Sentinelles

à Pascal T. Augustin
et pour André Morissette

«Je suis une main qui pense à des murs de fleurs…»
(Paul-Marie Lapointe)

Saint-John Kauss
 

tous mes amis sont partis et je les regarde dans la nuit à deux yeux              dans la nuit à cent crimes à neuf cent mille lieues d’ici              équipages de poutres d’homme roulés dans leur faim que nourrit le fil à plomb

printemps              tout ce jeune âge de l’enfance et ses tours de Babel              bouleau des parquets de soleil dans les cheminées              sumac de mousse et de terriers              caravaniers d’avant-garde et sifflets entre les doigts

enroulement nu de vos mains au gré des pucelles jusqu’à ce que le sourcier des soifs et des sources agite les mollets de vos corps allongés sous la supervision des os entés à l’arbre de vie

peut-on vivre autrement sous les arrêts de l’exil et du soleil               les bévues de l’aimée              l’état de conscience modifié de l’amoureux              goémons dans la cour des langues étrangères au plus large des caps et des deux jambes de la dulcinée qui fait la fête

mois de mai / mois d’été              seins farouches aux bouts durs en quête d’une consolation rapide de / par l’aimé et le profane épuisé d’énervement              mois ouvert sur les dalles et la mosaïque des passions de feuilles torturées durant l’hiver              mois de seins de hanches et de jambes plus longues que l’habitat des mages

été des cerceaux de l’enfance des courses de gamin et des jeux de marelle              des contes tirés sous la tonnelle des filles inhabituelles sur la piste d’élus              mois de chants et de poèmes à la naissance des mousses et des fesses doubles

ces sentinelles de ma vie de bohème              gendarmes de mes allées et venues sans cesse              et telle qu’une parade sans hommes à l’anche des cimeterres Ô voiles d’immaculées

Ô vieillesse

automne              des forêts permanentes              porte-bonheur de tous ceux qui espèrent la naissance de l’orme et du genévrier imaginés dans la solitude des gestes et de nos amours dans le son froid des pluies de province et de la prochaine récolte

ce mois de frisquet qui encourage l’intransigeance du cormier              vastes jours ouvrables aux caresses des orchidées              perpétuelles messes chantées pour le miracle et l’audace de posséder la femme

frileuse saison et quelle que soit la recette de l’eau et des filles défendues              ma ville est alarmée contre la désolation des épouses et la dérive des mômes abandonnées

charmes de la fureur d’aimer à toute allure sur cette terre pelée que je regarde sans langues               que j’imagine entre les lignes d’une page fatiguée de toute l’obscénité               monumentale d’une ville sans moissons

la vasque aux dames des récoltes de cannelle et guimauve à l’attention des défilés d’hommes perdus dans l’amphore des cimetières d’où surgissent poètes et imprimeurs des mots dans le fumier de la ville endormie

hiver               des races sans engrais               des capitales blanchies par les copeaux de neige              à la pénible sensation d’habiter les corps d’ancêtres durs qui maîtrisaient le bois de chauffage               dans la connaissance des femmes ignares que l’on ordonne

saison des amants à la tâche pour la synthèse de la chaleur d’aimer au vent des phrases possédées par la femme              saison de la douleur de l’homme agité contre les mantes de l’amour              myrtilles de l’amitié des petits enfants crayonnés pour la prochaine saison des cigales

tous mes témoins sont partis et je les réclame dans la nuit à deux yeux dans la nuit à deux cent crimes dans l’altitude des morts              fleurs d’homme contrarié qui m’ont accompagné dans la métropole des mages               passagers plus que prophètes dans mes livres et dans mes rémissions aux nœuds coulants

… car il y eut aussi des hommes dans ma vie ajustés aux nids des oiseaux

 

Comtés Saint-Léonard / Saint-Michel,
17 juin / 6 juillet 2004

 

 

 

 
Logo