Les dix-huit élèves de 4ème4 (section européenne) du collège Beauséjour de Trinité viennent de terminer une véritable aventure pédagogique et littéraire. Ils viennent d'écrire le mot "FIN" sur la dernière page de chacun des deux romans qu'ils avaient commencés l'année dernière…
Ces deux romans sont assez différents mais tous les deux très étonnants et surprenants pour des élèves de ce niveau.
Le premier, "Vincent dans la délinquance" (145 pages) retrace le parcours initiatique d'un jeune lycéen martiniquais qui sombre dans la délinquance, le racket et la drogue. Sujet au coeur d'une actualité malheureusement trop présente dans notre société. Ce regard d'adolescentes (onze filles ont écrit ce roman) parvient vite à une certaine intensité dans le récit, énorme travail sur l'écriture romanesque, et sait émouvoir autant que faire réfléchir. Le jeune Vincent, héros de notre temps, se sort d'un véritable enfer, après des épreuves douloureuses, mais aussi avec l'aide de quelques mains tendues... La fin, poignante, montre aussi que cet équilibre reste fragile... Ces écrivains en herbe ont raconté une histoire, avec des être de chair et sang, proches d'elles, qui mérite le détour...
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Le second roman, "Le Kidnapping", est d'une tout autre veine mais tout aussi surprenant. Ce roman policier, d'aventures, de 184 pages (excusez du peu) met en scène des adolescents américains de notre époque… Une lourde menace semble planer sur leur tête, et, au fil des pages, elle se précisera. De rebondissements en rebondissements, ils finiront par vivre un véritable suspense qui passionnera et captivera le lecteur... Le dénouement, assez inattendu, après un véritable jeu de piste, se passe sur notre île et l'on imagine facilement ce que leur réservera Madinina, l'île aux fleurs… Certains îlets du Nord Atlantique peuvent être paradisiaques mais aussi receler des pièges insoupçonnés…
On pourrait «théoriser» ce travail, d'un point de vue tout à fait pédagogique, je le ferai sans doute sous forme d'un petit livret (en liaison avec le CRDP)…
Ici, il m'a semblé intéressant de «raconter», tout simplement et assez brièvement… Ma formation littéraire se prête mieux à cet exercice plus naturel pour moi…
Pour ces deux romans, «l'aventure» a commencé au début de l'année scolaire 2002-2003 avec une classe de cinquième comprenant une section européenne. Les élèves étaient au courant du recueil de nouvelles policières réalisé l'année précédente avec une classe de même niveau (la publication de ce recueil, préfacé par Patrick Chamoiseau, avait donné lieu à une petite «soirée littéraire» en fin d'année et le dépôt de quelques exemplaires au CDI de l'établissement n'était pas passé inaperçu).
Ils avaient, réellement envie de suivre les traces de leurs aînés… Ils m'ont demandé s'ils pouvaient écrire aussi… La proposition d'écrire un roman a tout naturellement émergé. Je leur ai donc demandé à chacun d'imaginer un début et que nous verrions ensuite… Au fil des jours m'arrivèrent donc des textes, des premiers chapitres d'histoires très diverses. Pour la plupart, ils étaient déjà imprimés donc déjà écrits en traitement de texte! Dans un premier temps je me suis contentée de faire un travail de correction traditionnel en demandant à ceux dont je rendais les copies manuscrites de voir s'ils pouvaient transcrire leurs textes corrigés sur disquette en utilisant les ordinateurs du CDI ou celui d'un ou une camarade. Tout ceci d'une manière très libre…
En laissant le temps, sachant que beaucoup ne maîtrisaient pas encore l'outil informatique. Je me suis bien sûr proposée d'aider ceux qui le désiraient, pendant certaines séances au CDI soit dans le cadre de la classe (l'initiation au traitement de texte est au programme) soit pendant d'autres moments (le midi, pendant mes heures de «trous»…) Il s'agissait pour moi de pouvoir rassembler tous ces débuts et de les donner à lire à chacun sur une même disquette afin de pouvoir organiser une séance de discussion collective.
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Cette séance arriva et fut suivie de quelques autres. Chacun tenait à son propre texte bien évidemment et tenait à le poursuivre… Je laissais faire…Je fis quelques propositions pas nécessairement bien reçues : ils avaient des idées, et ils y tenaient… Certaines séances furent même assez houleuses et il m'apparut évident qu'il fallait laisser «mûrir» le projet et savoir être «directive» au moment opportun. Les adolescents ont une personnalité en pleine évolution et formation, il faut prendre en compte les sensibilités et les «fonctionnements» de chacun pour un travail de ce type, à caractère assez peu scolaire…
D'ailleurs le but était bien de tirer de ces richesses individuelles et si diverses, le meilleur pour aller vers une véritable démarche d'écrivain. La gageure était qu'il s'agissait d'un travail collectif et qu'il semblait presque impossible de concilier cet aspect avec l'écriture propre à chacun. Gymnastique compliquée, mélange de souplesse et de rigueur, d'écoute et de débat, de respect de l'autre…Cet aspect subsistera jusqu'à la fin de l'aventure…
Quelques débuts s'étoffèrent donc, d'autres tournèrent vite court : la notion de roman étant confuse, beaucoup se contentèrent de nouvelles plus ou moins longues, plus ou moins structurées… Il apparut à ce moment qu'on ne pouvait continuer comme cela et qu'il fallait s'arrêter sur un texte et conduire un véritable travail collectif d'écriture à plusieurs mains.
Après moultes discussions, deux textes restèrent. Impossible de les départager tant la nature même de ces débuts était différente. Les textes étaient de qualité sensiblement identique. Il a donc été décidé de poursuivre ces deux débuts et de constituer deux groupes. Naturellement cela ne me simplifiait pas la tâche: il allait falloir mener de front deux groupes, deux corrections, deux textes très différents…Mais bon, il y avait un accord relatif et un certain enthousiasme…
Le travail prit son rythme de croisière. Il fallait bien sûr continuer les cours, le programme… Sans compter un travail dans le cadre des «Itinéraires de découvertes» (IDD) sur les cyclones qui donna lieu à un travail d'écriture également, avec les mêmes élèves… Un cédérom rassembla d'ailleurs ces travaux à la fois scientifiques et littéraires et, entre autres, deux nouvelles, assez intéressantes, furent écrites (voir ci-joint).
Pour l'instant on n'arrêta pas de plan préconçu: on avançait au rythme des propositions de chacun et on retenait collectivement les meilleurs textes. Un travail sur l'écriture romanesque avait réellement pris corps et l'étude en classe de textes divers, autour de thématiques précises, ainsi que le travail sur la langue contribuaient à l'alimenter. Les allers-retours de disquettes étaient devenus tout à fait normaux. Mes corrections et suggestions étaient codées; orthographe et syntaxe: mots et expressions incorrects soulignés en rouge, en italique et en rouge aussi, insertion de remarques et de suggestions, demandes de développements, descriptions, portraits, scènes, voire chapitres à intégrer…
A Certains élèves plus en difficulté (cette classe ne comprenait pas que la section européenne et même parmi ce groupe, certains avaient du mal à suivre) je demandais certains travaux plus spécifiques (une description, un portrait, une recherche documentaire…); j'ai d'ailleurs maintenu cet aspect pendant quasiment toute la durée de ce travail afin de ne laisser personne sur la touche… On arriva à la fin de l'année avec une dizaine de chapitres pour chaque roman… Une soixantaine de pages environ… Je demandais et obtins la possibilité de suivre ce groupe l'année suivante en quatrième…
Pour cette année scolaire 2003-2004, compte tenu des possibilités données par les textes officiels et les déclarations ministérielles, je saisis l'occasion avec un collègue de technologie qui assurerait la partie logistique et la recherche de documentation sur internet, de poursuivre sous la forme d'un atelier d'écriture : le projet ci-joint en donne la description.
Très vite des élèves se sont passionnés, d'autres ont continué les travaux annexes que je leur demandais. La maîtrise de l'outil informatique ne posait plus de réel problème pour la quasi-totalité du groupe. Il n'était pas du tout évident de maintenir sur une aussi longue durée, avec des élèves de cet âge - 13-14 ans- l'attention et la motivation indispensable et il y eut «des hauts et des bas»…
D'autant plus qu'il me fallut faire face à une autre initiative. Dans le cadre de la classe, leur ayant demandé d'écrire un conte ou une nouvelle fantastique pendant les vacances de Noël, j'ai dû, devant les textes qui me parvinrent, presque tous imprimés, faire un travail parallèle pendant un mois ou deux, similaire, par allers et retours de disquettes… Ainsi un petit recueil de «Contes et nouvelles fantastiques» a-t-il pu voir le jour.
L'investissement en temps et en matériel est évident. Il faut des heures de lecture et de correction, des disquettes qui souvent sont un support fragile, peu fiable, des cédéroms réinscriptibles plus sûrs (donc un graveur) quand cela est possible, voire des échanges de mails…
A un certain moment (janvier 2004), alors que les deux romans en étaient à près de cent pages, le travail sur la structure du récit, implicite jusqu'à maintenant (supervisé par le groupe autant que par moi), a pu véritablement commencer . La mesure de l'ampleur du projet avait été prise par la plupart de ces écrivains en herbe et de véritables plans sur lesquels certains avaient déjà travaillé s'imposèrent.
A un certain moment la vue d'ensemble (qui nécessita bien des tirages papiers pour autant qu'il est impossible de bien lire sur un écran…) était telle que les élèves se répartirent, «enfin» pourrais-je dire, tant cela allait me faciliter la tâche, les chapitres par petits groupes à l'intérieur des deux groupes… Il s'agissait alors de maintenir les cohérences et de faire en sorte que ce travail plus «éparpillé» apparût comme écrit d'une seule main. Un immense travail parallèle de relecture et de correction (en dehors de la classe, pendant les vacances scolaires…) commença et l'on assista à des choses tout à fait remarquables: certains élèves, tout en poursuivant leur travail d'écriture, traquèrent les fautes et les incohérences, firent des propositions, des critiques et des remarques souvent extrêmement pertinentes… On en verra des exemples sur ces extraits des disquettes de Laurie (« Le Kidnapping »), d'Ingrid et d'Aymeline (« Vincent dans la délinquance ») et de quelques autres. Extraits de disquettes ou de cédéroms.
Un Travail de documentation, «à la Zola», s'avéra nécessaire plus d'une fois. De très nombreux passages ont nécessité une recherche très pointue, soit personnelle (autour de soi, au CDI…), soit sur internet.
Il était en effet apparu qu'un roman s'appuyait sur le réel, d'où la nécessité de descriptions précises, documentées, développées, liées aux circonstances, parfois en concordance avec les états d'âme des héros… L'écriture romanesque reposait aussi sur des ressorts divers, par exemple il a fallu approfondir certaines scènes d'action ou intimistes, voire comiques. Ainsi la tendance, qui est patente, surtout dans les débuts de chaque roman, et que je n'ai pas voulu «gommer» à se contenter de grands dialogues montra vite ses limites.
Le travail sur la langue a été considérable: un travail «ordinaire» bien évidemment sur l'orthographe, la conjugaison, la valeur des temps, la syntaxe… mais aussi sur la précision et diversité du vocabulaire, l'utilisation d'outils divers s'est avérée nécessaire (comme un dictionnaire des synonymes), l'introduction du créole dans «Vincent», le développement des images…
Enfin, la prise en compte des réalités locales, pendant ce travail de français, a été tout à fait naturelle. Ces deux romans, «Vincent» bien évidemment, et dans une moindre mesure «Le Kidnapping» ont bien pour assises un vécu et une culture antillaise, même si les thèmes, les idées, les messages que ces très jeunes adolescents ont voulu faire passer sont bien à la fois d'ici et d'ailleurs, universels: l'amitié, la générosité, la solidarité, un sens indéniable des responsabilités, la quête de soi, une grande curiosité, le goût de l'aventure…
Certes, certains passages sont plus proches de la fiction que la réalité pour autant que l'imaginaire est bien l'une des sources essentielles de la création et il a bien fallu écrire parfois sur ce que l'on ne connaissait pas ou très mal (le poste de gendarmerie, le tribunal, «la maison de redressement», la vie à New York…). Mais «la vie réelle» est bien présente et la recherche de documentation a été souvent très utile. On notera que dans Vincent, de nombreux noms de lieux et de personnes ont été changés au moment de publier… Comme on a coutume de le dire: «Toute ressemblance avec des événements, des lieux ou des personnes…»
Ce qui est assez ennuyeux, pédagogiquement désastreux et humainement très pénible, fut qu'un tirage suffisant n'a pas été possible. Pour les seuls envois divers (personnalités, éditeurs…), j'ai dû même me procurer une imprimante laser… Deux élèves seulement ont pu partir en vacances avec un exemplaire de leur œuvre… La majorité des élèves, paradoxalement, n'a pu avoir une vision globale de chaque roman, en faire une véritable «lecture», autrement que sur écran… Je leur ai promis un cédérom pour la rentrée mais, bien sûr, une véritable édition serait l'idéal…
Françoise Lefèvre, Juillet 2004
20 juillet 2004
L'aventure n'est pas terminée, loin de là !
A cette date, plusieurs élèves, véritablement passionnés par ce travail d'écriture et sans doute très motivés par l'éventualité d'une édition (on peut rêver…), m'ont fait parvenir remarques, suggestions et corrections diverses (typographiques, orthographiques et, dans une moindre mesure, stylistiques). Ainsi, Ingrid m'a communiqué pas moins de quatre pages de suggestions tout à fait pertinentes.
J'ai pu intégrer toutes ces corrections à une nouvelle édition du manuscrit.
Il est évident que ce travail de relecture n'est pas encore achevé. Un certain nombre de «coquilles» ont dû encore nous échapper… Il est vrai que le tirage, un peu rapide, des manuscrits en fin d'année scolaire a laissé de trop nombreuses incorrections… Par ailleurs, le travail sur écran est vraiment difficile, complexe, sollicitant d'autres compétences et habitudes que l'écriture manuscrite : un des éléments à prendre en compte pour de futures expériences.
Ce souci de perfection de la part d'élèves en vacances, cette volonté de peaufiner leur production me paraît être une démarche tout à fait étonnante, inhabituelle, extrêmement positive…
Consciente de ces imperfections et de ces hésitations, je ne peux que demander l'indulgence et, éventuellement, l'aide et le soutien de tous ceux qui ont eu entre les mains les premières moutures de ces romans d'adolescents. F.L.
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