|  InterviewKapeskreyol: Le GEREC-F considère-t-il 
              qu’il n’y a dans les DOM qu’une seule langue créole et quatre 
              dialectes: le guyanais, le guadeloupéen, le martiniquais 
              et le réunionnais?R. CONFIANT: Nous considérons qu’il y a 3 langues-sœurs 
              à savoir le guyanais, le guadeloupéen et le martiniquais 
              et une langue qui leur est typologiquement très proche, le 
              réunionnais. En effet, l’intercompréhension est parfaite 
              entre le martiniquais et le guadeloupéen et très forte 
              entre ces deux langues et le guyanais. Par contre, il y a, à 
              l’oral, j’insiste bien là-dessus, à l’oral, quelques 
              problèmes d’intercompréhension entre ces 3 langues 
              créoles américaines et les créoles de l’Océan 
              Indien. A l’écrit, par contre, les difficultés sont 
              minimes et facilement surmontables. Hector Poullet a longtemps fait 
              étudier des extraits de «Zistwar Christian» 
              en classe de 4ème; au collège de Capesterre 
              Belle-Eau en Guadeloupe et moi, chaque année, en Licence 
              de créole, des textes de Daniel Honoré, Carpanin Marimoutou, 
              Jean-François Sam-Long ou Axel Gauvin, et jamais il n’y a 
              eu la moindre révolte de la part des élèves 
              de Poullet ni de mes étudiants, pour nous dire: mais qu’est-ce 
              que c’est que cette langue bizarre que vous nous faites étudier 
              là? JAMAIS!
 Bien sûr, la différence entre leur 
              créole et le réunionnais les amuse au début, 
              ils s’étonnent de ce qu’ils perçoivent comme un zézaiement 
              permanent et puis très vite, au bout de deux ou trois textes, 
              une fois qu’on leur a expliqué le système aspecto-temporel 
              et qu’on leur a fourni des photocopies d’extraits de dictionnaires 
              de créole réunionnais, ma foi, ils se débrouillent 
              pas mal.  Donc, pour résumer, il faut se rappeler 
              qu’il y a 2 types de parenté entre les langues: la parenté 
              génétique et la parenté typologique. Entre 
              les créoles américains, il ya une parenté «génétique» 
              comme entre les créoles océanindiens (réunionnais, 
              mauricien, seychellois) tandis qu’entre les deux zones, il y a une 
              parenté «typologique». Si tout le monde comprend 
              la parenté génétique, beaucoup de gens ne comprennent 
              pas bien la parenté typologique. Ca veut dire quoi? Eh bien 
              prenons un exemple dans un tout autre domaine, celui de la miscégénation 
              raciale: un chabin antillais ressemble fortement à un kaf 
              blan réunionnais pourtant, ils n’ont aucun chromosome commun. 
              Il y a une parenté typologique, ou plus exactement «phénotypique», 
              entre le chabin et le kaf blan. Ils vont se ressembler! Eh bien 
              je suis désolé, oui, le créole réunionnais 
              ressemble au créole antillais, n’en déplaise aux nombrilistes, 
              micro-régionalistes et autres obscurantistes de tous bords! 
              Ils ne sont pas des sosies mais ils se ressemblent fortement, même 
              s’ils n’ont pas de chromosome linguistique commun (encore qu’ils 
              ont tous deux un fort contingent de gènes français). 
              Sinon comment pouvez-vous expliquer qu’un élève de 
              collègue guadeloupéen ou un étudiant de licence 
              à l’Université des Antilles-Guyane qui n’ont jamais 
              entendu le créole réunionnais de leur vie, parviennent 
              à comprendre près de 60-70% des textes qu’on leur 
              donne à étudier et cela la première fois. J’insiste: 
              la première fois! Et au bout de deux mois, ça monte 
              à 90%, les 10% restant étant liés à 
              des désignations de fruits, de légumes, de poissons, 
              d’oiseaux ou d’objets (les «realia» locaux) inconnus 
              des Antillais. Evidemment un élève ou un étudiant 
              martiniquais butera sur bibas puisque les nèfles n’existent 
              pas aux Antilles! Mais il leur suffit d’un bon dico et tout est 
              réglé en deux minutes.  Deuxième réponse à votre question: 
              le CAPES est d’abord et avant tout un examen «écrit» 
              et ensuite «oral», pas l’inverse! Cela signifie que 
              si vous vous plantez à l’écrit, eh bien vous êtes 
              renvoyés à vos foyers. Or, je viens de dire qu’à 
              l’écrit, il n’y a aucun problème insurmontable. Nous 
              avons une Licence et une Maîtrise de Créole à 
              l’Université des Antilles et de la Guyane depuis 6 ans et 
              cela fait six que dans mes cours de littérature, je fais 
              mes étudiants plancher sur des textes réunionnais 
              et que dans son cours de syntaxe, Jean Bernabé les initie 
              à la grammaire des créoles océanindiens. Donc, 
              nous n’avons aucune crainte à ce niveau: si dans l’épreuve 
              de «Version», nos étudiants doivent traduire 
              un extrait de Gauvin, par exemple, ils ne seront pas plus défavorisés 
              que leurs concurrents réunionnais. D’abord, ils ont étudié 
              en cours «Kartié twa-let» et d’autres 
              textes de cet auteur, ensuite, ils ont eu des cours de grammaire 
              réunionnaise, donc ils n’ont qu’à se démerder! 
              Dans l’épreuve de «Thème», aucun problème 
              non plus: le candidat traduit le texte français dans son 
              propre créole. En «Dissertation créole», 
              aucun problème: le candidat rédige son devoir dans 
              son propre créole. Où est le problème? Et à 
              l’oral, s’il réussit à l’écrit, il parlera 
              dans son propre créole! Où est le problème? 
             Je trouve lamentable qu’à l’heure de la 
              mondialisation, certains veulent se recroqueviller sur leur petit 
              rocher insulaire. Et d’ailleurs, je vais vous avouer un truc que 
              je n’ai jamais déclaré nulle part: si le créole 
              n’existait qu’à la Martinique et uniquement en Martinique, 
              eh bien je doute que je me serais investi autant pour le défendre. 
              Je crois même que j’aurais fait une tranquille petite carrière 
              d’écrivain francophone. Car ce qui fait, à mes yeux, 
              la valeur des créoles, c’est  leur transversalité, 
              le lien qu’ils constituent entre 8 millions de gens et entre deux 
              continents différents. C’est aussi leur capacité d’extension: 
              savez qu’il existe, grâce à l’émigration haïtienne, 
              près d’1 million de créolophones aux USA, 500.000 
              à Cuba autant à Saint-Domingue, pays hispanophones 
              tous les deux. Qu’il existe 700.000 créolophones en France 
              et en Angleterre grâce à l’émigration antillo-guyanais, 
              réunionaise, mauricienne et seychelloise.  Que certains arrêtent de se concevoir comme 
              des Peaux-Rouges parqués dans leur petite réserve 
              insulaire et crispés sur leur petite identité menacée! 
             Kapeskreyol: Faut-il aller vers un «créole 
              unifié» c’est-à-dire une norme commune pour 
              ce que vous appelez les quatre dialectes?R. CONFIANT: Écoutez, je suis frappé par 
              quelque chose, c’est l’extrême sensibilité de certains 
              Réunionnais à l’égard du terme «dialecte». 
              Il leur hérisse le poil et ils y voient une dénomination 
              colonialiste, je suppose. C’est vrai que ce terme a eu une telle 
              connotation au niveau du grand public mais au niveau des linguistes 
              et des sociolinguistes, elle n’en a aucune. Le wallon, autrement 
              dit le français parlé par les Belges, est un dialecte 
              du français, de même que le québécois. 
              Le sarde ou le sicilien sont des dialectes de l’italien. Le marocain 
              et l’algérien sont des dialectes de l’arabe. Où est 
              le problème? Permettez-moi d’ailleurs de faire une parenthèse 
              pour revenir à la question de l’intercompréhension 
              qui préoccupe tant certains Réunionnais. Je les lâcherais 
              dans une rue de Montréal, dans le bus ou le métro, 
              et ils réviseraient net leur position. Pourquoi? Eh bien, 
              j’en ai fait la douloureuse expérience moi-même: je 
              ne comprenais rien! Et au bout d’une semaine, j’avais toujours d’énormes 
              difficultés à comprendre les gens du peuple. Je comprenais 
              la radio et la télé mais dans les magasins, j’étais 
              parfois obligé de dialoguer…en anglais. Quand vous faites 
              un vendeur québécois répéter trois fois 
              de suite sa phrase, il risque d’imaginer que vous le prenez pour 
              un imbécile, donc vous passez à la langue haïe, 
              l’anglais. Donc si l’on suit le raisonnement de certains Réunionnais, 
              le français du Québec serait une langue totalement 
              différente du français puisqu’un Gaulois lâché 
              à Montréal ne comprend strictement rien à ce 
              qu’on lui raconte! Je vais plus loin: Un Martiniquais comprend mieux 
              un Réunionnais quand ils parlent chacun leur créole 
              qu’un Français de France ne comprend un Québécois 
              lorsqu’ils se parlent en français! Or, il n’y a qu’une parenté 
              «typologique» entre le martiniquais et le réunionnais 
              alors qu’il existe une parenté «génétique» 
              entre le québécois et le français hexagonal. 
              Vous voyez, tout ça est beaucoup plus compliqué que 
              ne l’imaginent certains esprits simplificateurs et nombrilistes.
 Alors faut-il aller vers un créole unifié, 
              une norme écrite commune à nos quatre créoles? 
              Le GEREC-F dit: OUI. Oui, à l’écrit et à l’écrit 
              seulement. A l’oral, les gens continueront à parler leur 
              dialecte tandis qu’à l’écrit, ils utiliseront le créole 
              normé et unifié. Vous croyez peut-être qu’à 
              Marseille, les gens parlent comme à Paris ou à Strasbourg? 
              Non! Chacun parle avec son propre accent, utilise ses propres mots 
              et expressions etc…mais à l’écrit Marseillais, Strasbourgeois 
              et Parisiens se retrouvent dans le français normé 
              et unifié. Tenez, il y a des Chinois à la Réunion, 
              vous croyez peut-être que la langue chinoise, ça existe? 
              Absolument pas! Il y a trente dialectes chinois, souvent non intercompréhensibles 
              entre eux. Autrement dit un chauffeur de bus de Pékin ne 
              comprend strictement rien à ce que raconte un chauffeur de 
              bus de Canton. Rien! Mais tout le monde lit le Jen Min Ri Bao (Le 
              Quotidien du Peuple) parce que ce journal est écrit en mandarin 
              c’est à dire en chinois normé, en chinois standard. 
             Lors de la réunion du 3 avril dernier où 
              nous avons, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéens 
              et Guyanais établi le programme des épreuves du CAPES 
              de créole qui, je le rappelle, débutera en mars 2002, 
              M. Salles-Lousteau, professeur d’occitan à l’Université 
              et inspecteur général des langues régionales 
              au Ministère de l’Éducation Nationale, nous a fait 
              part de son expérience au moment de la création du 
              CAPES d’occitan il y a quinze ans. D’abord, il nous a confirmé 
              qu’à l’oral, il n’y a pas d’intercompréhension entre 
              un Gascon (région de Bordeaux), un Provençal (région 
              d’Aix-Marseille) et un Nissart (région de Nice). Il nous 
              a révélé que certains refusaient même 
              le terme trop unificateur à leurs yeux d’ «occitan» 
              et qu’il a fallu se battre pour l’imposer mais qu’il a fallu tout 
              de même aussi céder un bout de terrain aux micro-régionalistes 
              puisque la dénomination officielle de ce CAPES est «CAPES 
              d’occitan-Langue d’Oc», ce qui est une tautologie! Un peu 
              comme si on créait un CAPES de Bourbonnais-Réunionnais, 
              quoi! Il nous a enfin appris qu’au fil des ans, grâce aux 
              rencontres régulières entre membres du jury que, petit 
              à petit, un occitan écrit commun a commencé 
              à se former, que les gens ont fini par comprendre qu’il fallait 
              plutôt valoriser les ressemblances plutôt que les différences 
              entre les différents dialectes occitans et qu’aujourd’hui, 
              on peut dire qu’il existe un occitan écrit commun de Bordeaux 
              à Nice. 
             Donc, notre position à nous GEREC-F, c’est 
              qu’il faut suivre exactement la même voie que nos amis occitans. 
              Alors combien de temps ça prendra pour qu’un créole 
              écrit commun apparaisse? Eh bien, ça prendra le temps 
              que ça prendra, point à la ligne. 10 ans, 20 ans, 
              50 ans, peut importe! L’essentiel c’est qu’on se fixe une ligne 
              de mire, qu’on s’y tienne et qu’on arrête de se chamailler 
              comme des gamins turbulents et boudeurs sous l’œil amusé 
              du Papa Zorey. Et puis surtout qu’on se mette à bosser! Qu’on 
              fabrique des Guides de préparation au CAPES de créole! 
              Qu’on fasse des manuels du secondaire comme l’excellent livre de 
              Roger Théodora! 
             Kapeskreyol: Cette norme commune peut-elle alors 
              être autre que celle du GEREC-F (graphie, orthographe, choix 
              des variantes et néologie dans leur déviance maximale)?R. CONFIANT: Le GEREC-F n’a aucune ambition hégémonique. 
              Nous bossons depuis 25 ans, c’est tout. Nous avons publié 
              68 ouvrages divers chez l’Harmattan, aux Éditions Caribéennes 
              et maintenant chez Ibis Rouge. Bon, je sais, qu’ici même aux 
              Antilles-Guyane, on trouve que les Martiniquais sont trop activistes, 
              qu’ils veulent toujours bousculer les choses ou les prendre en main 
              avant les autres. Je ne nierai pas que c’est un peu vrai mais est-ce 
              de notre faute si Aimé Césaire, Frantz Fanon, Édouard 
              Glissant, Joseph Zobel ou Patrick Chamoiseau sont des Martiniquais? 
              Qu’est-ce qui a empêché un Guadeloupéen, un 
              Guyanais ou un Réunionnais d’inventer la théorie de 
              la Négritude? Qu’est-ce qui les a empêchés d’écrire 
              Les Damnés de la terre ou de décrocher le Prix 
              Goncourt? Certainement pas nous, les Martiniquais. On bosse, on 
              produit, on fonce et advienne que pourra!
 C’est notre tempérament, notre mentalité. Je n’y peux 
              rien.
 Bon, prenons votre question point par point. La 
              graphie d’abord: il a été décidé au 
              Ministère, lors de la réunion du 3 avril, qu’il y 
              aurait deux graphies admises au CAPES de créole, celle du 
              GEREC-F pour les Antilles-Guyane et la graphie réunionnaise 
              moderne que l’on trouve, je crois, dans cette magnifique collection 
              d’ouvrages en créole appelée Farfar liv kréol 
              aux éditions du Grand Océan. Donc, soyons clair, aucun 
              candidat réunionnais ne sera obligé d’utiliser la 
              graphie du GEREC-F. Sauf, et là c’est important, sauf s’il 
              coche la case «Graphie GEREC-F». Car on est dans un 
              monde de plus en plus globalisé, des Réunionnais vivent 
              aux Antilles-Guyane et inversement, ils y fondent des familles. 
              Si un fils de Réunionnais né ou bien élevé 
              très tôt aux Antilles décide de choisir de composer 
              notre graphie, c’est son droit le plus absolu. On se fiche de savoir 
              s’il est né à la Plaine des Cafres ou à Salazie. 
              A l’inverse, un Martiniquais qui a vécu trente ans à 
              la Réunion et qui veut composer dans la graphie réunionnaise, 
              peut très bien le faire. C’est son droit le plus strict. 
              Dois-je rappeler à certains que les copies du CAPES sont 
              anonymées et qu’on ne connaît ni le nom ni le lieu 
              de naissance des candidats. Seule la case qu’ils vont cocher compte. 
              D’ailleurs, permettez-moi ici d’ouvrir une parenthèse, pour 
              rappeler également à certains que le CAPES est un 
              concours national français et non un concours régional 
              réunionnais ou martiniquais. Cela, il y en a qui ont l’air 
              de l’oublier! Qu’est-ce que ça entraîne comme conséquence? 
              Eh bien que n’importe quel type de nationalité française 
              ou européenne a parfaitement le droit de se présenter 
              au CAPES de créole. Qu’il soit Zoreille, Beur, Malien, descendant 
              de Polonais ou de Juif, il en a le droit! Et si par hasard, il est 
              reçu, il a tout à fait le droit d’enseigner dans cette 
              discipline. Tenez, j’ai eu un jeune Zorey une année dans 
              mes cours de Licence, il avait appris le créole à 
              l’âge de 18-20 ans avec des copains antillais alors qu’il 
              était étudiant à Brest. Figurez-vous qu’il 
              était le meilleur étudiant en dissertation créole! 
              Il se tapait des 15 régulièrement là où 
              ses camarades antillais indigènes, autochtones, «natif-natal» 
              et tout, se tapaient parfois des 6 ou des 7! Donc, messieurs les 
              nombrilistes, vous savez maintenant ce qui vous pend au nez? Un 
              jour, un Ouzbeck de nationalité française qui aura 
              appris le créole à l’université d’Aix-en-Provence 
              par exemple réussira au CAPES de créole et viendra 
              enseigner les LCR dans un collège de Saint-Pierre de la Réunion 
              ou Saint-Pierre de la Martinique. Eh oui! Autrement, si vous voulez 
              conservez pour vous tout seuls votre petit créole à 
              vous, dans votre petite île à vous, dans votre petite 
              commune à vous, réclamez l’indépendance. Il 
              n’y a pas trente-six solutions. Vous croyez qu’aux Seychelles, ils 
              ont la trouille qu’un Martiniquais vienne leur enseigner le créole. 
              Non! Ils sont indépendants. On ne peut pas avoir le beurre, 
              l’argent du beurre et la fermière avec. On est dans un système 
              politique français, le CAPES est un concours national français 
              et notre école est insérée dans le système 
              scolaire français. Donc on n’a qu’à respecter les 
              lois de la République française ou…demander à 
              en sortir! Et à ce niveau-là, nous Martiniquais, on 
              n’a de leçons à recevoir de personne: nos indépendantistes, 
              toutes tendances confondues, font régulièrement 30% 
              de voix aux élections et le président de notre Conseil 
              Régional, M. Alfred Marie-Jeanne, est le président 
              du MIM autrement dit le Mouvement Indépendantiste Martiniquais. 
              En outre, nous avons 2 maires indépendantistes, 14 conseillers 
              régionaux indépendantistes et 4 conseillers généraux 
              indépendantistes. Je ne crois pas savoir qu’il existe de 
              mouvement indépendantiste à la Réunion par 
              exemple. Concluons sur la graphie: le candidat cochera la case correspondant 
              à celle des deux graphies qu’il considère maîtriser 
              le mieux, cela indépendamment de son lieu de naissance, de 
              sa race ou de sa religion. 
             Venons-en à votre deuxième: le choix 
              des variantes et les questions de néologie.  Là 
              aussi, les choses sont claires aucune variante ne sera privilégiée. 
              Et pourquoi? Pour la simple et bonne raison qu'il n'existe pas encore 
              d'Académie Créole, autrement dit d'instance chargée 
              d'officialiser une variante créole. Lorsqu’en 1635, les académiciens 
              français ont choisi le parler de l’ïle-de-France et 
              qu’au sein de ce parler, ils ont choisi la variante pratiquée 
              à la Cour (et non celle des Halles), lorsqu’un peu plus tard 
              Malherbe s’est employé à «dégasconner 
              la la langue française» etc., eh bien ils ont imposé 
              une variante qui est devenue le français moderne. Si la Cour 
              était installée en Vendée, ce serait le dialecte 
              vendéen qui serait devenu le français standard d’aujourd’hui. 
              Nous, Créoles, nous n’avons pas d’Académie et même 
              si un jour, nous en avions une, nous serions contre l’imposition 
              d’une seule variante. Exactement comme pour l’orthographe où 
              nous avons été favorables à l’utilisation de 
              2 graphies différentes, eh bien nous sommes favorables à 
              l’expression de toutes les variantes étant entendu qu’au 
              fur et à mesure, et cela à l’écrit seulement, 
              elles vont se fondre les unes dans les autres et former un créole 
              écrit commun. Ce créole écrit commun ne sera 
              pas un bloc monolithique comme l’est le français standard. 
              Il ne faut reproduire sous les Tropiques l’idéologie jacobine. 
              On peut très bien considérer, par exemple, que dans 
              le créole écrit commun, il existera 3 ou 4 formes 
              pour «cheval»: chival, chèval, chouval et chwal. 
              Pourquoi à tout prix vouloir choisir l’un des 4 et éliminer 
              les autres?  Aucun géolecte ni sociolecte ne sera favorisé. 
              Nous ne ferons pas la chasse au créole acrolectal, par exemple, 
              même si notre ligne de mire est le créole basilectal. 
              A ce propos, le GEREC-F n’a jamais considéré que le 
              créole écrit devrait être la copie d’un géolecte 
              rural, disons le créole des mornes aux Antilles (ou celui 
              des cirques à la Réunion). Nous n’avons jamais pensé 
              qu’il existe un créole pur, protégé des miasmes 
              du français, dans notre arrière-pays. Ni que les Nègres 
              parlent mieux le créole que les Blancs créoles. Non, 
              notre créole basilectal est un créole construit, artificiel, 
              composé de l’addition de tous les traits basilectaux repérables 
              dans la langue, traits qui ne se trouvent jamais chez un seul et 
              même locuteur, diglossie oblige. Nous assumons l’artificialité 
              de ce créole construit car toute langue écrite est 
              artificielle. Nous assumons aussi le fait que ce soient les écrivains, 
              les linguistes et les pédagogues qui le construisent et pas 
              les coupeurs de canne ou les éboueurs. Le français 
              écrit a été construit par Malherbe, Vaugelas, 
              Grévisse, Corneille, Voltaire, Chataubriand ou Camus, pas 
              par le paysan de la Beauce ou l’ouvrier de chez Renault. Je dis 
              bien le français écrit. C’est d’ailleurs pourquoi 
              nous impulsons depuis vingt ans des néologismes lesquels 
              sont souvent repris par les radios et les télévisions 
              des Antilles-Guyane. C’est le boulot des écrivains, des linguistes, 
              des pédagogues et des intellectuels en général 
              que de créer des mots pérennes. Le peuple, lui, crée 
              des mots mais, à cause de leur oralité, ils sont rarement 
              pérennes. Il n’y a qu’à voir comment l’argot change 
              de génération en génération. Lorsque 
              l’épidémie de vache folle a éclaté, 
              vous croyez que ce sont les éleveurs de bétail qui 
              ont inventé le mot traçabilité pour parler 
              du trajet suivi par les farines avec lesquelles on nourrit ce même 
              bétail? Non, ce mot a été inventé par 
              des journalistes, des ingénieurs agronomes ou des hommes 
              politiques, certainement pas par des garçons de ferme. 
             Alors faut-il inventer des néologismes en 
              créole? Le GEREC-F dit: OUI. C’est indispensable car le créole 
              a investi de nouveaux domaines de communication, il est sorti de 
              sa niche écologique qu’était la «Plantation» 
              et il est sommé de s’adapter à la modernité 
              ou de dégénérer à terme en «petit-nègre. 
              L’alternative est claire. C’est à nous de choisir! 
             Kapeskreyol: Un professeur, formé en 
              martiniquais, pourra-t-il, comme vous l’avez obtenu le 3 avril dernier, 
              et sans conséquence grave, venir enseigner à la Réunion? 
              Même question pour un professeur formé en réunionnais 
              pour un collège de Fort-de-France? R. CONFIANT: Soyons sérieux! Même aux Antilles-Guyane 
              où les LCR sont beaucoup plus développées qu’à 
              la Réunion, puisque nous avons une Licence et une Maîtrise 
              de Créole à l’Université, que le créole 
              est LV3 (Langue vivante 3) au Lycée en concurrence avec l’allemand, 
              l’italien et le portugais, où il y a des tas de collèges 
              où des profs vacataires ou contractuels l’enseigne, il est 
              peu probable que l’offre couvre un jour la demande. Car combien 
              de postes par an croyez-vous que le Ministère va nous octroyer? 
              Une dizaine, pas plus! Et encore, c’est une hypothèse optimiste. 
              Donc vous croyez sérieusement qu’un type formé en 
              créole martiniquais ou guadeloupéen demandera à 
              enseigner le créole à la Réunion alors qu’il 
              peut facilement trouver du boulot chez lui. Je rappelle à 
              certains, qui font semblant de l’oublier, que lorsqu’un Réunionnais 
              ou un Martiniquais réussit au CAPES de Lettres Modernes, 
              d’Anglais ou de Maths, il a de fortes chances d’être nommé 
              à Lille ou à Pau, quand ce n’est pas à Trifouillis-les-Oies. 
              Pourquoi? Parce qu’il y a des postes en français, anglais 
              et maths sur tout le territoire français! Ce qui n’est absolument 
              pas le cas pour les langues régionales pour lesquelles il 
              n’y a de postes que dans les régions concernées. On 
              n’a jamais vu un Capésien d’Occitan ou de basque se faire 
              nommer à Lille ou à Brest. Donc, là, c’est 
              déjà un premier avantage. Deuxième avantage: 
              on vous nomme selon les vœux d’affectation que vous formulez d’une 
              part et d’après les besoins de l’autre. J’imagine donc qu’un 
              Capésien Martiniquais demandera d’abord la Martinique, en 
              deuxième position la Guadeloupe et en troisième la 
              Guyane. Comme il y a une forte demande chez nous, je doute que le 
              Ministère l’envoie enseigner à la Plaine des Cafres. 
              Chez vous, à la Réunion, il y a aussi une forte demande 
              d’enseignement des LCR et je doute qu’on envoie un Réunionnais 
              enseigner le créole à Fort-de-France. Sauf s’il en 
              fait lui-même la demande mais alors, dans ce cas-là, 
              il n’a qu’à prendre ses responsabilités! Soit il se 
              sent assez fort en créole antillais parce que dans son cursus 
              universitaire il l’aura étudié soit qu’il veuille 
              se frotter à d’autres créoles. L’inspecteur Salles-Lousteau 
              nous disait d’ailleurs de lutter contre une dérive qui avait 
              été constatée lors des premières années 
              du CAPES d’Occitan: les lauréats ne voulaient pas être 
              nommés à plus de…15 km de chez eux.  Les Nissarts 
              ne voulaient pas traverser le Var (le fleuve) pour aller enseigner 
              en Provence ou en Gascogne. Au fil du temps, avec l’unification 
              progressive de l’occitan écrit, cette dérive a été 
              bloquée. Car je le répète, il faut lutter contre 
              le nombrilisme, toute cette histoire ridicule de «mon-petit-créole-à-moi» 
              et bla-bla-bla. Il n’y a pas que les Réunionnais qui peuvent 
              enseigner le créole réunionnais, sinon seul les Anglais 
              auraient le droit d’enseigner l’anglais et les candidats réunionnais 
              au CAPES d’anglais seraient des farfelus ou des prétentieux. 
              Il n’y a pas que les Martiniquais qui peuvent enseigner le créole 
              martiniquais, sinon seuls les Espagnols auraient le droit d’enseigner 
              l’espagnol et les candidats martiniquais au CAPES d’espagnol seraient 
              des charlots. Arrêtons ce nombrilisme ridicule, si vous le 
              voulez-bien!
 Donc je vous rassure: il est peu probable qu’un 
              Martiniquais vienne enseigner les LCR à la Réunion 
              et inversement. Sauf volonté expresse des intéressés 
              parce qu’ils s’estimeront assez compétents pour le faire. 
              Interrogés à ce sujet, aucun des 350 étudiants 
              que nous avons formés en six ans tant en Licence et Maîtrise 
              qu’en DEA ou Doctorat de LCR, à l’Université des Antilles-Guyane, 
              n’a le désir d’enseigner à la Réunion. C’est 
              trop loin, disent-ils…Mais, à mon sens, comme pour l’occitan, 
              il faudra bien qu’un jour (dans 10 ans? dans 20 ans?), cette attitude 
              localiste évolue. On n’est plus dans un monde villageois 
              mais bien dans un monde globalisé. 
             Kapeskreyol: Y a-t-il eu réellement unanimité 
              entre les créolistes des DOM lors de la Réunion du 
              3 avril dernier? Dans la négative, sur quelles questions 
              portaient les divergences? R. CONFIANT: Je crois qu’on a mal informé les Réunionnais 
              sur cette fameuse rencontre du 3 avril. En effet, au cours de cette 
              rencontre, il ne s'agissait absolument pas de réfléchir 
              à la question de savoir s'il fallait créer «un» 
              CAPES de créole ou «des» CAPES de créole. 
              Pourquoi? parce que les jeux étaient déjà faits. 
              Le Ministère avait déjà tranché, il 
              avait déjà pris sa décision à travers 
              un décret publié en mars, c’est-à-dire, 1 mois 
              avant!!! Pour lui, il y aurait «un» CAPES de créole, 
              point barre. Alors, bon, on nous a laissé nous exprimer, 
              débattre, critiquer, proposer ou refuser ceci et cela et 
              vers 11 h du matin, le Ministère a sifflé la fin de 
              la récréation et on est passé aux choses sérieuses 
              c’est-à-dire à l’établissement des différents 
              programmes du concours de 2002.
 Ce programme on l’a défini ensemble, tous, Martiniquais, 
              Réunionnais, Guyanais et Guadeloupéens. Littérature: 
              La Fable créole. Civilisation: Habitat et habitation en pays 
              créole. Grammaire: Le groupe verbal et le groupe nominal.
 Je voudrais ici dénoncer les mensonges proférés 
              par certains selon lesquels nous, Martiniquais, nous étions 
              favorables à un CAPES unique. C’est faux! Archi-faux! Nous 
              étions favorables à un CAPES unique composé 
              de 2 sections: section A) créole des Antilles-Guyane et section 
              B) créole de la Réunion. Je l’ai moi-même solennellement 
              répété au cours de la réunion du 3 avril. 
              Autrement dit, la section A aurait ses propres épreuves et 
              la section B les siennes. D’ailleurs, la preuve de ce que j’avance 
              vous est donnée par les ébauches des «Guides 
              de préparation au CAPES de créole» que nous 
              avons fait circuler par Internet et par e-mail dès février. 
              En ouverture de ces guides, nous exposions clairement notre vision 
              des choses et notre désir d’avoir 2 sections différentes. 
              Tous les universitaires et autres créolistes réunionnais 
              ont reçu ces guides par e-mail, cela longtemps avant le 3 
              avril, donc qu’ils arrêtent de raconter des histoires! Nous 
              n’avons jamais manifesté aucune volonté d’hégémonie 
              sur le créole réunionnais, simplement une volonté 
              de rapprochement, un désir de fraternité créole. 
              D’où l’idée d’un CAPES unique mais avec deux sections 
              bien distinctes. Mieux: nous avons fait parvenir nos propositions 
              en ce sens à nos trois recteurs (Martinique-Guadeloupe-Guyane) 
              ainsi qu’au Ministère de l’Education Nationale. Ce dernier 
              n’a pas tenu compte de notre idée des deux sections et a 
              choisi le CAPES unique. Est-ce de notre faute? 
             Ceci dit, le CAPES unique ne nous dérange 
              absolument pas. ABSOLUMENT PAS! Notre proposition de 2 sections 
              différentes n’avait été prise par nous qu’afin 
              d’éviter des conflits inutiles avec les Réunionnais. 
              Et nous nous étions mêmes dit que si les Guadeloupéens 
              et les Guyanais ne voulaient pas d’une section A unique, eh bien 
              nous nous rallierions à l’idée d’un CAPES unique à 
              4 sections: section A) Guyane, section B) Guadeloupe section C) 
              Martinique et section D) Réunion. Nous étions mêmes 
              prêts à aller plus loin: obtenir un CAPES entièrement 
              différent par pays s’il le fallait. Et encore plus loin, 
              si les Guadeloupéens, Guyanais et Réunionnais déclaraient 
              qu’ils n’étaient pas encore prêts, eh bien qu’à 
              nous Martiniquais, qui sommes prêts depuis longtemps, qu’on 
              nous donne un CAPES de créole martiniquais dès 2002 
              et que les autres aient leurs CAPES en 2040 si ça les chante! 
             Vous le voyez donc, notre position n’était 
              absolument pas figée: nous avions trois lignes de défense. 
              Je le répète: 
              
              
                 Un CAPES unique avec 2 sections.  Un CAPES unique avec 4 sections.  Un CAPES de créole martiniquais.  Mais, comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas eu à utiliser 
              ces trois lignes de défense puisque le Ministère avait 
              déjà choisi et publié son décret dès 
              mars.  A mon sens et là cela n’engage absolument pas 
              le GEREC-F, c’est Raphaël Confiant qui le dit et l’assume: 
              dans cette circonstance, le colonisateur s’est montré plus 
              intelligent que ses colonisés. 
             Quant à votre question sur les positions 
              prises par les différentes délégations sur 
              la nature du CAPES de créole, lors de la réunion du 
              3 avril, je n’ai pas à m’exprimer là-dessus. Je n’ai 
              donné tout au long de cette interview que la position du 
              GEREC-F Matinik car les GEREC-F Gwadloup et Guiyàn sont autonomes. 
              Vous n’avez qu’à interroger, comme vous l’avez fait pour 
              moi, les créolistes de la Réunion, de la Guadeloupe 
              et de la Guyane. En tout cas, il faut qu’une chose soit très 
              claire pour tout le monde: nous mènerons une guerre sans 
              merci contre tous ceux qui chercheront à saboter le CAPES 
              de créole, à empêcher par exemple qu’il ne débute 
              en mars 2002, et s’il, par malheur, nous sommes obligés d’en 
              arriver là, eh bien nous exigerons, par le biais de nos hommes 
              politiques, un CAPES de créole martiniquais.  |