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Sous-médiatisation ou hypermédiatisation du créole:
Éléments pour une créolisation des médias guadeloupéens

 

par Dannick Zandronis  

«Vivant dans un monde en perpétuelle mutation, le journaliste du tiers-monde
doit se montrer plus vigilant, plus sensible à tout ce qui se passe dans sa région, dans son pays»
in «Journalisme et Tiers-monde» 1989 Éditions universitaires.

Avant propos


La question du créole et de son usage dans les médias pose aujourd’hui une triple problématique.

  • sous l’angle quantitatif:
    Absent des médias, le créole aura du mal à fixer son écriture et à se développer.
  • sous l’angle qualitatif
    Présent dans les médias comme il l’est actuellement, c’est-à-dire sans une véritable stratégie lexicographique, le créole est en danger et la décréolisation avance.
  • sous l’angle idéologique
    Même si l’introduction du créole dans les médias est le résultat d’un intense combat idéologique, lié à la quête identitaire, il faut aujourd’hui dépasser cette étape et débarrasser la question du créole de tout cet arrière plan idéologique, souvent synonyme de blocages.

Il s’agit donc de contourner ces trois obstacles pour dégager un véritable pédagogie d’un créole à visage médiatique. Il est en effet indispensable que le créole s’appuie sur les médias audiovisuels et écrits pour affirmer sa présence.


I - La sous-médiatisation du créole

On constate une singulière absence du créole dans les médias guadeloupéens alors que la presse de la fin du 19è / début 20è siècle est très dynamique. La question du créole n’est pas prise en compte.

Des dizaines de titres que nous avons recensés, aucun n’est en créole. Après l’abolition de l’esclavage, les journalistes et polémistes de l’époque entrent de plain-pied dans le monde du français écrit. L’institution scolaire qui se développe ne fait aucune place au créole. Donc il n’est guère étonnant d’assister à un reniement du créole et à son absence des médias écrits. Il faudra attendre le début des années 70 (Hazaël Massieux 1971 ou P. Davy 1977) pour voir apparaître les premiers travaux scientifiques de chercheurs natifs.

Il en est de même pour l’étude des médias: peu de travaux de recherches. Un ouvrage a cependant été rédigé en 1935 par Lenis Blanche. Ce petit opuscule d’une soixantaine de pages est, à notre connaissance, l’unique document consacré à l’étude de la presse guadeloupéenne des débuts de la colonisation, mais il est fort incomplet.

En 1983, Camille Jabbour, directeur du journal «Match» a aussi livré ses réflexions sur la presse, mais il ne s’intéresse guerre qu’à son propre journal.

Quant aux rapports du créole et des médias, les études se font encore plus rares. Cependant, nous savons que Daniel Dabat a réalisé une recherche intitulée «Discours radiophonique créole en Martinique (1989/1992): destructuration ou restructuration de la langue créole».
L’auteur, exemples à l’appui, analyse le processus de décréolisation tel qu’il se vit dans les radios libres où pourtant le créole a droit de cité.

Créole et médias en Guadeloupe: présence et absence

a) la presse écrite

Même si l’histoire générale de la presse guadeloupéenne reste à faire, un simple recensement des titres existant depuis 1788, montre que le créole a été très absent de cette presse écrite. Des dizaines de titres que nous avons consultés, on ne relève aucun journal affichant un titre ou un surtitre en créole.

Dans l’état de nos recherches, il revient à Ancelot Bélaire, journaliste et poète guadeloupéen, d’avoir, le premier, publié à la fin des années 50, le premier journal portant un titre en créole «Zagalasse et cancan», petite feuille de chou humoristique, plus axée sur le poésie et les faits divers.

Plus tard, Hector Poullet, créoliste, édite «Muchach» , revue ronéotée d’études sur le créole (1975) qui sera le pendant guadeloupéen de «Sel», une revue haïtienne du même type.

Hector Poullet éditera avec Laurent Farrugia «Douvan jou», (1979) le premier mensuel entièrement rédigé en créole. Le format et le style de «Douvan jou» rappellent le «Grif an tè», le premier journal martiniquais tout en créole. L’expérience «Douvan jou» sera très éphémère.
Ces deux expériences qui semblent marginales, prouvent que dès le milieu des années 70, les progrès de la créolitique et la question identitaire sont les «moteurs» de processus de médiatisation du créole quadeloupéen.

b) La presse francophile

Avec la disparition en 1960 du «Nouvelliste» créé en 1962 qui fut un temps le quotidien de la Guadeloupe, et l’apparition de «France-Antilles», la presse francophile et francophone s’affirme. Dans sa première période, ce journal dirigé par Robert Hersant et inspiré directement par de Gaulle est, avec la radio et la télévision d’Etat le chaînon qui manquait dans le dispositif idéologique mis en place en Guadeloupe et en Martinique par le gouvernement français. «France-Antilles» ne fera aucune place au créole.

«Clartés», hebdomadaire catholique (1945) jusqu’à sa disparition en 1975 n’accorde que peu de place au créole.

Il en sera de même pour «Match» (1945) de Camille Jabbour, pour «L’Etincelle» (1945), hebdomadaire du Parti communiste guadeloupéen.
Il convient par contre de s’arrêter un instant sur le cas du «Progrès Social», créé en 1957. Le journal s’affiche comme étant, pendant une dizaine d’années, le porte-parole d’un courant nationaliste chrétien. Son directeur et l’un de ses fondateurs seront déférés en 1968 devant la Cour de Sûreté de l’Etat français. Le «Progrès Social» généralement rédigé dans un français très châtié, n’utilise que très rarement le créole.
«Guadeloupe 2000» (1971), mensuel de l’extrême droite guadeloupéenne, francophile, n’hésitera pas par contre, à publier régulièrement vers 1984 des articles créoles pour contester la graphie du GEREC.

c) La presse nationaliste ou le créole en pointillé

Paradoxalement, les journaux nationalistes guadeloupéens ne font pas la place belle au créole.

«Gong Information», revue théorique du patriote guadeloupéen, publiée clandestinement en France et diffusée en Guadeloupe, n’utilisera jamais le créole dans ses articles. Cette revue qui paraîtra de 1963 à 1967 est historiquement la première publication officielle du Mouvement nationaliste. Les étudiants de l’AGEG éditent à Paris «Le Patriote guadeloupéen». C’est dans ce journal que l’utilisation du créole écrit fera ses premiers pas. Mais le journal est cependant entièrement rédigé en français. Parfois, des titres ou sous-titres sont en créole.

«Chaltouné» (Le Flambeau), 1973. organe de propagande du GONG 1. Le choix du titre créole est révélateur de la position des militants éditant ces quatre pages. Pourtant, très rares sont les articles en créole. «Chaltouné» comme «Le Patriote guadeloupéen» est un journal rédigé en français.

«Jakata», (1978), mensuel officiel de l’UPLG Le titre est créole.L’utilisation du créole est plus systématique. Certaines interviews seront publiées en créole.
«Jougwa, journal guadeloupéen» (1979) Outre le titre, même si l’essentiel du journal n’est pas en créole, mais un cahier central intitulé «Joukré» (jounal kréyòl) est en créole.
«Magwa, magazine guadeloupéen» (1981) né d’une scission de «Jougwa», il fera une place aussi importante au créole. même démarche avec la publication d’un cahier central.

d) La radio

Avant 1981, trois stations de radio se partagent l’auditorat guadeloupéen.

  1. La radio d’Etat FR3 Guadeloupe aussi appelée Radio Guadeloupe. Un jeune poète musicien marie-galantais, Casimir Létang, anime, dès la fin des années 60, un magazine culturel hebdomadaire: «La Gazette créole intercaraïbe»: c’est l’émission .... , ce bric à brac radiophonique de sport, le tout en créole. Cette émission créole battra un record de longévité puisqu’elle durera près d’une trentaine d’années. Périodiquement, d’autres émissions créoles sont mises à l’antenne: «Vyé Kannari ka fè bon soup» animée par Luidji Colat Jolivière.
  2. Sur Radio caraïbes International qui vient tout juste de s’installer en Guadeloupe(1979), pas d’émission spécifique, mais les animateurs utilisent fréquemment le créole à l’antenne dans leurs émissions.
  3. Radio Antilles, située à Montserrat, est une station polyglotte. Les programmes se partagent entre l’anglais l’après-midi, l’espagnol le soir, le français le matin. Pas d’émission spécifique en créole.

Après 1981 et le libéralisation des ondes par la Gauche française, le créées. Parmi elle, on retiendra:

Les deux radios nationalistes Radyo Inité (novembre 1981) et Radyo Tanbou (septembre 1982) auxquelles viendra s’ajouter Radyo Gayak, une radio du Parti communiste guadeloupéen et qui produira des émissions en créole.

Sur les radios unilingues, le créole gagne ses lettres de noblesse. Des journaux aux magazines et jusqu’aux chansons: tout est en créole. Le succès est immédiat. Ces radios constituent des contre-pouvoirs où s’expriment toutes les rancoeurs et tous les espoirs de ceux qui souhaitent la rupture (kaskòd) avec la France.

Pourtant, dans ces médias pro-créoles, le créole ne se porte pas aussi bien qu’on l’aurait souhaité. Les journalistes, animateurs, mais aussi le public qui adore communiquer par téléphone avec ces nouveaux médias interactifs, utilisent un créole où les normes syntaxiques sont de moins en moins respectées.

On notera que ces radios ne proposeront jamais d’émission spécifique sur la recherche créole. Tout au plus, donneront-elles la parole aux spécialistes, à l’occasion de Banzil kréyòl ou de tel fait d’actualité. Mais le débat sur la place du créole dans la société fera l’objet d’un nombre incalculable d’émissions.

Enfin, on notera que sur ces radios d’opinion, même si le créole est la langue la plus utilisée, la vocation de ces radios est d’abord d’être des caisses de résonance de partis ou groupes indépendantistes. En ce sens, la défense du créole n’est que secondaire. D’ailleurs, pour nombre de dirigeants nationalistes de l’époque, le seul fait de donner au créole une place essentielle et quasi exclusive dans ces médias, contribue à la fois ಠlibérer² le créole et le Guadeloupéen.

Mais le créole parlé dans les médias favorise-t-il le développement et l’amélioration de l’usage du créole?

II - L’hypermédiatisation: le créole en danger

1/ Les radios créoles

Le développement des radios libres et pas seulement dans le camp nationaliste, -puisque près de 30 radios occupent la FM en Guadeloupe- donnera une place encore plus importante au créole. Toutes les radios associatives des années 85/90 se mettent au créole.

On peut citer: radio Bélo (Capesterre Belle Eau) radyo Gwo Mòdan radio Mònalo radyo Karata Eclair FM (Baillif) MFM (Moule) radio Basses International.

Même si le contenu idéologique n’est pas le même, les radios associatives et les deux «grandes» radios guadeloupéennes que sont RCI et RFO se mettent elles aussi au créole. Le bond quantitatif est appréciable, mais sur le plan qualitatif, la situation est difficile.

2/ La télévision créole

Alors que RFO tarde, malgré son désir de «proximité» à faire une place au créole à la télévision, l’arrivée successive de «trois télévisions pirates» dans le paysage audiovisuel guadeloupéen, donnera des espaces supplémentaires au créole.

Canal 10, KTV, puis Archipel 4 et TV Eclair n’hésiteront pas à ouvrir leurs antennes à la langue créole. On verra même sur Archipel 4 (1999) une série d’émissions en créole, initiées par le producteur Henri Debs, émission où tous les créolistes guadeloupéens viendront donner «la leçon de créole».

Comme pour les radios nationalistes et les radios associatives, le créole utilisé à l’antenne sera de qualité très moyenne. Mais au contraire des radios nationalistes, les télés-libres se tiendront toutes hors du champ idéologique; ce qui rend d’ailleurs incompréhensive la position de RFO qui ne débutera son «Kout Zié» quotidien de 6’ qu'en 1998 avec l’arrivée d’Emmanuel Gombo, transfuge de Radyo Tanbou1.

III - Les dangers de l’hypermédiatisation

Très vite, on s’apercevra que le créole sur les médias audiovisuels n’est pas une réussite extraordinaire. Le vocabulaire, la syntaxe sont mis à mal par des locuteurs qui ne s’en préoccupent guère. La qualité des prestations proposées en créole, qu’elles viennent des journalistes ou des auditeurs est souvent médiocre.

Raphaël Confiant, dès 1985, a perçu le danger. Il l’exprime en français dans «Moun, mès é labitid» «Notre critique est plus simple et plus sévère. les radios libres antillo-guyanaises sabotent jour après jour ce qui constitue le noyau dur du créole à savoir la morphosyntaxe (...) Toucher à la morphosyntaxe d’une langue c’est l’atteindre en plein coeur» et R. Confiant très pédagogue donne des exemples précis. «Les animateurs (...)ont modifié le pluriel des mots dans le sens d’une extrême francisation () en créole rural, «les gens» se dit «sé moun-la». Nos radios disent systématiquement «lé moun», pur calque du français «les gens». «Les animateurs introduisent sans vergogne le complément de nom français avec «de» dans leur créole. Exemple: «lé travayè de Carrefour désidé de fè grèv» ou «prézidan de Konsèy jénéral-la» alors qu’en créole rural, on aurait eu «sé travayè Karfou» ou «Prézidan Konsèy Jénéral-la».

Pour Confiant, le créole radiophonique «est une sorte de charabia, de mélange douteux, de francréole conduisant inexorablement à la mort de notre langue vernaculaire () Le créole est un enjeu délicat pour notre culture et le traiter par-dessus la jambe, c’est se mépriser soi-même».

Cette hypermédiatisation serait elle même porteuse de décréolisation, laquelle se manifeste là où on l’attend le moins, c’est-à-dire dans des radios nationalistes, culturelles ou associatives, qui, le plus souvent ont l’ambition de «défendre» voir d’«illustrer» le créole.

IV - Créolités et interférences idéologiques

1) Le débat idéologique

Nous l’avons dit dans le cas du créole, son utilisation dans les médias n’est pas sans risques, pour la structure même de la langue. D’un point de vue morphosyntaxique ou lexical, nous avons aussi stigmatisé les écueils de l’hypermédiatisation. Mais un autre danger a guetté le créole, il s’agit des interférences idéologiques du créole et du discours politique.

Dans la charte culturelle du GEREC (1982), Bernabé soulignait le fait que «Le Gerec souhaite en effet que d’une manière générale, la question créole soit débarrassée de ses oripeaux mythiques, faute d’activisme intellectuel, et frein à toute action efficace au service du développement des sociétés créolophones. Notre projet, allergique à la politicaillerie, est-on ne peut plus politique».

Bernabé et le GEREC se démarquent du débat idéologique sur la question du créole et qui agite les cercle intellectuels et nationalistes guadeloupéens depuis les années 70. dans «La langue créole, force jugulée» (1976), Dany Bébèl se positionne: «Nous ne voulons aucunement revendiquer théoriquement une existence en créole, mais le rencontrer sur le terrain qui est le sien (...), le terrain d’une expérience commune de la vie et des luttes des esclaves et de leurs descendants, des forces historiques et sociales qui l’ont fait naître et ont déterminé le support que les Antillais entretiennent actuellement avec le créole.»

Il s’agissait, pour cette sociolinguiste de croiser le fer sur le plan idéologique avec les détracteurs du créole qui, au début des années 80 sont encore trop actifs. Dans «Moun, mès é labitid n° 2» (1986), Guy Hazaël Massieux semblait vouloir remettre en cause la graphie du créole proposée par le GEREC. «Pourquoi écrire en créole des choses si elles sont plus difficiles à lire que dans ce qu’on a l’habitude de lire en français ? (...).» Poursuivant sa pensée et son combat contre les thèses du GEREC, il affirme dans CMoun N° 2» que «toute notation phonétique est balkanisante».

2) Les nationalistes, fer de lance du mouvement créole

Quand Bernabé (1976) soutient que «la question créole soit débarrassée des oripeaux mythiques», il ne peut avoir oublié que son travail de «chercheur» et de linguiste n’a pu qu’être facilité par l’intense débat idéologique qui, au milieu des années 70 agitait la Guadeloupe. Le GEREC qui apparut précisément au moment où le Centre Universitaire Antilles Guyane (CUAG) était la proie d’une agitation fébrile.

Le Syndicat Général de l’Education en Guadeloupe (SGEG) qui fédère les enseignants de la maternelle à l’Université, est d’obédience nationaliste. Nombre de ses fondateurs sont ceux-là même qui, 6 ans auparavant encore étudiants, rédigeaient ce «rapport culturel» (décembre 1976) de l’Association générale des Etudiants Guadeloupéens (AGEG). Le document peut être considéré aujourd’hui comme la matrice des idées culturelles du Mouvement nationaliste guadeloupéen. «La classe dominante utilise tous les moyens pour assurer sa domination économique. Elle contrôle le système politique, juridique, économique, militaire. Elle s’empare des instruments culturels pour imposer son idéologie. De plus, cette université a pour but, non pas de mettre les connaissances à la portée de tous, mais de former les cadres techniques capables de faire fonctionner la machine économique de la bourgeoisie²

Avec un discours typiquement marxiste, l’AGEG de cette époque s’est ralliée aux thèses maoïstes qui s’opposent aux thèses dites «révisionnistes» de l’URSS. Continuant leur analyse de la situation culturelle de la Guadeloupe, les étudiants de l’AGEG soulignent que «la Guadeloupe, elle, subit la domination coloniale de l’impérialisme français. Cette oppression se reflète sur le plan culturel (...) Il s’agit d’abord d’étouffer la culture guadeloupéenne en tentant de trouver ses fondements historiques pour la nier, puis d’affirmer que le Guadeloupéen n’a pas d’histoire, pas de culture, qu’il n’est qu’un sauvage».

Et tout naturellement, l’AGEG affirme que «la culture nationale (guadeloupéenne est opprimée (...) qu’elle est une culture de résistance».

Après avoir décrit les composantes de la culture guadeloupéenne (musique, traditions orales, contes, devinettes, légendes), l’AGEG souligne que «le créole s’est toujours maintenu face au français, alors que les colonialistes croyaient pouvoir l’éliminer, il a connu ces derniers temps un développement sans précédent, correspondant à la montée de la lutte du peuple guadeloupéen».

En conclusion, «tout militant anticolonialiste doit poursuivre cer effort et encourager partout, si c’est possible, l’usage du créole.»

Voilà édictées les bases de la révolution culturelle initiée par l’AGEG et qui orientera le combat culturel en Guadeloupe pendant plus de 30 ans. Difficile d’y échapper!

Quand, en 1971, les ouvriers et paysans du secteur canne, organisés dans la première organisation syndicale nationaliste (UTA) imposeront au Préfet de négocier en créole le prix de la tonne de canne; et que les AG du SGEG se tiendront en créole, il est difficile de penser que cet environnement culturel nationaliste et pro-créole n’ait pas lourdement «orienté» les conceptions des chercheurs de l’époque.

Cette pesanteur idéologique a pendant un temps semblé préjudiciable au développement de la créolistique.

Les anti-créoles, dans les médias, à l’église ou à l’école n’hésitent pas à faire volontairement l’amalgame: défendre le créole, c’est se battre pour l’indépendance de la Guadeloupe!

La conséquence immédiate a été le coup de frein donné à l’usage du créole dans les médias officiels. A la télévision aujourd'hui encore, le créole vit dans un ghetto quotidien appelé «Kout zié».

La dénomination elle-même est symbolique de la position du créole sur RFO Guadeloupe.

Les journalistes freinent le créole. Les interférences idéologiques sont-elles responsables du frein opposé au créole dans les médias, même s’il faut en tenir compte, d’autres facteurs objectifs sont à mettre en perspective. Non seulement certains journalistes et animateurs ne sont pas formés à l’usage du créole dans les médias, mais d’autres refusent de se remettre en question et croient que créolophones natifs, ils ont la compétence linguistique nécessaire «pour parler créole à l’antenne»


Et quand au hasard d’une interview, ils se lancent à l’eau et utilisent le créole, le résultat est hilarant.

D’autres journalistes n’ayant pas reconnu ou accepté le statut de langue médiatique du créole, refusent l’exercice.

Cette résistance «passive» des journalistes créolophones reflète un certain état d’esprit. Car le journaliste sait parfaitement, qu’en utilisant systématiquement le créole à l’antenne, il est immédiatement catalogué par ses collègues et par l’opinion comme «militant» ou comme «nationaliste».

Or, dans les médias guadeloupéens, nombre de journalistes de la nouvelle génération préfèrent se battre pour une information «objective», comme si parler créole ou informer en créole serait transgresser les lois de la sacro-sainte objectivité. Il est symptomatique de noter que lors des conflits catégoriels (1991), les journalistes de RFO Guadeloupe communiquaient tous en créole. C’est donc que le créole garde, malgré tout, cette force symbolique et constitue encore le dernier «carré» de résistance au monde français au sein duquel baigne le journaliste guadeloupéen diglossique.

3) Le créole est-il encore porteur d’idéologie?

Vingt ans après les sévères batailles idéologiques voire politiques entre pro et anti-créoles, les clameurs se sont tues. La créole a finalement été accepté dans l’église et dans l’institution scolaire. Le créole, «lang a vié nèg» a vécu!

Même M. Hazaël -Massieux (1999) le reconnaît: «Il est vraisemblable que les débats autour du créole, la façon dont les groupes militants ont pu (parfois agressivement) l’imposer dans les échanges oraux ou écrits, ont eu entre autres conséquences de familiariser un public beaucoup plus vaste avec ces questions. Là où l’on considérait traditionnellement que le créole était plus ou moins «honteux» une certaine détente s’est progressivement opérée, et l’usage public est maintenant dans certains cas accepté. Les femmes de la bourgeoisie moyenne vivant en ville, qui ont entre 50 et 60 ans ne parlent pratiquement pas créole mais leurs filles (qui ont entre 20 et 30 ans) le parlent avec plus de décontraction».

V - Éléments pour une créolisation des médias

1) Le créole a besoin de médias

Les récents propos de la recherche créole, les ouvrages publiés régulièrement sur le créole, font que le statut du créole a changé. Il n’est plus seulement l’affaire de quelques spécialistes ni non plus de militants: le créole s’est démocratisé. Tous les pans de notre société sont désormais touchés par la révolution créole. Le mouvement amorcé depuis 25 ans semble irréversible.

Comme le théâtre, le cinéma, la danse ou les faits de société, le créole revendique une place dans les médias, mais les conditions pour cette entrée officielle sont-elles réunies ?

Repenser la relation duale médias/créole Il est important de souligner que quittant les sphères d’une ghettoïsation, le créole devient un sujet pour lui-même. Les journalistes du XXIè siècle ne peuvent pas être tous spécialistes d’économie, d’écologie, de sport ou de créole. Mais est-il aujourd’hui concevable de croire qu’un journaliste, de surcroît natif, sache écrire, parler le français, l’anglais ou l’espagnol et soit handicapé par le créole? Cela signifie que pour améliorer les «sujets», les «reportages» en créole, les journalistes se doivent d’être formés. Sur le modèle des enseignants à l’IUFM, il devient nécessaire d’inclure dans la formation du journaliste de sérieuses notions de créolistique.

2) Médias, créole, créolité

Les nouveaux journalistes du XXIè siècle ne peuvent se contenter d’un parler créole approximatif. Ils se doivent aussi, pour pouvoir en rendre compte, mieux appréhender la culture, les cultures créoles dans leur globalité.

Il ne s’agit plus de restreindre le créole à la seule langue, mais d’étendre cette formation aux différents aspects du concept de créolité. Cela suppose un changement d’optique, une autre vision de la dimension créole de nos sociétés.

Comment parler du gwo ka ? Comment rendre compte d’une veillée culturelle ? Comment concevoir un sujet sur un conteur ?

On l’aura vite compris, pour devenir très vite dépassé, la notion de «conservatoire», l’homme des médias en position de recréolisation doit être capable d’être plus qu’un simple spectateur. Car qu’on le veuille ou non, le néo-journalisme créole que nous appelons de nos vieux est à inventer. Une fois les notions universelles du journalisme appréhendées, le journaliste créole ne doit pas hésiter à réinvestir son réel, l’interroger et peut-être cette nouvelle attitude changera-t-elle le rapport créole/médias ?

On peut arguer du fait que même dans les radios et journaux nationalistes des années 70 /80, la dimension créole a été un peu occultée au profit de la dimension purement politique et nationaliste.

Deux décennies après l’arrivée dans le paysage médiatique guadeloupéen de radios nationalistes, c’est l’heure du bilan. Il serait injuste de le dire uniquement négatif, mais il reste beaucoup à faire, car c’est le spontanéisme et le volontariat, voire l’amateurisme et une part d’affectivité qui ont été les moteurs de ces interventions.

Aujourd’hui que le débat s’est quelque peu dépassionné, il convient de définir une nouvelle approche de ce que nous appelons une créolisation des médias ou encore une stratégie de créolisation.

Cela signifie que le créole, la créolité deviendront des disciplines majeures que doivent maîtriser les néo-journalistes.

Apprendre la graphie du créole, l’utiliser à bon escient mais surtout repenser des médias où le créole aurait une vraie place. Alors se posera la question modale des médias tout créoles ou des médias reflétant la situation de diglossie.

Cette «créolisation» doit prendre en compte cette question car il ne s’agit pas de vouloir imposer des méfias unilingues, non sectaires, mais comme le souligne Bernabé, (Charte GEREC, 1976) «nous pensons que la radio doit développer des «zones», des «plages» de créole natif/natal.... Ce créole résulte d’une prise de conscience et d’un travail stylistique et expressif sur la langue. La radio bien programmée et bien utilisée peut être mise au service de cette révolution culturelle communicative».

Il en est de même pour la télévision en sachant que (GEREC p. 48) «la télévision, c’est d’abord l’image». Grâce à ce média, l’écriture soit problématisée, diffusée, assumée et incorporée à la société».

3) Pouvoirs, créoles et médias

Nous ne devons pas occulter la dimension de pouvoir de la presse et des médias. La dimension idéologique revient car quoique nous fassions, la Guadeloupe, la Martinique restent des pays sous domination. Comment occulter le fait que le «contrôle des médias par la classe moyenne constitue un atout pour cette classe? Tant du point de vue financier, que de celui de la diffusion de leus idées.» (Michèle Martin, 1991)

Le contrôle des médias dans les sociétés antillo-guyanaises est un enjeu capital. les groupes politiques nationalistes qui ont tenté, pour établir un contre pouvoir, d’avoir leur média, l’ont compris: le quotidien «France-Antilles», dont l’idéologie pro-française n’a échappé à personne, est le même modèle de ce pouvoir médiatique, contrôlé à la face par le capital colonial et qui soutient un courant politique souvent rétrograde.

Cela signifie que nous ne devons pas tomber dans l’angélisme. En dernière analyse, la question du créole dans les médias est aussi et presque essentiellement une question politique.

BIBLIOGRAPHIE

Espace créole 1, 1976

Communication et médias de masse, Michele Martin P.U Québec 1991

Linguistique et colonialisme, L.J Calvet P.B., Payot 1974

Communication et les mass medias, Marabout 1973

Journalisme et tiers monde, Editions universitaires 1989

Médias et sociétés, F. Balle, Monchrétien 1994

Rapport culturel IXè Congrès de l’AGEG, Ronéoté 1970

La langue créole, force jugulée, D. Bébèl Gisler, l’Harmattan 1976

Le système médiatique, Hazaël Massieux 1994