels équilibrés (entre une formation à vocation scientifique et un goût mesuré pour les Arts), ILS FORMENT IMPLICITEMENT DES ARTISTES, DES ROMANCIERS!
Ce faisant, ils refoulent toute une esthétique guadeloupéenne, tout un sentiment d’appartenance à un pays, à une histoire et à des Arts bien spécifiques (pour reprendre le mot à la mode). En France, la Littérature constitue un pôle artistique lié à l’histoire même d’un petit parler-de–l’Ile-de-France qui deviendra «la langue française» du fait d’un pouvoir politique.
SHAKESPEARE regrettait de ne pouvoir faire aussi son théâtre en français ou en italien! En Guadeloupe, la musique et la danse s’apparentent également à des pôles artistiques majeurs, incontournables pour qui a su sortir des gangues d’une Assimilation à la fois religieuse et profane.
L’École française forme donc des hommes amputés, amoindris, mal dans leur peau et, se faisant souvent «plus royalistes que le Roy»!
Que l’on n’aille pas dire que la Littérature (fût-elle française) n’est pas utile à l’étude de la langue (quelle qu’elle fût). Mais l’usage qu’on fait de la française, dans l’École, ne donne aucune chance à la langue créole, au gwoka, au réel guadeloupéen, sous prétexte de croire que cette Littérature importée constituerait un savoir et un savoir-faire exclusifs.
IV. Le français-langue-seconde
La Guadeloupe est un pays bilingue: on y parle deux langues. Elle n’a pas eu le même sort que les Seychelles dans l’Océan indien où l’on y parle trois (l’anglais en plus)! Cependant beaucoup de Guadeloupéens vivent des situations diglottiques dans lesquelles entrent en jeu les postures du paraître, les pressions familiales, voire professionnelles (souvent indirectes), des degrés d’intellectualité en français et, surtout des phénomènes d’intercommunicabilité lin-guistique. La diglottie manifeste toujours un certain inconfort langagier, un désir de «signaler» à l’autre son origine sociale (vraie ou fausse), un mutisme ou un mimétisme contagieux, un mal être… La multiplication des médias, après 1981, n’ont fait qu’accentuer ce «conflit de langues», avec souvent ce complexe métalinguistique qui consiste à dire: «Es an pé pwan’y an kréyol?» (Puis-je parler créole?).
En réalité, ce «conflit» ou diglottie traduit fondamentalement un conflit de cultures et ce n’est pas seulement au niveau des deux langues qu’il se manifeste. La culture guadeloupéenne, née dans les habitations esclavagistes, s’est très vite opposée à la culture coloniale et elle conti-nue à s’y opposer. On a cru (et l’on croit encore) qu’elle s’oppose à une culture française. Cette dernière existe, par transfert, dans la communauté française qui vit en Guadeloupe et qui, à tort ou à raison «fait bande à part», à l’instar des anciens colons. Mais dès l’instant où les Administrations (y compris l’École et les médias) tentent d’instrumentaliser les savoirs et les savoir-faire français (à l’exception des sciences exactes) dans le but d’assimiler, alors cette soi-disant culture, dans sa stratégie ridicule, devient coloniale, car pleine de contradictions antagonistes, de flagrants-délits et de facticité.
Le statut de la langue française en Guadeloupe est très particulier dans le champ de cette opposition bi-culturelle. En l’espace d’un siècle et demi, et à mesure que s’élargissait la base sociale d’une petite-bourgeoisie intellectuelle, le français a fini par «sortir de l’école» pour devenir objectivement une langue populiste. Mais elle n’est pas populaire comme, par exemple, l’espagnol à Cuba ou ailleurs. Par sa facture accentuelle (débit, rythme, syllabisation), par la fossilisation de certains sons datant du 19ème siècle (cf. le «h» guttural) et par l’absence de néologismes chez les jeunes, le français-de-Guadeloupe témoigne de son origine scolaire, d’un discours composé ou appris par cœur, d’une image sociale et bourgeoise. A contrario, il n’est pas une langue étrangère (le LV2 habituel des linguistes qu’il faudrait classer LV3). En France, la langue française intellectuelle se nourrit de sa base populaire. On pourrait penser qu’avec le nombre croissant de petits Guadeloupéens nés dans l’émigration et revenus en Guadeloupe, avec l’imprégnation de plus en plus forte des médias audio-visuels et d’enseignants français, que «la langue de Molière» finira progressivement par éliminer le créole en le francisant à outrance. Il est difficile de faire actuellement un pronostic car l’avenir de la langue créole s’inscrit dans un combat culturel et politique. Aussi importe-t-il maintenant d’essayer de délimiter le rôle et la fonction de chacune de ces deux langues dans les pratiques pédagogiques pour ne pas faire n’importe quoi. Il faut s’attaquer au problème culturel que pose le poids idéologique de la Litté-rature à l’École dès le Primaire. Bien plus, il y a quelque chose d’absurde, d’anachronique et d’aliénant d’enseigner un Art à travers une histoire esthétique, alors que la grande majorité des collégiens et des lycéens n’ont justement aucun repère historique profond.
Finalement, compte tenu des critiques qui ont été faites à propos de l’échec linguistique et de l’échec intellectuel, l’enseignement du français-langue-seconde va se décliner à partir de SEPT RECOMMANDATIONS FONDAMENTALES:
1)Donner la priorité à l’Écrit sur l’Oral.
Ce qui ne veut pas dire, d’emblée, que l’Oral n’ait pas son utilité ou son importance. On y reviendra. Tout d’abord, la théorie du «bain de langue» a lamentablement échoué dans l’apprentissage d’un langage intellectuel, normé, particulièrement dès la Maternelle et dans le but, inavouable, de «chasser» une langue familiale ori-ginelle. Quand on sait que l’intelligence des tout-petits demeure intimement nouée au parler de leur milieu, il semble quasiment criminel de leur faire refouler ce qui est l’essence même de leur existence ontologique. Aussi les Maternelles en Guadeloupe doivent-elles être bi-lingues comme la réalité linguistique du pays et l’exemple doit venir obligatoirement du prof.
Durant des décennies, les enseignants guadeloupéens ont cru que la sacrosainte parole du maître servait de modèle pour aider un élève à bien s’exprimer, un peu à la manière des conférences politiciennes où jadis le français était la règle! En réalité, même chez des enfants qui «parlent chez eux un français-de-Guadeloupe», ceux-ci ne passent que 30h en classe par semaine sur 110h d’éveil (entre le lever et le coucher)! Bien plus, le plus souvent ils écoutent le maître sans presque jamais échanger avec lui, sinon latéralement avec leurs copains.
D’une façon plus générale, il faut en finir avec les discours-du-bien-dire, là où le prof se fait davantage plaisir (et à l’inspecteur) alors que les élèves, eux, – y compris les lycéens – n’arrivent souvent pas à en saisir toutes les subtilités d’un vocabulaire universitariste!
Et puis, qu’en est-il des textes étudiés au Primaire dans les manuels venus d’ailleurs? Il faudrait qu’à partir du CE1-CE2 les professeurs proposent des écrits liés à l’environnement des élèves. En quoi ces profs qui sont eux-mêmes des intellectuels, souvent licenciés, ne seraient-ils pas capables de «fabriquer» des documents écrits, des textes narratifs et/ou objectifs sur le «vécu» profond et immédiat de leurs écoliers, sur la région où se situe leur école? Bien sûr, tout de suite, on les accusera d’«enfermement», de «nombrilisme»: on leur dira qu’il faut «ouvrir» l’esprit des jeunes, les faire «rêver», etc… Or, jamais la Guadeloupe n’a été pays plus ouvert aux quatre vents et violée de toutes parts. C’est pourquoi il importe que chaque établissement élémentaire ait sa «banque de textes» par niveau, d’un quartier à l’autre, d’une section à l’autre, ce qui n’exclut en rien les textes parlant de la Caraïbe et du Monde.
2) Enseigner autrement la Grammaire.
Tout d’abord, quelle que soit la manière d’enseigner une langue (maternelle, seconde ou étrangère), on ne peut pas faire l’impasse sur l’enseignement spécifique, voire parallèle, de la Grammaire. Théoriquement et par commodité scientifique, la linguistique visualise, classifie et formalise l’étude d’une langue à travers la Phonétique (étude des sons), la Morphologie (étude des mots), la Syntaxe (étude des phrases), la Sémantique (étude de l’évolution du sens des mots)) et le Lexique (étude de l’ensemble de tous les mots). Bizarrement, et on a vu historiquement pourquoi, l’enseignement de la grammaire-à-la-française non seulement ignore la phonétique, privilégie l’inventaire morphologique, mais surtout néglige la syntaxe, celle-ci ne faisant surface qu’indirectement par l’étude des subordonnées. Or, le dynamisme de la langue s’appuie bien entendu sur une distribution linéaire d’unités morphologiques. Donc, dès le CE2 le petit écolier doit pouvoir, en compétence, répérer progressivement ces 7 unités, de façon morpho-syntaxique dans un texte, fondamentalement dans un texte et, surtout, à partir de symboles officialisés, à savoir: D+N, Pn, A, V, Adv, P, C. Ce type d’exercice s’appelle le Classement morphologique, où 7 colonnes d’inégale largeur recueilleront tous les éléments de n’importe quel texte. En effet, il n’est pas normal qu’un élève de sixième ou de seconde (!) ne sache pas distinguer une préposition d’une conjonction, un participe-présent-adjectif d’un participe-présent-verbe, un déterminant indéfini d’un pronom indéfini, etc.!
Ensuite, toujours à partir d’un texte et toujours en compétence, et en fonction du niveau de la classe (du CE2 jusqu’à la cinquième-collège), l’élève apprend à délimiter les phrases avec un crayon et à souligner les V principaux (VP) hormis les cas de phrases-sans-verbe. Bien plus, sur la base du double principe pédagogique: aller du facile au plus difficile, du simple au plus complexe, cet élève sera capable de donner toutes les formules des noyaux verbaux. Il y en a toute une typologie: NV, NVN, ilyaN, C’estN, NVdeN, NVàN, etc… Cette expérience grammaticale a été expérimentée durant dix ans au Collège-Garçons des Abymes, entre 1975 et 1985… En analysant syntaxiquement un texte, il en résulte un nombre précis de phrases et pas une de moins ou de plus! Cet éclairage permet ensuite de délimiter des phrases secondaires qui sont en fait des subordonnées de toute nature. Cette logique du noyau principal + phrase secondaire évitera de mettre la charrue avant les bœufs!
En conclusion, un texte est constitué d’idées principales (phrases) couplées ou non à des idées secondaires (phrases subordonnées). A aucun moment le sens général, fondamental du texte ne doit s’écarter de sa forme. Toute étude grammaticale doit se faire dans un texte!
3) Enseigner le vocabulaire.
Cela peut sembler paradoxal ou incongru, car beaucoup d’enseignants diront qu’ils enseignent le vocabulaire, à la faveur d’explications de texte et de préparations à la narration. Encore que souvent, dans la marge des manuels, nombre de mots sont définis afin d’aider, pense-t-on, les élèves à mieux comprendre le texte. En ce qui a trait maintenant à la rédaction, domaine par excellence de la performance, on assiste effectivement à une quête thématique de mots: noms, verbes, adjectifs, adverbes qui font partie du stock lexical infini de la langue. Cependant, tout cela demeure nettement insuffisant et cette insuffisance qui se poursuit jusqu’au lycée n’est pas compensée par les lectures personnelles. Pourquoi? Les extraits de romans n’ont pas été écrits, au départ, pour l’enrichissement didactique du vocabulaire. C’est pourquoi il faut non seulement fabriquer des textes locaux où le vocabulaire sera densifié, mais encore donner à apprendre des mots aux élèves, mots qui seront restitués sous des formes diverses de contrôles. À côté de cela, les profs auront le souci d’initier leurs élèves à fréquenter la bibliothèque de l’école ou du bourg et de vérifier que ceux-ci ont effectivement lu les ouvrages choisis. COMMENCER A LIRE AU PRIMAIRE RESTE CRUCIAL! particulièrement chez les jeunes issus de milieux intellectuellement défavorisés. Il existe à l’intention des classes de quatrième/troisième et celles du lycée un ouvrage intitulé «800 mots» ou «1000 mots pour réussir» de Claude Lebrun/Geneviève Poumarède (édit. Belin). Il faudrait l’étendre aux niveaux 5e/6e et Primaire. Mais les profs peuvent eux-mêmes concevoir leurs propres listes thématiques de mots, à la manière des ouvrages de langue étrangère (LV3).
4) Enseigner l’expression écrite.
N’est-ce pas la finalité ultime de l’apprentissage du français? Toute forme d’intellectualité en Guadeloupe passe par la maîtrise de cette langue et, dans une moindre mesure, pour une question d’identité, par la maîtrise du créole. Ce bi-linguis-me, bien que très difficile à équilibrer chez un locuteur diplômé, recouvre en réalité des savoir-faire professionnels et une culture générale, la langue n’étant que l’enveloppe visible et interne de ce niveau de connaissances acquises. En effet, la maîtrise du français-intellectuel ou performance de l’élève demeure le critère le plus palpable de l’échec du système. C’est un mur contre lequel butte la majorité des professeurs de français. On le voit au lycée: 75% des lycéens ne savent pas rédiger: une narration, un commentaire, une dissertation littéraire ou philosophique.
Justement, dès le Primaire, c’est une compétence syntaxique (repérage et formulation des noyaux de phrase) et lexicale qui permettra à cet élève de mieux observer les consignes d’écritu-re que lui aura données son maître. L’on sortira alors de ce flou artistique dans lequel sombrent les efforts accumulatifs de ce dernier tant en Grammaire paradigmatique qu’en vaine prépara-tion lexicale de la Rédaction. Très tôt, l’enfant apprendra à accoler des logiques d’idées éven-tuellement nominalisées, à les transformer en phrases selon un rail précis. LES PHRASES SONT D’ABORD DES IDEES émises d’abord par des Principales et non par des Secondaire, c’est-à-dire des Subordonnées. Il existe toute une typologie de phrases qu’il importe de hiérarchiser pédagogiquement depuis le CE2.
5) Enseigner l’expression orale.
C’est dans ce domaine également où l’échec linguistique est complet. L’École N’ENSEIGNE PAS L’ORAL! Elle fait parler les enfants! L’enseignant parle (ou s’écoute parler)! En vérité, si l’on excepte la Comédie Française et les lieux où l’on enseigne la diction, le discours ou la déclamation aux adultes, l’École ignore totalement la phonétique et la phonologie de la langue française. Pourtant, ces cours existent à l’Uni-versité de façon théorique, mais ils ne trouvent aucune application pratique, pédagogique, à l’École. Et puis, même sur un plan personnel, l’histoire de la prononciation des parlers français du Nord et de leur graphie – normand-picard, francien de l’Ile-de-France, champenois, etc. – reste intéressante car cette histoire a un rapport avec l’origine des sons créoles. Qui peut imaginer l’accent et l’expression des graphies avec lesquels on jouait Racine ou Molière à la Cour de Louis XIV?
En 2007, au cours d’un journal de France 2, un ORL-Phoniâtre déclarait de façon péremptoire que la langue française n’avait pas d’accent: une langue plate en quelque sorte, par opposition à l’italien ou à l’espagnol où les syllabes accentuées sont nettement plus marquées!
En réalité, si les langues méditerranéennes d’origine latine ont conservé l’empreinte de leur chant originel (jusqu’à la limite des langues d’oc en France), les parlers du Nord, eux, ont subi deux phénomènes de «créolisation» (le latin confronté aux parlers locaux puis les invasions barbares). Dans la quasi-totalité des cas, les mots français ont perdu leur dernière syllabe qui s’est amuïe, ce qui fait que l’accent latin, jadis pénultième, est devenu final. Ainsi, d’une façon générale et par osmose, tous les mots français sont accentués sur la dernière syllabe! Par comparaison et sans doute sous influence saxonne, la plupart des mots anglais le sont sur la première syllabe. Cela étant dit, toutes les langues modifient leur phonologie (linéarité sonore d’une chaîne de mots dans une phrase) en fonction de la multiplicité de l’accent des mots, ce qui entraîne des déplacements d’accents et des rythmes binaires ou ternaires. La phrase visualisée par des mots que séparent typographiquement des «blancs», n’a rien à voir quand on l’écoute.
En utilisant l’APG (Alphabet Phonétique Guadeloupéen) au lieu de l’API trop difficile a graphier, on peut montrer le décalage Ecrit/Oral par cet exemple des premiers vers du poème de Rimbaud, «Le dormeur du val»:
«C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
(D’argent)».
Ces deux alexandrins, avec césure et hémistiches, donnent la partition suivante:
3 + 3 + 2 + 2 + 2 = 12
/sètuntrou / devèrdu / rouchan / tune / rivyèr /
3 + 3 + 2 + 2 + 2 = 12
/akrochan / foleman / tozèr / bedè / hayon
/ darjan /
On notera les rythmes ternaire et binaire. Les syllabes en gras-rouge sont accentuées. Les textes en prose peuvent être préparés de la même façon. Ce travail opère chez les élèves une véritable rééducation auditive et les préparent du même coup, implicitement, à écrire le créole!
6) Enseigner la Littérature.
On est ici au cœur d’un débat où l’aliénation et l’assimilation sont d’une profondeur incommensurable. C’est aussi là où l’historien voit combien le système républicain français s’est construit sur une tradition intellectuelle féodale. Toucher à la Littérature équivaut à un crime de lèse-majesté. L’École française a érigé le savoir littéraire en savoir tout court. ÀA défaut de pouvoir comprendre l’enracinement de l’échec linguistique, le système imagine que l’enfant aimera la langue intellectuelle quand il aura fait d’aimer lire du roman, du théâtre ou de la poésie. Ainsi dès le CM1/CM2 cet enfant est emmené à découvrir des structures romanesques, à la manière d’un petit «critique d’Art»! Or, aujourd’hui, malgré un illettrisme ambiant dominant, proportionnellement davantage de gens écrivent, publient, étalent leur vie que naguère. Par mois, des centaines de romans, en tout genre, paraissent en France. Tout le monde s’autorise à tenter l’aventure du Goncourt ou du Renaudot! Bref, l’École feint d’oublier que ce subjectivisme linguistique relaie bien difficilement l’enseignement des maths et des sciences. Toutefois, à côté du roman ou du poème, il y a l’article de journal, l’essai, les textes de vulgarisation dans les multiples domaines de la vie. On dit que cela se fait. Mais dans quelle proportion? Naguère il y en avait même davantage.
Bien plus, il faut voir ces énormes manuels de Littérature qui coûtent si chers et dans lesquels on y puise très peu. Et puis, l’historisation des jeunes est si faible, à coup de programmes allégés, que ceux-ci ne font aucun lien entre Histoire et Littérature: ils en viennent presque à situer Louis XIII au dix-neuvième siècle et Hugo à l’époque classique! Voilà des enfants qui sont en prise directe, constante avec l’actualité, à travers une avalanche de médias audiovisuels, il vaudrait mieux les intellectualiser sur des sujets de société qui les interpellent. Cela ne veut pas dire, a contrario, qu’il faille éliminer la Littérature. Les textes littéraires sont utiles et divers. Mais ce ne sont pas les seuls modèles narratifs. Il faut rendre le discours du jeune objectif et non constamment tabler sur des sentiments subjectifs et infantilisants à long terme, d’autant que la culture artistique des Guadeloupéens reste plutôt liée à la Musique et à la Danse. Au lycée, les enseignants se plaignent sans cesse du niveau de langue et d’inculture des élèves. Et pourtant, ces derniers font de la littérature, de façon directe ou indirecte, depuis le CM2/Sixième! Mais pourquoi arrivent-ils dans un tel désordre linguistique et dans une telle faiblesse d’expression écrite?
7) Enseigner le créole et/ou en créole.
Bien évidemment, la question du créole ne concerne que la Guadeloupe, en milieux à la fois diglottes et bilingues. En France, les communautés caribéennes et créolophones poseront sans doute le problème à leur manière.
Il y a un préjugé qui a pris du temps pour mourir: celui de dire que le créole serait un obstacle à l’enseignement du français. Mais l’esprit bourgeois assimilé, lui, se cultive encore!
En l’espace de quarante ans, le créole n’est plus contesté en tant que langue. Nombre d’enseignants le pratiquent à l’école, de façon discontinue, particulièrement dans des disciplines dites d’éveil ou lorsqu’il y a débat. L’avènement de la LCR a quelque peu créé une École à part dans le sens où on y étudie la langue, son environnement culturel, l’histoire et la géographie de la Guadeloupe. Mais on y fait également du français par les traductions (version) et l’inverse est sensiblement moins fréquent (thème). Autrement, à 95%, l’enseignement spécifique du français se fait en français, du Collège au Lycée.
Comment donc associer le créole au français dans cet enseignement spécifique?
L’utilisation de l’APG à l’Oral, on l’a vu supra, constitue déjà une culture phonétique qui donne aux élèves (à ceux qui, pour l’instant très nombreux, ne font pas LCR) une prédisposition à l’écriture créole. Ensuite, un cours sur l’origine des langues en Seconde, sur la phonation ou sur les phénomènes de «créolisation» en France d’abord puis dans le monde, servira sûrement à faire évoluer les mentalités et certains a-priori.
Au collège, l’expérience des Abymes (1975-1985) a montré qu’il est plus aisé de faire les cours en langue créole pour enseigner le français, l’oral discursif étant mieux organisé et balisé. Au lycée, l’enseignement de la Littérature, l’emploi de termes littéraires plus spécifiques et les corrigés de commentaire ou de dissertation restreignent davantage un usage parallèle. Mais tout cela dépend de la posture personnelle du prof, de l’image qu’il a toujours eue de lui-même face aux élèves, de son style proche du peuple, de sa langue, et de ses origines sociales. D’autre part, les études de Littérature et le plaisir de discourir en français accentuent souvent inconsciem-ment une certaine faconde aristocratique voire élitiste.
Cependant, honnêteté oblige, on ne peut pas utiliser la langue créole, hormis ses dimensions artistiques paysannes (chanté-léwoz, kont a Zanba é Lapen, woman, ets.), dans toutes les disciplines de l’école. Le créole demeure la langue-du-quotidien et il n’a pas encore suffisamment de concepts susceptibles de le démarquer radicalement du français. L’opinion de CONFIANT, l’écrivain créoliste martiniquais, reste à ce propos très réservée. Apprenant les progrès réalisés par les collectivités locales en Guadeloupe sur la question du créole, il dit ceci: «Woulo-bravo en émettant un bémol: la langue quotidienne n’est pas la langue formelle des «assemblées ou des parlements. Le français utilisé à l’Assemblée nationale française est un «français très normé, très académique et tout différent du français quotidien. Or, en créole «quotidien, le niveau académique reste à construire et il y a un gros risque à utiliser le créole «quotidien dans des situations formelles de communication sans prendre la mesure des efforts, «notamment néologiques, qui devraient être faits par les locuteurs. Le risque est la francisation «pure et simple du créole. Le style «Nou k’ay diskité dè la grille des salaires adan cadre a lé-«négociations annuelles pou lanné-lasa!» C’est du charabia! du n’importe quoi! Autant parler «français.» Mais ce serait déjà pas mal qu’ils émaillent leurs discours de phrases créoles.
La francisation est inquiétante d’autant que beaucoup de Guadeloupéens n’en ont pas conscience. Ils croient les langues éternelles alors que des centaines meurent dans le monde chaque année. Le créole n’a-t-il pas presque disparu à Trinidad et disparu complètement à Grenade? Il faudra bien se résoudre à créer quasiment ex nihilo et dans l’ «esprit» de la langue des mots nouveaux, des néologismes, en se méfiant des préfixes et suffixes français! Le créole, dans un contexte intellectuel pointu, ne pourra qu’être du créole francisé ou du français créolisé…
En conclusion, on se rend compte que le bilinguisme demeure encore un idéal, là où les deux langues ne sont pas à égalité. Toutefois, pour des raisons culturelles et intellectuelles, l’enseignement du français en Guadeloupe doit privilégier un contenu objectif, scientifique en restreignant le poids affectif et aliénant de ses contenus littéraires. Enseigner le français n’est pas obligatoirement ni implicitement enseigner l’Art littéraire, surtout lorsque l’on sait que cet enseignement artistique repose, entre la 4e et la 2de, sur des pratiques syntaxiques et narratives in-consistantes. Dans cette optique, la langue française apparaît comme la poutre maîtresse (en créole le potomitan) de toute architecture intellectuelle dont la rationalité s’appuie également sur la mathématisation conceptuelle du réel physique. C’est dans ce cadre-là que se développent très tôt chez le jeune écolier savoir-faire et mémoire. Et comme l’École est loin de remplir toute seule ce rôle, le milieu familial semble d’emblée déterminant. Le «bon élève» demeure celui qui bénéficie au départ, individuellement, de cinq critères: 1. l’argent, 2. la discipline familiale, 3. l’équilibre affectif, 4. la culture familiale, et 5… la chance!
Donc, dès la fin du 19e siècle, ce fut une École élitiste et féodalo-bourgeoise qui s’importa en Guadeloupe et dans les autres colonies françaises. Ce faisant elle devint, ipso facto, coloniale et ultra-assimilationniste, cultivant le mythe de «l’égalité des chances» pour tous ceux que l’argent, le racisme institutionnalisé ou l’handicap culturel de l’origine éliminaient de la «route du savoir». De ce point de vue, le roman autobiographique du Martiniquais Joseph ZOBEL, «La Rue Cases-Nègres», est révélateur de cette idéologie individualiste. Pourtant, après plus d’un siècle de présence scolaire, on ne peut pas nier l’élévation quantitative de l’intellectualité des Guadeloupéens: au côté de 35.000 jeunes au chômage, il y a 35.000 fonctionnaires de tout grade et de tout niveau professionnel. Quant au fond, l’École et l’Université donnent des diplômes (du CAP au Master) mais ne forment pas de vrais intellectuels (…ou si peu!). Elle entretient l’illettrisme par un savoir littéraire obsessionnel qui ne résiste pas au temps, par un échec réel dans les disciplines scientifiques et par l’enseignement de mythes historiques. Et puis l’on s’étonne que les petits Français soient si faibles en langues étrangères (anglais, allemand, es-pagnol). En dehors d’une imprégnation familiale bilingue issue de couples bi-nationaux ou de séjours linguistiques prolongés à l’étranger, l’apprentissage scolaire d’une langue intellectuelle autre que le français suppose que l’apprenant ait une bonne maîtrise de cette dernière au travers de laquelle celui-ci acquiert rigueur linguistique et mémoire lexicale, d’autant que l’École demeure incapable d’assurer des «bains d’oraux» durablement suffisants. Certes, personne ne conteste la nécessité de «parler en situation d’échange» une langue étrangère; mais la base grammaticale, paradigmatique ou non, donne de l’assise intellectuelle à celle-ci et cette assise perdure longtemps encore, après l’école, comme une graine attendant la pluie!
Donc la maîtrise d’une langue intellectuelle ira de pair avec la culture générale et, en premier lieu avec l’Histoire, avec l’actualité qui, elles, construisent un citoyen.
Curieusement, les Français sont très fiers de leur Histoire ou de celle qu’ils croient être la-leur! Ils vont aussi bien associer le sacre fondateur de Reims à la Fête de la Fédération de 1790, que l’épopée de Jeanne d’Arc à celle du maréchal Leclerc! Depuis une ou deux décennies, leur passé colonial revient sur eux comme un boomerang objectif. Cela gène le «modèle républicain universel» qu’ils ont si longtemps entretenu. Finalement, après avoir «domestiqué», voire «littératurisé» la Philosophie de l’après-Mai 68 (cf. retour a-historique aux textes), ils tentent maintenant de «caricaturer» les cours d’Histoire, pas seulement dans le but de réduire des horaires et des profs, mais parce que cette discipline est la seule de fondamentalement porteuse de culture générale, la seule à pouvoir épauler l’enseignement du Français depuis le CE2 jusqu’en Terminale.
Cela étant, personne ne conteste aux Français-de-France le droit de considérer leur langue comme le vecteur central de leur unité nationale, de leur identité nationale. Mais si cette poutre-centrale n’arrive plus, comme avant, à résister aux vents du Sud et de l’Est, c’est probablement dû à la régression didactique d’une Histoire qui commençait à sortir des «mensonges d’État» (cf. la Collaboration, les crimes coloniaux, etc.); mais également dû à l’échec syntaxique de la langue elle-même. D’ailleurs cet échec pédagogique, «mystérieux», on en fait porter le chapeau aux IUFM quasiment vouées à disparaître (! ) au profit des universités. En fait, le Master exigé ne sera qu’un prétexte de sélection et de contrôle des flux d’entrée. Chacun sait que, même pour le Secondaire, le savoir universitaire aurait dû être «retourné», revisité dans la pratique, «didactisé» (cf. les IPES) particulièrement dans les disciplines instrumentales: les maths et le français. Finirait-on par mettre des agrégés et des docteurs au Primaire, l’échec serait encore là, comme «l’œil de la Conscience qui regardait Caïn dans sa tombe!»
En Guadeloupe, la langue française, elle, ne s’inscrit dans aucun débat identitaire. De même que dans la Caraïbe les Cubains parlent l’espagnol, les Trinidadiens l’anglais, les Guadeloupéens, eux, parlent deux langues occupant chacune des registres, des champs et des contextes socio-linguistiques diversifiés. Ceux-ci ont appris, depuis longtemps, à les faire cohabiter dans le quotidien de leur discours et dans leurs écrits. Il n’y a que l’École et son inculture linguistique qui se refusent à l’admettre!
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