Rodrig

L'autonomie n'est pas une baguette magique !
 

Accordoniste
Malabar, 15 août 2004.

Notre invité de ce dimanche est Serge Clair, Chef Commissaire de l'Assemblée régionale de Rodrigues et leader de l'Organisation du Peuple Rodriguais, qui domine la vie politique dans l'île depuis 1976. Cette interview a été réalisée mercredi après-midi, dans sa résidence à Mont Lubin, Rodrigues.

Restons dans le présent et parlons de routes, pour commencer. En dehors de la route de l'autonomie et des voies principales, les chemins de Rodrigues sont dans un état souvent déplorable. Quels sont les plans du gouvernement régional dans ce domaine?

Je viens de vous le dire: nous ne pouvons pas tout faire d'un seul coup. Nous construisons tous les ans entre 10 et 15 kilomètres de nouvelles routes. Nous avons prévu dans le prochain budget des sommes pour la réparation et la création de routes, ce qui est une des grandes demandes des Rodriguais et une de nos priorités.

Passons à une autre grande priorité de Rodrigues: le problème de l'eau.

Nous sommes malheureusement en période de sécheresse et la production diminue alors que la consommation ne fait qu'augmenter. Toutes les maisons construites aujourd'hui ont des toilettes fonctionnant à l'eau qui ont remplacé les latrines. De ce fait, la consommation a drastiquement augmenté. Nous sommes en train de préparer les documents pour aller en appel d'offres pour le projet de désalinisation de l'eau de mer.

Avez-vous les moyens financiers nécessaires pour désaliniser suffisamment d'eau pour les besoins de la population rodriguaise?

Il faudra trouver les moyens pour améliorer la fourniture d'eau. Le dessalement est un des moyens, avec la construction de nouveaux barrages. Nous sommes également en train de remplacer tous les tuyaux galvanisés, cause d'importantes fuites, par des polypipes en plastique. Tout le réseau est à refaire et nous le faisons. Nous sommes en train de construire en utilisant de nouvelles méthodes, pour jeter les bases de notre devenir. Cela coûte de l'argent et il faut que le Rodriguais sache qu'il y a des priorités à respecter.

Beaucoup de champs agricoles sont à l'abandon. L'agriculture, qui était autrefois la principale activité des Rodriguais, tourne au ralenti, pour ne pas dire au point mort. Comment allez-vous faire pour inciter les jeunes à revenir à la terre?

On ne peut pas faire revenir vers un endroit des gens qui n'y sont jamais allés! La majorité de jeunes ne sait pas ce que cela veut dire: travailler la terre. Nous sommes victimes d'un système d'éducation qui ne répond pas aux besoins de Rodrigues. Le "mindset" de ce système pousse les jeunes à faire des études pour aspirer qu'à du white collar job en abandonnant les métiers, dont celui de l'agriculture. Même ceux qui reviennent de leurs études ne sont pas intéressés à lancer une entreprise agricole, ils ne pensent qu'à une chose: entrer dans la fonction publique. Nous sommes en train de changer ce mindset en mettant en place un institut de formation agricole mais surtout avec un important projet de réforme agraire qui va reposer sur le principe suivant: le gouvernement régional va reprendre les terres agricoles louées à ceux qui ne les cultivent pas pour les redistribuer à ceux qui veulent faire de l'agriculture. Ceci étant, il y a, depuis quelque temps, un retour vers l'agriculture qui est bloquée par le manque d'eau. Un retour timide mais un retour quand même. Nous sommes également en train de faire un effort pour encourager la culture des arbres fruitiers

Et la question du chômage?

Comment peut-on parler de chômage dans une île où la terre est disponible pour l'agriculture? Le chômage, c'est quand il n'y a pas de possibilité de travail, ce qui n'est pas le cas à Rodrigues. Il faut que le système d'éducation change le mindset du Rodriguais, qui n'envisage l'avenir professionnel que dans le Service Civil. Nous sommes en train de travailler sur l'orientation professionnelle à travers plusieurs institutions pour afin de développer le goût de la terre et du travail agricole chez les jeunes Rodriguais. Il faut que les gens se rendent compte que l'autonomie égale travail.

Justement. Est-ce que l'OPR n'a pas eu tendance à vendre l'autonomie comme étant la baguette magique qui allait, du jour au lendemain, transformer la vie du Rodrigais et faire disparaître ses problèmes et ses difficultés?

Jamais de la vie. L'OPR a toujours dit qu'avec l'autonomie, le Rodriguais aurait à travailler plus. Nous n'avons jamais parlé de l'autonomie comme un cadeau tombé du ciel qui allait tout régler. Nous avons parlé et parlons de l'autonomie qui va nous permettre de travailler vers l'indépendance économique. Ce sont les autres qui promettent de créer 700 postes dans le gouvernement quand ils vont prendre le pouvoir!

Parlons du tourisme qui est un secteur qui crée des emplois directs et indirects. Pour faire venir les touristes, il faut vendre la destination, faire du marketing, avoir un budget et un organisme pour s'occuper de la question. Quels sont les plans du gouvernement régional sur ce dossier?

La Mauritius Tourism Promotion Authority a déclaré ne plus s'occuper de la promotion de Rodrigues, ce qui n'est pas une mauvaise chose dans la mesure où nous étions toujours dépendants et à la traîne de Maurice dans ce domaine. Nous n'avons qu'un million de roupies dans notre buget et il va falloir augmenter cette somme, peut-être même la doubler. Nous allons créer un bureau du tourisme en consultation avec les partenaires locaux. Toujours dans ce domaine, il y a cinq projets touristiques qui sont en voie de finalisation et dont les travaux commenceront l'année prochaine. Il faudra réglementer les tables et chambres d'hôte qui ne respectent pas toutes les normes nécessaires et sans aucune formation.

Un des secteurs d'avenir est l'informatique et son pendant, l'Internet. A ce niveau, Rodrigues accuse un retard extraordinaire en termes de manque d'infrastructures. Non seulement la communication Internet est d'une lenteur extraordinaire, mais en plus, l'unique cybercafé de l'île est sur le point de fermer, faute de soutien et de facilités techniques. Est-ce que le développement de l'Internet fait partie de vos priorités?

L'Internet dépend de Mauritius Telecoms dont le représentant m'a récemment déclaré qu'il allait bientôt introduire le système ADSL à Rodrigues, ce qui va permettre d'augmenter la rapidité de la communication. Nous faisons de la formation technologique à travers diverses institutions, dont l'IVTB et le centre de ressources humaines, qui comprend un laboratoire d'informatique moderne.

Que pense le Chef Commissaire des émissions de la radio et de la télévision sur Rodrigues?

Je ne suis absolument pas satisfait de l'image que la MBC montre de Rodrigues. On montre des petits bouts par-ci, des petits bouts par-là, sans suite, sans consistance sur toutes sortes de sujets. Ce n'est pas professionnel et cela ne donne surtout pas une idée exacte de ce qui se passe à Rodrigues. A chaque fois que le directeur général de la MBC passe à Rodrigues, on a l'impression que les choses vont bouger mais tout cela retombe rapidement dans le ronron habituel. Par contre, j'apprécie beaucoup le travail du CEB à Rodrigues. Cet organisme travaille scientifiquement et prévoit d'avance les besoins de Rodrigues pour les dix prochaines années. C'est comme ça qu'il faut travailler, en anticipant. Comme on dit en anglais "they see the future before it arrive." C'est le cas du CEB ainsi que de Mauritius Telecoms, certainement pas de la MBC. Il y a un manque de dynamisme de la MBC dans sa vision du fonctionnement de l'autonomie de Rodrigues.

Quelles sont aujourd'hui les relations entre l'administration rodriguaise autonome et celle de Maurice?

Elles se sont beaucoup améliorées par rapport au passé. Il y a plus de responsabilité des deux côtés, les fonctionnaires se sentent plus partenaires égaux que donneurs et receveurs d'ordres.

Quand vous parlez d'indépendance économique ne pensez-vous pas indépendance tout court, Serge Clair?

Pour être indépendant, il faudra que Rodrigues puisse produire une somme équivalent à plus de Rs 1.3 milliards, le budget annuel de l'île, ce qui n'arrivera pas, soyons honnêtes, demain. En attendant, je crois qu'il faut que nous puissions envisager de pouvoir contribuer au moins Rs 500 millions dans le budget annuel. Pour atteindre ce résultat, il faudra produire, créer, exporter à tous les niveaux, dans tous les domaines. Je crois que nous avons besoin de nous fixer comme objectif l'indépendance économique pour pouvoir construire et consolider l'autonomie politique. Nous sommes en train de prendre des mesures dans ce sens. Laissez-moi vous citer un exemple: nous avons décidé de donner aux écoliers des bananes et de la confiture de papaye pour non seulement mieux nourrir nos enfants mais également inciter les planteurs de bananes et de papayes à produire plus. Dans un autre ordre d'idée, nous allons interdire totalement l'importation des sacs en plastique non seulement pour protéger l'environnement mais également pour donner des "incentives" aux fabricants de sacs en différents matériaux locaux.

Quel est le principal problème contre lequel butte l'autonomie?

Avant de répondre à cette question, je voudrais souligner quelque chose de fondamental: l'autonomie n'est pas une baguette magique, c'est le point de départ à partir duquel il faut construire petit à petit. Les gens commencent à construire avec nous, ont de plus en plus confiance en eux-mêmes, commencent à comprendre comment fonctionne l'économie. Venons-en maintenant à la question. Notre principal problème, c'est le manque de ressources humaines. Nous n'avons pas suffisamment de gens spécialisés dans des domaines précis. Le manque de jeunes ayant fait des études et désireux de se lancer dans la création de petites entreprises dans le secteur agroalimentaire, par exemple. Lancer une petite entreprise agricole ne veut pas dire que l'on va piocher la terre pour planter des petits piments. J'ai d'ailleurs l'intention d'aller discuter de cette question et d'autres encore, avec les Rodriguais qui sont actuellement à l'université de Maurice. Il faut parvenir à faire comprendre à ces jeunes qu'il ne faut penser à avoir un emploi mais d'aller au-delà pour créer cet emploi en se lançant dans la petite entreprise. Nous devons créer un secteur privé avec les jeunes.

Avec quels arguments allez-vous convaincre les jeunes rodriguais formés à se lancer dans les petites entreprises?

En leur montrant les avantages que cela comporte. En soulignant toutes les "incentives" - comme les prêts bancaires à faible taux d'intérêt - qui existent. En leur faisant savoir que des entrepreneurs mauriciens sont à la recherche de partenaires rodrigais pour lancer différents business.

Interview realize par Jean Claude Antoine du Weeekend Hebdomadaire de L'Ile Maurice (15 décembre 2004)