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Contes créoles

Anansi et le Maïpuria

Myrtô RIBAL RILOS

Araignée

Araignées de l'île Rodriguez. Photo F.Palli.

Si le personnage d’Anansi est connu dans la Caraïbe anglophone et en Afrique il a aussi fait le voyage jusqu’en Guyane.  Il a bercé sur le fleuve Maroni et parfois au-delà, je veux dire jusqu’en  pays créole, des enfants sages, ou moins sages. Nous avons voulu proposer ce conte à des jeunes de collège, afin qu’ils puissent découvrir des réalités sociétales proches que parfois, ils ne soupçonnent pas. Il s’agit ainsi de faire avancer le débat sur «l’ouverture à l’autre» et de façon plus générale encore,  à favoriser la «tolérance»

ABOUBOU BIAH !

Un jour, Anansi qui venait de se marier, savourait le petit matin devant sa case.

Au dessus de l’aouara1 feuillu des restes de nuit s’accrochaient encore, tandis que de l’autre côté, des perroquets bavards sabraient de verts la joue rose tendre du ciel. Anansi laissa traîner un œuil sur le bras d’eau qui passait non loin de sa case. Celui ci était toujours pressé de rejoindre son amante, la rivière qu’il rencontrait après un saut périlleux. Ensuite, les deux amants bras dessus, bras dessous s’en allaient  paisiblement rejoindre leur père le fleuve. Anansi remerciait Massa Goudou2d’être encore en vie, lorsque la voix de sa dernière femme Ifa, lui parvint depuis l’intérieur de la case, interrompant net son dialogue intérieur.

– Eh bien mon homme que fais tu là?

– Rien

– Rien? Écoute moi, j’ai rêvé cette nuit que je mangeais un bon morceau de Maïpouri, or à mon réveil, j’ai cherché dans la réserve, il n’y avait rien, tes deux autres femmes ont mangé tout ce que tu avais rapporté de la chasse, il y a à peine une semaine. Il n’y a plus rien de bon à manger. Je te rappelle que je suis enceinte moi et qu’il me faut de la force.

Anansi tenta de protester:

-Mais il reste du pack3 et d’autre morceau de bonne viande, …….Et puis tu sais que mon soû ne me permets pas de manger du maïpouri4

– Tchippp !……

Ifa se mit à crier et à pleurer:

– Si tu ne pars pas me chercher un  maïpouri,  j’irai dire à ma famille que tu ne me donnes pas à manger.

Craignant que d’autres familles n’entendent le vacarme d’Ifa, Anansi se mit prestement debout, il se rendit dans une toute petite case où il y avait son matériel de chasse puis quittant le village, il se rendit chez son vieil oncle pour lui annoncer qu’il partait de nouveau à la chasse, le vieil homme assis devant sa case le toisa de la tête au pied, puis il cracha, enfin prenant son bâton il parla à son neveu tout en martelant le sol.

– Tu ne peux aller à la chasse, tu ne peux aller seul, de plus, ce n’est pas la période, en outre tu as eu ta part de viande, tout comme les hommes du village pour un mois au moins.

Anansi osa insister:

-Mais Ifa est enceinte et elle veut manger du maïpouri.

De colère, le vieil homme frappa Anansi qui fit un bond en arrière:

– Tu sais que notre soû5 ici, nous interdit de manger du maïpouri, mais aussi de le chasser et de le tuer.

– Anansi reparti l’épaule basse.

– Sur le chemin du retour, près du village, il rencontra Ifa qui allait laver son linge avec les autres femmes. Elle le toisa et ne lui sourit même pas.

Anansi tout décontenancé, se laissa tomber au milieu des racines d’un arbre cathédrale et se mit à réfléchir. Dix minutes plus tard, il se redressa. Il avait un plan, il courut quérir une pelote de fil que sa grand-mère lui avait donné jadis «en cas de…».

Puis il s’en fut dans la forêt.

Anansi marcha, marcha toute une journée sans voir un seul gibier. Il était étonné, car la forêt d’habitude bruissante de mille cris, était aujourd’hui silencieuse, nul oiseau ne sifflait, les saïmiris étaient silencieux. Les criquets se taisaient, bref tout était silence, cela angoissait Anansi qui décida néanmoins de monter un affût en face du point d’eau, là où les animaux viennent se désaltérer. Le grand midi était passé depuis longtemps déjà, puis le ciel avait mis son pagne violet, sans qu’aucune bête ne viennent boire. Installé sur la grande branche d’un arbre dominant le sentier qui aboutissait à l’eau, Anansi n’avait vu ni biche, ni pack, ni paquira, ni maïpouri. Il décida de prolonger son affût. Il venait à peine de s’installer confortablement lorsqu’un moustique le piqua, il le tua d’une grande claque, il y eut alors un grand bruit de chaînes qui tombent. Anansi étonnée se retourna cherchant d’où pouvait venir le bruit. N’entendant plus rien, Anansi chercha une posture confortable pour mieux surveiller l’eau. C’est alors, qu’un autre moustique le piqua, d’un revers de main il l’écrabouilla sur lui. Il y eut au même moment un coup de vent tel, qu’il faillit, sur sa branche, perdre  l’équilibre. Anansi se rétablit péniblement puis se mit à nouveau à l’affût. Cependant se souvenant de sa grand-mère il attacha la pelote de fil autour de ses reins. Il en déroula un très long morceau dont il attacha le bout  à une branche. Puis il conserva près de lui le reste de la pelote que sa grand-mère avait qualifiée de magique, bien sûr il n’y croyais pas vraiment mais c’était «en cas de…». Une heure passa, puis deux, puis trois, il n’y avait rien, rien qu’un silence étrange.  Une petite voix disait à Anansi:

– Rentre chez toi, ton compte de chasse est épuisé,  tu n’as rien à faire là. Mais Anansi décida d’ignorer superbement cette voix.

Il s’imaginait revenant avec au moins un morceau du gros gibier, car il savait que tout seul, il ne pourrait le rapporter en entier. Il pensait à l’art de dissimuler les restes de sa prise aux yeux et à l’odorat des prédateurs, il était au milieu de ses réflexions, quand tout à coup, il entendit enfin un craquement. Mais chose étrange, le sens du déplacement n’allait pas vers l’eau, mais vers l’arbre où il se tenait. Anansi pensa qu’un autre chasseur était venu le rejoindre, il interpella l’autre:

– Oh qui est là? C’est toi Kwaba?

Il n’y eut aucune réponse, mais il distingua comme un souffle, il interpella de nouveau, mais en vain.

– Eh kwaba mon frère que fais tu ici? Es-tu venu m’aider?

Point de réponse mais le souffle se rapprochait.

Cette fois Anansi eut peur, il songeait à toutes les histoires que dans son enfance on chuchotait. C’était des histoires effrayantes dont il avait fait semblant de rire, car juste avant son initiation de chasseur, il ne convenait pas qu’un vaillant jeune homme de quatorze ans aie peur de quoi que ce soit. Les histoires de mait’bwa6 pourtant avait le don de mettre toute sa fratrie en émoi, car cette entité ne faisait pas de quartier, il régnait sans partage sur la forêt et ceux qui l’avait vu en parlait à peine et ils avaient alors des yeux fous. Ces souvenirs eurent le don de décontenancer encore plus Anansi. Il se mit à trembler de plus en plus fort, surtout quand il distingua deux yeux rouges au pied de son arbre, pire encore l’arbre tout entier tremblait comme si quelque chose ou quelqu’un grimpait de branches en branches. Une sueur froide coulait dans le dos d’Anansi, son cœur battait comme un tambour contre ses côtes, ses yeux agrandis fixaient  le vide, lorsqu’il sentit quelque chose de froid le frôler, il hurla, mais lança tout de même la pelote de fil qu’il avait précédemment ramassé devant lui en direction de son agresseur, enfin il sauta dans le vide, s’écrasa au sol dans un roulé boulé bruyant coupa prestement le fil et courut droit devant lui sans se retourner. Il battit tous les records de vitesse, et nul ne sut jamais comment il parvint au seuil de sa case qu’il franchit précipitamment.

Ifa au bruit qu’il fit, se réveilla car cette semaine là elle partageait sa case avec lui.

– Et alors où est le gibier que tu m’as ramené?

Plus mort que vif Anansi trouva encore la force de répondre:

– Tout est dehors, je rentrerai cela demain matin femme. 

Apaisée par la réponse, Ifa se rendormit.

Il faisait jour depuis longtemps lorsqu’Anansi se leva en sursaut.  Ifa n’était plus dans la case. Il sortit en trombe, et découvrit avec stupeur sa pelote de fil artistiquement accroché aux arbres, sa case formant le centre d’une grande toile. Dans sa hotte à viande et dans un croucrou7, des maringouins8 morts, des sauterelles et des mouches s’empilaient et débordaient. Point de Maïpouri.

Anansi baissa la tête, il avait compris la leçon.

C’est depuis ce jour que les araignées ne mangent plus de viande mais seulement dès insectes qui tombent dans leur toile.

Quand à moi, je suis une petite libellule bleue et j’ai tout vu, tout entendu. De fatigue, je me suis assoupie dans les cheveux d’Anansi. À son réveil lorsqu’il a baissé la tête, j’ai failli tomber, j’en ai même oublié ma formule d’au revoir. Heureusement, j’ai réussi à m’enfuir bien loin du piège de fil, pour venir vous raconter cette histoire.

Moralité: La tradition apprend la solidarité mais aussi à ne pas gaspiller la ressource alimentaire pour que le durable soit au service de toutes les communautés.

  1. Aouara: palmier équatorial produisant des fruits entrant dans la composition du plat national des créoles de Guyane.
     
  2. Massa Goudou nom donné par les populations du fleuve à un Dieu Créateur.
     
  3. Pack: Gibier de chasse.
     
  4. Maïpouri: Gros gibier ayant une mini trompe.
     
  5. Soû: Il s’agit d’une sorte de totem  l’animal qui représente la famille lui confère sa force, ses caractéristiques mais ne peut être ni manger ni chasser par elle sous peine d’être malade voire même de perdre définitivement les avantages de cette totémisation.
     
  6. Mait’bwa: Il s’agit du maître des bois: personnage mythique qui selon les ethnies, règne sur les espèces de la forêt et règlemente les prélèvements effectués par les chasseurs.
     
  7. Croucrou: Panier rond parfois de grande dimension en arouman (sorte d’osier) dans lequel on peut transporter de nombreux objets.
     
  8. Maringouins: il s’agit de  gros moustiques.

 Viré monté