L’importance du port.
Sur les insistances énergiques des colons, appuyés en l’occurrence par Sir Lionel Smith, en 1842, le ministre anglais des colonies, consentit à permettre à nouveau l’introduction de laboureurs indiens, destinés à alimenter l’industrie de la canne en main d’œuvre bon marché. En effet, à la suite de l’abolition de 1835 et après le développement de l’activité sucrière, une véritable pénurie de main d’œuvre s’était fait sentir dans tout le pays.
La production sucrière, passé 1842, alla en augmentant proportionnellement avec l’introduction des laboureurs. Entre 1842 et 1860, l’Ile Maurice parvint à quadrupler sa production de sucre, ce qui signifie une prospérité évidente durant les deux décennies.
En même temps que les planteurs cessèrent d’avoir recours à un système d’emprunts, le coût de l’introduction des laboureurs indiens, qui était de 6£ 13 s par immigrant en 1847, fut divisé par deux. Les taxes, qui grevaient particulièrement l’industrie sucrière jusque là, furent considérablement réduites; enfin, toutes les entraves à la liberté de commerce, furent supprimées. Autre mesure capitale, l’ordonnance du 11 juin 1851 sur les “Navigation Laws”, qui constituait une entrave réelle aux échanges et qui avait, de fait, porté un coup fatal au développement de Port-Louis, fut abolie, cela grâce à l’influence déterminante de Louis Léchelle.
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Port-Louis vers 1860. |
Aussi, à partir de 1851, le trafic portuaire tripla par rapport à la décennie précédente et cela, sans d’ailleurs porter préjudice à la fréquentation des navires anglais eux-mêmes, qui affluèrent également. Port-Louis sembla soudain retrouver son lustre d’antan, de l’époque où il était devenu une véritable plaque tournante dans l’Océan Indien. Le docteur Frédéric J. Mouat, cité par Auguste Toussaint, nous montre la ville à cette époque comme une “busy, cheerful and stirring community” et écrit ainsi, dans Rough Notes of a trip to Reunion, the Mauritius and Ceylon, ouvrage publié à Calcutta en 1852 (pp. 2-3), que :
“Véritablement, je n’ai jamais rencontré dans une ville de semblables dimensions, tant des éléments réels d’un grand mouvement commercial ni un tel potentiel de saine énergie dans un milieu aussi restreint ... On se demande où les nombreux magasins qui remplissent ses rues bien peuplées peuvent bien trouver des clients pour écouler leurs marchandises de tous genres qui se vendent en général extrêmement cher. Son marché bien ordonné, propre et inodore est de beaucoup ce qu’il y a de mieux dans ce genre dans l’Orient et contraste singulièrement avec les bazars malpropres, bruyants et mal-ordonnés de Calcutta. L’abondant approvisionnement d’eau fraîche et pure que distribuent partout des fontaines propres et délectables ; l’ordre, le decorum et la propreté de ses rues tirées au cordeau ; la multitude des dames bien mises et bien faites qui parcourent ses artères animées; et la rangée de voitures de louage, dont quelques unes ont des prétentions d’élégance fort appréciables, devant l’Hôtel du Gouvernement, tout cela donne au voyageur une impression plus agréable et plus suggestive de l’Europe que n’en créent la richesse imposante de la cité des palais, des belles routes et des résidences magnifiques de Madras, ou l’aspect pittoresque et joliet de la capitale bien arrosée de Ceylan avec ses jardins de cinname, ses lacs, ses îles!”
L. Simonin dans Les pays lointains, déclare quant à lui: “Très peu de places, écrit-il, sauraient être comparées à Port-Louis pour le mouvement, l’activité, surtout pour la quantité innombrable de marchandises qui s’y débarquent et s’y achètent”.
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Une vue de Port-Louis par Bradshaw. |
D’ailleurs, La Réunion à la même époque ne saurait soutenir la comparaison, même s’il est vrai de dire que son littoral ne se prêtait pas à un développement similaire, 295 navires jaugeant moins de 100'000 tonneaux y mouillèrent en 1865, contre 715 navires jaugeant 300'000 tonneaux pour Port-Louis.
Avec sa chambre de commerce, sa chambre d’agriculture, sa presse déjà fort active et cela même dans le domaine commercial, des quais conséquents et nombreux, des bassins de radoub permettant de mettre les navires en cale sèche, ses banques, Port-Louis est, de fait, une ville en pleine expansion, subissant des échanges économiques et humains sans commune mesure.
D’ailleurs, malgré le choléra, la variole et autres fléaux, la population a passé de 49'909 habitants en 1851, sous le mandat de Louis Léchelle, à 74'128 individus dix ans plus tard, ce qui est significatif.
C’est toujours sous le mandat du premier maire de la capitale, qu’on examina l’éventualité d’établir des communications mensuelles avec la métropole et c’est ainsi que se créèrent les premières lignes régulières vers l’Europe. Blyth Brothers&Co s’allia à la “General Screw Steam Shipping Company” et obtint même une subvention annuelle de 12'000 £ afin de créer la première ligne régulière. En 1859, c’est le 11 mars qu’arrive le navire Salsette, de la compagnie Peninsular & Oriental. En 1864, arrivée de l’Emyrne, premier paquebot à voile et à vapeur de la compagnie maritime française, qui visite Maurice. C’est un navire appartenant aux Messageries impériales, compagnie qui inaugurera la ligne régulière avec l’Europe et la France la même année. En 1872, création d’une autre ligne régulière avec l’arrivée du navire à vapeur Walmer Castle, première unité de la Castle Line qui fait désormais escale à Maurice.
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Port-Louis. |
Enfin, l’ouverture du canal de Suez, loin en fait, d’écarter les navires de Port-Louis, mit cette ville à trente jours de l’Europe.
Le portrait du capitaine Jordan transmet absolument toute l’atmosphère du Port-Louis de cette époque où les flux migratoires et les échanges commerciaux amenèrent nécessairement les autorités coloniales à réorganiser le port et son administration. Cela dut d’ailleurs se traduire, ce tableau en est un témoignage précis, par une militarisation d’une bonne partie des contrôles du pouvoir, dont celui du port. N’oublions pas que cette réalité coloniale nécessitait une organisation sans failles et soigneusement hiérarchisée. Pendant longtemps, le Hong-Kong and Singapore battalion, le Royal Garrison artillery ou le Northumberland Fifth Fusiliers restèrent, à un moment donné ou à un autre, sur place, jouant un rôle de maintien de l’ordre ou même simplement à titre dissuasif, de nombreux hauts cadres de l’administration s’avérant souvent des militaires au service de sa majesté.
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Autre vue d'une autre partie du port au début du XXe siècle.
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Quant à Jordan, sa fonction n’était pas de tout repos, si l’on en juge aux nombreux navires en perdition dans la rade ou en difficulté dans le port même:
En 1860, incendie à bord du navire Edmund Kaye chargé de coton. En 1863, du fait d’un cyclone, naufrage du navire Duke of Malakoff à l’entrée de la rade. En 1874, nombreux échouages lors du cyclone de mars. A cette époque, les incendies à bord des navires n’étaient hélas pas chose rare, en 1878, 123 mules meurent asphyxiées dans la barque Alice Muir, en rade de Port-Louis, en 1876, c’était le Dunedin qui s’évanouissait en fumée.
Le dynamisme du port était tel qu’en 1903, les Mauriciens l’ont oublié, fut inaugurée par l’Albion Dock Co, une ligne de tramway devant servir au transport des marchandises et permettant de relier la douane aux magasins de Port-Louis.
C’est toute cette atmosphère coloniale et portuaire que ce magnifique portrait du capitaine du port nous transmet. Portrait d’un militaire régnant sur l’un des poumons essentiels de l’île, le port. C’est toute une richesse économique en même temps qu’une rigidité très coloniale et “british” qu’il nous transmet ainsi, le témoignage d’une véritable thalassocratie, le mot est d’A. Toussaint, thalassocratie britannique et impériale, cela va sans dire. Cet homme, bien engoncé au fond de son fauteuil spacieux, bercé par l’illusion prétentieuse et bourgeoise de vouloir laisser une trace de lui à la postérité, ne se doute pas qu’il est un symbole et que cent-cinquante ans plus tard, le spectateur se moque pas mal de sa personne pour ne plus s’attacher qu’à sa représentation.
A lui seul, il dévoile plus de choses que n’importe quel portrait de la famille royale de la salle du trône à l’Hôtel du gouvernement, tous tableaux dans un état pitoyable, eux-aussi. Il nous dévoile la certitude sereine d’une hégémonie absolue sur le monde, imposant plus particulièrement à l’Asie un joug qui ne sera plus ébranlé qu’un siècle et demi plus tard, par les canons japonais du général Tojo.
Après l’ère du commerce des épices et des hommes, l’Angleterre, comme toutes les puissances coloniales de son époque, s’intéresse désormais à l’exploitation rationnelle et capitaliste des matières premières, condition du développement de l’industrie européenne. C’est une île Maurice toute tournée vers l’exportation de son sucre de canne que suggère ce portrait, une île traversée par toutes sortes de trafics maritimes d’êtres humains (coolie-trade ou traites déguisées) ou de marchandises, les deux n’étant d’ailleurs pas toujours différenciés aux yeux des colons comme des autorités.
Au loin, on peut facilement distinguer quelques navires à voiles, ceux-ci dorénavant à l’apogée d’une véritable technicité de la vitesse, permettant de rallier l’Angleterre à l’Australie en des temps records de 70 et même 65 jours vers 1850, l’apparition des grandes compagnies de navigation au milieu du XIXe siècle, constituant une évolution considérable dans le développement portuaire. C’est tous ces aspects circonstanciés et parfaitement symboliques que ce magnifique portrait nous permet de restituer aujourd’hui.
Le capitaine du port
Vers 1860, le port de la ville de Port-Louis mesure environ un mile de long entre la maison du bâtiment des douanes et la ligne dessinée par les deux forts à l’entrée. Sa forme s’avère irrégulière et bornée au Nord par un chemin connu comme la “Chaussée Tromelin”, qui sépare le port d’un vaste lagon appelé “Mer Rouge”.
La profondeur de l’eau à cet endroit ne dépasse pas quatre pieds. Côté Sud, le port est bordé par une ligne de récifs qui s’étendent à partir du rivage sur un quart de mille. Les fonds en sont coralliens et ne sont pas à plus de trois ou quatre pieds de la surface, pour brusquement tomber à quatorze pieds.
Le port par lui-même n’a pas une profondeur uniforme, mais peut accueillir jusqu’à 150 vaisseaux jaugeant de quinze à trente pieds, sans compter les caboteurs ou autres vaisseaux côtiers de moins de cent tonneaux, qui peuvent mouiller là à plus d’une soixantaine.
Un dragueur désensable constamment l’embouchure qui conduit au port.
Tout le long des quais, il y a des anneaux d’amarrage destinés aux navires de guerre jaugeant de 26 à 36 pieds. On trouve également des anneaux conçus pour les gros navires de marine marchande dépassant les 400 pieds de longueur.
Le bureau du port est situé dans le même bâtiment que celui des douanes, construction à deux étages qu’on peut facilement reconnaître par son mât de pavillons, flottant à 18 pieds au dessus du niveau de la mer et permettant d’indiquer tous les signaux émanant du port. L’établissement entier dépend directement du capitaine du port.
Ce département est doté d’un navire de sauvetage, d’une vedette de secours en mer, ainsi que divers navires à voiles ou à moteurs, opérant tant dans le port même qu’en mer. C’est en 1881, certainement au lendemain de la réalisation de ce portrait, le peintre Alfred Richard étant décédé le 8 mars 1880, qu’arrive le premier remorqueur à vapeur affecté au service du port, le Walrus, bâtiment de 91 tonnes. On peut donc affirmer sans risque, que le personnage du “Capitaine du port” était certainement un des premiers de la vie coloniale de l’île à cette époque.
Tous les signaux d’alerte cyclonique partent du bureau du port, lui-même en liaison directe avec l’observatoire de Pamplemousses, relayé par le Fort George. Le personnel de marine se compose de trois pilotes, qui opèrent du 1er octobre au 31 mars entre 5h45 et 18h45 et du 1er avril au 30 septembre, de 6h15 à 17h45. Tous les pilotes sont quartiers-maîtres et relèvent du capitaine du port. Les navires de guerre anglais sont acheminés gratuitement. Le capitaine du port est également en charge des douanes, du remorquage éventuel des navires et de la bonne gestion des phares.
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Avant le capitaine Jordan, c'était le capitaine Douglas Wales qui fut responsable du port. De fait, la présence de militaires de carrière anglais à ce poste montre assez l'importance accordée à cette fonction durant la période coloniale, ce que permet de juger ce portrait.
Cette autorité coloniale n'était pas sans rencontrer d'éventuelles résistances souvent fondées. Par exemple celle qui opposa le premier maire de Port-Louis, Louis Léchelle, au capitaine d'alors, Douglas Wales, au sujet du traitement de l'épidémie de choléra et de la mise en quarantaine des passagers de navires suspects.
Entre le lazaret de l'îlot Gabriel et Port-Louis, des navettes permettaient d'acheminer vivres et nouvelles. Le 28 février 1856, un des marins de ces navettes devait succomber durant le voyage et, selon le Dr. Jules Labat, de l'hôpital civil, mort du choléra.
Le capitaine Douglas Wales, bien qu'ayant enregistré le diagnostic et sans doute peu au fait de ce genre d'épidémie, décida soudainement de faire débarquer le cadavre! Fort heureusement, le Maire et son adjoint s'interposèrent avec acharnement à cette autorité coloniale quelque peu bornée et entreprirent de faire immerger le corps aussitôt, ce qui fut fait. Ils exigèrent également que l'ensemble des passagers débarqués regagnent le navire qui retourna à la quarantaine. Malheureusement, le mal était fait et pour la deuxième fois en à peine trois années, Maurice fut encore touchée par cette terrible maladie qui cette fois emporta 3'532 victimes dénombrées. Le système colonial se payait très cher...
Restauration du tableau
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Avant restauration. |
L’état de ce portrait était désespéré, si l’on en juge aux appréciations laissées par Mrs Edmunds, conservatrice du Victoria and Albert’s Museum, qui vint à Maurice en 1987 afin d’y réaliser un diagnostic sur l’état de l’ensemble des collections du Mauritius Institute et qui décrivit cette œuvre comme étant trop endommagée pour pouvoir être présentée à nouveau au public. Elle préconisait dès lors de conserver le portrait à plat dans un tiroir, “à titre de document”. Dès lors, la vie de ce tableau devait suivre son cours et c’est en 1995 qu’il fut possible pour nous de le sauver. La restauration de l’œuvre dura trois mois et grâce à l’aide de M. Mahommed Enver Atchia, nous parvînmes à redonner à ce témoignage une seconde vie. Celle-ci ne devait pas durer longtemps, car faute d’être exposé à nouveau au public, le tableau dut retourner au sein d’espaces de rangements ou de stockages, indignes d’être appelés des réserves et où, comme ses congénères, il ne pouvait être voué à nouveau qu’à une fin prochaine et inexorable. Pour quelles raisons les responsables de la muséologie mauricienne semblent démontrer une application certaine à ne prendre aucun compte des collections publiques pourtant sous leur égide, nous ne saurions donner d’explication tant la situation semble tragique et l’urgence pourtant manifeste. Aujourd’hui, aux dernières nouvelles, le capitaine Jordan se porte on ne peut plus mal et, sans doute au cours de déménagements incessants et sans précautions, a subi une balafre qui le rend à nouveau “irregardable”. Qu’on me pardonne ce néologisme, il me semble pourtant le seul approprié en l’occurrence.
Le rentoilage est un procédé de restauration et de conservation dont la propriété essentielle consiste à doubler la toile originale par une autre, à l’aide d’un adhésif. L’objectif du rentoilage est de renforcer un textile accidenté (déchirures, crevaisons, lacunes ...) ou affaibli, qui n’est plus à-même de jouer son rôle de support. Le rentoilage permet également, soit de réactiver l’adhérence entre la préparation et le textile en assurant la régénération des anciens encollages, soit de remettre dans le plan du tableau, les déformations, cloquages et décollements, les différentes marques du châssis, ou encore, d’aplanir les craquelures aux arêtes saillantes ou les divers soulèvements.
Les qualités exigées du rentoilage sont la neutralité de l’encollage vis à vis des couleurs du tableau, de ne pas écraser les empâtements de surface lors de l’aplanissement du tableau, de permettre de retrouver la souplesse du textile, tout en créant les conditions d’une bonne pénétration de l’adhésif en respectant une des règles de la déontologie de la restauration moderne : la réversibilité.
Un rentoilage doit pouvoir être repris sans risques pour la couche picturale, mais la réversibilité totale et parfaite est bien-sûr, difficilement réalisable, car un rentoilage apporte obligatoirement un changement matériel dans l’œuvre. Les différents types de rentoilage sont généralement classés en trois catégories: ceux à colle aqueuse, ceux à la cire-résine, ceux aux résines synthétiques.
“Querelle de colles, querelles d’écoles”, chaque procédé a ses partisans convaincus, mais seul l’esprit systématique est en fait à proscrire, le choix de l’adhésif dépend du cas à traiter, du climat local et de l’expérience du spécialiste lui-même. En l’occurrence, dans le cas mauricien, la situation tropicale chaude et humide n’autorise pas l’utilisation des colles aqueuses à base de peaux animales ou d’os et de farine de méteil, la présence d’un nombre d’insectes friands de cellulose ou de matériaux organiques, ne permet pas d’utiliser de tels procédés sans considérer leur dangerosité à brève échéance. Aussi, la plupart des cas à rentoiler sont doublés à l’aide de colles synthétiques ou de colles à base de cire-résine.
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Réintégration de la couche picturale. |
Le cas du portrait qui nous préoccupe ici fut résolu à l’aide de la cire résine, selon la méthode dite “hollandaise”, qui remonte au XVIIe siècle. L’adhésif utilisé est un mélange de cire (qui assure l’adhérence proprement dite), de résine, qui donne une certaine rigidité et augmente le point de fusion, à base de résine dammar, enfin, d’élémi, qui assure à l’ensemble une certaine plasticité. L’Ile Maurice ne disposant pas de table chauffante sous vide, le rentoilage s’exécute traditionnellement à l’aide d’un fer à repasser.
Dans de nombreux ateliers, la cire naturelle a été remplacée par de la cire microcristalline dérivée du pétrole. Le rentoilage à la cire paraît répondre à la nécessité de prendre constamment en compte les méfaits causés par l’humidité, il permet d’éviter aussi tout risque de moisissures.
Quant à la réintégration de la couche picturale, le degré de détérioration du tableau était tel, que l’intervention a certainement nécessité une relecture interprétative de l’œuvre, permettant de restituer des parties définitivement perdues. Le menton du personnage, une bonne part de la colonne, de nombreuses parties du tableau ont pu être sauvées in-extremis.
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Première page du Mauricien, 20 janvier 1996. |
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Mauricien, 20 janvier 1996. |
Mauritius Institute
Sauver le patrimoine
12 tableaux déjà restaurés
DOUZE tableaux appartenant à la collection du Mauritius Institute ont été restaurés, entre décembre 95 et janvier 96, par le restaurateur français Emmanuel Richon, dont les séjours à Maurice ont été facilités par la Mission de Coopération française. La plupart des œuvre restaurées pendant le dernier séjour de M. Richon proviennent à la collection Rochecouste (léguée au Mauritius Institute en 1921 et 1922). Une visite à l'atelier du restaurateur, permet de constater le travail accompli et de prendre connaissance de différentes étapes pour la conservation d'un tableau, ce qui varie selon son état de dégradation.
Outre les dix peintures provenant du legs Rochecouste, des deux autres des toiles fraîchement restaurées sont des portraits de capitaines du port, dont un Le Capitaine Morgan de A. Richard, exécuté en 1879. M. Richon bénéficie, depuis quelque temps déjà, de la collaboration du Mauricien Anwar Atchia.
Étapes
Tous les tableaux dont la conservation a été assurée à ce jour sont accompagnés de petites photographies servant à mieux faire comprendre les différents processus du travail qui parfois ne tient que dans une simple retouche de vernis mais qui, la plupart du temps, consiste en une restauration beaucoup plus en profondeur, du fait que ce sont des pans entiers qu'il faut traiter pour leur rendre à la fois leurs couleurs et leurs vernis originaux. II s'agit là d'un travail de longue haleine et d'une très grande minutie puisqu'il n'est pas facile de faire cohabiter un vernis datant de plusieurs décennies avec un autre fraîchement posé.
II serait long et compliqué d'expliquer ici comment s'y prend le restaurateur, l'essentiel étant qu'il n'y a pas de discontinuité entre l'ancien et le nouveau. La tâche, selon le degré de détérioration de l'œuvre, peut nécessiter plusieurs jours et des couches successives de peinture et de vernis jusqu'à ce que le ton ambiant soit obtenu. Cette partie de la conservation/restauration du tableau demeure cependant la plus facile à accomplir.
Dans des cas extrêmes où l'œuvre, par l'usure du temps ou pour des raisons climatiques, présente des «écailles» et des parties commençant à se détacher de la toile, il faut alors procéder par une autre technique, très délicate, qui consiste à rentoiler le tableau. Ce qui correspond à doubler la toile existante par une nouvelle — le rentoilage des peintures du Mauritius Instituts est difficile du fait du taux très élevé d'humidité qui tend trop la toile — en la fixant avec une colle forte spéciale et en traitant le tout à chaud afin que les écailles et les parties défectueuses adhèrent à nouveau à la surface du tableau. Cette opération très risquée et qui demande des soins minutieux peut durer, selon l'étendue de la détérioration, de quelques jours à plusieurs semaines.
Trois règles
La restauration d'un tableau reste toujours un cas particulier à résoudre et qui doit l'être dans le respect des trois règles de la restauration moderne: la lisibilité de l'œuvre, la stabilité et enfin la réversibilité des matériaux utilisés pour la retouche.
Toute restauration doit être une proposition de solution, proposition qui doit pouvoir être remise en question par les générations suivantes sans danger pour la peinture originale. Cependant, il faut savoir que, si la réversibilité est facilement réalisable pour la retouche, elle ne l'est pas toujours pour le traitement des vernis, l'allègement ou le dévernissage, opérations essentielles dans la vie de l'l'œuvre. Le présent doit cependant sauver le passé pour le transmettre au futur.
LUCIEN MASSON
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