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Contes créoles

Un fantôme à Plateau-Roy

Martinique, 10. janvier 2011

La nouvelle n’a pas encore franchi l’enceinte du Conseil Régional de la Martinique, situé, comme chacun sait à Plateau-Roy, lieu qui n’a jamais aussi bien porté son nom que depuis que le PPM en a pris les rênes. En effet, un zombi rôde dans les couloirs de l’institution, effrayant les dames qui viennent à la nuit tombée ou au petit jour nettoyer le bâtiment. Le gardien l’aurait, lui aussi, aperçu à trois reprises sans pouvoir préciser quelle forme arbore cette pour le moins étrange créature.

Prévenus, les services du Père (putatif) de la Nation auraient pris les choses en main ou plus exactement «pris le taureau par les couilles» comme déclara sur un ton martial un conseiller régional du parti du balisier. En effet, ils auraient, dans un premier temps, fait appel à un exorciste dûment mandaté par l’archevêché lequel exorciste s’est employé, un soir, aux alentours de minuit, à bénir (avec de l’eau non chlordéconée) murs, sols, plafonds et bureaux de Plateau-Roy. La «chose» cessa de se manifester durant une bonne quinzaine de jours avant de réapparaître dans un accoutrement encore plus effrayant que les premières fois. Deux techniciennes de surface qui passaient la serpillière au premier étage sont même «tombées l’état» et l’on fût obligé de faire appel au SAMU, prétextant qu’elles étaient toutes deux «en situation» et que l’odeur du javel les avaient probablement incommodées. Heureusement, ce soir-là, les internes «Zoreilles» du SAMU, qui n’ont jamais évidemment entendu parler du «dowlis», n’y virent que du feu. De toute façon, «dowlis» ou pas, ils s’en foutaient.

Le Père de la Nation réunit donc, le lendemain, son staff en urgence et sollicita l’avis de chacun pour retenir, final de compte, la suggestion de son scribe semi-officiel qui déclara que seule l’intervention d’un quimboiseur, digne représentant de la mère-Afrique, serait en mesure de solutionner ce grave problème. On se rendit donc nuitamment au Morne-des-Esses pour convaincre le meilleur de ces zélateurs de l’Invisible de descendre à Fort-de-France pour «courir après» le fantôme. Le scribe semi-officiel avait, en effet, expliqué que ce dernier terme convenait mieux que «zombi» car les zombis ne sévissent que dans les lieux habités en permanence, les maisons, les cases, mais pas dans les bâtiments publics qui ne sont fréquentés que de jour.

Maître Sonson, le plus réputé quimboiseur de l’arrière-pays, s’en vint donc officier à la suite de son confrère exorciste, toujours sur le coup de minuit. Multipliant les «Aboubou-Dia!» et autres formules ésotériques et chamitiques, il convoqua Saint Bouleverse, Saint-Exupéry et Saint-James (son préféré à cause de sa température corporelle atteignant les 55°) pour mettre ledit fantôme en déroute. Sauf que là où l’exorciste n’avait demandé que des émoluments symboliques, le bougre exigea trois mille euros! Le Père de la Nation et ses enfants régionaux furent bien obligés de mettre la main à la poche en organisant un «sousou» sur-le-champ vu qu’il était hors de question de prendre une délibération en ce sens lors de la plénière du lendemain.

Par bonheur, l’action de Maître Sonson porta ses fruits car le fantôme disparut corps et biens. Signe que les forces de l’Afrique matricielle n’avaient pas encore été totalement éradiquées par le rouleau compresseur de l’assimilation tant dénoncée par le Nègre Fondamental. Sauf que deux mois plus tard, il recommença à faire des siennes! Des administratifs, qui étaient restés tardivement dans le bâtiment, afin de boucler un dossier urgent de demande d’aide financière à la mère-Europe (la Martinique est le seul pays qui a la chance insigne de posséder deux mères) se trouvèrent nez à nez avec lui au moment où ils s’apprêtaient à quitter les lieux, vers onze heures du soir donc. Trois secrétaires tombèrent «malkadi» et les deux autres administratifs qui étaient des hommes, tout franc-maçons qu’ils se flattaient d’être et donc incroyants durs comme fer, prirent la poudre d’escampette sans demander leur reste.

Dès le lendemain, six heures, le Père de la Nation réunit à nouveau son staff, fou de colère. Ni le dieu des Blancs ni celui des Nègres n’avaient réussi à faire partir ce foutu fantôme! Le scribe semi-officiel sourit énigmatiquement comme à son habitude et déclara sur son ton docte (tout aussi habituel) qu’en terre créole, il était nécessaire de convoquer tous les dieux et que par conséquent, le moment était venu de solliciter l’intervention de Mariémen et de Maldévilin, divinités hindouistes vénérées dans le «Grand Nord» de la Martinique (lieu où il fait quand même moins froid que dans le Grand Nord canadien). Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt étant donné l’ascendance tamoule du Père de la Nation? On fit donc descendre dare-dare de Basse-Pointe un «pousari», deux branches de «vèpèlè», quatre noix de coco, trois cabris et un coutelas sacrificiel. Le saint homme invoqua les divinités de l’Inde éternelle, monta sur la lame du coutelas (que tenaient à bout de bras deux conseillers régionaux qui n’en pouvaient mais), sautilla dessus sans se blesser alors que la lame en était aussi effilée que celle d’un rasoir et prononça des invocations en langue sacrée. Le fantôme «prit courir flap» et Plateau-Roy vécut en paix durant encore un mois.

Sauf que…Hé merde! Le revoilà qui repointa sa tronche fantomatique, vers midi cette fois, alors qu’une conseillère se rendait au petit coin. Oubliant de remonter sa petite culotte, la dame traversa le deuxième étage en trombes, hurlant:

«3è voie! Je viens de voir 3è voie, au secours!»

(N. N. Bande de couillons, va! Vous avez oublié de faire appel aux divinités amérindiennes qui hantent ce pays depuis des millénaires: les Zémis. Heu…pour nos lecteurs non-Martiniquais, la 3è voie est celle qu’avait promise de suivre le PPM lors du débat sur les articles 73 et 74 en janvier dernier. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, cette 3è voie s’est transformée en fantôme. Voilà !).

 

boule

Viré monté