Ayiti
 
Signification, impact et portée
de la Révolution Haïtienne
d'Indépendance
(1789-1803), hier et aujourd'hui
 
Leslie F. MANIGAT
Président d'Haiti 7 Fév. - 20 Juin 1988
 
Kombit

Kombit - Peinture de Henri Claude. Source

Une analyse-synthèse du sens de l'histoire de la révolution haïtienne dans la double acception de direction évolutive et de signification globale de cette histoire.

Un bicentenaire d'indépendance nationale, ai-je écrit quelque part, n'est pas à banaliser, encore plus quand il s'agit d' « une grande révolution dans un petit pays » dont la résonance universelle sonne encore dans la mémoire collective comme un des faits les plus marquants des annales de l'évolution de l'humanité. Un fait lourd et gros de craquements intercontinentaux et de glissements de forces telluriques embrassant races, nations, cultures, économies, sociétés et civilisations, et au cours desquels, par exemple, Napoléon Bonaparte passe d'un rêve oriental (l'expédition d'Égypte avec des visées sur l'Inde) à un rêve occidental américain (l'expédition Leclerc mettant en cause non seulement Saint-Domingue, française, mais aussi la Jamaïque anglaise, les Antilles politiquement balkanisée par les rivalités intercoloniales dans le bassin de la Caraïbe, et la Louisiane, hier espagnole, puis faite française, pour devenir bientôt américaine). On ne peut pas confiner ce puissant cataclysme social que fut la révolution haïtienne dans un seul pays, ni dans une seule race, même s'ils en furent l'épicentre Mais il est vrai qu'il y a eu la révolution noire à Saint Domingue-Haïti et pas ailleurs pour faire aboutir l'indépendance nationale. Il y aurait lieu de s'interroger sur d'autres révolutions noires qui n'eurent pas lieu ou n'ont pas réussi et pourquoi. Une de mes hypothèses favorites, outre la densité et le poids proportionnel du nombre servile, est la position de la guerre sociale entre maîtres et esclaves comme critère. Là où il n'y avait aucun risque de guerre sociale, comme aux futurs Etats-Unis, la guerre nationale pour l'indépendance se fit naturellement sans entrave, l'esclavage étant maintenu.. En Amérique Latine bolivarienne, la guerre nationale se fit en évitant les risques d'une dangereuse guerre sociale possible comme spectre à conjurer. On prendra quelque temps à abolir l'esclavage après l'indépendance. A Cuba, la peur de la guerre sociale a empêché la guerre de révolution nationale jusqu'à « la guerre de dix ans ». Mais le verbe de la révolution haïtienne se fit chair comme guerre sociale En effet, dans le cas d'Haïti, c'est la guerre sociale qui instigua l'indépendance nationale comme son corollaire. J'ai tenté de dire cela ailleurs, qui me semble fondamental. En révolution haïtienne, la complexité s'exprime au premier chef en une série de «premières » mondiales dont la dense recollection donne aux événements fondateurs de la nationalité haïtienne un relief impressionnant de signification, d'impact et de portée mondiaux.

I.- La révolution haïtienne ? Un aboutissement à travers sept « moments » historiques

Le caractère spectaculaire et sensationnel de la commotion révolutionnaire dominguo-haïtienne ne doit pas cacher qu'il s'agit d'une longue incubation relevant de la « longue durée ». Il faut mettre en cause fondamentalement l'esclavage colonial lui-même tel qu'il s'est développé à Saint Domingue, les souffrances d'un calvaire tricontinental et tri séculaire finalement achevé en se matérialisant dans le séisme d'une éruption volcanique surgie des profondeurs. Oui, c'est l'aboutissement soudain d'une lente évolution.

Pour la commodité d'une analyse concise, on peut distinguer sept moments caractéristiques de cette évolution.

D'abord deux moments animés par les propriétaires, catégories sociales dirigeantes de la colonie, selon une constante historique connue, illustrée par la révolution française elle-même, à savoir que ce sont souvent les privilégiés qui déclenchent le processus révolutionnaire, avant d'être emportés par suite de la radicalisation postérieure : les colons blancs autonomistes, fauteurs des « troubles de Saint Domingue » (c'est ce que j'appelle « le moment Alexandre des Rouaudières », meneur principal de la fameuse sédition de Saint Domingue dans la seconde moitié du 18ème siècle, précédent historique de l'affaire de l'Assemblée coloniale de Saint Marc en 1790 quand les colons rédigèrent le document appelé les « Bases Constitutionnelles », qui furent une véritable proclamation de l'indépendance « virtuelle » de la colonie ), puis les affranchis mulâtres revendicateurs de l'égalité complète avec les colons blancs au point de recourir à la lutte armée à cette fin (c'est « le moment Vincent Ogé », soucieux toutefois d'éviter toute confusion avec la cause des esclaves noirs) dans la revendication, les armes à la main, pour l'assimilation de statut entre blancs et sang-mêlés. Après le supplice d'Ogé, la paix fut établie entre les deux belligérants, mais la solidarité du front de la propriété scellée dans des « « concordats » blancs-mulâtres n'eut pas le temps de se cristalliser en une fusion cohérente durable qui eut pu être définitive.

Car déjà arrivaient les derniers et décisifs des cinq moments animés par la base d'origine servile au cours desquels les masses noires allaient prendre la relève jusqu'à conclure.. J'ai présenté ailleurs ces cinq moments en ces termes :

« Le moment Zabeth » comme je l'ai appelé symboliquement. Zabeth est un nom d'esclave rebelle fréquemment trouvé dans les journaux d'habitations tenus par les colons par exemple à Montrouis, à Fort-Dauphin (Fort-Liberté), dans la zone du lac Azuei (source Zabeth, dans la région de Ganthier vers le pays « à l'espagnol »), et même curieusement dans la région des Platons dans le Sud etc., avec la même légende devenue typiquement attachée a ce nom. Notre Zabeth « nationale » (pour ainsi dire) est une esclave marronne irréductible, qu'on fouette et torture après une première fuite en marronnage, à qui on coupe une oreille après sa seconde sortie, et qui repart encore, à qui on coupe cette fois un bras quand elle est reprise à sa troisième fuite, et qui récidive en repartant une quatrième fois quand même, pour se voir couper finalement un jarret. C'est, commente le professeur Charles-André Julien, le cas individuel extrême de refus instinctif et indomptable de l'esclavage colonial, un cas d'insoumission native que le Dr Price Mars, dans un langage qui lui est propre, aurait appelé la preuve vivante d'un amour immarcescible de la liberté.

« Le moment Mackandal », moment historique concret. Mackandal est un marron endurci (18 ans d'expérience vécue de marronnage !), qui parvient à la conscience de l'affranchissement général au milieu du 18ème siècle, objectif qu'il recherche à travers un complot pour supprimer tous les maitres par le poison. C'est encore du marronnage, mais arrivé à maturité de l'action collective concertée et clandestine pour un but global.

« Le moment Boukman ». Puis, mutation décisive par un saut qualitatif du marronnage qui culmine en insurrection comme le papillon sort de sa chrysalide, ainsi que je crois l'avoir montré dans une communication publiée dans les Annales de l'Académie des Sciences de New-York : c'est « le moment Boukman » marqué par le soulèvement massif des ateliers. C'est donc la révolte générale des esclaves sous l'égide mystique d'un vodou vengeur et sous la direction électrisante d'un chef insurgé, catalyseur et entraîneur d'hommes.

« Le moment Toussaint ». Puis arrive « le moment Toussaint Louverture » avec lequel la révolution servile trouve, comme l'écrit judicieusement Césaire, une « tête politique », et qui forge l'arme de l'indépendance : l'armée indigène, bien qu'aménageant une période intermédiaire pour la colonie en voie d'émancipation, c'est à dire l'autonomie. Toussaint a ouvert alors une perspective inédite : une vision d'avenir pour la décolonisation dans un modèle de transition durable par la période d'autonomie que les pays du Commonwealth britannique expérimenteront : le self-government. Mais l'expédition française de Leclerc oblige notre Toussaint à démasquer prématurément son jeu en ordonnant la résistance armée aux troupes envoyées par Bonaparte, inaugurant ce que les Laurent père et fils (Mentor et Gérard) appellent justement « la première phase des guerres de l'indépendance nationale ».

« Le moment Dessalines ». Enfin, se présente à l'horloge du destin « le moment Dessalines » qui fait succéder sa fulgurance à la temporisation louverturienne, et radicalise la révolution pour la faire aboutir, grâce à une guerre de libération nationale dont l'armée indigène sort victorieuse, à une indépendance irréversible.

Cinq visages conjoncturels différents et successifs de la poussée des forces profondes.

II.- Les dix « premières » inaugurées par la révolution haïtienne :

1) la première révolution servile victorieuse de l'histoire et restée unique. Le fait singulier au sens propre, dans la production historique de la révolution haïtienne est que les révolutionnaires de Saint Domingue ont réalisé ce que jamais avant ni après eux des êtres humains ont pu réussir dans l'histoire universelle : une révolte victorieuse d'esclaves. Il y eut, bien sûr, d'innombrables révoltes d'esclaves dans l'histoire, particulièrement dans les Antilles, comme en Guadeloupe, en Martinique, à la Jamaïque (notamment celle, célèbre, des marrons des Montagnes bleues), dans le Sud des Etats-Unis, ou à bord de navires de la traite négrière. Il y a eu une densité plus grande de tels soulèvements à la fin du 18ème siècle, à l'époque des quatre révolutions majeures de l'ère des émancipations : la révolution américaine, la révolution française, la révolution haïtienne et la révolution des colonies espagnoles d'Amérique. Mais la révolution haïtienne, ce n'est rien de tel, rien de semblable, c'est une révolution sociale des profondeurs, une révolution servile violente victorieuse. Cette performance dans sa primauté et dans son unicité n'a sans doute pas bénéficié des grands moyens de la télévision déployés pour reconstituer spectaculairement la révolte de Spartacus dans la Rome antique par exemple, mais demeure à jamais dans le souvenir collectif des générations successives comme une exception inoubliable par son existence même, son importance, sa signification et sa portée. C'est le fait de mémoire par excellence.

2) la première abolition de l'esclavage du cycle de l'abolitionnisme des temps modernes . En effet, c'est Haïti qui a ouvert le cycle de l'abolition de l'esclavage des noirs dans le Nouveau Monde. Ce qui frappe dans l'histoire de l'abolition de l'esclavage des noirs, c'est le fait qu'elle s'étale sur tout un siècle, exactement de 1791-1793 à 1888, et donc appartient à la longue durée Braudélienne où, malgré l'identité de nature du phénomène, l'événementiel dans chaque cas prend la coloration du contexte géographique et situationnel local, changeant ainsi tout au long du récitatif des différentes conjonctures. 1791-1793 : abolition de l'esclavage à Saint-Domingue-Haïti, 1801-1822 : abolition dans ce qui est aujourd'hui la République Dominicaine, 1823 : l'abolition au Chili, 1826 : l'abolition en Bolivie, 1829 : l'abolition au Mexique, 1834 : l'abolition dans les colonies anglaises, 1848 : l'abolition dans les colonies françaises, 1854 : l'abolition enfin définitive au Venezuela, 1863 : l'abolition dans les colonies hollandaises des Antilles, 1863-1865 : l'abolition aux Etats-Unis d'Amérique du Nord, 1873 : l'abolition à Puerto-Rico, 1885 : l'abolition à Cuba, 1888 : l'abolition au Brésil.

3) la première décolonisation véritable d'un pays indigène par une armée indigène de libération nationale . Le cas haïtien par rapport au cas américain qui l'a précédé en fait de décolonisation, est différent sur un point capital. Bien sûr dans les deux cas, il s'agit bien de deux colonies qui se détachent de leurs métropoles respectives, les 13 colonies se détachant de l'Angleterre et Saint Domingue rompant avec la France Mais en Amérique du Nord, c'est une sécession d'un groupe de colons du même sang devenus des frères séparés, tandis qu'en Haïti, la rupture révolutionnaire concerne une métropole européenne répudiée par une population de couleur traitée en ennemis peu fraternels, honnis même, tant la guerre menée contre les Haïtiens par les expéditionnaires métropolitains de Leclerc fut une guerre d'extermination.. C'est une décolonisation par la victoire d'une « armée indigène » à l'issue d'une guerre de libération nationale.

4) la première émancipation noire identifiée comme telle . Les indépendantistes d'Haïti sont des nègres rebelles, et cela fait toute la différence. Une nation noire est née et consciente de l'être. Jamais auparavant, le fait « nègre » a été aussi déterminant dans la conscience révolutionnaire, pour s'opposer aux colons blancs et se poser en libérés à part entière d'une domination et d'une oppression dégradantes et inhumaines. Les Haïtiens ont récupéré leur âme. On a à l'esprit le mot d'Aimé Césaire : « Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu'elle croyait à son humanité ».

5) la première réforme agraire du Nouveau Monde . La révolution haïtienne d'indépendance a un trait fondamental supplémentaire de phénomene primordialement social qui la distingue des deux autres révolutions d'émancipation nationale du Nouveau Monde qui l'encadrent, l'américaine et les latino-américaines plutôt politiques et économiques. Au-delà de la liberté, de l'égalité et du rejet de l'exclusif en faveur de la liberté commerciale, elle a mis en avant la nécessité du déplacement de la propriété que Mathiez considère comme le critère principal des vraies révolutions. En effet, elle a mis en cause la propriété de la terre des colons de Saint Domingue, et demandé le morcellement des belles plantations coloniales. L'historien français Castonnet des Fosses a été le premier à noter qu'avant la fin de l'époque coloniale, les cultivateurs aspiraient à la terre et la demandaient comme une revendication des temps nouveaux, et que la colonie était déjà ébranlée par la poussée du morcellement comme tendance irréversible avant 1791. La révolution l'a inscrite à son agenda et l'a réalisée comme conquête. Déjà Dessalines avait annoncé le « partage équitable » des terres de Saint Domingue entre les anciens esclaves comme biens nationaux. Son successeur Alexandre Pétion dût le réaliser en dépit des résistances intéressées. L'historien haïtien Beaubrun Ardouin explique le pourquoi : il fallait « éviter » et « prévenir » une « guerre sociale » (« la lutte des classes » de la théorie marxiste) et empêcher la survenue d'« une nuit d'anarchie » (le « grand soir » de la littérature marxiste) dans l'affrontement entre ceux qui possédaient tout et ceux qui ne possédaient rien, admit-il lucidement. La révolution haïtienne, en détruisant le système des plantations qui assurait la grande propriété domaniale, a transformé les anciens esclaves en paysans-propriétaires et transformé le faciès agraire du pays en régime dominant de moyenne, puis de petite et enfin de micro propriété. C'est la première réforme agraire de l'histoire nationale des états du Nouveau Monde.

6) le premier essai expérimental de la formule de self-government comme étape intermédiaire dans l'histoire de la colonisation . Toussaint Louverture, au faite de sa toute-puissance, envisagea l'avenir de la colonie et conçut la vision de l'indépendance à venir comme devant être précédée par une période de transition préparatoire comme une étape d'autonomie, qu'il aménagea par sa constitution de 1801 et les lois organiques et dispositions légales, réglementaires et administratives qui l'accompagnèrent. Cette autonomie allait durer autant que possible, Toussaint devant brusquer les choses seulement si et quand la France attenterait à son pouvoir et à son système. Il en fit la confidence au consul américain au Cap, Stevens, qui s'empressa d'en faire rapport à son gouvernement dans deux dépêches très explicites en 1801. C'est le « self-government » que les anglais vont expérimenter avec succ­ès plus tard dans l'évolution de leurs colonies de la couronne. Bonaparte se refusa net à en faire l'essai, ce qu'il regretta dans ses mémoires en reconnaissant son erreur de n'avoir pas accepté de gouverner Saint Domingue à travers le pouvoir intermédiaire de Toussaint, qui fut en ce domaine un « précurseur » comme dans bien d'autres domaines.

7) la première affirmation du tiers-mondisme avant la lettre, créateur d'une tricontinentale de la solidarité Sud-Sud (Amérique, Afrique, Asie). Le trait sans doute le plus audacieux de la révolution haïtienne fut sa conception d'une nation ouverte aux opprimés de tous les pays coloniaux d'Amérique, d'Afrique et d'Asie qui viendraient s'établir en Haïti au nom d'un jus sanguinis d'un nouveau genre pour ainsi dire élargi. Cette disposition constitutionnelle, consacrée dans la constitution de 1816, mérite d'avoir été fameuse en droit public : « Tout africain, indien et ceux issus de leur sang, nés dans les colonies ou en pays étrangers, qui viendraient résider dans la République, seront reconnus haïtiens ». Notre premier historien national, Thomas Madiou explicite l'acception de ce concept de nationalité ethno-centrique en précisant que dès l'origine, il a été conçu comme englobant également par exemple les asiatiques (hindou) de l‘Inde à peau sombre ou foncée. Donc une nationalité ouverte aux résidents originaires des pays où les natifs sont des peuples de couleur d'une tricontinentale tiers-mondiste.

8) la première expression de la problématique race-classe résolue par le primat de la race sur la classe pour la libération nationale , précédent du « principe des nationalités » qui dominera le 19ème siècle. Haïti a résolu à sa facon mais pour la première fois dans l'histoire sociale moderne, la problématique race-classe en faveur du primat de la première en vue de la libération nationale. Le marxiste Pierre Naville, dans la préface à la version française des « Black Jacobins » de James, s'est sorti d'embarras de cette problématique pour laquelle, en bonne théorie communiste, la classe est plus importante et surtout déterminante que la race, en trouvant une formule expressive de la réalité vécue : « la lutte de classes a pris l'allure d'une lutte de races ». L'indépendance nationale par l'union du noir et du mulâtre, frères de race, plutôt que par la classe qui aurait distingué et divisé propriétaires et non propriétaires, est la formule originale haïtienne. Une nation noire est née de cette formule. Mais, à y regarder de plus près, la formule haïtienne valorisant la dimension ethnique du nationalisme, va être à la base du fameux « principe des nationalités » cher au 19ème siècle et usité par exemple en priorité en pays germanique et en Europe centrale et orientale où, à la différence de la France (voir Renan), la nation, c'est d'abord la race. Le seul hic de taille, c'est que dans le cas haïtien, la race, c'est la race noire.

9) la première victoire militaire d'un pays extra-européen sur une armée européenne , préfigurant le désastre d'Adoua en Abyssinie (1896), et la guerre russo-japonaise (1905) etc., perçus émotionnellement négativement en Occident. La dent dure gardée par l'Occident contre les indépendants haïtiens pendant longtemps est que des nègres révoltés eurent l'audace impardonnable de vaincre les meilleures troupes européennes envoyées par l'ordonnateur du continent au moment de sa pleine forme quand déjà Napoléon perçait sous Bonaparte. On préféra mettre cette défaite sur le compte de la fièvre jaune, notre général « fièvre jaune » comme le froid de Russie, le « général Hiver » fut l'auxiliaire des Russes contre Napoléon. Il faudra attendre « le désastre d'Adoua » en 1896 et la victoire japonaise dans la guerre russo-japonaise de 1905 pour voir l'Occident réagir avec cette émotion du ciel lui tombant sur la terre.

10) la première promotion stellaire d un chef noir reconnu pour la première fois en Occident comme un génie au niveau mondial, émergeant au premier rang universel dans une époque marquée par les performances de Washington, Bolivar, Napoléon Bonaparte, Pitt, Alexandre Ier de Russie, Talleyrand, Mehemet Ali, Tippou Sahib, Moulay Sliman, (y compris à la dimension des petites Antilles Victor Hugues et Delcrès), tous des hommes qui ont fait l'histoire du temps et dont Wendell Philips a osé dire que notre Toussaint doit être placé äu-dessus de tous »(« above all »).dans les annales de l'humanité. Pendant longtemps, notre Toussaint est resté le seul noir consacré par la renommée internationale comme appartenant au Panthéon de l'histoire universelle. Il faudra attendre la deuxieme moitié du XXème siècle pour donner compagnie à Toussaint avec la promotion méritée de Martin Luther King et de Mandela dans la filiation louverturienne comme martyrs victorieux

III.- D'une typologie en trois catégories, le type spécifiquement haïtien : son unicité et son exemplarité.

Le type historique spécifiquement haïtien dans une typologie des indépendances du Nouveau Monde a dépendu du choix entre trois formules théoriquement possibles, choix qui aura déterminé le « modèle haïtien » comme société post-esclavagiste dont il fallait sur place définir la nature.

De la destruction violente du système colonial, qui avait eu l'originalité historique de combiner à la fois, contrairement aux définitions marxistes modernes courantes, « capitalisme et esclavage » (Eric Williams), pour édifier l'économie de plantation, la nouvelle société se trouvait, en bonne théorie, devant trois voies de développement en principe possibles et virtuellement ouvertes à son choix, jusqu'à ce que l'une d'elles pût prévaloir et devenir la réalité dominante en laissant aux deux autres une vie précaire sinon même résiduelle , comme à l'état de séquelles ou d'association de survie. Mais dans ce bourgeonnement conceptuel, laquelle aurait plus de chance d'être plus viable aux yeux de l'histoire ? Laissons celle-ci se prononcer.

L'abolition de l'esclavage comme fondement de l'ancien système pouvait conduire, en bonne théorie, à l'instauration d'une société de type paraféodal - c'est à dessein que je dis paraféodal, c'est-à-dire qui s'apparente au régime féodal, et non semi-féodal car je ne sais toujours pas ce que c'est pour une société d'être féodale à moitié – dans laquelle les travailleurs libérés de la condition servile, pouvaient être attachés par contrat sur les plantations à titre de « quasi-serfs », à la personne de quelques propriétaires. Cela fut effectivement tenté et organisé par la nouvelle oligarchie nationale en formation, dans les codes ruraux de Toussaint Louverture (de 1800 à 1802) et de Boyer ( 1818-1843), mais les nouveaux libres résistèrent à l'application de ces codes, principalement du code rural de Boyer (1826) qui consacra le divorce entre le régime de Boyer et les paysans noirs. Significativement les non-propriétaires préférèrent, à celui de quasi-serfs qu'on voulait leur imposer, le statut de métayer « de moitié », sur le modèle des « baux à mi-fruits » de l'ancien régime féodal de l'ancienne métropole francaise. Il restera ainsi des aspects paraféodaux non négligeables dans la nouvelle formation sociale haïtienne.

La révolution nègre contre le pouvoir de type féodal des anciens colons sur leurs habitations (on parlait de « seigneuries » sucrières) en tant que « barons » d'une prospérité coloniale dont les plantations étaient en quelque sorte les « fiefs » dans l'ancien système , pouvait, en bonne théorie, conduire à la substitution d'une classe dirigeante de type bourgeois dédiée à la commercialisation des produits agricoles pour l'intégration d'Haïti dans le marché mondial, et à des activités spéculatives et usuraires dans un nouveau régime de type « proto-capitaliste » (je le dis à dessein parce que je sais que certains attendaient le mot « précapitaliste » mais je lui préfère le mot proto- capitaliste, c'est a dire déjà engagé dans un capitalisme embryonnaire mais marqué). Les chances de ce nouveau régime proto-capitaliste , l'esclavage ayant disparu, étaient renforcées par l'émergence, à la base, comme on l'a vu, d'une nouvelle paysannerie de moyens et petits propriétaires , par l'apparition et les progrès, difficiles il est vrai, du salaire en milieu rural comme attesté dans un rapport extraordinaire de lucidité bureaucratique des années 1840s, et aussi , enfin, sous la pression de la nature capitaliste de l'environnement internationaliste du pays avec l'avènement du commerce sans entraves (free trade) avec les Etats-Unis et avec l'Angleteere, marchés désormais dominants dans la région. La substitution de la prépondérance d'une bourgeoisie commerciale à l'hégémonie de la plantocratie d'ancien régime indiquait une orientation vers cette direction capitaliste dont les aspects bourgeois marquants caractérisent la nouvelle formation sociale haïtienne. Mieux : la révolution haïtienne survient en cette période charnière des débuts de la substitution du nouveau capitalisme industriel fondé sur la machine à l'ancienne prépondérance du capitalisme commercial : l'esclavage devienda obsolète avec l'hégémonie du capitalisme industriel conquérant. C'est toute la fresque de l'avènement de la révolution industrielle.

Enfin, troisième et dernier volet, mais seulement entr'ouvert à cause de son caractère précoce voire prématuré , la destruction du système des plantations dans sa nature d'activité capitaliste d'exploitation, notamment dans ses structures industrielles avec une première fonction de transformation d'une matière première (la canne) en sucre brut, pouvait, en bonne théorie, conduire à un régime de type « proto-socialiste » ou socialisant, à travers toute une série de réalités : la concentration de la force de travail en « ateliers » après l'expropriation de la classe capitaliste des colons, la revitalisation, avec l'indépendance et l'accès à la propriété, de certaines formes et traditions coopérativistes dans l'exploitation des ressources du sol (les fameuses «coumbites » de nos campagnes), la possible expansion des fermes de l'état devenu le premier propriétaire terrien du pays, et surtout la formulation spontanée et naïve d'aspirations embryonnaires, parfois violentes, d'un égalitarisme social. Il est significativement important de noter que l'épisode de Baboeuf au cours de la révolution française a eu son écho et même des résonances à Saint Domingue-Haïti. Il l'est encore plus d'observer que l'impulsion de justice sociale chez Dessalines l'amènera à prononcer la sentence définitive sur la question agraire sous son gouvernement (1804-1806) en termes catégoriques : « Les terres des anciens colons appartiennent à tous. Je veux qu'elles soient partagées avec équité ». Il y a, sans équivoque possible, des témoignages d'un égalitarisme socialisant dans la nouvelle formation sociale haïtienne. L'un de nos premiers historiens, conservateur voire réactionnaire comme aurait dit Hénoch Trouillot , Beaubrun Ardouin, a écrit cependant en bon observateur lucide : « Le gouvernement qui, en Haïti, ne pourra pas ou ne voudra pas se convaincre que l'égalité en toutes choses est le droit le plus précieux aux yeux du peuple, sera toujours exposé à se fourvoyer ».C'est une sorte d‘idéal instinctif quasi-socialiste d'égalité sociale par la suppression des formes apparentes et des traces de l'exploitation de l'homme par l'homme et des distinctions de classe qui s'ensuivent.

IV.- L'Haïti noire et indépendante dans le monde du 19ème siècle

1) « une anomalie, un défi, une menace » : l'interdit politique jamais tout à fait levé même après la fin officielle de la quarantaine. La victoire des nègres d'Haïti se libérant du joug de l'esclavage et de la domination coloniale a été reçue avec stupeur et hostilité dans l'establishment européen blanc et esclavagiste. L'abbé Grégoire a eu le mot juste à propos de cette réaction de refus de ce qui parut inacceptable à l'Occident : « Haïti est un phare élevé au milieu de la mer des Antilles vers lequel les maîtres et les esclaves tournent leurs regards, les uns en rugissant, les autres en soupirant ». Un interdit politique fut jeté sur le nouvel état. C'est, dira Talleyrand, une Nouvelle Alger au milieu des Amériques que le monde civilisé avait intérêt à combattre en commun comme foyer de piraterie barbare. Le général français Ferrand fulmina son décret de mort contre tout haïtien sortant de son terroir national. Même l'Angleterre « amie » exigeait un passeport spécial pour voyager en Haïti. Il y avait un cordon sanitaire établi autour du pays mis en quarantaine comme au ban des nations blanches et esclavagistes. La trilogie de l'historien américain Rayford Logan est le mot définitif sur la question : le succès de la révolution haïtienne constitua : « une anomalie, un défi et une menace ».

2) un ethno-nationalisme défensif de vie et de mort de notre Etat-nation, et promoteur de la cause de l'égalité des races humaines. Ce fut une question de vie ou de mort pour la nation haïtienne qui, à l'appel martial de Dessalines, devait se souvenir d'appeler « Aux armes ! Aux armes ! de six mois en six mois » pour maintenir l'esprit vigilant de l'impératif de défense nationale par le concept défensif de « la nation armée » : « au premier coup d'alarme, les villes disparaissent et la nation est debout » ! La conscience nationale était inséparable de la conscience raciale dans un ethno-nationalisme fier d'affirmer l'égalité des races humaines. Ce fut le message de la révolution haïtienne dans son universalisme de combat. Les plumes haïtiennes se consacraient toutes à défendre, à promouvoir et à illustrer « la cause de l'égalité des races humaines ». Quand le livre de Gobineau, vite célèbre, et pour cause, défendit la thèse de « L'ínégalité des races humaines » dans un Traité retentissant, les haïtiens se mobilisèrent à l'unisson contre « les détracteurs de la race noire ». Sous ce titre flambeau, Louis-Joseph Janvier alla de sa belle plume polémique avec des collaborateurs aussi combatifs que lui, pour défendre nos congénères sous la gifle négrophobe. Anténor Firmin disserta avec érudition dans une réplique à Gobineau avec son « Traité de l'Egalité des Races Humaines » et Hannibal Price rédigea son émouvant : « De la Réhabilitation de la Race Noire par la République d'Haïti ». La petite patrie haïtienne prouvait, non seulement en théorie scientifique, mais par des exemples concrets de performances remarquables par leur excellence, tirés de cas individuels vécus et illustrés à partir de l'histoire d'Haïti. Il en sortit ce que j'ai appelé un missionarisme de solidarité dans la promotion de la cause de l'égalité des races humaines dont notre pays fut l'incarnation et le symbole vivant.

3) Néanmoins, il fallut payer un prix : le fardeau de la double dette en faveur de la France comme indemnité de l'indépendance et l'assujettissement à un « néo-colonialisme à l'essai » dont l'orgueil haïtien a renié la formulation à défaut de la réalité. Le fait que l'indépendance haïtienne a été conquise par les armes à l'issue victorieuse d'une guerre de libération nationale et non octroyée par la métropole nous a valu l'imposition de deux conditions que le réalisme des dirigeants de l'époque (Pétion et Boyer) eut la faiblesse de proposer et d'accepter. Une indemnité offerte par le premier en faveur des colons dépossédés que la métropole fixa à 150 millions de francs sur la base d'un tableau d'indemnités en fonction de la valeur des terres des plantations de Saint Domingue recensées et évaluées, que notre pays prit trois quarts de siècle pour payer, et la concession à l'ancienne métropole d'un demi-droit en faveur du commerce français par rapport aux autres pavillons en relations commerciales avec Haïti. C'est ce qu'un historien haïtien marxiste a appelé du « néo-colonialisme ».

Le 19ème siècle haïtien, malgré frustrations et humiliations, émerge cependant comme l'ère du « nègre vertical ».

V.- Haïti noire et indépendante à l'ère de la décolonisation des peuples de couleur et du tiers-mondisme tricontinental au XXème siècle : « the rising tide of colours »

1) Haïti dans les deux guerres mondiales. Haïti a déclaré la guerre aux côtés des alliés de la Triple Entente contre les puissances de la Triple alliance ou la Triplice, et a pris par exemple des mesures contre les ressortissants allemands sur son territoire et leurs biens. Cette participation à la première guerre mondiale lui a valu de siéger à la Société des Nations (SDN) à Genève, au sortir de la première conflagration aux victimes multi-millionaires en morts d'hommes. De même, Haïti a déclaré la guerre aux Puissances de l'Axe et a participé à la seconde guerre mondiale aux côtés des Puissances alliées, ce qui lui a valu de siéger à l'Organisation des Nations Unies à San Francisco à la naissance de l'ONU.

A la SDN, Haïti prit courageusement la défense de l'Éthiopie agressée par l'Italie fasciste, malgré – et contre - les positions frileuses des grandes puissances enclines au partage au profit de l'agresseur (plan Laval-Hoare) du territoire de l'Abyssinie. Dans ce conflit italo-éthiopien, Haïti demanda l'application des sanctions collectives contre l'agression, comme prévu dans le Pacte de la SDN, et se révéla la revendicatrice du respect attaché à l'intégrité d'une petite nation, la championne des droits des états, l'adversaire de l'injustice. « Il ne peut y avoir de neutralité devant la justice. La décision de violence se retournerait un jour contre ceux qui auraient cru habile , en s'abstenant, de la laisser prendre. Craignez d'être un jour l'Éthiopie de quelqu'un » (paroles prophétiques du délégué haïtien Alfred Nemours).Citons un autre haïtien qui se fit une réputation lors des débats généraux et travaux spéciaux de la SDN : Dantès Bellegarde.

A l'ONU, la voix et le vote d'Haïti furent décisifs dans la reconnaissance de l'état d'Israël en 1947, et surtout en 1948, Haïti joua brillamment sa partition dans les discussions et les débats sur l'adoption et la proclamation de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme dont le père en second (après René Cassin) fut l'haïtien Émile Saint Lot, le tribun à la voix de stentor dont un périodique français a pu écrire que si « si bien parler est haïtien, alors nous sommes tous haïtiens». Saint Lot fut également une des voix d'or pour la promotion active de la décolonisation.

2) Haïti et son rôle dans la décolonisation. En effet, les grands leaders des peuples et nations d'Outre-mer en émergence ont payé le tribut de reconnaissance à la révolution haïtienne. Les noms de Toussaint Louverture et de Christophe notamment, sont vénérés dans la génération des pères fondateurs des indépendances africaines pour l'inspiration que ceux-ci ont trouvée dans la geste haïtienne de révolution nationale. N'Krumah, Azikiwé, Bradshaw, Sekou Touré, Senghor, Ben Bella, Modiba Keita, Houphouet Boigny, le général Giap, Chou-en-lai etc., ont fait la renommée posthume des forgeurs de la révolution haïtienne d'indépendance.

Mais Haïti a eu l'occasion de jouer un rôle d'étoile brillante au matin de la décolonisation africaine. En effet, elle est connue, cette action haïtienne en appui solidaire à la création des états africains et asiatiques aussi d'ailleurs, tout comme autrefois Haïti fut le berceau du Panaméricanisme par l'aide décisive généreusement donnée a Simon Bolivar en 1816 ou encore le grand élan tangible en faveur de l'indépendance hellénique dans le combat des grecs pour leur liberté dans les années 1820s. Au sortir de la seconde guerre mondiale, outre Saint Lot, père de l'indépendance libyenne, les noms de Max Dorsainvil et de Georges Salomon à l'ONU se sont inscrits dans l'histoire contemporaine pour leur contribution au succès des travaux et des missions de l'ONU qui ont abouti aux indépendances africaines. Mieux : les haïtiens ont essaimé en masse comme enseignants et cadres pour contribuer aux premiers pas des états africains décolonisés à la gestion de leur nouvelle vie nationale : au Congo, au Mali, au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Dahomey (Bénin), en Guinée, au Cameroun, au Togo, en Angola, en Algérie et au Maroc etc., en somme partout en Afrique surtout mais pas exclusivement francophone, et hors d'Afrique. Il y a une phase haïtienne au début de l'histoire de la décolonisation.

Enfin, pour la plus grande gloire de notre pays, les intellectuels noirs ont pris l'Haïti de la révolution d'indépendance en exemple.. La Société Africaine de Culture réunissait alors, au nom et autour de Cheik Anta Diop, les amis de la révolution noire haïtienne fondatrice. Plus tard, Edouard Glissant ne me rencontrait jamais à l'Unesco, sans m'apostropher : Haïti, le pays de la « révolution-mère », concept que je popularisais alors Les historiens de notre race se sont complus à dégager l'itinéraire, la signification, l'impact et la portée de la révolution haïtienne d'indépendance. Le plus classique sinon encore le meilleur bien qu'il date est l'inoubliable « Jacobins noirs » (Black Jacobins) du Trinidadien CIR James, mais il y a eu aussi, pour faire la trilogie caraibéenne, le cubain Jose Luciano Franco avec son Histoire de la révolution haïtienne, et le martiniquais Aimé Césaire, avec ses deux chefs-d'œuvre : son « Toussaint Louverture » et sa « Tragédie du Roi Christophe ». J'ai connu l'époque quand dans l'euphorie de l'après seconde guerre mondiale, la curiosité historique et sentimentale faisait faire le pèlerinage en Haïti aux intellectuels africains en quête de leurs racines ou désireux de rafraîchir les lisières de leur soif d'identité historique. Senghor l'a fait à partir de la Guadeloupe où je l'ai rencontré avant le voyage car, alors exilé, je ne pouvais l'accompagner. Hailé Sélassié l'a fait en un séjour de vingt-quatre heures tout plein de signification symbolique. Le togolais John Crépy, ancien étudiant à Paris de mon temps et futur juge à la Cour de Cassation à Abidjan, vint à Port-au-Prince connaître et reconnaître le visage haïtien de l'Afrique ancestrale. Le sénégalais Seyni Loum, vieil ami étudiant de l'époque du Boul'Mich vint reconnaître la Mecque noire et je l'amenai visiter la Citadelle et le Nord héroique christophien. Je m'en souviens bien, car peu après son départ, je méditais sur les aléas de la vie haïtienne au premier carré du Pénitencier national, prisonnier des geôles de Duvalier père, au mépris capricieux des droits de la personne. Mais celui qui fut pour moi le visiteur « étranger » ( ?) noir alors le plus cher à mon cœur fut le sénégalais Amadou Mahtar M'Bow, mon premier ami africain de Paris tout comme je fus son premier ami haïtien, tous deux alors étudiants en Histoire à la Sorbonne, avec également Joseph Ki Zerbo du Burkina Faso. Mahtar devait épouser une amie haïtienne à qui je me souviens l'avoir présentée et devenir le Directeur de l'Unesco, ou il fut « instrumental » à faire restaurer « la Citadelle » et la faire reconnaître comme patrimoine de l'humanité.

Ce petit pays tout auréolé de gloire aux yeux de ceux qui cultivent le devoir de mémoire, qui fut «la perle des Antilles» et est demeuré l' «Haïti chérie» pérenne malgré la déchéance du bicentenaire coupable d'aujourd'hui et le rêve mutilé, a maintenu la volonté d'égalité digne et fraternelle fidèlement à l'idéal d'affranchissement et d'universalisme de la révolution haïtienne d'indépendance à l'heure de la mondialisation et, de ce fait et en ce sens, n'a pas démérité d'avoir magnifiquement porté le fardeau de l'homme noir en Prométhée nègre dans la légende des siècles. Cette Haïti dont Victor Hugo a pu dire qu'elle est une lumière, a fait 1804 et s'en souvient.

Leslie F. Manigat


 
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