Réhabilitation du bon ti-manjé créole Dans le cadre des projets
PPCP 2003, la section Baccalauréat Professionnel Hôtellerie-Restauration
du Lycée Caraïbes Baimbridge 2 en Guadeloupe organisait
le 20 février à l'Hôtel Manganao de St François
un brillant dîner-débat sur le thème "Manjé
Kréyol: Alimentation Traditionnelle et Santé" Ce fut une belle réhabilitation du patrimoine gustatif
et nutritionnel local, traité en délicate gastronomie
moléculaire. Démythification du "gro mangé
ka baw fos", regret de l'abandon de nos bon-ti-manjé
grand-mère pour la sous-nutrition des super-marchés,
boissons gazo-sucrées à table, vitamines de synthèse...Bel
éloge aussi de l'eau claire à table et de nos fruits
agréables à voir et bons à manger tels quels. Il fallait entendre les invités de nos élèves
- pharmacien, médecin et diététicienne toutes
tendances rénovées - dire tout haut ce qu'il ne fallait
pas chuchoter, sous peine d'être marginal, au temps ou l'on
croyait encore que science non dévoyée, venue de l'autre
côté de l'eau, aurait réponse à tout
un tas de problèmes... que nous n'avions pas. Sachez que la goyave contient plus de vitamine C que l'orange,
et que chaque Guadeloupéen devrait illico planter son acerolier
(cerise dite... "pays") et ses autres pieds d'alicaments,
au lieu de se la roscorbiner comme un tèbè en pharmacie...
Qu'une fois le fruit tourné en jus, manoeuvre défibrante
s'il en est, fainéantisante pour nos mâchoires, la
fameuse vitamine C s'oxyde à l'air et disparaît foup!
Ah, le mythes des juteuses caresses locales! Revoilà donc enfin notre ti manjé-kréol déclaré
très favorable à la santé, nettement meilleur
de ce qu'on nous a fait mettre à sa place: le manjé
kréyol traditionnel ne recourt pas à la nocive cuisson
au beurre. On verse son huile après coup, crue dans l'assiette.
On se bâtit une santé avec solides soupes et racines
riches en sels minéraux, blaffs salutaires, sauce chien apéro-carmino-digestive
et stimulante. Pikinga, paroka, papaye, mango, quénettes,
prunes café, monbin, caïmite,... , sont bons pour nous
- n'en jetez plus ! La christophine fait baisser la tension, l'acerola augmente l'attention...
La banane verte crue en purée guérit, oui, guérit
- le svelte pharmacien
-St Joseph1 l'a affirmé et confirmé, c'est
le seul remède qui guérisse vraiment
l'inflammation ou l'ulcère d'estomac, contrairement aux "pansements"
à l'alumine qui lui font gagner son pain (blanc)... Sa référence : une
population d'une région de l'Inde qui ignore ces problèmes
d'estomac, car elle consomme journellement sa banane verte, séchée,
crue. Il est temps de détrôner le sel: séquelle des
temps ou il était seul à pouvoir conserver les aliments,
on en a gardé une appétence qui hélas aujourd'hui
multiplie les hypertensions parmi nous. Il faut réhabiliter
tous nos fruits, les servis nature, au dessert ou en entrée,
au lieu de les manger en confitures, en jus, "à l'occasion",
de les négliger, de les laisser pourrir par terre... En ces temps ou tant de nos filles ne savent plus allumer le feu,
il suffirait de revisiter un ti-peu le mangé de nos grands-mères,
déjà imprégné de l'amour nourrisseur
qu'elles mettent à faire leur marché et à mijoter
pour la famille, fut-ce au bois, au charbon, sur trois roches ou
un réchaud pays oeuvre du maçon du coin. A la lumière des découvertes sur le métabolisme,
il est possible d'alléger, peaufiner la présentation
de nos plats, pour faire du beau, du bon et du léger: nos
futurs bâcheliers-restaurateurs et leurs professeurs de cuisine-restauration
nous l'ont brillamment démontré. Et ce soir-là, notre petit monde de fonctionnaires bien
nourris, médicamentés de surcroît, est resté
perplexe lorsque l'apothicaire diplômé de France, mais
décidément plus réfléchi que mercantile,
a demandé qu'on lui trouve une seule personne qui souffre
du foie après avoir mangé un bon colombo! Le safran
des îles, curcuma, turmeric ou manjare de nos ancêtres
zendyens, qui colore aujourd'hui notre plat régional, national,
à tous est en effet aussi notre cholagogue, et nous en coûte
bien moins cher et plus nature que les labo... rieuses mixtures
jaune de bile. Conclusion, bien entendue par toute l'assistance: quasi-maudits
soient ces quatre vilains diables: graisse, sucre, sel, et viande!
Mangeons 4, 5 ou plus de nos différents fruits et légumes
par jour. Et recommençons à mettre gombos, cives,
épinards ou giromon dans notre riz, avec bouquet d'herbes,
épices et aromates traditionnels: on restera vaillants, bien
portants, et souriants. Imposé à nos ancêtres nèg, cette meilleure
pitance a fait qu'ils se portaient, il n'y a pas si longtemps encore,
tellement mieux que leurs asservisseurs bien, et donc mal, nourris.
Jean-S. Sahaï
prof d'anglais,
section hôtelière Baimbridge 2.
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