«Méfiez-vous de l’eau qui dort» soutient le vieille adage. A ce propos, mon intuition ne me trompe jamais. Par observation, j’ai toujours ressenti que sous le calme contenu de monsieur Saint-Éloï se dissimulait un volcan endormi. Et j’ai voulu tenter le diable. Ainsi, il était parmi les personnalités ciblées pour un entretien dans le cadre du Salon du livre édition 2005. J’ai donc effectué mon rituel sacré en passant le voir à son stand comme à chaque événement, à la différence de lui proposer une entrevue. Et mon souhait a été réalisé avec grande satisfaction. Je vous propose le résultat.
Monsieur Saint-Éloï, on sait que l’industrie du livre va bon train au Québec, plus particulièrement à Montréal en raison de cette énorme machine promotionnelle de son statut de Capital mondial du livre. Êtes–vous en position de profiter de cette opportunité en tant qu’éditeur modeste qui desservi une clientèle ethnique?
Montréal, Capital mondial du livre, c’est un événement! Je dirai même un grand événement spectaculaire. C’est comme un grand bal, mais «Aprè bal tanbou lou» a-t-il lancé en créole. L’événement reste abstrait et ne crée aucun dynamisme économique pour les petits éditeurs comme moi. C’est une grosse organisation certes, qui ne n’indique pas des structures véritables favorisant les groupes multiethniques. A savoir comment travailler ensemble, se consolider. Le tout se fait autour des auteurs et des éditeurs. J’écoutais attentivement, il m’a lancé un regard décidé presque furieux et a continué de verser ses lancinantes opinions. On dispose de 40 millions de dollars pour l’événement et le budget est quasiment inexistant pour les communautés visibles et les anglophones. Cet argent est sans doute partagé par les québécois pure laine. J’existe par moi-même c’est tout. Nous, les petits éditeurs, qu’est-ce ce qu’on va devenir plus tard? Je ne saurais le dire.
Mémoire d’encrier semble avoir une vitrine d’expansion en matière de visibilité. La maison participe dans presque toutes les grandes activités culturelles de la métropole. Cette grande vague qui lui apporte le vent dans les voiles est due à quoi?
À chaque fois que je participe à une activité, un événement, je le fais par mes propres moyens. Je ne suis pas soutenu de quelque moyen que ce soit pour le faire.
On peut quasiment certifier que Mémoire d’encrier a la vocation spécifique de la réédition des auteurs qui ont fait école de pensées et d’écriture: Carl Brouard, Davertige. Léon Laleau. Qu’avez-vous à répondre pour justifier ce choix?
Le nom indique la vocation de la maison d’Édition. Mémoire d’encrier! La maison d’Édition existe parce que la plupart du temps, des gens passent à côté des choses importantes. Quand des citoyens de toutes les origines quittent leur pays pour venir résider ici ou ailleurs, ils n’abandonnent pas pour autant leurs cultures. Cette concentration d’individus crée une littérature de migrance. Eh bien, il faut s’en occuper, l’entretenir cette littérature migrante.
A mon avis, il n’existe pas une intégration réelle pour les écrivains immigrants comme les Algériens, les Africains, les Haïtiens. «Nous vivons dans une société où nous sommes des êtres tolérés mais pas acceptés.» L’exclusion n’est pas un mirage, c’est une réalité.
Symboliquement, il faut coûte que coûte conserver leurs idées, retracer leur mémoire, garder ce qui leur est cher et précieux. Certaines personnes ont tendance à croire que parce que nous sommes des immigrants, nous ne sommes incapables de produire des œuvres fondamentales. L’affaire Mailloux le confirme. Il a fait des déclarations ne sachant même pas qu’Anténor Firmin (1850-1911) avait écrit : L’ÉGALITÉ DES RACES HUMAINES (Paris, Pichon, 1885). Ouvrons une parenthèse pour expliquer le contexte de l’ouvrage. En réplique à un livre précédant nommé ESSAI SUR L’ÉGALITÉ DES RACES. (Il avait pris la thèse opposée et a réfuté magistralement les détracteurs de sa race.) Ceux qui seraient intéressés à découvrir l’auteur peuvent consulter: Histoire de la Littérature Haïtienne. Illustrée par des textes, Tome I, de F Raphaël Berrou et Pradel Pompilus, Éditions Caraïbes.
Monsieur Saint-Éloï a clos notre conversation par ces commentaires. La réédition de ce livre est plus que nécessaire (De l’égalité des races humaines, Anthologie positive. Édition présentée par Jean Metellus.) C’est dire que notre culture est à la fois forte et discrète.
Je vous remercie Marie Flore.- C’est mois qui vous remercie de m’avoir consacré un peu de votre temps monsieur Saint-Éloï.
|