Kréyol Linivèsité

Enquête sociolinguistique menée auprès de collégiens de Langues et Cultures Régionales-Créole en Guadeloupe

par Mirna BOLUS
Etudiante en Doctorat Cultures et Langues Régionales-créole
Université des Antilles et de la Guyane / Institut de Recherche pour le Développement

 
Ecole - Guadeloupe
Entrée d'un collège de l'enseignement secondaire.© P.Giraud.

Résumé

La présente étude résulte d’une enquête sociolinguistique menée en Guadeloupe auprès d’élèves de quatrième et troisième inscrits en option Langues et Cultures Régionales-Créole (LCR-Créole). En Guadeloupe, la cohabitation français-créole est séculaire. Pourtant, si chacun connaît, voire pratique, les deux langues, peut-on aller jusqu’à parler d’un bilinguisme effectif qui impliquerait que les deux langues occupent un statut identique au sein de la société entière?

Il est vrai que, depuis un certain nombre d’années, les actes de revalorisation ou doit-on dire de valorisation du créole, présenté alors comme un pilier de l’identité guadeloupéenne, sont multipliés. L’introduction « officielle » du créole à l’école a simplement renforcé une tendance déjà grandissante. En effet, enseignants et élèves sont de plus en plus nombreux à vouloir, pour les uns partager, pour les autres découvrir, tout ce qui constitue l’héritage linguistique et culturel créole. Même si nous ne présentons dans ce travail qu’une partie des résultats que nous avons collectés, nous sommes déjà en mesure de tirer quelques conclusions très significatives à propos de la place réservée à chacune des deux langues. Nous pouvons dire, par exemple, que c’est l’association des deux langues qui est le mode de parler le plus représentatif de l’environnement linguistique de nos témoins. Autrement dit, c’est à la fois en créole et en français que ces derniers évoluent dans leur quotidien.

S’ils se disent francophones, ils avouent cependant être plus à l’aise en créole. D’ailleurs, ils sont aussi plus nombreux à souhaiter que l’enseignement scolaire s’effectue uniquement en créole. Pour ce qui est de l’écriture du créole, la quasi-totalité des élèves estiment la maîtriser. Plus qu’un simple objet de curiosité, la discipline créole se révèle d’un grand intérêt pour les jeunes interrogés.

Introduction

Cela fera bientôt une année qu' a eu lieu le premier concours du CAPES (Certificat d'Aptitude Professionnelle à l'Enseignement Secondaire) de Langues et Cultures Régionales option Créole (LCR-Créole) mis en place par l'ancien Ministre de l'Education nationale, M. Jack Lang. Certes, le créole n'a pas attendu cette nouvelle mesure pour exister en tant que discipline à l'école. En effet, dès la fin des années 1970, la langue et la culture créoles étaient déjà enseignées aux élèves dans nos régions. Cependant, force est de constater que l'enseignement du créole s'est très peu développé durant les vingt dernières années et ce, malgré la volonté du Recteur de l'Académie Antilles-Guyane, M. Bertène Juminer, de le généraliser.

Dans une précédente étude nous évoquions la difficulté pour la société antillo-guyanaise d'accepter un « héritage linguistique » tel que la langue créole avec tout ce qu'elle véhicule comme représentations négatives (Bolus, 2002 : 22). Mais l'évolution des mentalités semble renforcer l'idée selon laquelle les populations ne rejettent plus le créole comme c'était le cas jadis. C'est à la fois en français et en créole que la majorité des individus s'expriment. On assiste même, chez certains, à une demande d'informations et de formation concernant tout ce qui a trait à la langue et à la culture créoles, comme si, désormais, on jugeait nécessaire d'instaurer l'équilibre entre les deux langues qui fait encore défaut. Et, c'est dans le milieu scolaire, plus précisément du côté des enseignants et des élèves, que cette demande est plus significative. Effectivement, aujourd'hui la Guadeloupe compte 32 collèges et 7 lycées ayant mis en place un enseignement de Langues et Cultures Régionales option Créole. Au total, ce sont près de 1200 collégiens et lycéens qui sont formés en créole.

Afin de découvrir, d'une part, les raisons pour lesquelles les élèves guadeloupéens s'intéressent à la discipline créole, d'autre part, leurs pratiques et leurs représentations linguistiques quant au créole et au français, nous avons décidé d'aller à leur rencontre et de mener des enquêtes auprès d'eux en leur soumettant un questionnaire. Les résultats qui vont suivre concernent essentiellement le second objectif que nous voulons atteindre. Le questionnaire, d'une trentaine d'entrées, se compose de questions ouvertes, fermées et à choix multiples. Notre recherche étant encore au stade des prémices, nous ne présenterons ici que quelques résultats obtenus à partir de nos enquêtes réalisées dans quatre collèges1.

Ces enquêtes, menées du mois de novembre 2002 au mois d'avril 20032, ont eu lieu dans les établissements suivants :

  • Collège Félix Eboué de Petit-Bourg (Basse-Terre)
  • Collège Sadi Carnot de Pointe-à-Pitre (Grande-Terre)
  • Collège Olympe Ramé-Décorbin de Sainte-Anne (Grande-Terre)
  • Collège R. Grignan de Sainte-Rose (Basse-Terre)

Au total, ce sont 276 élèves qui ont répondu au questionnaire.

Bien que nous affichions tous les résultats recueillis, nous ne prendrons en compte, dans leur représentation graphique, que les plus significatifs quant au créole et au français.

Représentations et pratiques linguistiques

Tableau 1. Langues parlées autrefois par les parents

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

9

0

3

0

12

4,3

français

49

7

16

4

76

27,5

créole et français

108

26

24

25

183

66,3

ne sait pas

3

0

 

 

3

1,1

autre

1

0

 

 

1

0,4

pas de réponse

 

0

 

1

1

0,4

total

170

33

43

30

276

100

Selon la majorité des élèves, c'est à la fois en créole et en français que leurs parents leur adressaient la parole quand ils étaient plus jeunes (66,3% du total des parents). Quand les deux langues sont citées séparément, on constate que l'utilisation du français (27,5 %) dépasse largement celle du créole (4,3%). Au total ce ne sont pas moins de 83,8% des parents qui parlaient en français à leurs enfants. On le voit, la prédominance du français, langue officielle, n'est donc pas remise en cause par l'existence et la pratique du créole.

Tableau 2. Langues parlées aujourd'hui par les parents

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

17

0

8

0

25

9,1

français

21

1

3

0

25

9,1

créole et français

132

32

32

29

225

81,5

pas de réponse

0

0

 

1

1

0,3

total

170

33

43

30

276

100

De nos jours, c'est en créole et en français que les parents s'adressent à leurs enfants en grande majorité (81,5%). Par ailleurs, on constate que le pourcentage de parents utilisant exclusivement l'une des deux langues est le même (25%). Le recours aux deux idiomes laisse entendre que les parents sont bilingues. Des résultats peu surprenants quand on sait que les deux langues n'ont jamais cessé d'être en contact, malgré les «efforts» réalisés pour franciser totalement l'ensemble de la population.

Comparaison des résultats des tableaux 1 et 2

 

créole

français

cr. et fr.

nsp

anglais

pdr

total

autrefois

             

chiffres absolus

12

76

183

3

1

1

276

%

4,3

27,5

66,3

1,1

0,4

0,4

100

aujourd'hui

 

 

 

 

 

 

 

chiffres absolus

25

25

225

0

0

1

276

%

9,1

9,1

81,5

0

0

0,3

100

On remarque que l'usage des deux langues s'est généralisé. Les parents s'adressent aussi bien en créole qu'en français à leurs enfants. Cette généralisation s'accompagne d'une forte baisse de la prédominance du français comme langue de communication unique (on passe de 27,5% à 9,1%). En outre, il s'avère que le pourcentage de parents utilisant exclusivement chacune des deux langues est identique (9,1%). Le nombre de parents s'exprimant seulement en créole a donc doublé puisqu'il était de 4,3% auparavant. Cela fait maintenant quelques années déjà que l'on assiste à une sorte d'évolution des mentalités et des comportements vis-à-vis des deux idiomes, dans la mesure où les générations nouvelles de parents n'hésitent plus à mettre sur un pied d'égalité la langue créole et la langue française quand il s'agit de l'éducation de leur progéniture3.

Tableau 3. Interdiction de parler le créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

oui

19

6

5

5

35

12,7

non

90

15

25

11

141

51,1

parfois

35

12

7

13

67

24,3

souvent

1

0

2

1

4

1,4

ne sait pas

23

 

3

 

26

9,4

pas de réponse

1

 

1

 

2

0,7

ne le parlait pas avant

1

 

 

 

1

0,4

total

170

33

43

30

276

100

Si certains parents interdisaient à leurs enfants l'usage du créole (24,3%), une majorité n'y voyait pas d'inconvénient (51,1%). Notons que très peu d'élèves affirment qu'ils n'avaient pas le droit de parler le créole (12,7%). Il semble que le créole ne constitue plus un obstacle en ce qui concerne l'éducation des enfants. Les résultats des tableaux précédents ont montré que les parents n'hésitaient plus à s'approprier la langue créole, il paraît alors naturel qu'ils la transmettent à leur progéniture.

Tableau 4. Première langue parlée

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

10

0

3

0

13

4,8

français

115

27

31

23

196

71

créole et français

34

4

8

4

50

18,1

ne sait pas

8

2

1

1

12

4,3

autre

2

0

0

1

2

0,7

pas de réponse

1

0

0

1

3

1,1

total

170

33

43

30

276

100

La première langue parlée par une grande majorité d'élèves est le français (71%). Puis, on remarque que certains élèves ont commencé à parler dans les deux langues (18,1%). Si la plupart des parents n'interdisaient pas l'usage du créole, on constate que seulement 4,8% des élèves ont eu le créole comme seule langue de départ. La prédominance du français n'est donc pas menacée par le regain d'intérêt que l'on accorde au créole. En effet, en rajoutant au nombre d'élèves francophones celui de ceux qui ont commencé à parler en créole et en français, on note que ce ne sont pas moins de 89,1% des élèves qui ont eu pour première langue le français.

Tableau 5. Langues parlées aux parents

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

7

0

3

0

10

3,6

français

73

14

21

10

118

42,7

créole et français

86

19

19

20

144

52,2

autre

1

0

0

0

1

0,4

pas de réponse

1

0

0

0

1

0,4

cas particuliers

2

0

0

0

2

0,7

total

170

33

43

30

276

100

 

C'est dans les deux langues que les élèves affirment s'adresser à leurs parents majoritairement (52,2%). Lorsque l'on prend en compte les deux langues séparément, on constate que le français reste la langue privilégiée des élèves lors des échanges avec les parents (42,2% contre 3,6% seulement pour le créole). Si l'on se réfère aux résultats des tableaux 1, 2 et 3, il semble normal que les échanges qui ont lieu dans le cadre familial se fassent à la fois en créole et en français. En effet, l'éducation des enfants s'inscrit dans un bilinguisme réel et généralisé.

Tableau 6. Langues parlées plus aisément

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

55

11

11

11

88

31,8

français

51

7

16

4

78

28,3

créole et français

62

15

16

13

106

38,4

autre

1

0

0

1

2

0,7

ne sait pas

1

0

0

0

1

0,4

pas de réponse

0

0

0

1

1

0,4

total

170

33

43

30

276

100

La plupart des élèves se disent aussi à l'aise en français qu'en créole (38,4%). Les élèves plus à l'aise en créole (31,8%) sont un peu plus nombreux que ceux qui préfèrent s'exprimer en français (28,3%). Même si la première langue parlée par les élèves est le français (cf. tableau 5), c'est en créole que beaucoup se sentent plus à l'aise. Il faudrait cependant savoir si leur inscription en option créole a ou non un impact sur leurs pratiques linguistiques.

Quoi qu'il en soit, les résultats ci-dessus confortent l'idée selon laquelle la double compétence linguistique des élèves n'est plus à démontrer.

Tableau 7. Langues parlées entre amis

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

32

3

11

9

55

19,9

français

13

4

5

1

23

8,3

créole et français

124

26

26

20

196

71

autre

1

0

0

0

1

0,4

pas de réponse

0

0

1

0

1

0,4

total

170

33

43

30

276

100

Dans le cadre amical, la majeure partie des élèves se parlent à la fois en créole et en français (71%). Par contre, le créole seul (19,9%) est plus parlé entre amis que le français (8,3%). Si les élèves semblent avoir fait le choix du bilinguisme dans leur vie quotidienne, il est intéressant de signaler la prédominance du créole lors des échanges de camaraderie. Le créole occupe donc une place importante dans l'existence de la plupart de ces jeunes locuteurs à qui, rappelons-le, il n'était pas défendu de s'exprimer en créole.

Tableau 8. Début de l'apprentissage du créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

primaire

5

0

0

0

5

1,8

6e

1

0

0

0

1

0,4

5e

1

0

0

0

1

0,4

4e

160

30

42

30

262

94,9

3e

0

2

0

0

2

0,7

pas de réponse

3

1

1

0

5

1,8

total

170

33

43

30

276

100

Pour la majorité des élèves l'apprentissage du créole débute en classe de 4ème (94,9%). Notons que sur l'ensemble des élèves, cinq ont suivi un enseignement de créole dès le primaire (entre le CE1 et le CM2). Par ailleurs, un élève a commencé son apprentissage en classe de 6ème et un autre en 5ème. Il faut savoir que c'est la «Mission des Langages» créée par le Rectorat qui a mis en place, en 1999, l'option créole dans les établissements et ce, à partir de la classe de 4 ème . Une mesure qui devrait certainement être modifiée afin que l'option commence dès la classe de 6 ème . En effet, à la rentrée 2003/2004, les premiers titulaires du «Professorat des Ecoles spécial Créole» débuteront un enseignement de créole avec des élèves du premier degré qui le souhaitent. La poursuite en 6ème, puis en 5ème, de cet apprentissage devrait logiquement se faire si l'on ne veut pas léser les élèves en les privant de deux années d'enseignement de créole.

Tableau 9. Aide reçue dans le choix de l'option créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

seul(e)

145

24

35

24

228

82,6

conseil des parents

16

4

6

1

27

9,8

conseil des amis

7

2

1

5

15

5,4

autre

2

3

1

0

6

2,2

total

170

33

43

30

276

100

 

La majeure partie des élèves n'a pas reçue d'aide dans le choix de l'option créole (82,6%). Très peu ont suivi les conseils de leurs parents (9,8%) ou ceux de tiers (7,6%°). Dans l'ensemble, les élèves n'ont pas été influencés dans leur décision de choisir les LCR. L'inscription en créole reste, bien évidemment, une démarche volontaire puisqu'il s'agit d'une option. Mais c'est surtout une démarche individuelle, étant donné que les élèves prennent la décision de l'effectuer en dépit de la surcharge de travail qu'elle occasionne et des réflexions négatives que peuvent leur faire certains de leurs camarades au sujet du créole et de son apprentissage.

Tableau 10. Langues utilisées par l'enseignant de créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

100

15

14

22

151

54,7

français

3

0

1

0

4

1,4

créole et français

67

18

28

0

121

43,8

total

170

33

43

30

276

100

En classe de créole, l'enseignement est principalement dispensé en créole (54,7%). Beaucoup d'enseignants mènent leurs cours à la fois en créole et en français (43,8%). Notons que seuls 4 élèves sur 276 affirment que leur enseignant leur parle uniquement en français. Ces résultats n'ont rien d'étonnant si l'on estime que les cours sont des lieux d'échanges entre éducateur et apprenants. En effet, les élèves se sentant aussi à l'aise en créole qu'en français, il paraît normal que les enseignants tiennent compte de ce bilinguisme dans leur approche pédagogique.

Tableau 11. Langues parlées à l'enseignant de créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

44

14

9

6

73

26,4

français

40

2

10

2

54

19,6

créole et français

86

17

24

22

149

54

total

170

33

43

30

276

100

C'est à la fois en créole et en français que la plupart des élèves communiquent avec l'enseignant en classe de créole (54%). Autrement, les élèves parlant en créole sont un peu plus nombreux (26,4%) que ceux qui ne parlent qu'en français (19,6%). Si, suite aux remarques que nous avons pu faire précédemment, le premier constat semble aller de soi, à savoir que c'est dans les deux langues que les élèves participent au cours de créole, le pourcentage de ceux qui ne s'expriment qu'en français peut amener à s'interroger sur le rapport à la langue créole qu'ont certains de ces élèves. En effet, même si beaucoup se disent plus à l'aise en français (cf. tableau 6), on aurait pu s'attendre à ce qu'ils utilisent le cadre des cours de LCR pour s'exprimer en créole. Mais on note qu'ils sont encore 8,3% à ne pas oser parler en créole y compris à l'enseignant de créole.

Tableau 12. Langues utilisées par les autres enseignants

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

0

0

1

0

1

0,4

français

102

15

30

12

159

57,6

créole et français

64

18

11

18

111

40,2

pas de réponse

4

0

1

0

5

1,8

total

170

33

43

30

276

100

Au collège, la majorité des enseignants s'expriment en français (57,6%) conformément aux textes de loi. Cependant, il est intéressant de souligner le nombre important de professeurs qui utilisent à la fois le français et le créole dans le cadre de leurs cours (40,2%). Les enseignants de créole ne sont donc pas les seuls à fonder leur enseignement sur la pratique des deux idiomes (notons toutefois qu'à ce stade de notre enquête nous ne sommes pas en mesure d'indiquer si, ailleurs qu'en cours de créole, les élèves s'adressent aussi bien en créole qu'en français à leurs enseignants). Un tel constat incite à se demander s'il ne faudrait pas envisager, avec l'accord des différents acteurs du milieu scolaire (chefs d'établissements, parents, enseignants…), de mettre officiellement en place un modèle éducatif fondé sur le bilinguisme créole/français, ne serait-ce qu'à titre expérimental.

Tableau 13. Langues parlées aux autres enseignants

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

1

0

0

0

1

0,4

français

158

33

41

28

260

94,2

créole et français

8

0

2

2

12

4,3

pas de réponse

3

0

0

0

3

1,1

total

170

33

43

30

276

100

Dans les autres cours, c'est principalement en français que les élèves s'adressent aux enseignants (94,2%). Une minorité d'élèves affirme parler en créole et en français (4,3%) et en créole uniquement (0,4%) à ces derniers. Il est donc clair que le français demeure la première langue de communication du milieu scolaire. Toutefois, l'on peut se demander si cet état de fait ne tendrait pas à changer dans la mesure où, comme nous avons pu le souligner auparavant, les enseignants sont de plus en plus nombreux à utiliser les deux langues dans le cadre de leur enseignement (cf. tableau 12).

Tableau 14. Choix de la langue d'enseignement

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

créole

43

9

6

10

68

24,6

français

22

1

8

1

32

11,6

créole et français

80

16

20

16

132

47,8

ne sait pas

22

6

8

3

39

14,1

pas de réponse

3

1

1

0

5

1,8

total

170

33

43

30

276

100

Près de la moitié des élèves souhaiterait que tous les cours se fassent en français et en créole (47,8%). Alors que certains ont des difficultés à choisir entre les deux langues (14,1%), ceux qui voudraient un apprentissage exclusivement en créole sont beaucoup plus nombreux (24,6%) que ceux qui préfèreraient que soit utilisée uniquement la langue française (11,6%).

Apparemment, il semble que certains enseignants sont au fait des attentes de leurs élèves puisqu'ils utilisent les deux idiomes dans leurs cours (cf. tableaux 12). Reste à découvrir, toutefois, les circonstances dans lesquelles les deux langues sont employées, étant donné qu'il est difficile d'oublier que le créole, longtemps interdit, était l'objet de punition ou était utiliser pour sermonner ou mépriser ses locuteurs dans l'enceinte de l'école.

Tableau 15. Capacité d'écriture en créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

oui

165

32

36

30

263

95,3

non

3

0

5

0

8

2,9

pas de réponse

2

1

2

0

5

1,8

total

170

33

43

30

276

100

La grande majorité des élèves affirment savoir écrire en créole (95,3%). Une minorité avoue ne pas être capable d'écrire en créole (2,9%). Nous pouvons dire qu'en règle générale, l'apprentissage de la graphie du créole ne semble pas présenter des difficultés aux élèves. L'une des raisons évoquées par les élèves, quant au choix de l'option créole, c'est l'apprentissage de l'écriture du créole. En effet, nombreux sont ceux qui désirent savoir comment écrire le créole. Quand on connaît l'intérêt, non seulement des élèves mais aussi d'une partie de la population, pour l'écriture de la langue, on peut comprendre que les débats relatifs à l'harmonisation de la graphie créole perdurent encore aujourd'hui.

Tableau 16. Degré de difficulté relatif à la graphie du créole

 

PB

PAP

SA

SR

total

%

très facile

54

10

10

9

83

30,1

facile

57

10

5

14

86

31,1

plus/moins facile

52

13

21

7

93

33,7

difficile

4

0

4

0

8

2,9

très difficile

0

0

1

0

1

0,4

pas de réponse

3

0

2

0

5

1,8

total

170

33

43

30

276

100

Dans l'ensemble, on peut dire que l'acquisition de la graphie ne pose pas de problèmes aux élèves. Certains la trouvent facile (31,1%), voire même très facile à mettre en pratique (30,1%). Toutefois, nombreux sont ceux qui estiment que son application n'est pas si évidente que cela (33,7%). Une minorité d'élèves la jugent difficile et même très difficile à appliquer (3,3%). Comme nous le remarquions précédemment, la graphie reste une question d'actualité. Il serait peut-être intéressant d'interroger les élèves sur la nature des difficultés qu'ils rencontrent lors de la mise en pratique de la graphie. Leurs réponses serviraient ainsi de matières premières dans la recherche d'une norme graphique pour la langue créole.

Tableau 17. Synthèses des réponses

Questions

cr. & fr.

français

créole

nsp

pdr

autre

2

L des parents aux enfants aujourd'hui

225

25

25

0

1

0

7

L entre amis

196

23

55

0

1

1

1

L des parents aux enfants autrefois

183

76

12

3

1

1

5

L des élèves aux parents

144

118

10

0

1

1

14

L choisie pour l'enseignement

132

32

68

39

5

0

10

L de l'enseignant de créole

121

4

151

0

0

0

12

L des autres enseignants

111

159

1

0

5

0

6

L parlée plus aisément

106

78

88

1

1

2

11

L parlées à l'enseignant de créole

73

54

149

0

0

 

4

L première

50

196

13

12

3

2

13

L parlées aux autres enseignants

12

260

1

0

3

 

 

Total

1353

1025

573

55

18

7

 

Moyenne

123

93,2

52,1

5

2

0,7

La synthèse des tableaux permet de mettre en valeur quelques pratiques et représentations linguistiques relatives au créole et au français.

Nous voyons clairement que c'est l'emploi à la fois du créole et du français qui est le plus cité par les élèves. En effet, on constate que les deux langues sont présentes dès le plus jeune âge de ces derniers. A l'aise dans chacune des deux langues, il n'est donc pas surprenant que nos témoins choisissent l'une et l'autre de ces dernières pour communiquer avec parents et amis.

Notons que le français reste la langue des premiers mots prononcés par les élèves quand ils commencent à parler. Il est également intéressant de souligner que le créole est préféré au français, quand il s'agit de choisir la langue dans laquelle tous les cours devraient être dispensés.

Dans l'ensemble, on peut dire que ces jeunes Antillais aimeraient que soit prise en compte leur spécificité linguistique. En effet,, la cohabitation du créole et du français ayant permis une généralisation du bilinguisme, on pourrait chercher à rendre celui-ci véritablement effectif en l'encadrant de façon sérieuse.

Conclusion

A l'issue de l'analyse des réponses des collégiens, il est possible d'affirmer que la majorité de ces derniers pratique à la fois le créole et le français dans la vie de tous les jours. Si la première langue acquise reste, pour la plupart d'entre eux, le français, c'est en créole et en français qu'ils s'expriment chez eux avec leurs parents et ailleurs avec leurs camarades.

En outre, quand on considère les deux idiomes séparément, il est intéressant de constater que dans certains domaines, comme justement celui des échanges amicaux ou du choix de la langue d'enseignement, les élèves sont plus nombreux à préférer la langue créole à la langue française.

Si le bilinguisme n'est pas inné chez nos témoins, on peut dire qu'actuellement il s'est généralisé et semble être effectif, même si l'équilibre entre les deux langues n'est pas toujours vérifié. En effet, il semble que ces jeunes privilégient le créole par rapport au français. Cependant, il aurait probablement fallu aussi les interroger sur leurs comportements linguistiques en dehors de l'école (où ils apprennent les LCR) et du cadre familial, afin de bien évaluer la place qu'ils réservent au créole dans ce bilinguisme. En effet, s'ils sont plus nombreux à se dire plus à l'aise en créole, il n'est pas dit que dans certaines situations, comme la réalisation de démarches administratives, ils recourraient automatiquement au créole sachant que dans ce contexte précis le français demeure la langue prédominante.

Quoi qu'il en soit, à ce stade de notre recherche, nous pouvons d'ores et déjà retenir que c'est, à la fois, par rapport au créole et au français que ces élèves définissent leurs comportements linguistiques. L'existence ni de l'une ni de l'autre langue ne semble menacée dans l'immédiat. Par contre, au vu des remarques précédentes, l'on peut se demander si le schéma de diglossie tel qu'il a toujours été présenté n'est pas en train de s'inverser. L'apprentissage du créole n'éveillerait-il pas les jeunes consciences ? Ne sortirait-il pas les nouvelles générations d'une sorte de passivité qui jusqu'alors les conduisaient à adopter tout ce qui venait de l'extérieur plutôt que d'essayer de s'approprier ce qui constitue le patrimoine local ? Il est probable que nous assistions aussi bien à la valorisation de la culture créole (dans le sens large du terme) qu'à son appropriation par ceux qui formeront la société guadeloupéenne de demain.

Notes

  1. Paulette Durizot Jno Baptiste relevait avec surprise le discours de jeunes mères qui majoritairement affirmaient que «la langue maternelle de leurs enfants [était] le créole et le français» (Durizot Jno Baptiste, 1996 : 92)
  2. Nous avons prévu de réaliser nos enquêtes dans dix collèges. Dès le mois d'octobre nous avons commencé à contacter les chefs d'établissements par courrier et par téléphone afin d'obtenir des entretiens et leur exposer notre démarche. A ce jour, nous n'avons pu effectuer nos enquêtes uniquement dans les quatre collèges qui font l'objet de ce sujet.
  3. A noter que nous avons passé plus d'un mois dans le premier établissement dans lequel nous nous sommes rendue, à savoir le collège Félix Eboué de Petit-Bourg, afin d'y observer enseignants et élèves en situation de cours.

Références bibliographiques

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CALVET, L-J., DUMONT, P., 1999. L'enquête sociolinguistique, Paris : L'Harmattan, 190 p.

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HAMERS, J., BLANC, M., 1983. Bilingualité et bilinguisme , Liège : Mardaga, 498 p.

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LEIRIS, M., 1974. Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe, Paris : Les Presses de l'Unesco/Gallimard, 192 p.

MOFWAZ, revue n° 5, 2000, Petit-Bourg : Ibis Rouge Editions/GEREC-F, 217 p.

REACTIONS

L'échantillon est trop petit pour être représentatif, par rapport en plus à la socio-géographique (canne/ouvrier/ruralité). On n'associe pas comme cela Pointe-à-Pitre et Sainte-Rose sans distorsion. - Emmanuel S., Guadeloupe.