Lucidité de l’artiste

Il serait prodigieux qu’un critique devînt poète, et il est impossible qu’un poète ne contienne pas un critique. Le lecteur ne sera donc pas étonné que je considère le poète comme le meilleur de tous les critiques. Les gens qui reprochent au musicien Wagner d’avoir écrit des livres sur la philosophie de son art et qui en tirent le soupçon que sa musique n’est pas un produit naturel, spontané, devraient nier également que Vinci, Hogarth, Reynolds aient pu faire de bonnes peintures, simplement parce qu’ils ont déduit et analysé les principes de leur art. Qui parle mieux de la peinture que notre grand Delacroix? Diderot, Goethe, Shakespeare, autant de producteurs, autant d’admirables critiques.

Charles Baudelaire

J’ai écouté la leçon du maître

(Réponse à Gérard Campfort)

Saint-John Kauss

 

Ô mon souverain Maître, me voici seul et tremblant devant Vous! Des sages, mille fois dans mon enfance, m’ont dit que depuis toujours vous aviez juré cette revanche...

Je vous écris, cher Maître, du plus profond de mon abîme. J’admire votre Savoir, votre Magnificence, votre Omnipotence - et pourquoi pas? - votre dévotion. Malheureusement, je n’ai pas encore l’acabit d’un intellectuel frustré!

Je demeure encore abasourdi par la grande culture du Maître. Et dire qu’il m’a fallu, vainement, toute une série d’acrobaties pour tenter de bâtir un mauvais poème avec des vers de Gérard Campfort, pris sur le vif, dans le désordre le plus parfait. C’est que notre homme, en sus d’être Mage, est aussi Prophète:

“Or le mythe survit de mots et de rappels labiles
est-ce l’heure élue
nous rêvions de merveilles
l’orgueil a mis des sourdines à nos maux
dans la surprise de l’asphyxie
l’ennui méditait son office”

La réaction émotionnelle de Gérard Campfort (manifestée dans le numéro du 24 au 30 juillet 1985 de Haïti Progrès) à quelques brefs commentaires sur l’œuvre de Jacqueline Beaugé-Rosier, dégage malencontreusement une certaine suspicion qui semble volontiers emprunter le dur chemin de l’aliénation. Le délicat cas-Campfort est certes à prendre au sérieux. Nous en sommes tout émus. Décidément, l’Occident chrétien ne saura que faire de ces pseudo-intellectuels qui s’enlisent à bride abattue dans les sentiers de la littérature.

Dans son article1, G. Campfort espérait combler un fossé en me faisant, humblement, une leçon de grammaire. En effet, j’ai toujours eu un faible pour le passé simple. Je vous l’ai déjà dit, j’aime tout ce qui est clair, limpide. Par ailleurs, j’ai beaucoup apprécié cet élan de zèle, ce sadisme constructif émanant d’un travailleur intellectuel du calibre de Gérard Campfort. Ma parole, je vous le jure!

Quinze années ont suffi amplement pour pouvoir interpréter cette danse macabre d’un intellectuel dévot. En 1966 et en 1970, Gérard Campfort faisait paraître respectivement EAUX et CLÉS, deux minces recueils de vers2 qui furent “l’objet de critiques acerbes et parfois malveillantes”, selon les propos de Christophe Charles dans Dix nouveaux poètes et écrivains haïtiens3. Lorsque Gérard Campfort est né à la poésie (1963?), nous étions encore des bambins qui jouaient à cache-cache et qui n’oseraient jamais penser, un seul instant, devoir un jour revendiquer une place sous le soleil de notre belle littérature. Mais les ans ont passé!

Au fil des jours, en raison de son enfance malheureuse, une enfance entrecoupée de courts moments de délinquance, le p’tit Gérard, dès l’adolescence, dénotait déjà des signes de faiblesse et de fatigue spirituelles. Dans un élan de génie, le voilà bientôt poète, journaliste littéraire, étudiant à l’École Normale Supérieure (section philosophie), auditeur à la Faculté d’Ethnologie de Port-au-Prince, etc. Puis, c’est l’assimilation à une nouvelle classe de la société!

“J’ai beau chercher les titres de Saint-John Kauss à sa diatribe contre Jacqueline. Je crois comprendre qu’il s’arroge le droit de reconnaître les talents et d’en apprécier les mérites. Il entre une très grande part d’imposture dans une telle prétention”, souligne M. Campfort. Ce dernier devrait pourtant savoir et assimiler que les diplômes ne sont que des “présomptions de connaissances”4 qui peuvent des fois abêtir certains hommes, par la servitude et le faste de la connaissance dont ils font preuve. Gérard Campfort s’en souviendra! En ce sens, nous souhaitons que le Maître soit le seul à pouvoir réellement appréhender cette belle littérature.

Loin de nous arroger “le droit de reconnaître les talents” - nous savons à quoi il fait allusion -, nous croyons fermement que le souci de la vérité qui fait tellement peur à Gérard Campfort et qui l’empêche de dormir se caractérise par l’évidence des faits, par une histoire qui remonte à une vingtaine d’années et dont les perdants ruminaient follement une revanche. Mais à quel prix? On se demande donc pourquoi Gérard Campfort, durant ces quinze dernières années, n’a jamais tenté un seul instant de remonter la pente raide puis de faire oublier ses deux piètres bouquins qui lui collent encore aux fesses.

Nous comprenons difficilement que l’auteur de EAUX (1966) et de CLÉS (1970) ait pu nourrir de telles prétentions. Notre vocation de poètes, d’écrivains, de critiques littéraires, nous autorise fermement à prendre au mot les propos délibérés de G. Campfort, relatifs à “ un sapement du talent de Jacqueline Beaugé par des formules à l’emporte-pièce, des généralisations fausses qui sont autant de contre-vérités”, pour les raisons suivantes:

  • Premièrement, nous avons peine à croire que Gérard Campfort ait réellement la compétence voulue pour argumenter à partir d’une telle problématique. Et quelle problématique! Campfort a-t-il réellement lu, d’un bout à l’autre, les soixante pages des Cahiers de la mouette?
     
  • Secondement, nous nous interrogeons sur l’authenticité des liens qui existent entre Monsieur Campfort et l’auteure des Cahiers de la mouette. Car, comment comprendre qu’un Gérard Campfort ait voulu encenser l’auteure d’aussi piètres cahiers et plonger son épée dans un océan aussi boueux pour remonter avec les restes de la collection Hounguénikon? Nous croyons percevoir que les talents de Campfort ont été librement ajustés à ses prérogatives et à ses ambitions personnelles. Comment expliquer le fait que le problème posé par Wèche, à savoir la mise en marge de Jacqueline Beaugé-Rosier par le groupe Haïti Littéraire5 ne soit d’aucun intérêt à ses yeux? Qui donc mieux que Campfort lui-même, serait apte à faire “appel à l’histoire de notre littérature de 1960 à nos jours” pour dégager certaines vérités, et faire la lumière sur les problèmes tant épineux qui mettaient aux prises les deux groupes littéraires de l’époque, à savoir les Cinq de Haïti Littéraire et les tenants du groupe Hounguénikon? Il existe heureusement les Villard Denis, René Philoctète, Anthony Phelps, Roland Morisseau et Serge Legagneur à pouvoir efficacement éclairer nos lanternes. Noblesse oblige!
     
  • Troisièmement, nous tenons à rassurer Monsieur Campfort, à lui fournir la garantie de notre compétence et de notre savoir-faire. Nous avons, certes, des titres qui légitiment notre “diatribe contre Jacqueline”. Nous lui suggérons fermement de bien se tenir en équilibre, car le débat ne fait que commencer. Nos titres, nous les avons gagnés grâce à notre dynamisme, notre savoir-faire, notre besogne quotidienne. Personnellement, je suis prêt à faire parvenir un gros bouquet au poète Campfort si seulement il nous promet de rompre ses quinze années de trêve et de silence qui assaillent son parcours. Monsieur Campfort n’est pas sans savoir que je prépare actuellement, en collaboration avec Edgard Gousse, une “ANTHOLOGIE-CRITIQUE* DES POÈTES HAITIENS DE LA DIASPORA”. Il aurait fort à gagner à travailler sa poésie pour se tenir à l’écart d’autres diatribes...en règle.

Gérard Campfort s’apitoie sur un mythe qui n’a jamais existé. Et pourquoi pas? Campfort fait partie du camp de ces marrons de la littérature qui ont toujours souhaité se voir exposer en vitrine. Malheureusement!

Malheureusement, ni EAUX, ni CLÉS, les deux et uniques œuvres du poète Campfort, ne sont à l’abri de critiques même correctionnelles. Essayons d’élucider à partir de ces quelques vers de Gérard Campfort :

Je (nous) ai recherchés parmi l’odeur du cendre
du passé...Mais déjà nos restes sont douteux.
Un rien manque à ton corps et les traits sont pâteux;
ton sourire a changé qui te rendait si tendre.

(Chère ami-e), j’ai dû, parfois dans l’ombre, tendre
la main, pour remuer les choses quand mes yeux
se voilaient! J’ai voulu nous retrouver joyeux
en d’éclatants frissons qu’il me plairait d’entendre.

Pour moi, je suis perdu. T’arrive-t-il aussi
de songer à nos morts, et de t’inquiéter si
un souvenir nous reste, (et quel) ? (Par bien des âges),

(j’ai passé); quelquefois, j’ai scruté tes regards
d’après nous, mais l’amour derrière ces remparts
incommodes sanglote, et trahit nos visages.

(Tu es parti).. Nul ne saura, de ton âme,
l’indicible regret. Dis, quel sort infâme,
le tien! Tes pas, un soir, voudront retrouver

. . . . . . . . . . . . . .

ta voix encore en moi, quand tu te tais.
Temps labouré de tendresses exquises...”
                            (Anonymes, CLÉS)

En effet! Après un recul de quinze années, il est toutefois encore possible de «dédier» un poème...Gérard Campfort ne brûlerait-il pas, par hasard, du désir malsain de dédier cet extrait trop court de CLÉS à l’ami-e ou à l’ami qui lui a laissé tant de souvenirs? Sans pourtant omettre les imperfections de la langue qui font si triste figure dans son livre (ce que nous allons démontrer en phase terminale), l’ensemble des poèmes de EAUX ou de CLÉS se place d’emblée dans la catégorie des œuvres telles Les Cahiers de la mouette de Jacqueline Beaugé-Rosier6 ou Bydinna de Roger Th. Aubourg7, deux poètes du clan Hounguénikon.

De la poésie acrostichique, des fantasmes ombrageux, des tribulations de cœur, de la nostalgie des étreintes amoureuses: voilà en gros le bilan d’un groupe, aujourd’hui encore, demeuré méconnu. Et pour cause!

Gérard Campfort, bien imbu de son rôle d’avocat du diable, incidemment, a omis de se faire enseigner la leçon méthodique des démagogies intellectuelles. On lui aurait sans doute appris que le fait de se faire présenter “au Salon du livre, à Montréal, aux Archives publiques du Canada et à la Maison du citoyen à Hull” ne constitue rien d’extraordinaire. Tout le monde, démarcheur ou pas, reçoit des lettres de créance pour ces genres d’intervention. Surtout sous le couvert d’une édition!

Démontrer l’absence de talent chez Mme Jacqueline Beaugé-Rosier, en ces temps qui courent, est chose désagréable à nos yeux, et d’autant plus facile que nous nous réservons cette tâche dans un avenir pas trop lointain. Après Climats en marche et A Vol d’ombre, parus respectivement en 1962 et en 1966, Les Cahiers de la mouette (1983) sur quoi on se base, au nom d’un groupe mort-né, pour faire valoir les talents de la poétesse, est essentiellement un livre à refaire, tout comme EAUX et CLÉS.

Bref, la poésie de Jacqueline Beaugé-Rosier6, 8 s’avère le résultat d’une expérience toute personnelle, plus que personnelle. Certes, une histoire du passé, un fait remarqué, une constatation du vécu:

Ma légende à moi ma douce ma putain
Mon âge te dédie les abeilles de sa peine
. . . . . . . . . . . . . .
A toi qu’on eût cru mon amour
J’offre ces chants
A toi qu’on eût dit mon âme
Je laisse mon âme
Jamais des amours que nous vécûmes à contre-coup
Les chemins n’ont rechanté le souvenir”
                                          (A Vol d’ombre, 1966)

Dans ce poème, l’auteure s’exalte, se rue à la recherche d’un amour perdu, sa “douce”, sa “putain”...Qui n’a pas lu les Femmes damnées9 de Charles Baudelaire, où le “duo” Delphine et Hippolyte, deux femmes aux mœurs douteuses, exhibent leurs gratitudes réciproques, au prix de mille baisers et de tant de caresses promises?...

“Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête:
-”Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète
Comme après un nocturne et terrible repas.
. . . . . . . . . . . .
Je frissonne de peur quand tu me dis: “Mon ange!”
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi”.
                                       (Femmes damnées)

Edgard Js. Th. Gousse, dans son analyse10 consacrée au recueil Les Cahiers de la mouette, commentait en ces termes:

“La poésie de Jacqueline Beaugé-Rosier nous envahit et nous hante. Hantise du corps. Hantise du sexe. (....) Bohémie suspecte.”

Récemment, Gérard Campfort, avec beaucoup d’assurances, semble-t-il, écrivait ceci en ce qui concerne son amie:

“Je la connais assez pour estimer que sa distinction, sa simplicité et son souci de ne jamais se mêler aux intrigues et aux coups bas qui ont parfois cours dans le monde littéraire...

Je n’ai pas attendu de lire l’entretien accordé par Jacqueline Beaugé à Edgard Gousse, directeur de la revue Étincelles, pour savoir qu’elle n’avait rien à voir avec le texte de Wèche.”11

Quelle absurdité, quel défi au bon sens! Décidément, nous nous demandons jusqu’à quel point M. Campfort va pouvoir réellement entretenir un tel débat.

Pour permettre aux lecteurs de Haïti Progrès de bien situer la discussion, nous nous proposons de reprendre ici même le fil des événements:

  • Le dimanche 9 juin 1985, Mme Jacqueline Beaugé-Rosier a été invitée par la Galerie Diaspo-art de Montréal à se prononcer sur sa production littéraire et ses activités d’écrivaine. Cette invitation avait été rendue publique grâce à une note de fait, un véritable réquisitoire contre le groupe Haïti Littéraire - parue dans l’hebdomadaire Haïti Observateur du 7 au 14 juin 1985. Cette note de Mérès Wèche laissait largement au lecteur le loisir de s’interroger sur le bien-fondé des argumentations de ce dernier.
     
  • Le lundi 10 juin 1985, tôt dans la matinée, M. Edgard Js. Th. Gousse, directeur de la revue Étincelles, fut pressé de faire le point sur la situation par la bonne dizaine d’auditrices et d’auditeurs venus la veille à la Galerie Diaspo-art écouter les doléances de Mme Beaugé-Rosier. J’ai été le principal témoin de son intervention auprès de Mme Beaugé-Rosier. Edgard Js. Th. Gousse qui utilisait à l’occasion un système téléphonique amplifié, de son siège à Montréal, s’est entretenu avec Mme Rosier (résidant à Hull-Ottawa) pendant un peu moins d’une soixantaine de minutes. Et il en est sorti un assez long “compte-rendu”12 publié récemment dans le journal Haïti Progrès. Dans ses moindres détails.
     
  • Le vendredi 28 juin 1985, des lecteurs de Haïti Progrès, intrigués par les propos à contre-courant tenus par Marie-Joséphine Jacqueline Beaugé-Rosier au cours de l’entretien avec Edgard Js. Th. Gousse, ont entrepris un véritable marathon téléphonique auprès de ce dernier, confirmant du coup que les faits rapportés par Mme Rosier à la Galerie Diaspo-art, le dimanche 9 juin écoulé, constituaient une version nettement différente de celle rapportée par le journal.

Nous comprenons fort mal, aujourd’hui encore, que Mme Beaugé-Rosier nous ait délibérément laissés avec deux versions distinctes en ce qui a trait à sa “désertion” du groupe Haïti Littéraire. Nous n’oserons pas parler de manque d’honnêteté, voire de probité intellectuelle. Jacqueline Beaugé-Rosier est peut-être une femme “honnête”, comme le dit Campfort. Nous n’avons nullement le droit d’en douter! Mais le fait demeure qu’en dépit de “sa distinction, sa simplicité et son souci de ne jamais se mêler aux intrigues”, Jacqueline a utilisé des “coups bas” qui n’auraient jamais dû “avoir cours dans le monde littéraire”. Cette double vérité ou contre-vérité laisse pendant un problème qui nécessite (d’urgence!) une solution. Nous ne saisissons malheureusement pas pourquoi un tel problème n’intéresse point un Gérard Campfort. “Il ne faut pas, comme disait Sartre, que la misanthropie (...) déblatère contre l’homme sans donner ses raisons. ”13

Par ailleurs, Gérard Campfort soutient que l’œuvre de Mme J. B.-Rosier “a été reconnue et appréciée”. Je le mets au défi de nous citer un seul paragraphe d’un critique prétextant que le texte Les Cahiers de la mouette a été apprécié.

Sans vouloir jouer au philosophe, mon cher Gérard, l’identité telle que conçue, n’est pas une constante. Elle se mue. Bouge. Tout comme l’aliénation d’ailleurs. Ceci dit, nous comprenons le sens de votre intervention réclamant la “béatification” de Madame. Il nous faudrait par contre nous informer pour savoir dans quelle Université des Iles turques ou de la lointaine Guinée un doctorat ès sciences poétiques vous a été décerné.

Gérard Campfort traite les honnêtes gens d’imposteur. En effet! En 1946, Depestre, Alexis, les écrivains de La Ruche, ont-ils été des imposteurs? Saccageant tout, leurs seuls critères sociaux et politiques n’étaient-ils pas de se méprendre des phénomènes non conscients de la dure réalité haïtienne de l’époque, d’abattre cette perpétuelle mise en cause des devanciers sous toutes les formes?

“Un texte, bon ou moyen, souligne Campfort1, doit répondre à un certain nombre d’exigences dont, entre autres, la rigueur de l’argumentation, la justesse et l’objectivité des idées, le sérieux de la documentation et la correction de la langue.”

Pour convaincre le lecteur de la faiblesse de l’argumentation de Campfort, du manque d’objectivité de ses idées, du farfelu de sa documentation, et des multiples incorrections dans la langue éparpillées tout le long de ses écrits (prose et poésie), nous sommes portés à reposer les faits suivants:

A) Gérard Campfort n’utilise pour toute documentation qu’une simple note rectificative de quelques paragraphes publiée dans la chronique “Courrier du lecteur” de l’hebdomadaire Haïti Observateur14. Cette note n’était en fait qu’une mise au point, qu’un prétexte pour redresser une situation5, pour faire face à ce que Campfort appelle vulgairement un “coup bas dans le monde littéraire”.

B) Gérard Campfort nous somme d’être objectifs. Ce faisant, il nous demande d’emprunter jusqu’au bout un chemin que lui-même a pris de travers. N’est-ce pas Campfort qui écrivait dans le même article: “Il existe cependant des conditions d’une validité possible du titre de l’article de Mérès Wèche, à travers une formulation différente. Le problème, je dois l’avouer, ne m’intéresse pas. Je suis intéressé plutôt par la réponse fournie par Saint-John Kauss”1? N’avoue-t-il pas, plus loin, agir au nom de son amitié avec la poétesse Jacqueline Beaugé-Rosier? Comment donc, dans de telles conditions, garantir la prétendue objectivité des idées dont l’écrivain fait mention?

C) Au lieu de saisir le problème dans son ensemble, Campfort a choisi d’utiliser comme base à son argumentation la note rectificative de Saint-John Kauss, de manière à étayer ses connaissances linguistiques et grammaticales. Nous le remercions du sérieux des corrections portées, tout en déplorant le manque de rigueur dont il a fait preuve dans ce chapitre.

D) Nous profitons pour attirer l’attention du lecteur sur le fait que ces circonstances hasardeuses nous ont largement servi. Pour preuve, nous avons pu, à notre tour, en dépit de nos bonnes intentions et de notre profond (ir)respect pour le Maître, prélever chez Lui certaines incompétences au niveau de la langue. Nous convions le lecteur à cette courte randonnée, bien que scabreuse, dans son monde littéraire:

“. . . . . . . . . . . . .Et le velours (alme)
de ce rêve est (lacs) de ta douceur
. . . . . . . . . . . . . . . .
Je voudrais que, le soir, dévidant
son or sans nous trahir . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
Ah quand l’air (empliront) les parfums de muguet!
. . . . . . . . . . . . . . . .
Mets ta main sur mon front de fièvre et de pâleur!
Tu peux sentir que (c’est) des tourments, du mystère.
. . . . . . . . . . . . . . . .
L’indécise caresse où (ton souris) carmin
devise, fol heureux qu’on soit seuls à l’entendre
. . . . . . . . . . . . . . . .
Je nous ai recherchés parmi l’odeur de cendre
. . . . . . . . . . . . . . . .
Je dirai simplement: j’ai cru prendre la sente
de l’oubli
. . . . . . . . . . . . . . . .
Toute chose s’éprouve un être démuni
Je t’ai cherchée (par) la pénombre
. . . . . . . . . . . . . . . .
J’ai fignolé le nier pour me masquer les dits de détresse
. . . . . . . . . . . . . . . .
l’histoire est (plus hauts desseins) de l’homme”
             
(CLÉS, 1970)

Des audaces de construction et de style. Des tours syntaxiques vieillots. Des vers impairs de 9 et de 11 pieds. Des sonnets très mal classés. Aucune musicalité. De surprenantes incorrections dans la langue que nous ne faisons que souligner, sans aucun commentaire!

Lorsqu’un “jeune” auteur, en lisant Hugo, A. Breton, Musset, Lamartine, Davertige, Vilaire, Mallarmé, Eluard, ou même un Léon Laleau, se fourvoie ou tente de se découvrir en chacun de ces écrivains, il apparaît évident que les images qu’il projette ne peuvent être que le reflet malvenu du chemin parcouru.

Campfort poète? On ne retrouve point cette responsabilité d’écrire si chère à Gérard Campfort ni dans EAUX, ni dans CL éS. Poésie troquée, truquée, utilisation consciente d’une “parole sans objet”: aucune tension sociale n’a traversé l’œuvre! Sa littérature se révèle à nos yeux un “objet sans parole” au moyen duquel il mimait l’élite tant détestée. Pour répéter la grand romancier Jacques Stephen Alexis, celui-là (Campfort) ne peut être qu’un “pédéraste de la culture”. Et comme tel, l’érudition déployée à travers ses poèmes lui a coûté si cher (15), qu’à son âge il se cherche encore.

«Écrire», comme le dit Marie-Josée Glémaud, «c’est s’installer dans le refus, la solitude, la mise en accusation de toute écriture antérieure qui paraît fausse, inadéquate, insincère; écrire, c’est opérer une rupture.»16

Malheureusement, il y a des écrivassiers qui ne veulent pas mourir!

Comme les heures, les minutes et les secondes qui font l’histoire, les diverses manifestations culturelles échelonnées tout le long de notre vécu ont sans cesse contribué à former un chœur autour de notre “ego”. Tels des échos favorables au jaillissement de notre identité. Une fois de plus, Campfort, préfacier-poète-philosophe, a péché dans ses convictions...

Comprenez-nous, cher Maître, du plus profond de notre abîme, vous aviez contribué à alimenter nos croyances, nos vieilles routines, notre didactique, de la sève même de notre legs culturels. Et si nous sommes parjures, c’est sans doute parce que nous avons suivi à la lettre cette voie que vous nous avez tracée.

Parallèlement, l’intérêt particulier que nous portons à la littérature, ce savoir-dire, cette animosité qui nous étreint au jour le jour, nous autorisent à nous interroger, à jeter un regard neuf, nouveau, sur la littérature contemporaine de la diaspora haïtienne, sur le devenir de cette littérature. Car,

“Que sont donc ces temps, où parler
des arbres est presque un crime
puisque c’est faire silence
sur tant de forfaits”
          
(Bertolt Brecht)

Nous avions voulu, vénérable Maître, justifier votre Savoir, votre Magnificence, votre Omnipotence, votre Dévotion. Malheureusement, cela nous prenait vos CLÉS pour naviguer dans vos EAUX boueuses qui nous incommodent.

(Saint-John Kauss, poète)

Notes et Références bibliographiques  :

 

  1. Campfort, Gérard: Saint-John Kauss: un problème d’identité? (Haïti Progrès, vol. 3, no 16, 24-30 juillet 1985, pp. 22-24.).
     
  2. Campfort, Gérard:
    a) Eaux, poèmes, Collection Hounguénikon, Imp. M. Rodriguez, Port-au-Prince, Haïti, 1966.
    b) Clés, poèmes, 52 pages, Collection Hounguénikon, Imp. M. Rodriguez, Port-au-Prince, Haïti, 1970.
     
  3. Charles, Christophe: Dix nouveaux poètes et écrivains haïtiens, documentaire, Collection UNHTI, miméographié, Édition de l’auteur, 1974, p. 23.
     
  4. Depestre, René: Étincelles, poèmes, p. 29:
    “Dites que je me suis embarqué / dans l’aventure du poème / sans diplômes (présomptions de connaissance)...”
     
  5. Wèche, Mérès: Jacqueline Beaugé serait-elle en marge de “Haïti- Littéraire”? (Haïti Observateur, vol. XV, no 24, 7-14 juin 1985, p. 5).
     
  6. Beaugé-Rosier, Jacqueline: Les Cahiers de la mouette, poèmes, Édition Naaman, Sherbrooke, Canada, 1983, 60 pages. Postface de Claude Pierre.
      
  7. Aubourg, Roger Th.: Bydinna, poèmes, Collection Hounguénikon, Imp. M. Rodriguez, Port-au-Prince, Haïti, 44 pages.
     
  8. Beaugé-Rosier, Jacqueline:
    a) Climats en marche, poèmes, Collection Haïti Littéraire, Imp. des Antilles, Port-au-Prince, Haïti, 1962, 29 pages.
    b) A Vol d’ombre, poèmes, Collection Hounguénikon, Imp. Serge Gaston, Port-au-Prince, Haïti, 1966, 25 pages. Préface de Phito Gracia.
     
  9. Anthologie des poèmes polissons de la littérature française, recueillis et choisis par Marc Chevèze, Collection Cupidon, Éditions “Les Presses Noires”, 1968, p. 175.
     
  10. Gousse, Edgard Js. Th.: Les Cahiers de la mouette, livromania, Étincelles (revue), nos 8 et 9, mai / juin 1984, p. 26.
     
  11. Campfort, Gérard: Article cité, p. 22
     
  12. Gousse, Edgard Js. Th.: Pour qui sonne le glas? Une entrevue avec Jacqueline Beaugé-Rosier (Haïti Progrès, vol. 3, no 12, 25 juin au 2 juillet 1985, p. 26).
     
  13. Sartre, Jean-Paul: L’idiot de la famille, tome 3, p. 417.
     
  14. Kauss, Saint-John: Jacqueline Beaugé serait-elle réellement “ensevelie” par le groupe “Haïti Littéraire”? (Haïti Observateur, vol. XV, no 26, 21-28 juin 1985, p. 13).
     
  15. Nous demandons instamment au lecteur de bien vouloir tenir compte des articles ci-dessous, pour un peu plus de lumière sur l’œuvre de Gérard Campfort et sur ses activités para-culturelles des années 60. Nous avons également dans nos dossiers d’autres coupures de presse concernant Monsieur Campfort. Le lecteur intéressé pourra nous contacter au besoin:
     
    Pierre, Camille: Eaux de Campfort, une perle? Allons donc! (Le Nouvelliste, Haïti, no du 18 janvier 1967).
     
    Pierre, Eddy: La vérité sur Hounguénikon (Le Nouvelliste, Haïti, no du 6 février 1967).
     
    Archer, Évry: Je ne me baignerai pas dans ces eaux (Le Nouvelliste, Haïti, no du 13 février 1967).
     Charles, Christophe: Clés de Gérard Campfort (Le Nouvelliste, Haïti, no du 11 janvier 1971).
      
  16. Glémaud, Marie-Josée: Pourquoi écrire? Lettre ouverte à Jean-Claude Fignolé, débat, Collectif Paroles, no 7, juillet / août 1980, p. 28.

 

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