Un lundi matin, je suis arrivé devant la
grue. J'ai posé mes fesses sur un coin de mur et jai
observé les ouvriers. Ils étaient tellement fiers
que c'est à peine si leur pieds touchaient le sol.
Quand la cloche a sonné sept heures, ils sont entrés
dans lusine. Avec quelques camarades, nous avons attendu qu'un
contremaître vienne nous voir. Quelques instants après,
Monsieur L'enclume (un vieux Petit Blanc des Hauts arrivé
là grâce aux magouilles de son père et à
cause de la blancheur de sa peau ) est passé près
de nous.
- Eh vous, qu'est-ce que vous attendez là? nous a-t-il demandé.
On s'est tous levés et on l'a salué chapeau bas.
- Bonjour, Monsieur L'enclume, a dit lun dentre nous,
on est venu vous voir pour quelques journées de travail,
sil vous plaît.
L'enclume nous a bien regardés avant de déclarer:
- Du travail, il y en a, mais vous vous êtes vus? Il me faut
trois ou quatre personnes et vous êtes au moins une dizaine!
Je ne peux pas embaucher tout le monde. Et puis, j'ai besoin de
types costauds, pas de gringalets. Les jambes de moineaux, vous
pouvez dégager.
Quant à moi, il n'a pas regardé mes jambes, mais plutôt
ma tête. Mes cheveux crépus lui ont sans doute plu
car jétais du même gabarit que ceux quil
avait renvoyés.
Il m'a simplement dit:
Toi, va voir Zagate à la bagasse.
J'ai mis les mains sur ma tête et, dans mon cur, jai
remercié le bon Dieu. Jétais tellement content:
le vieux peut dire ce quil veut maintenant, je ne monterai
plus couper les cannes et même si le prix à la tonne
augmente, qu'il ne compte plus sur moi! Je reste à l'usine.
Ici je suis tranquille. Finies les feuilles de cannes qui coupent,
fini le duvet qui démange. Question travail, il n'y a pas
de quoi se casser les os et pour le déjeuner j'aurai droit
à un repas chaud pour me remplir l'estomac, alors quaux
champs, il faut se contenter d'un repas refroidi et s'habituer à
ne rien trouver dans la marmite au retour de la journée de
travail.
En plus, à lusine, la paye est plus conséquente:
je pourrai travailler la nuit et faire des petits boulots, le dimanche,
pour arrondir les fins de mois.
|