Interview
Kapeskreyol: Le GEREC-F considère-t-il
qu’il n’y a dans les DOM qu’une seule langue créole et quatre
dialectes: le guyanais, le guadeloupéen, le martiniquais
et le réunionnais?
R. CONFIANT: Nous considérons qu’il y a 3 langues-sœurs
à savoir le guyanais, le guadeloupéen et le martiniquais
et une langue qui leur est typologiquement très proche, le
réunionnais. En effet, l’intercompréhension est parfaite
entre le martiniquais et le guadeloupéen et très forte
entre ces deux langues et le guyanais. Par contre, il y a, à
l’oral, j’insiste bien là-dessus, à l’oral, quelques
problèmes d’intercompréhension entre ces 3 langues
créoles américaines et les créoles de l’Océan
Indien. A l’écrit, par contre, les difficultés sont
minimes et facilement surmontables. Hector Poullet a longtemps fait
étudier des extraits de «Zistwar Christian»
en classe de 4ème; au collège de Capesterre
Belle-Eau en Guadeloupe et moi, chaque année, en Licence
de créole, des textes de Daniel Honoré, Carpanin Marimoutou,
Jean-François Sam-Long ou Axel Gauvin, et jamais il n’y a
eu la moindre révolte de la part des élèves
de Poullet ni de mes étudiants, pour nous dire: mais qu’est-ce
que c’est que cette langue bizarre que vous nous faites étudier
là? JAMAIS!
Bien sûr, la différence entre leur
créole et le réunionnais les amuse au début,
ils s’étonnent de ce qu’ils perçoivent comme un zézaiement
permanent et puis très vite, au bout de deux ou trois textes,
une fois qu’on leur a expliqué le système aspecto-temporel
et qu’on leur a fourni des photocopies d’extraits de dictionnaires
de créole réunionnais, ma foi, ils se débrouillent
pas mal.
Donc, pour résumer, il faut se rappeler
qu’il y a 2 types de parenté entre les langues: la parenté
génétique et la parenté typologique. Entre
les créoles américains, il ya une parenté «génétique»
comme entre les créoles océanindiens (réunionnais,
mauricien, seychellois) tandis qu’entre les deux zones, il y a une
parenté «typologique». Si tout le monde comprend
la parenté génétique, beaucoup de gens ne comprennent
pas bien la parenté typologique. Ca veut dire quoi? Eh bien
prenons un exemple dans un tout autre domaine, celui de la miscégénation
raciale: un chabin antillais ressemble fortement à un kaf
blan réunionnais pourtant, ils n’ont aucun chromosome commun.
Il y a une parenté typologique, ou plus exactement «phénotypique»,
entre le chabin et le kaf blan. Ils vont se ressembler! Eh bien
je suis désolé, oui, le créole réunionnais
ressemble au créole antillais, n’en déplaise aux nombrilistes,
micro-régionalistes et autres obscurantistes de tous bords!
Ils ne sont pas des sosies mais ils se ressemblent fortement, même
s’ils n’ont pas de chromosome linguistique commun (encore qu’ils
ont tous deux un fort contingent de gènes français).
Sinon comment pouvez-vous expliquer qu’un élève de
collègue guadeloupéen ou un étudiant de licence
à l’Université des Antilles-Guyane qui n’ont jamais
entendu le créole réunionnais de leur vie, parviennent
à comprendre près de 60-70% des textes qu’on leur
donne à étudier et cela la première fois. J’insiste:
la première fois! Et au bout de deux mois, ça monte
à 90%, les 10% restant étant liés à
des désignations de fruits, de légumes, de poissons,
d’oiseaux ou d’objets (les «realia» locaux) inconnus
des Antillais. Evidemment un élève ou un étudiant
martiniquais butera sur bibas puisque les nèfles n’existent
pas aux Antilles! Mais il leur suffit d’un bon dico et tout est
réglé en deux minutes.
Deuxième réponse à votre question:
le CAPES est d’abord et avant tout un examen «écrit»
et ensuite «oral», pas l’inverse! Cela signifie que
si vous vous plantez à l’écrit, eh bien vous êtes
renvoyés à vos foyers. Or, je viens de dire qu’à
l’écrit, il n’y a aucun problème insurmontable. Nous
avons une Licence et une Maîtrise de Créole à
l’Université des Antilles et de la Guyane depuis 6 ans et
cela fait six que dans mes cours de littérature, je fais
mes étudiants plancher sur des textes réunionnais
et que dans son cours de syntaxe, Jean Bernabé les initie
à la grammaire des créoles océanindiens. Donc,
nous n’avons aucune crainte à ce niveau: si dans l’épreuve
de «Version», nos étudiants doivent traduire
un extrait de Gauvin, par exemple, ils ne seront pas plus défavorisés
que leurs concurrents réunionnais. D’abord, ils ont étudié
en cours «Kartié twa-let» et d’autres
textes de cet auteur, ensuite, ils ont eu des cours de grammaire
réunionnaise, donc ils n’ont qu’à se démerder!
Dans l’épreuve de «Thème», aucun problème
non plus: le candidat traduit le texte français dans son
propre créole. En «Dissertation créole»,
aucun problème: le candidat rédige son devoir dans
son propre créole. Où est le problème? Et à
l’oral, s’il réussit à l’écrit, il parlera
dans son propre créole! Où est le problème?
Je trouve lamentable qu’à l’heure de la
mondialisation, certains veulent se recroqueviller sur leur petit
rocher insulaire. Et d’ailleurs, je vais vous avouer un truc que
je n’ai jamais déclaré nulle part: si le créole
n’existait qu’à la Martinique et uniquement en Martinique,
eh bien je doute que je me serais investi autant pour le défendre.
Je crois même que j’aurais fait une tranquille petite carrière
d’écrivain francophone. Car ce qui fait, à mes yeux,
la valeur des créoles, c’est leur transversalité,
le lien qu’ils constituent entre 8 millions de gens et entre deux
continents différents. C’est aussi leur capacité d’extension:
savez qu’il existe, grâce à l’émigration haïtienne,
près d’1 million de créolophones aux USA, 500.000
à Cuba autant à Saint-Domingue, pays hispanophones
tous les deux. Qu’il existe 700.000 créolophones en France
et en Angleterre grâce à l’émigration antillo-guyanais,
réunionaise, mauricienne et seychelloise.
Que certains arrêtent de se concevoir comme
des Peaux-Rouges parqués dans leur petite réserve
insulaire et crispés sur leur petite identité menacée!
Kapeskreyol: Faut-il aller vers un «créole
unifié» c’est-à-dire une norme commune pour
ce que vous appelez les quatre dialectes?
R. CONFIANT: Écoutez, je suis frappé par
quelque chose, c’est l’extrême sensibilité de certains
Réunionnais à l’égard du terme «dialecte».
Il leur hérisse le poil et ils y voient une dénomination
colonialiste, je suppose. C’est vrai que ce terme a eu une telle
connotation au niveau du grand public mais au niveau des linguistes
et des sociolinguistes, elle n’en a aucune. Le wallon, autrement
dit le français parlé par les Belges, est un dialecte
du français, de même que le québécois.
Le sarde ou le sicilien sont des dialectes de l’italien. Le marocain
et l’algérien sont des dialectes de l’arabe. Où est
le problème? Permettez-moi d’ailleurs de faire une parenthèse
pour revenir à la question de l’intercompréhension
qui préoccupe tant certains Réunionnais. Je les lâcherais
dans une rue de Montréal, dans le bus ou le métro,
et ils réviseraient net leur position. Pourquoi? Eh bien,
j’en ai fait la douloureuse expérience moi-même: je
ne comprenais rien! Et au bout d’une semaine, j’avais toujours d’énormes
difficultés à comprendre les gens du peuple. Je comprenais
la radio et la télé mais dans les magasins, j’étais
parfois obligé de dialoguer…en anglais. Quand vous faites
un vendeur québécois répéter trois fois
de suite sa phrase, il risque d’imaginer que vous le prenez pour
un imbécile, donc vous passez à la langue haïe,
l’anglais. Donc si l’on suit le raisonnement de certains Réunionnais,
le français du Québec serait une langue totalement
différente du français puisqu’un Gaulois lâché
à Montréal ne comprend strictement rien à ce
qu’on lui raconte! Je vais plus loin: Un Martiniquais comprend mieux
un Réunionnais quand ils parlent chacun leur créole
qu’un Français de France ne comprend un Québécois
lorsqu’ils se parlent en français! Or, il n’y a qu’une parenté
«typologique» entre le martiniquais et le réunionnais
alors qu’il existe une parenté «génétique»
entre le québécois et le français hexagonal.
Vous voyez, tout ça est beaucoup plus compliqué que
ne l’imaginent certains esprits simplificateurs et nombrilistes.
Alors faut-il aller vers un créole unifié,
une norme écrite commune à nos quatre créoles?
Le GEREC-F dit: OUI. Oui, à l’écrit et à l’écrit
seulement. A l’oral, les gens continueront à parler leur
dialecte tandis qu’à l’écrit, ils utiliseront le créole
normé et unifié. Vous croyez peut-être qu’à
Marseille, les gens parlent comme à Paris ou à Strasbourg?
Non! Chacun parle avec son propre accent, utilise ses propres mots
et expressions etc…mais à l’écrit Marseillais, Strasbourgeois
et Parisiens se retrouvent dans le français normé
et unifié. Tenez, il y a des Chinois à la Réunion,
vous croyez peut-être que la langue chinoise, ça existe?
Absolument pas! Il y a trente dialectes chinois, souvent non intercompréhensibles
entre eux. Autrement dit un chauffeur de bus de Pékin ne
comprend strictement rien à ce que raconte un chauffeur de
bus de Canton. Rien! Mais tout le monde lit le Jen Min Ri Bao (Le
Quotidien du Peuple) parce que ce journal est écrit en mandarin
c’est à dire en chinois normé, en chinois standard.
Lors de la réunion du 3 avril dernier où
nous avons, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéens
et Guyanais établi le programme des épreuves du CAPES
de créole qui, je le rappelle, débutera en mars 2002,
M. Salles-Lousteau, professeur d’occitan à l’Université
et inspecteur général des langues régionales
au Ministère de l’Éducation Nationale, nous a fait
part de son expérience au moment de la création du
CAPES d’occitan il y a quinze ans. D’abord, il nous a confirmé
qu’à l’oral, il n’y a pas d’intercompréhension entre
un Gascon (région de Bordeaux), un Provençal (région
d’Aix-Marseille) et un Nissart (région de Nice). Il nous
a révélé que certains refusaient même
le terme trop unificateur à leurs yeux d’ «occitan»
et qu’il a fallu se battre pour l’imposer mais qu’il a fallu tout
de même aussi céder un bout de terrain aux micro-régionalistes
puisque la dénomination officielle de ce CAPES est «CAPES
d’occitan-Langue d’Oc», ce qui est une tautologie! Un peu
comme si on créait un CAPES de Bourbonnais-Réunionnais,
quoi! Il nous a enfin appris qu’au fil des ans, grâce aux
rencontres régulières entre membres du jury que, petit
à petit, un occitan écrit commun a commencé
à se former, que les gens ont fini par comprendre qu’il fallait
plutôt valoriser les ressemblances plutôt que les différences
entre les différents dialectes occitans et qu’aujourd’hui,
on peut dire qu’il existe un occitan écrit commun de Bordeaux
à Nice.
Donc, notre position à nous GEREC-F, c’est
qu’il faut suivre exactement la même voie que nos amis occitans.
Alors combien de temps ça prendra pour qu’un créole
écrit commun apparaisse? Eh bien, ça prendra le temps
que ça prendra, point à la ligne. 10 ans, 20 ans,
50 ans, peut importe! L’essentiel c’est qu’on se fixe une ligne
de mire, qu’on s’y tienne et qu’on arrête de se chamailler
comme des gamins turbulents et boudeurs sous l’œil amusé
du Papa Zorey. Et puis surtout qu’on se mette à bosser! Qu’on
fabrique des Guides de préparation au CAPES de créole!
Qu’on fasse des manuels du secondaire comme l’excellent livre de
Roger Théodora!
Kapeskreyol: Cette norme commune peut-elle alors
être autre que celle du GEREC-F (graphie, orthographe, choix
des variantes et néologie dans leur déviance maximale)?
R. CONFIANT: Le GEREC-F n’a aucune ambition hégémonique.
Nous bossons depuis 25 ans, c’est tout. Nous avons publié
68 ouvrages divers chez l’Harmattan, aux Éditions Caribéennes
et maintenant chez Ibis Rouge. Bon, je sais, qu’ici même aux
Antilles-Guyane, on trouve que les Martiniquais sont trop activistes,
qu’ils veulent toujours bousculer les choses ou les prendre en main
avant les autres. Je ne nierai pas que c’est un peu vrai mais est-ce
de notre faute si Aimé Césaire, Frantz Fanon, Édouard
Glissant, Joseph Zobel ou Patrick Chamoiseau sont des Martiniquais?
Qu’est-ce qui a empêché un Guadeloupéen, un
Guyanais ou un Réunionnais d’inventer la théorie de
la Négritude? Qu’est-ce qui les a empêchés d’écrire
Les Damnés de la terre ou de décrocher le Prix
Goncourt? Certainement pas nous, les Martiniquais. On bosse, on
produit, on fonce et advienne que pourra!
C’est notre tempérament, notre mentalité. Je n’y peux
rien.
Bon, prenons votre question point par point. La
graphie d’abord: il a été décidé au
Ministère, lors de la réunion du 3 avril, qu’il y
aurait deux graphies admises au CAPES de créole, celle du
GEREC-F pour les Antilles-Guyane et la graphie réunionnaise
moderne que l’on trouve, je crois, dans cette magnifique collection
d’ouvrages en créole appelée Farfar liv kréol
aux éditions du Grand Océan. Donc, soyons clair, aucun
candidat réunionnais ne sera obligé d’utiliser la
graphie du GEREC-F. Sauf, et là c’est important, sauf s’il
coche la case «Graphie GEREC-F». Car on est dans un
monde de plus en plus globalisé, des Réunionnais vivent
aux Antilles-Guyane et inversement, ils y fondent des familles.
Si un fils de Réunionnais né ou bien élevé
très tôt aux Antilles décide de choisir de composer
notre graphie, c’est son droit le plus absolu. On se fiche de savoir
s’il est né à la Plaine des Cafres ou à Salazie.
A l’inverse, un Martiniquais qui a vécu trente ans à
la Réunion et qui veut composer dans la graphie réunionnaise,
peut très bien le faire. C’est son droit le plus strict.
Dois-je rappeler à certains que les copies du CAPES sont
anonymées et qu’on ne connaît ni le nom ni le lieu
de naissance des candidats. Seule la case qu’ils vont cocher compte.
D’ailleurs, permettez-moi ici d’ouvrir une parenthèse, pour
rappeler également à certains que le CAPES est un
concours national français et non un concours régional
réunionnais ou martiniquais. Cela, il y en a qui ont l’air
de l’oublier! Qu’est-ce que ça entraîne comme conséquence?
Eh bien que n’importe quel type de nationalité française
ou européenne a parfaitement le droit de se présenter
au CAPES de créole. Qu’il soit Zoreille, Beur, Malien, descendant
de Polonais ou de Juif, il en a le droit! Et si par hasard, il est
reçu, il a tout à fait le droit d’enseigner dans cette
discipline. Tenez, j’ai eu un jeune Zorey une année dans
mes cours de Licence, il avait appris le créole à
l’âge de 18-20 ans avec des copains antillais alors qu’il
était étudiant à Brest. Figurez-vous qu’il
était le meilleur étudiant en dissertation créole!
Il se tapait des 15 régulièrement là où
ses camarades antillais indigènes, autochtones, «natif-natal»
et tout, se tapaient parfois des 6 ou des 7! Donc, messieurs les
nombrilistes, vous savez maintenant ce qui vous pend au nez? Un
jour, un Ouzbeck de nationalité française qui aura
appris le créole à l’université d’Aix-en-Provence
par exemple réussira au CAPES de créole et viendra
enseigner les LCR dans un collège de Saint-Pierre de la Réunion
ou Saint-Pierre de la Martinique. Eh oui! Autrement, si vous voulez
conservez pour vous tout seuls votre petit créole à
vous, dans votre petite île à vous, dans votre petite
commune à vous, réclamez l’indépendance. Il
n’y a pas trente-six solutions. Vous croyez qu’aux Seychelles, ils
ont la trouille qu’un Martiniquais vienne leur enseigner le créole.
Non! Ils sont indépendants. On ne peut pas avoir le beurre,
l’argent du beurre et la fermière avec. On est dans un système
politique français, le CAPES est un concours national français
et notre école est insérée dans le système
scolaire français. Donc on n’a qu’à respecter les
lois de la République française ou…demander à
en sortir! Et à ce niveau-là, nous Martiniquais, on
n’a de leçons à recevoir de personne: nos indépendantistes,
toutes tendances confondues, font régulièrement 30%
de voix aux élections et le président de notre Conseil
Régional, M. Alfred Marie-Jeanne, est le président
du MIM autrement dit le Mouvement Indépendantiste Martiniquais.
En outre, nous avons 2 maires indépendantistes, 14 conseillers
régionaux indépendantistes et 4 conseillers généraux
indépendantistes. Je ne crois pas savoir qu’il existe de
mouvement indépendantiste à la Réunion par
exemple. Concluons sur la graphie: le candidat cochera la case correspondant
à celle des deux graphies qu’il considère maîtriser
le mieux, cela indépendamment de son lieu de naissance, de
sa race ou de sa religion.
Venons-en à votre deuxième: le choix
des variantes et les questions de néologie. Là
aussi, les choses sont claires aucune variante ne sera privilégiée.
Et pourquoi? Pour la simple et bonne raison qu'il n'existe pas encore
d'Académie Créole, autrement dit d'instance chargée
d'officialiser une variante créole. Lorsqu’en 1635, les académiciens
français ont choisi le parler de l’ïle-de-France et
qu’au sein de ce parler, ils ont choisi la variante pratiquée
à la Cour (et non celle des Halles), lorsqu’un peu plus tard
Malherbe s’est employé à «dégasconner
la la langue française» etc., eh bien ils ont imposé
une variante qui est devenue le français moderne. Si la Cour
était installée en Vendée, ce serait le dialecte
vendéen qui serait devenu le français standard d’aujourd’hui.
Nous, Créoles, nous n’avons pas d’Académie et même
si un jour, nous en avions une, nous serions contre l’imposition
d’une seule variante. Exactement comme pour l’orthographe où
nous avons été favorables à l’utilisation de
2 graphies différentes, eh bien nous sommes favorables à
l’expression de toutes les variantes étant entendu qu’au
fur et à mesure, et cela à l’écrit seulement,
elles vont se fondre les unes dans les autres et former un créole
écrit commun. Ce créole écrit commun ne sera
pas un bloc monolithique comme l’est le français standard.
Il ne faut reproduire sous les Tropiques l’idéologie jacobine.
On peut très bien considérer, par exemple, que dans
le créole écrit commun, il existera 3 ou 4 formes
pour «cheval»: chival, chèval, chouval et chwal.
Pourquoi à tout prix vouloir choisir l’un des 4 et éliminer
les autres? Aucun géolecte ni sociolecte ne sera favorisé.
Nous ne ferons pas la chasse au créole acrolectal, par exemple,
même si notre ligne de mire est le créole basilectal.
A ce propos, le GEREC-F n’a jamais considéré que le
créole écrit devrait être la copie d’un géolecte
rural, disons le créole des mornes aux Antilles (ou celui
des cirques à la Réunion). Nous n’avons jamais pensé
qu’il existe un créole pur, protégé des miasmes
du français, dans notre arrière-pays. Ni que les Nègres
parlent mieux le créole que les Blancs créoles. Non,
notre créole basilectal est un créole construit, artificiel,
composé de l’addition de tous les traits basilectaux repérables
dans la langue, traits qui ne se trouvent jamais chez un seul et
même locuteur, diglossie oblige. Nous assumons l’artificialité
de ce créole construit car toute langue écrite est
artificielle. Nous assumons aussi le fait que ce soient les écrivains,
les linguistes et les pédagogues qui le construisent et pas
les coupeurs de canne ou les éboueurs. Le français
écrit a été construit par Malherbe, Vaugelas,
Grévisse, Corneille, Voltaire, Chataubriand ou Camus, pas
par le paysan de la Beauce ou l’ouvrier de chez Renault. Je dis
bien le français écrit. C’est d’ailleurs pourquoi
nous impulsons depuis vingt ans des néologismes lesquels
sont souvent repris par les radios et les télévisions
des Antilles-Guyane. C’est le boulot des écrivains, des linguistes,
des pédagogues et des intellectuels en général
que de créer des mots pérennes. Le peuple, lui, crée
des mots mais, à cause de leur oralité, ils sont rarement
pérennes. Il n’y a qu’à voir comment l’argot change
de génération en génération. Lorsque
l’épidémie de vache folle a éclaté,
vous croyez que ce sont les éleveurs de bétail qui
ont inventé le mot traçabilité pour parler
du trajet suivi par les farines avec lesquelles on nourrit ce même
bétail? Non, ce mot a été inventé par
des journalistes, des ingénieurs agronomes ou des hommes
politiques, certainement pas par des garçons de ferme.
Alors faut-il inventer des néologismes en
créole? Le GEREC-F dit: OUI. C’est indispensable car le créole
a investi de nouveaux domaines de communication, il est sorti de
sa niche écologique qu’était la «Plantation»
et il est sommé de s’adapter à la modernité
ou de dégénérer à terme en «petit-nègre.
L’alternative est claire. C’est à nous de choisir!
Kapeskreyol: Un professeur, formé en
martiniquais, pourra-t-il, comme vous l’avez obtenu le 3 avril dernier,
et sans conséquence grave, venir enseigner à la Réunion?
Même question pour un professeur formé en réunionnais
pour un collège de Fort-de-France?
R. CONFIANT: Soyons sérieux! Même aux Antilles-Guyane
où les LCR sont beaucoup plus développées qu’à
la Réunion, puisque nous avons une Licence et une Maîtrise
de Créole à l’Université, que le créole
est LV3 (Langue vivante 3) au Lycée en concurrence avec l’allemand,
l’italien et le portugais, où il y a des tas de collèges
où des profs vacataires ou contractuels l’enseigne, il est
peu probable que l’offre couvre un jour la demande. Car combien
de postes par an croyez-vous que le Ministère va nous octroyer?
Une dizaine, pas plus! Et encore, c’est une hypothèse optimiste.
Donc vous croyez sérieusement qu’un type formé en
créole martiniquais ou guadeloupéen demandera à
enseigner le créole à la Réunion alors qu’il
peut facilement trouver du boulot chez lui. Je rappelle à
certains, qui font semblant de l’oublier, que lorsqu’un Réunionnais
ou un Martiniquais réussit au CAPES de Lettres Modernes,
d’Anglais ou de Maths, il a de fortes chances d’être nommé
à Lille ou à Pau, quand ce n’est pas à Trifouillis-les-Oies.
Pourquoi? Parce qu’il y a des postes en français, anglais
et maths sur tout le territoire français! Ce qui n’est absolument
pas le cas pour les langues régionales pour lesquelles il
n’y a de postes que dans les régions concernées. On
n’a jamais vu un Capésien d’Occitan ou de basque se faire
nommer à Lille ou à Brest. Donc, là, c’est
déjà un premier avantage. Deuxième avantage:
on vous nomme selon les vœux d’affectation que vous formulez d’une
part et d’après les besoins de l’autre. J’imagine donc qu’un
Capésien Martiniquais demandera d’abord la Martinique, en
deuxième position la Guadeloupe et en troisième la
Guyane. Comme il y a une forte demande chez nous, je doute que le
Ministère l’envoie enseigner à la Plaine des Cafres.
Chez vous, à la Réunion, il y a aussi une forte demande
d’enseignement des LCR et je doute qu’on envoie un Réunionnais
enseigner le créole à Fort-de-France. Sauf s’il en
fait lui-même la demande mais alors, dans ce cas-là,
il n’a qu’à prendre ses responsabilités! Soit il se
sent assez fort en créole antillais parce que dans son cursus
universitaire il l’aura étudié soit qu’il veuille
se frotter à d’autres créoles. L’inspecteur Salles-Lousteau
nous disait d’ailleurs de lutter contre une dérive qui avait
été constatée lors des premières années
du CAPES d’Occitan: les lauréats ne voulaient pas être
nommés à plus de…15 km de chez eux. Les Nissarts
ne voulaient pas traverser le Var (le fleuve) pour aller enseigner
en Provence ou en Gascogne. Au fil du temps, avec l’unification
progressive de l’occitan écrit, cette dérive a été
bloquée. Car je le répète, il faut lutter contre
le nombrilisme, toute cette histoire ridicule de «mon-petit-créole-à-moi»
et bla-bla-bla. Il n’y a pas que les Réunionnais qui peuvent
enseigner le créole réunionnais, sinon seul les Anglais
auraient le droit d’enseigner l’anglais et les candidats réunionnais
au CAPES d’anglais seraient des farfelus ou des prétentieux.
Il n’y a pas que les Martiniquais qui peuvent enseigner le créole
martiniquais, sinon seuls les Espagnols auraient le droit d’enseigner
l’espagnol et les candidats martiniquais au CAPES d’espagnol seraient
des charlots. Arrêtons ce nombrilisme ridicule, si vous le
voulez-bien!
Donc je vous rassure: il est peu probable qu’un
Martiniquais vienne enseigner les LCR à la Réunion
et inversement. Sauf volonté expresse des intéressés
parce qu’ils s’estimeront assez compétents pour le faire.
Interrogés à ce sujet, aucun des 350 étudiants
que nous avons formés en six ans tant en Licence et Maîtrise
qu’en DEA ou Doctorat de LCR, à l’Université des Antilles-Guyane,
n’a le désir d’enseigner à la Réunion. C’est
trop loin, disent-ils…Mais, à mon sens, comme pour l’occitan,
il faudra bien qu’un jour (dans 10 ans? dans 20 ans?), cette attitude
localiste évolue. On n’est plus dans un monde villageois
mais bien dans un monde globalisé.
Kapeskreyol: Y a-t-il eu réellement unanimité
entre les créolistes des DOM lors de la Réunion du
3 avril dernier? Dans la négative, sur quelles questions
portaient les divergences?
R. CONFIANT: Je crois qu’on a mal informé les Réunionnais
sur cette fameuse rencontre du 3 avril. En effet, au cours de cette
rencontre, il ne s'agissait absolument pas de réfléchir
à la question de savoir s'il fallait créer «un»
CAPES de créole ou «des» CAPES de créole.
Pourquoi? parce que les jeux étaient déjà faits.
Le Ministère avait déjà tranché, il
avait déjà pris sa décision à travers
un décret publié en mars, c’est-à-dire, 1 mois
avant!!! Pour lui, il y aurait «un» CAPES de créole,
point barre. Alors, bon, on nous a laissé nous exprimer,
débattre, critiquer, proposer ou refuser ceci et cela et
vers 11 h du matin, le Ministère a sifflé la fin de
la récréation et on est passé aux choses sérieuses
c’est-à-dire à l’établissement des différents
programmes du concours de 2002.
Ce programme on l’a défini ensemble, tous, Martiniquais,
Réunionnais, Guyanais et Guadeloupéens. Littérature:
La Fable créole. Civilisation: Habitat et habitation en pays
créole. Grammaire: Le groupe verbal et le groupe nominal.
Je voudrais ici dénoncer les mensonges proférés
par certains selon lesquels nous, Martiniquais, nous étions
favorables à un CAPES unique. C’est faux! Archi-faux! Nous
étions favorables à un CAPES unique composé
de 2 sections: section A) créole des Antilles-Guyane et section
B) créole de la Réunion. Je l’ai moi-même solennellement
répété au cours de la réunion du 3 avril.
Autrement dit, la section A aurait ses propres épreuves et
la section B les siennes. D’ailleurs, la preuve de ce que j’avance
vous est donnée par les ébauches des «Guides
de préparation au CAPES de créole» que nous
avons fait circuler par Internet et par e-mail dès février.
En ouverture de ces guides, nous exposions clairement notre vision
des choses et notre désir d’avoir 2 sections différentes.
Tous les universitaires et autres créolistes réunionnais
ont reçu ces guides par e-mail, cela longtemps avant le 3
avril, donc qu’ils arrêtent de raconter des histoires! Nous
n’avons jamais manifesté aucune volonté d’hégémonie
sur le créole réunionnais, simplement une volonté
de rapprochement, un désir de fraternité créole.
D’où l’idée d’un CAPES unique mais avec deux sections
bien distinctes. Mieux: nous avons fait parvenir nos propositions
en ce sens à nos trois recteurs (Martinique-Guadeloupe-Guyane)
ainsi qu’au Ministère de l’Education Nationale. Ce dernier
n’a pas tenu compte de notre idée des deux sections et a
choisi le CAPES unique. Est-ce de notre faute?
Ceci dit, le CAPES unique ne nous dérange
absolument pas. ABSOLUMENT PAS! Notre proposition de 2 sections
différentes n’avait été prise par nous qu’afin
d’éviter des conflits inutiles avec les Réunionnais.
Et nous nous étions mêmes dit que si les Guadeloupéens
et les Guyanais ne voulaient pas d’une section A unique, eh bien
nous nous rallierions à l’idée d’un CAPES unique à
4 sections: section A) Guyane, section B) Guadeloupe section C)
Martinique et section D) Réunion. Nous étions mêmes
prêts à aller plus loin: obtenir un CAPES entièrement
différent par pays s’il le fallait. Et encore plus loin,
si les Guadeloupéens, Guyanais et Réunionnais déclaraient
qu’ils n’étaient pas encore prêts, eh bien qu’à
nous Martiniquais, qui sommes prêts depuis longtemps, qu’on
nous donne un CAPES de créole martiniquais dès 2002
et que les autres aient leurs CAPES en 2040 si ça les chante!
Vous le voyez donc, notre position n’était
absolument pas figée: nous avions trois lignes de défense.
Je le répète:
- Un CAPES unique avec 2 sections.
- Un CAPES unique avec 4 sections.
- Un CAPES de créole martiniquais.
Mais, comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas eu à utiliser
ces trois lignes de défense puisque le Ministère avait
déjà choisi et publié son décret dès
mars. A mon sens et là cela n’engage absolument pas
le GEREC-F, c’est Raphaël Confiant qui le dit et l’assume:
dans cette circonstance, le colonisateur s’est montré plus
intelligent que ses colonisés.
Quant à votre question sur les positions
prises par les différentes délégations sur
la nature du CAPES de créole, lors de la réunion du
3 avril, je n’ai pas à m’exprimer là-dessus. Je n’ai
donné tout au long de cette interview que la position du
GEREC-F Matinik car les GEREC-F Gwadloup et Guiyàn sont autonomes.
Vous n’avez qu’à interroger, comme vous l’avez fait pour
moi, les créolistes de la Réunion, de la Guadeloupe
et de la Guyane. En tout cas, il faut qu’une chose soit très
claire pour tout le monde: nous mènerons une guerre sans
merci contre tous ceux qui chercheront à saboter le CAPES
de créole, à empêcher par exemple qu’il ne débute
en mars 2002, et s’il, par malheur, nous sommes obligés d’en
arriver là, eh bien nous exigerons, par le biais de nos hommes
politiques, un CAPES de créole martiniquais. |