Lavi-a djol anba
J'ai participé à un colloque autour du créole
à l'île de la Réunion il y a quelques années.
Dany était présente. Nous étions invités
par l'association Ankraké. Dany m'a vraiment émerveillé
ces jours-là, je la découvrais sous un autre jour.
Elle a charmé tout le monde par son assurance, ses connaissances
et sa détermination. An fanm doubout.
De plus Dany a préfacé un livre publié aux
Éditions LAFONTAINE. Le livre «un trésor, le
fruit à pain doux». Sa préface s'intitule: Dé
twa ti pawòl pou wouvè kozé a.
Elle a d'ailleurs reçu l'auteur: Mme M.Françoise
LAMY dans son école Bwadoubout en Guadeloupe. Étant
chercheure elle-même, elle s'était intéressée
à ce travail.
Dany trasé an chimen ba nou, pa kité vié zeb
pousé adan. Mèsi Dany.
«Nul ne meurt tant qu'une mémoire s'en souvient.»
Jala
Jala, c'est mon nom d'auteur.
Éditrice, conteuse, marionnettiste.
Jeannine LAFONTAINE, responsable des Éditions LAFONTAINE
que j'ai créées en 1994.
Militante pour sa culture antillaise.
|
J'ai eu la chance et le privilège
d'avoir cette grande dame comme prof au CERC, il y a maintenant
un peu plus de 10 ans, en DEA Caraîbe Amérique latine.
J'ai été littéralement fasciné par tant
de dévouement, de conviction et de simplicité réunis
en un seul être humain. C'était vraiment une grande
écrivaine, une grande chercheuse, une grande militante.
De plus, j'ai appris aujourd'hui que c'était en fait la
cousine germaine d'une cousine de ma mère.
Fos é kouraj à sa famille et ses proches et tous ceux
qu'elle a considérés comme tels. Je pense aux enfants
de "Bwadoubout" dont elle nous parlait sans cesse, pour
nous motiver, dans notre "recherche-action", terme sociologique
qui prenait toute sa valeur dans sa bouche, car c'était avant
tout une chercheuse de terrain qui n'hésitait pas à
mouiller ses belles robes africaines pour reconstruire le pays.
¨Pour elle, la parole n'avait aucune valeur si elle n'était
accompagnée d'une action. Elle était pragmatique par
excellence.
Hier soir, j'ai retrouvé dans mes archives la Charte
Européenne des langues régionales ou minoritaires
qu'elle nous avait distribuée, Charte que le Président
François Mitterand avait refusé de ratifier. Je crois
qu'elle n'a jamais pu accepter ce refus venant d'un homme qu'elle
devait sûrement admirer, au fond d'elle-même.
Repose en paix, Dany ! «La langue créole, force jugulée»
ne t'oubliera jamais.
Edmon Wouso,
Marigalant |
Dany Bebel-Gisler honorait haut et fort à la
fois ses origines africaines et notre langue créole. Fière
de s'habiller de tissus qui lui allaient parfaitement, elle se disait
«gwadafricaine», rendant ainsi hommage à ses ancêtres
et à tout ce qui a pu être conservé en terre antillaise
du continent de ses origines.
Son dévouement à l'émancipation de l'âme
des descendants de l'ignoble esclavage afro-destructeur et à
la reconnaissance de l'identité créole du Guadeloupéen
occupait pleinement son temps et son énergie.
Partie, il nous reste son exemple, ses livres, son enseignement,
et son œuvre à poursuivre. La langue déjugulée,
à nous de la faire gicler. Chacune des composantes de la
civilisation antillaise d'une part, et tous ensemble, enfants créoles
d'autre part, nous gagnerons à suivre cet exemple de fière
fidélité aux origines spécifiques, et de courageux
combat pour l'unité dans la protection de la diversité.
Jean-S. Sahaï |
CREOLISTIQUE
DANY BEBEL-GISLER, COMBATTANTE DU CREOLE
La Guadeloupe et le monde de la créolistique viennent de
perdre en Dany Bebel-Gisler à la fois une combattante et
une scientifique de renom. Terrassé par un arrêt cardiaque,
celle qui était chargée de mission pour l’UNESCO
pour le projet «La Route de l’Esclave» a mené
pendant plus de trente ans un combat difficile pour la reconnaissance
de la langue créole dans son île. Elle s’est
d’abord fait connaître par son ouvrage, publié
dès 1972, «Le créole, force jugulée»
dans lequel elle analyse les rapports de force entre créole
et français dans une société encore sous le
joug d’un jacobinisme culturel et linguistique sans partage.
D. Bebel-Gisler met en lumière la domination symbolique que
subit, dans tous les domaines de la réalité, mais
en particulier celui de l’école, notre langue née
dans les Plantations, étouffée dans son développement,
niée, rejetée, y compris par ceux-là même
dont elle était la seule langue maternelle. Cette domination
empêche littéralement l’Antillais de parler autrement
qu’à travers la voix de l’Autre, se déportant
hors de lui-même, empruntant une identité qui n’est
pas la sienne.
Joignant la réflexion scientifique à la pratique,
D. Bebel-Gisler ouvrira une école privée au Lamentin
(Guadeloupe), «Lékol Bwa-Doubout», dans laquelle
elle scolarisera en créole les exclus du système scolaire,
cela avec un succès non démenti pendant une bonne
dizaine d’années. Avec l’anthropologue haïtien
Laënnec Hurbon, elle en viendra à s’intéresser
aux immigrés haïtiens vivant en Guadeloupe, personnes
doublement rejetées, d’abord par leurs «frères»
guadeloupéens, ensuite par l’Etat français.
Ils écriront un livre à deux mains en créole
qui reste un modèle inégalé à ce jour
de fusion des créoles guadeloupéen et haïtien.
Ce faisant, Bebel-Gisler et Hurbon ouvraient la voie à la
fabrication d’un pan-créole c’est-à-dire
d’une langue créole écrite dépassant
les singularités insulaires, un peu à la manière
de l’arabe littéraire.
Enfin, D. Bebel-Gisler, à travers l’histoire d’une
paysanne nommée Léonora, recueillira la parole des
sans voix, cela dans leur propre langue, dépassant le cadre
du simple «récit de vie» pour aboutir à
une nouvelle forme littéraire, un nouveau genre, à
la croisée de l’ethnographie, de la psychologie, du
roman et de l’histoire. Ce livre, qui connaîtra un succès
certain, ouvrira la voie à toute une école d’écriture,
à la fois exigeante et populaire.
Les préoccupations du GEREC-F et de D. Bebel-Gisler étaient
très proches sans que jamais il n’y eut de collaboration
entre eux. La lecture des ouvrages publiés par l’un
et l’autre démontre sans discussion aucune qu’il
y avait, en dépit de cela, une réelle convergence
d’idées, une volonté de sortir la langue et
la culture créoles du ghetto dans lequel elles sont confinées
depuis trois siècles. La seule vraie différence entre
le GEREC-F et D. Bebel-Gisler résidait sans doute dans le
fait qu’elle croyait sincèrement que les mouvements
nationalistes guadeloupéens pouvaient faire avancer la cause
du créole alors que pour le GEREC-F, cette cause doit être
le fait de tous les Antillais de quelque obédience politique
qu’ils soient, la culture et la langue d’un peuple n’étant
pas liées à son statut politique. Ce qui signifie
très clairement que, pour le GEREC-F, même si la Martinique
et la Guadeloupe restent département-région, redeviennent
colonie, se transforment en une nouvelle collectivité territoriale
ou deviennent un jour carrément indépendantes, le
combat demeura exactement le même.
Nous avons, en effet, l’exemple de dizaine de pays africains,
notamment le Sénégal et le Nigeria, qui, une fois
devenus indépendants, ont laissé de côté
leurs langues et cultures nationales pour se plonger avec délices
dans les bras de la Francophonie ou du Commonwealth. Au parlement
sénégalais, l’unique député à
s’exprimer en wolof (elle ne connaît pas le français)
voit ses propos traduits dans l’enceinte de l’assemblée
dont l’unique langue de travail est le français. Quant
on sait que le wolof était écrit en caractères
arabes (wolofal) longtemps avant la colonisation française,
qu’avec la colonisation, il a été transcrit
en caractères latins, on comprend bien qu’au Sénégal,
l’argument antillais selon lequel «Le créole
ne s’écrit pas», ne joue pas et pourtant ! Et
pourtant!…
Espérons que les ouvrages de D. Bébel-Gisler, notamment
«Le créole, force jugulée» seront rapidement
réédités et qu’on ne se contentera pas
d’éloges funèbres ! Car c’est bien joli
d’avoir le collège Vincent Placoly, la rue Vincent
Placoly, l’arrêt de bus Vincent Placoly etc…mais
aucun livre de cet auteur n’est disponible en librairie depuis
sa disparition.
Messieurs les décideurs politiques, nos écrivains
et intellectuels n’ont pas vocation à devenir des noms
de rue!
Raphaël CONFIANT
|