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ESPACE CRÉOLE
N°9
Revue du GEREC
U.A.G. Linguistique Phonologie
Les différentes
conceptions et les différents programmes
de recherche en
phonologie
par Michel Dispagne (1997)
EN RÉVISION
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SOMMAIRE
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0. INTRODUCTION
Le premier emploi du terme phonème vient dun certain
Dufriche-Desgenettes qui le propose, à la fin du XIXè
siècle, à la Société de Linguistique
de Paris parce quil est plus commode que l'expression"son
du langage"pour traduire l'item allemand"Sprachlaut".
Dans son Mémoire sur le système des voyelles dans
les langues indo-européennes (1878), Saussure reprend le
terme mais pas dans un sens substitutif. Le phonème y est
défini comme un son-mère hypothétique qui,
dans le cas de l'Indo-européen, est à l'origine d'une
multiplicité de sons dans les langues dérivées.
Nikolaj Kruszewski de lécole de Kazan voit dans l'usage
de cette notion une manière d'exprimer le caractère
indivisible de l'unité phonétique par rapport à
sa variabilité lors de la production de l'unité en
question par un sujet parlant ("son anthropophonique").
Dès 1895, Baudouin de Courtenay, un chercheur polonais utilise
le terme. Il parle de phonèmes alternants. Ceux-ci correspondent
à des sons qui diffèrent l'un de l'autre phonétiquement
mais qui sont apparentés historiquement ou étymologiquement.
Cette conception morphologique sera abandonnée par Courtenay
au bénéfice d'une autre, plus psychologique, plus
mentaliste. Le phonème est léquivalent psychique
du son de la parole. Dans ses"Principes de phonologie"(1897), Saussure apportera un nouvel éclairage dans l'usage
du concept de phonème qui mènera à mieux comprendre
ce qui est en jeu dans le fonctionnement de la langue. Notre démarche
consiste ici à mettre en exergue les différentes conceptions
épistémologiques qui sont à l'oeuvre dans les
divers pogrammes de recherches qui ont vu le jour dans les études
sur les sons du langage humain.
1. LE PARADIGME PRAGUOIS
Il prend forme à partir de la proposition 22 fournie par
les trois chefs de file de l'école de Prague (Jakobson, Karczewsky
et Troubetzkoy) au comité organisateur du 1er Congrès
International de Linguistes à la Haye (1928). Cette proposition
reprend un certain nombre d'éléments de la thèse
saussurienne, notamment celui selon lequel la langue est un système
de valeurs relatives. cette définition pousse les chercheurs
pragois à étudier les sons non seulement sous l'angle
de leur formation mais aussi sous l'angle de leur rôle dans
la communication humaine. Donc, tout en gardant la distinction établie
par Saussure entre langue et parole, l'école praguoise s'alignera
également sur le genevois pour postuler que la langue est
un système, un ensemble d'oppositions (de valeurs) qui servent
à distinguer des significations lexicales et morphologiques,
qui rendent possible des messages entre locuteurs de la même
langue. Le modèle d'oppositions s'élabore sur la base
des sons de la parole, à partir de la saisie des sons qui
jouent un rôle dans le jeu le la communication, dans la transmission
du sens. Mais comment construire ce réseau d'oppositions,
comment rendre compte du caractère structural de la langue,
comment opérer le tri phonique? La recherche de l'identification
des éléments oppositifs va provoquer, à lintérieur
du Cercle linguistique de Prague, des réflexions différentes
et entraîner la mise en place de programmes de recherche particuliers
mais sans toutefois porter atteinte au fondement théorétique
initial. Deux programmes de recherche sont en question ici: le programme
fonctionnaliste et le programme jakobsonien.
1.0. Le programme fonctionnaliste
Il est dirigé par André Martinet et va sappuyer
sur le caractère doublement articulé du langage. La
première articulation est celle selon laquelle tout fait
d'expérience à transmettre s'analyse en une séquence
d'unités douées chacune d'une forme vocale et d'un
sens. Cette unité hybride, il la nomme"monème".
Lobjet du programme fonctionnaliste est de sarrêter
sur la forme vocale (deuxième articulation), de cerner chacun
des éléments qui constituent cette forme vocale pour
mettre au jour la particularité des éléments
phoniques en question et aboutir de proche en proche à la
mise en perspective de la structuration de la langue parlée.
Martinet travaille sur des catégories descriptives utilisées
en phonétique articulatoire et sur le procédé
de la commutation qui consiste à comparer deux séquences
de sons qui ne s'opposent entre elles que par un seul segment et
de noter ce qui se passe au niveau du sens. Cette double démarche
permet de lister les sons dune langue et de découvrir,
à partir des paires minimale, la pertinence de certains sons,
i.e le fait quils ont un rôle distinctif et sont en
quelque sorte responsables du changement de sens. Par exemple, les
deux segments [m] et [d] commutent dans les séquences"myr"et"dyr". Le passage d'un segment à l'autre correspond
à un changement de signification. La particularité
de ces deux segments, c'est d'être considéré
comme des sons fonctionnels, comme des phonèmes. Ce que Martinet
obtient au bout du compte, pour la description du français,
c'est d'une part, une représentation des phonèmes
vocaliques qui apparaissent groupés en fonction du degré
d'aperture de la bouche et de leur position en avant, au centre
ou en arrière de la bouche et d'autre part, une représentation
des phonèmes onsonantiques qui sont déterminés
par le croisement de sept régions articulatoires avec trois
modes d'articulation.
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Les phonèmes vocaliques:
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i y
u
é
ø o
ae/ãe
è/ë ò/ö
a
â/ä
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Les phonèmes consonantiques:
Lieux d'articulation
|
Mode darticulation |
Bi-labiale |
Labio den. |
Apic. |
Siff. |
Post-alv. |
Palat. |
Dorso-Vél. |
Sourdes |
p |
f |
t |
s |
S |
|
k |
Sonores |
b |
v |
d |
z |
z |
ñ |
g |
Nasales |
m |
|
n |
|
|
j |
|
|
On constate que les phonèmes /L/ et /r/ sont exclus à
cause de leur caractère particulier et les semi-consonnes
[w] et [u] n'ont pas de pertinence phonologique pour Martinet car
elles sont en distribution complémentaire exclusivement avec
/u/ et /y/. Le cas de /j/ est différent des deux autres semi-consonnes.
Elle est alternativement allophone de /i/ et phonème.
Dans le schéma de Martinet, le phonème consonantique
est caractérisé soit par l'opposition de deux régions
articulatoires de l'APV qui en comporte sept soit entre deux modes
d'articulation qui en compte trois. L'identification des sons consonantiques
d'une langue se fonde sur le croisement de deux types de catégories
articulatoires et la différenciation des phonèmes
par l'opposition successive de sous catégories de chaque
type. Martinet est conduit à poser un autre tableau pour
représenter l'image de la structure phonologique des sons
vocaliques notamment celle du français. Cette structure,
on le constate, utilise d'autres catégories articulatoires
telles que l'aperture, l'antériorité, la postérité,
l'arrondissement et le non-arrondissement. A partir de ces catégories,
Martinet va rendre compte aussi bien des phonèmes vocaliques
oraux que des phonèmes vocaliques nasals.
A propos de la valeur de la conception structurale de Martinet,
certains linguistes, par exemple Malmoudian (1982), ont réagi
en mettant en évidence des points positifs et négatifs.
Malmoudian constate que les unités reliées par un
même trait pertinent forment une classe appelée ordre
ou série. Dans le cas d'une variété du français,
par exemple, celle du midi n'a pas l 'opposition /è/ vs /é/,
elle n'a pas non plus l'opposition /ò/ vs /ó/ ni /ø/
vs /ø/. Cela corrobore l'idée
selon laquelle les voyelles /è, ø,
ò/ constituent un ordre (mi-fermé). Il est intéressant
de noter qu'un modèle qui est dégagé comme
un invariant de la langue d'une communauté linguistique peut
servir d'aune à d'autres systèmes linguistiques en
usage à l'intérieur de cette communauté et
permettre de mieux évaluer l'écart ou au contraire
la proximité de ces systèmes avec le modèle
de base. Il va sans dire que ces considérations sont importantes
autant pour les sociolinguistes que pour les didacticiens. Dans
le contact des langues, cette conception structurale permet de prévoir
certaines interférences et, par conséquent, de déterminer
dans la comparaison de deux systèmes phonologiques - créole
et français par exemple - les difficultés que rencontre
le jeune locuteur de la langue créole quand il essaie de
pratiquer l'autre langue. Elle permet de se rendre compte que, même
s'il existe des occlusives sourdes dans les deux langues, ce sont
des unités différentes car elles ne sont pas situées
dans le même système, n'entretiennent pas les mêmes
rapports avec les autres unités et donc peuvent être
soumises à une dynamique différente. Le modèle
structural gagne d'une certaine manière en généralité
puisqu'il peut être appliqué non seulement à
une description synchronique de la langue mais aussi à l'étude
de son évolution. Cependant, ce modèle présente
des failles. Il n'exprime pas les différences qui sont pertinentes
dans certains contextes et non pertinentes dans d'autres. Il est
vrai que le recours au concept de neutralisation présente
l'avantage de rendre compte de ces oppositions ou différences
évoquées précédemment. L'outil d'analyse
phonologique devient plus précis mais le système obtenu
au terme d'une description phonologique apparaît plus complexe.
On sera amené à élaborer des sous-systèmes
pour rendre compte des oppositions neutralisables de la phonologie
française qui concernent, on le sait, pour le système
vocalique, l'opposition neutralisée /ó/ vs /ò/
dans certains contextes et, pour le système consonantique,
l'opposition neutralisée sourde vs sonore (/p/ vs /b/) dans
d'autres contextes. En somme, selon les contextes syntagmatiques
dans lesquels on étudie les oppositions, on aboutit à
des paradigmes différents. La question est de savoir comment,
face à la diversité des paradigmes, dégager
le système phonologique d'une langue.
1.1. Le programme jakobsonien
Membre fondateur du cercle linguistique de Prague, Jakobson défend
tout comme Martinet l'idée selon laquelle la structure phonologique
de la langue est bâtie sur l'opposition de certains sons de
la parole et que ces sons en question portent chacun le nom de phonème.
Au départ, la définition qu'il donne du phonème
est similaire à celle partagée par les fonctionnalistes.
Autrement dit, il considérait le phonème comme une
unité phonique non susceptible d'être dissociée
en une unité plus petite et plus simple et ce phonème
représente le terme d'une opposition, laquelle constitue
une différence phonique susceptible de servir, dans une langue
donnée, à la différenciation des significations
intellectuelles. La fonction distinctive des faits de langue se
manifeste dans des oppositions. Pendant un certain temps, Jakobson
observe, à partir de la structure phonologique d'une langue
représentée , les relations entre les phonèmes
puis dégage des phénomènes en jeu dans la structure.
Deux concepts seront posés: celui de corrélation et
celui de marque. Le premier est destiné à nommer des
séries d'oppositions phoniques qui partagent un même
principe différentiel. Le second résulte du premier
et sert à désigner une caractéristique plus
petite et plus grande que le phonème. Soit le tableau du
sous-système vocalique du créole élaboré
à partir de la démarche jakobsonienne:
|
|
+ Arrière
|
- Arrière
|
- arrondi
|
+ arrondi
|
- arrondi
|
+ arrondi
|
- ouv
|
+ ouv
|
- ouv
|
+ ouv
|
- ouv
|
+ ouv
|
- ouv
|
+ ouv
|
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
-fer |
+fer |
Nasales |
|
|
|
ä
|
|
ö
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|
|
ë
|
|
|
|
|
|
|
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Orales |
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ò
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a
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ö
|
u
|
|
|
é
|
i
|
|
è
|
|
|
|
|
|
|
La corrélation de l'oralité oppose par
exemple les phonèmes /ä/, /ö/ aux phonèmes
/ò/, /o/, /u/. La marque de l'oralité n'est qu'une partie
du phonème /o/ par exemple mais elle caractérise tous
les phonèmes de la série orale. Le travail de Jakobson
ne s'est pas limité à préciser la terminologie
conceptuelle déjà établie. Son analyse sur un
corpus de langues plus vastes l'a conduit à remettre en cause
non seulement la définition du phonème mais à
contester les catégories articulatoires qui sont utilisées
pour rendre compte de la structure phonologique d'une langue, de son
réseau d'oppositions. Il constate que les catégories
articulatoires ne permettent pas à elles seules de décrire
la structure phonologique des nombreuses langues recensées
et que le critère acoustique offre une possibilité beaucoup
plus large à décrire la réa-lité des langues.
En outre, il constate que la notion de phonème mérite
un réexamen. De là naît une nouvelle hypothèse
selon laquelle le phonème est la somme de propriétés
phoniques simultanées par lesquelles un son de la langue se
distingue de ses autres sons en tant que moyen pour différencier
les significations des mots.Jakobson, conforté par Fant et
Halle (1963), remarque que la notion de trait distinctif, utilisé
par Bloomfield, est mieux appropriée pour représenter
les propriétés phoniques et qu'il vaut mieux opter également
pour le principe de la binarité des traits (+ vs -). Ce nouveau
positionnement marque une différence de programme par rapport
aux fonctionnalistes. Ce programme entraîne chez le linguiste
la recherche des traits universels. Regrouper les traits phonologiques
en traits distinctifs va entraîner la simplification de certaines
oppositions phonologiques. Jakobson va s'attacher à découvrir
des caractérisations communes susceptibles de rassembler certains
phonèmes. S'il l'on prend comme exemple les phonèmes
vocaliques du créole et que l'on les oppose à l'aide
de deux traits distinctifs seulement (+/- compact et +/- grave), on
obtient le tableau suivant: |
|
+ compact
|
- compact
|
+ grave
|
ò a
|
u o
ä ö
|
- grave
|
è
|
i é ë
|
|
La caractérisation [+ grave] opposera solidairement
les voyelles d'arrière aux voyelles d'avant; de même
une autre caractérisation [+ compact] opposera solidairement
les voyelles ouvertes aux voyelles fermées. On constate qu'avec
deux traits distinctifs, on peut opposer dix phonèmes. Un avantage
supplémentaire de l'utilisation de ces traits distinctifs est
quils permettent non seulement de décrire les consonnes
mais également les voyelles du même système phonologique.
En formulant de manière suffisamment générale
les qualités instinctives des traits, Jakobson établit
une liste de douze traits qui possèdent chacun une valeur positive
(+) et une valeur négative (-) et qui visent à constituer
un inventaire universel et minimal de distinctions dans les termes
duquel se laissent décrire les systèmes phonologiques
des langues. Ces traits distinctifs sont conçus comme constituant
un système universel de représentation"phonématique"(Mc Cawley, 1967), c'est-à-dire un système destiné
à représenter les contrastes entre les énoncés
dans n'importe quelle langue. La description en traits distinctifs
accroît le pouvoir explicatif de nombreuses règles phonologiques.
On a vu avec l'exemple du créole une solidarité de comportement
synchronique entre voyelles d'arrière (qui partagent le trait
[+grave ]) ou entre voyelles fermées (qui partagent le trait
[- compact]). Duchet (1981) donne un exemple que nous reprenons pour
faire comprendre un autre intérêt de la formulation jakobsonienne.
Le morphème de pluriel de l'anglais à plusieurs variantes
de signifiants et l'une d'entre elles, /iz/, se manifeste après
les consonnes
/s/, /z/, /ň/,
/z/,
/tň/,
/dz/. Un formulation opérée à l'aide
des traits distinctifs de Jakobson permet de dégager la propriété
commune à ces différents phonèmes: ils ont en
commun les traits [+ strident] et non grave [- grave]. On est à
même de formuler une règle phonologique destinée
à sélectionne la variante de morphème adéquate
(en l'occurrence [- iz]) en ne citant que ces deux seuls traits pour
caractériser l'environnement dans lequel elle intervient. Par
ailleurs, le système de traits mis en place par Jakobson a
une portée typologique puisse qu'il permet non seulement de
représenter et de singulariser les systèmes phonologiques
des langues recensées mais il permet d'entamer un travail synoptique
de comparaison. Le travail d'adéquation du système de
traits à la réalité des langues sera, on le sait,
repris par Chomsky et Halle et certains des traits du système
jakobsonien seront invalidés par la découverte d'autres
langues. Nous y reviendrons.
2. LE PARADIGME HJEMSLEVIEN
Le linguiste danois, Louis Trolle Hjemslev, lit le cours de Saussure
et en retient, on le sait, deux assertions de sa théorie
du signe:
- "la langue n'est pas substance mais forme»
- "toute langue est à la fois expression et contenu»
La notion d'expression renvoie aux choix des sons pour transmettre
une signification et celle de contenu, à la manière
de présenter la signification. Hjemslev indique donc que
les signes d'une langue ont rarement des équivalences sémantiques
dans une autre. Tout comme Saussure, Hjemslev souligne que la langue
n'est pas une nomenclature; elle ne saurait être réduite
à un jeu d'étiquettes destinées à désigner
des choses ou des concepts. Cela revient à dire que la langue
doit être décrite également sur le plan du contenu.
Pour Hjemslev, les unités linguistiques introduisent un découpage
original dans le monde du son et de la signification et elles existent
indépendamment de la réalité physique. Mais
comment définir ces unités? Le principe d'oppositivité
défendu par Saussure n'est pas retenu par Hjemslev car selon
lui, ce principe amène toujours à caractériser
l'unité d'une manière positive et demande seulement
qu'on la limite à ce en quoi elle diffère des autres.
Le danois va développer à l'extrême une autre
thèse saussurienne suivant laquelle l'unité, purement
négative et relationnelle, ne peut pas se définir
en elle-même mais par les rapports qui la relient aux autres
unités de la langue. En d'autres termes, cette conception
ne reconnaît au phonème (rebaptisé cénème)
en tant qu'élément de la structure aucune propriété
physique et, par conséquent, toutes les caractéristiques
substantielles sont extérieures à la structure qu'est
la langue. Cette conception limite la commutation à l'idée
selon laquelle celle-ci sert seulement à repérer les
éléments linguistiques inférieurs au signe
(glossèmes), mais elle ne permet pas de dire ce qu'ils sont.
Cette conception immanente du cénème conduit, en pratique,
le descripteur à ne tenir compte que de ce qu'il connaît
des attributs physiques des unités et de la valeur que revêtent
ceux-ci dans sa propre intuition. Cela veut dire que la structure
phonologique obtenue ne peut pas être soumise au test poppérien
de la falsification et ne permet pas sa mise en équation
avec les données observables. Dans ce rôle important
que la glossématique donne à la forme, elle relègue
naturellement au second plan la fonction de la langue dans la communication
car cette fonction est liée à la substance. Cette
étude formelle laisse entrevoir la possibilité de
rapprocher les langues naturelles d'une multitude d'autres langages
fonctionnellement et matériellement différents et
de déboucher sur une étude générale
des langages, sur une étude sémiologique. Mais revenons
à la ré-interprétation de Hjemslev sur le principe
saussurien selon lequel la langue est forme et non substance. La
définition des relations constitutives de toute langue l'amène
à distinguer trois niveaux là où le genevois
n'en voyait que deux. La substance saussurienne, c'est-à-dire
la réalité sémantique ou phonique, considérée
en dehors de toute utilisation linguistique, Hjemslev l'appelle
matière. La forme, dans la conception de Saussure-décrite
donc comme découpage, configuration - Hjemslev l'appelle
substance et attribue le terme de forme pour le réseau relationnel
définissant les unités. En somme, la substance est
la manifestation de la forme dans la matière. Il n'empêche
que le formalisme hjemslevien constitue un système purement
déductif indépendant de toute expérience, sans
rapport avec les objets phoniques et que son ambition est d'être
un instrument de description, c'est-à-dire il doit pouvoir
représenter des faits linguistiques existant réellement
ainsi que leurs relations.
3. LE PARADIGME SAUSSURIEN
Il s'origine dans la démarche d'un chercheur analyste, J.
Coursil et fonde en quelque sorte son programme de recherche. J.
Coursil revient, contrairement à l'école pragoise,
à la thèse saussurienne selon laquelle la langue,"c' est un trésor déposé par la pratique
de la parole dans les sujets appartenant à une même
communauté, un système grammatical existant virtuellement
dans chaque cerveau, ou plus exactement dans les cerveaux d'un ensemble
d'individus; car la langue n'est complète dans aucun, elle
n'existe parfaitement que dans la masse"( CLG:63).
Le programme coursilien va travailler à l'élaboration
d'un modèle destiné à rendre compte du système
de signes, du système symbolique qui est"déposé"dans les sujets appartenant à une même communauté.
L'objet de la recherche ne se fonde pas sur la description des signes
représentés mais sur la description de la langue qui
représente l'activité psychique du sujet pensant.
Le programme coursilien va s'attacher à décrire comment
l'activité de pensée se manifeste dans la langue.
Il part d'une assertion à savoir qu'il y a des différences
phoniques et conceptuelles qui sont dans la langue et qui sont la
langue. L'hypothèse avancée, à la suite de
Saussure, c'est l'idée selon laquelle la langue est organisée
car ces différences phoniques et conceptuelles résultent
de deux sortes de rapports: les rapports sont tant associatifs ou
paradigmatiques tantôt syntagmatiques. Dans le cas des rapports
syntagmatiques, presque toutes les unités de la langue sont
tributaires"soit de ce qui les entoure sur la chaîne
parlée, soit des parties successives dont elles se composent
elles-mêmes. Il s'agit toujours d'unités plus vastes,
composées elles-mêmes d'unités plus restreintes,
les unes et les autres étant dans un rapport de solidarité
réciproque"(CLG:256-257). Le rapport de solidarité
n'empêche ni les jeux d'oppositions entre les unités
ou à l'intérieur des unités ni des formes de
groupements de se constituer. Dans le cas des rapports paradigmatiques
(associatifs),"il existe dans le subconscient une ou plusieurs
séries associatifs comprenant des unités qui ont un
élément commun avec le syntagme... Qu'on change l'idée
à exprimer, et d'autres oppositions seront nécessaires
pour faire apparaître une autre valeur"(CLG:258). En
d'autres termes, les deux types de rapports sont des mécanismes
opératoires qui régissent le fonctionnement de la
langue. La détermination des éléments phoniques
qui relèvent du rapport paradigmatique demande qu'il y ait
repérage systématique des sons pertinents, i. e ceux
qui interviennent dans des oppositions distinctives et qui, par
ce fait, constituent les phonèmes de la langue. La description
de ces sons ne s'opère que sur la base de l'acte articulatoire
et non sur la base acoustique du fait que les unités prises
dans leur propre chaîne sont inanalysables. Elle repose, par
exemple pour le français qui a été le matériau
de base du programme coursilien, sur 7 catégories acoustico-articulatoires
(aperture, articulation buccale, voisement, nasalité, arrondi,
antérieur, ouvert) qui délimitent les spécifications
des phonèmes de la langue par valuation de chacune des catégories.
La catégorie de l'aperture et celle de l'articulation buccale
reçoivent un codage particulier. Les autres catégories
ont un codage binaire: Le code 0 indique l'absence de la catégorie;
le code 1 indique sa présence. Il est intéressant
de noter que la construction des catégories qui entrent en
jeu dans la détermination des phonèmes s'établit
par l'observation empirique de la production des sons. L'identification
des phonèmes passe d'abord par la méthode classique
de la commutation. Et, contrairement à la démarche
fonctionnaliste, le travail sur les paires minimales s'opère
par la confrontation de séquences tirées de la même
catégorie lexicale. Les éléments phoniques
distinctifs, i. e qui sont responsables du changement de sens de
la séquence passent ensuite par le filtrage des catégories
retenues et sont soumis à une valuation. Le contenu de cette
valuation sert à établir les rapports étroits
entre les phonèmes et à découvrir le trait
catégoriel qui marque leur différence et leur opposition.
En chaque sujet, c' est ce jeu différentiel réglé
qui construit la langue et qui contribue à différencier
les séquences phoniques entendues et à permettre le
sens:
"Dans la langue, il n'y a que des différences.
Bien plus: une différence suppose en général
des termes positifs entre lesquels elle s'établit; mais
dans la langue, il n'y a que des différences sans termes
positifs"(CLG:166).
Cette définition de Saussure renvoie à une autre
à savoir que:
"Les phonèmes sont des entités oppositives,
relatives et négatives"(CLG:164).
Dans le cadre de la démarche précédente, prenons
le cas du créole et arrêtons-nous à son répertoire
vocalique. Un travail antérieur non publié sur la
phonologie du créole (M. DISPAGNE: 1996) montre que les catégories
qui ont été retenues dans la détermination
des phonèmes sont: l'aperture (A), l'articulation buccale
(B), le voisement (V), l'arrondissement (A) et l'ouverture (O).
A partir du répertoire vocalique, on aboutit à l'inventaire
phonologique:
|
|
A
|
B
|
V
|
N
|
A
|
O
|
API
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Voyelles tendues |
4
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
i
|
|
4
|
0
|
1
|
0
|
1
|
0
|
u
|
Voyelles moyennes |
5
|
0
|
1
|
0
|
0
|
1
|
è
|
|
5
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
é
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|
5
|
0
|
1
|
1
|
0
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0
|
ë
|
|
5
|
0
|
1
|
1
|
1
|
0
|
ö
|
|
5
|
0
|
1
|
0
|
1
|
0
|
o
|
|
5
|
0
|
1
|
0
|
1
|
1
|
ò
|
Voyelles lâches |
6
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
a
|
|
6
|
0
|
1
|
1
|
0
|
0
|
ä
|
|
Ce tableau permet de déterminer le
trait différentiel qui marque les oppositions d'un sous inventaire
phonologique du créole. Par exemple, entre /i/ et le /u/, le
trait différentiel est le voisement. Ce tableau permet de rendre
compte aussi de l'espace clos, appelé topique, que forme ce
sous inventaire et de mieux visualiser l'environnement spatial de
chaque phonème ainsi que ses possibilités relationnelles
à un trait près. |
|
Quant à l'aspect syntagmatique relevant
de la consécution des phonèmes, deux conditions sont
nécessaires: le recours à la catégorie de l'aperture
et le recours à la double plosion qui est une fonction de la
chaîne parlée. La fonction se définit en termes
de double effet acoustico-articulatoire:
"Toute chaîne commence par une explosion (ouverture)
et se termine par une implosion (fermeture)" (CLG:79).
En règle générale, tous les phonèmes
portent cette double plosion, cette double fonction que Coursil
code par 0 pour explosion et 1 pour implosion. A partir du test
saussurien des géminées, il en ressort quatre états
qui récapitulent les possibilités de consécution
des fonctions dans la chaîne parlée. Et, il n'existe
qu'un et un seul cas valide sur les quatre cas possibles. Il équivaut
à la frontière de syllabe (codée 10), à
une rupture de la trame sonore, à un point concret. Pour
syllaber la chaîne, il suffit d'établir une correspondance
entre la catégorie de l'aperture et celle de la fonction
de chaîne, la double plosion. A chaque fois que l'on trouvera
la consécution 10, on sera en face d'une coupure de la trame
sonore, d'une coupure syllabique. Coursil constate que si le codage
des rangs d'aperture s'opère arbitrairement; celui de la
fonction s'effectue abductivement, en commençant par la fin
de la chaîne.
La règle d'abduction est la suivante:
La fonction d'un phonème est codé 0 si son rang d'aperture
est plus petit que celui de son successeur; sinon elle est codé
1. De plus, la chaîne commence par une explosion (0) et se
termine par une implosion (1). Illustrons cette règle par
la séquence créole: papa mwen pati.
(10 constitue le point syllabique).
|
1 |
6 |
1 |
6 |
1 |
3 |
5 |
1 |
6 |
1 |
4 |
Aperture |
p |
a |
p |
a |
m |
w |
ë |
p |
a |
t |
i |
API (tr. Fr: mon papa est parti) |
0 |
1 |
0 |
1 |
0 |
0 |
1 |
0 |
1 |
0 |
1 |
Fonctions de chaîne (10 constitue le point
syllabique) |
|
La phonématique construite à partir de
cette matrice de fonctions apparaît ainsi différentielle.
Le phonème n'est sonore que pris dans le phénomène
syllabique de plosion. Le fonctionnement du système symbolique
du sujet, de l'activité de langage met en jeu deux typesde
règles: les règles phonologiques (celles qui relèvent
du principe paradigmatique) et les règles phonématiques
(celles qui ont trait au principe syntagmatique). Celles-ci et celles-là
sappliquent aux objets symboliques que démantèle
le sujet entendant et qu'il reconstruit à partir des règles
qui découlent d'un des sous-système de la langue. Le
modèle élaboré de proche en proche par les résultats
du programme coursilien apparaît comme un modèle analytique
qui vise à rendre compte du fonctionnement de la langue chez
tout sujet qui entend la chaîne parlée, qui en comprend
sa systémicité et les mécanismes qui la régissent
dynamiquement.
4. LE PARADIGME DISTRIBUTIONNEL
Zelling S. Harris se montre réticent à l'endroit
des critères physiques et psychiques dans l'étude
phonologique d'une langue. Prendre en compte de tels faits, cest
aboutir immanquablement à des résultats fortement
marqués par des variations et difficilement structurables.
Harris fait donc abstraction de tout ce qui relève de l'
intuition et se focalise sur l'examen des faits observables. Il
va sans dire que tout élément qui ne peut être
observé directement est exclu de son analyse. Dans le distributionnalisme
de Harris les unités sont identifiées par substitution,
puis définies et classées selon leurs caractéristiques
distri-butionnelles, selon l'environnement phonique dans lequel
elles apparaissent. Autrement dit, indiquer la distribution d'unité
phonique ou son environnement phonique, c' est indiquer la suite
d'unités qui la précède et la suite d'unités
qui la suit. Au demeurant, l'identification par substitution n'est
pas à assimiler à l'identification par commutation.
Les deux procédures sont différentes. En effet, en
commutation, deux éléments sont reconnus différents
si le remplacement de l'un par l'autre entraîne une modification
du contenu sémantique; en substitution, ce remplacement doit
aboutir à une suite phonique que le sujet parlant juge différente
de la séquence initiale. En d'autres termes, /t/ et /d/ sont
reconnus comme des unités différentes en français
selon les deux procédures Pour le distributionnaliste, le
critère de distinction est le jugement intuitif de l'usager
qui trouve que /tö/ et /dö/, /tä/ et /dä/ sont,
par exemple, des suites phoniques différentes et non parce
que les éléments différentiels entraînent
des sens différents. Le trait pertinent n'est pas pris en
compte par le distributionnalisme qui arrête l'analyse du
signifiant au niveau du phonème. Face à l'étude
distributionnelle, il faut noter que les résultats obtenus
comportent des approximations; l'identification des phonèmes
se fait sur la foi des distributions plus ou moins ressemblantes.
La réponse de l'informateur n'est pas toujours nette et varie
suivant le contexte. A Paris, prononce-t-on de la même manière
ou des manières différentes, nous peinions, nous peignons
et nous peignions? Cette remarque fait dire que la structure distributionnelle
repose sur des critères relatifs; elle est donc relativement
constante. La rigueur scientifique voulue au départ par le
distributionnalisme est fragilisée par le fait d'une structuration
relative patente. Un autre fait mérité d'être
relevé selon lequel la distribution ne peut être examinée
que pour des éléments ayant été préalablement
identifiés. Par ailleurs, Harris dit que les données
avec lesquelles il opère ne relèvent pas de la dimension
acoustique ni articulatoire, ni ne résulte de l'intention
du locuteur pas plus que de l'impression de l'auditeur; 1415 mais
hérite de ce qui est commun à tous ces aspects des
faits linguistiques. Il y a tout un programme de recherche expérimentale
ayant trait à la structure des données que Harris
ou d'autres distributionnalistes n'ont pas, à ma connaissance,
mis en chantier.
5. LE PARADIGME GÉNÉRATIF
Il est intéressant de souligner que, face à l'analyse
d'une langue, la linguistique structurale tout comme la linguistique
distributionnelle commence son étude par l'examen des plus
petites unités distinctives, les phonèmes. Elle examine
ensuite les plus petites unités significatives (la morphologie)
pour enfin travailler des groupes plus complexes d'organisation
(la syntaxe) et de signification (la sémantique) . La linguistique
générative-transformationnelle qui est, dans beaucoup
de ses aspects, le résultat dune évolution de
l'approche structurale, part cependant du point de vue opposé.
L'unité de base du système est la composante syntaxique
et c'est à partir d'elle que seront étudiées
d'abord les structures syntaxiques puis, selon la situation, la
composante sémantique (pour aboutir au sens) et la composante
phonologique (pour aboutir aux sons). La figure qui suit et qui
est tiré de l'ouvrage de F. Dell (1973) illustre bien ces
rapports.
|
|
|
Sens
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Structure syntaxique
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Prononciation
|
|
La structure syntaxique est une entité abstraite qui contient
en elle-même tous les éléments nécessaires
à son interprétation et à la prononciation
éventuelle. Le point de départ de toute phrase est
une STRUCTURE PROFONDE, niveau abstrait de l'organisation de cette
phrase. C' est cette structure profonde, sorte de phrase élémentaire,
qui contient tous les éléments nécessaires
à son interprétation sémantique. Cette structure
profonde est ensuite modifiée par une suite de transformations.
Celles-ci sont des opérations formelles (application de règles
de déplacement, de substitution ou d'addition) qui sont appliquées
à la structure profonde pour la transformer en une STRUCTURE
DE SURFACE, formellement équivalente à la manière
de dire les choses dans la langue (Germain et Leblanc,1981). Cette
présentation succincte permet d'y percevoir un peu mieux
la place de la phonologie. Celle-ci se situe manifestement au niveau
de la structure de surface car c'est à partir de ses indications
que les éléments formels de cette structure vont pouvoir
être traduits en sons et produire une phrase bien formée.
La prononciation d'une phrase dépend de la structure de ses
constituants. La structure superficielle d'une phrase est une séquence
de morphèmes munie d'un jeu de parenthèses étiquetées
qui assignent une structure de constituants à cette séquence
(Bell: 1973)
Voici un exemple de représentation par parenthèses
étiquetées à partir de la phrase créole
suivante:
|
Fanm-tala enmen mizik-la
(Fr: cette femme aime la musique)
( ( ( fäm ) ( tala ) ) ( ( ëmë ) ( ( mizik ) (
la ) ) ) )
P GN N N D D GN GV V V GN N N D D GN GV P
Par application des règles d'insertion de frontières
de mots ou de syntagmes (symbole #) et de morphèmes (symbole
+), on obtient:
###Fäm ##tala + sing#### prés + ind + perf + ëmë###
mizik ##la + sing####
Pour Fäm, tala + sing, prés + ind + perf
+ ëmë, la + sing, le lexique donne les représentations
phonologiques respectives:
/Fäm/, /tala/, /ø/ +
/ø/
+ /ø/ + /ëmë/, /mizik/,
/la/
La phrase"Fanm tala enmen mizik la" a donc
la représentation phonologique:
### Fäm ## tala + ø ####
ø + ø
+ ø + ëmë ### mizik
## la + ø ####
Application de règles de la composante phonologique
(règles de déduction):
R1: /tala + ø/ ®
[tala]
R2: /la + ø/ ®
[la]
R3: /ø + ø
+ ø + ëmë/ ®
[ëmë]
Suite à l'application de ces règles,
on obtient une représentation phonétique de la forme:
[Fämtalaëmëmizikla]
La représentation phonétique engendre,
après des règles de transcription, la phrase suivante:
Fanm tala enmen mizik la
{ [ä] ®
an
{ [ë] ®
en
{ + ajout du trait d'union avant [tala] et [la]
Les sons du langage, les phonèmes d'une langue
sont caractérisés par des colonnes de spécifications
de traits.
Pour l'exemple travaillé précédemment, voici
sa configuration, sa matrice phonologique (a) et sa matrice phonétique
(b):
a) matrice phonologique
|
Son. |
Syll. |
Cons. |
Cont. |
Nas. |
Haut |
Bas |
|
Arr. |
Rond |
Ant. |
Cor. |
Voix |
Rel.Ret. |
|
|
Fäm |
+ + |
+ |
+ + |
+ + + |
+ + |
|
+ |
|
+ |
|
+ + |
|
+ + |
+ + |
|
|
tala |
+ + + |
+ + |
+ + |
+ + + |
|
|
+ + |
|
+ + |
|
+ + |
+ + |
+ + + |
+ + + |
|
|
ëmë |
+ + + |
+ + |
+ |
+ + + |
+ + + |
|
+ + |
|
|
|
+ |
|
+ + + |
+ + |
|
|
mizik |
+ + + |
+ + |
+ + + |
+ + + + |
+ |
+ + |
|
|
+ |
|
+ + |
+ |
+ + + + |
+ + + |
|
|
la |
+ + |
+ |
+ |
+ + |
|
|
+ |
|
+ |
|
+ |
+ |
+ + |
+ + |
|
|
b) matrice phonétique
|
|
F |
ä |
m |
t |
a |
l |
a |
ë |
m |
ë |
m |
i |
z |
i |
k |
l |
a |
Son. |
|
+ |
+ |
|
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
|
+ |
|
+ |
+ |
Syll. |
|
+ |
|
|
+ |
|
+ |
+ |
|
+ |
|
+ |
|
+ |
|
|
+ |
Cons. |
+ |
|
+ |
+ |
|
+ |
|
|
+ |
|
+ |
|
+ |
|
+ |
+ |
|
Cont. |
+ |
+ |
+ |
|
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
|
+ |
+ |
Nas. |
|
+ |
+ |
|
|
|
|
+ |
+ |
+ |
+ |
|
|
|
|
|
|
Haut |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
+ |
|
+ |
|
|
|
Bas |
|
+ |
|
|
+ |
|
+ |
+ |
|
+ |
|
|
|
|
|
|
+ |
Arr. |
|
+ |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
+ |
Rond |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Ant. |
+ |
|
+ |
+ |
|
+ |
|
|
+ |
|
+ |
|
+ |
|
|
+ |
|
Cor. |
|
|
|
+ |
|
+ |
|
|
|
|
|
|
+ |
|
|
+ |
|
Voix |
|
+ |
+ |
|
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
|
+ |
+ |
Rel. Ret. |
+ |
+ |
|
|
+ |
+ |
+ |
+ |
|
+ |
|
+ |
+ |
+ |
|
+ |
+ |
|
L'unité de base de la phonologie générative
n'est pas le phonème puisque comme le souligne Bibeau (1975),
la notion de phonème est inopérant lorsqu'il est question
de son traitement pendant les diverses étapes de la description
linguistique. C'est la notion de trait distinctif qui est privilégié
dans la phonologie générative. Ce sont surtout Chomsky
et Halle qui, en 1968, firent le point sur cette notion de trait
distinctif en reprenant toute cette question pour pouvoir intégrer
dans un nouveau cadre les résultats de nombreux travaux sur
plus d'une centaine de langues et être à même
de rendre compte des caractéristiques observées. Les
traits distinctifs sont posés par Jakobson comme un système
destiné à représenter les contrastes entre
les énoncés dans n'importe quelle langue. Par contre,
les traits distinctifs sont conçus par la grammaire générative
et transformationnelle pour la description des sons de n'importe
quelle langue et leur système définit l'ensemble des
possibilités articulatoires et auditives ou perceptuelles
que l'homme peut employer à des fins linguistiques (Dell:
1973). Pour l'heure, on ne connaît qu'une partie du stock
universel des traits pertinents. Dans le SPE (The Sound Pattern
of English), Chomsky et Halle ont proposé un système
d'une trentaine de traits qui devra être enrichi et réajusté
à mesure que la phonologie sera mieux connue. La matrice
phonologique du français ne présente que quatorze
traits distinctifs. En effet, chaque langue a en propre un petit
nombre de phonèmes qui se combinent diversement dans le lexique
pour donner les représentations phonologiques des morphèmes.
Pour déterminer par exemple le tableau du sous-système
vocalique du créole, il nous faut tenir compte des considérations
apportées par Chomsky et Halle. Dans le système proposé
par ces derniers, la masse de la langue ne peut prendre que trois
positions distinctes sur l'axe vertical et deux sur l'axe horizontal.
Les sons, produits lorsque la masse de la langue est abaissée,
sont dits bas [+ bas]; ceux, produits lorsque la masse de la langue
est élevée, sont dits hauts [+ haut]. Les sons qui
sont à la fois [- bas] et [- haut] sont ceux produits avec
une élévation moyenne de la masse de la langue. Les
sons durant lesquels la langue est massée en arrière
de la bouche sont arrière [+ arr] et les autres sont d'avant
ou non-arrière [- arr]. En combinant les trois positions
possibles sur l'axe vertical et les deux possibles sur l'axe horizontal
tout en tenant compte du trait nasal, on obtient un tableau à
vingt-quatre cases où nous rangeons les voyelles du créole:
|
|
- Arrière
|
+ Arrière
|
- rond
|
+ rond
|
- rond
|
+ rond
|
- nas
|
+ nas
|
- nas
|
+ nas
|
- nas
|
+ nas
|
- nas
|
+ nas
|
|
+ haut
|
i
|
|
|
|
|
|
u
|
|
- bas
|
|
é
|
ë
|
|
|
|
|
o
|
ö
|
+ bas
|
- haut
|
è
|
|
|
|
a
|
ä
|
ò
|
|
|
|
Ce sont les règles phonologiques qui assignent une interprétation
phonétique aux présentations phonologiques. La représentation
phonétique d'une phrase concerne directement une certaine
prononciation sans faire intervenir aucune considération
propre à la langue en question. Mais une représentation
phonologique n'a d'interprétation qu'à lintérieur
du système d'une langue donnée (Dell:1973). Les règles
phonologiques sont toutes de la forme X---->Y/ K, i.e réécrire
X comme Y quand la condition K est réalisée. Ainsi
la règle de nasalisation des voyelles a la forme suivante:
[+ voc, - cons ] |
®
|
[+ nas ] |
/ |
________ |
[+ cons, - voc, + nas] |
1 |
|
2 |
3 |
1 |
4 |
(règle d'addition )
Elle se lit de la manière suivante: une voyelle (1) devient
nasale (2) dans le contexte (3) voyelle(1) suivie d'une consonne
nasale (4). (1) et (4) constituent la description structurale (D.S);
(2), le changement structural (C.S).
La règle sapplique donc à ce qui suit:
/ divin / ®/
divïn /
/ plèn / ®/
plën /
L'observation des formes dérivées obtenues après
l'application de la règle de nasalisation indique que la
consonne nasale est toujours présente. Il faut se donner
alors une seconde règle phonologique pour résoudre
ce problème à savoir une règle de la chute
de la consonne nasale:
[+ cons, + nas ] ®
ø / [+ voc, + nas ] (règle
de substitution par chute)
Dans cette règle ø
signifie ne se réécrit pas. On obtient alors:
/ divïn / ®
/ divï /
/ plën / ®
/ plë /
La règle précédente permet de résoudre
le cas / plën / ®/
plë / mais nous laisse avec une
voyelle nasale qui n'est pas exactement celle qui est attendue dans
la prononciation. A lobservation, on remarque qu'en ouvrant
la voyelle, on résout ce cas. La règle à mettre
en place s'exprime en termes de règle de réajustement
de timbre:
[ + voc, + nas ] ®[
+ ouv ] / ... (règle de substitution par modification)
/ î / ®/
ë / et donc / divï / ®/
divë /
Avec ces formes de règles, on se retrouve dans un mode de
fonctionnement par essais et erreurs. Une règle reste valide
aussi longtemps qu'un contre exemple n'a pas été trouvé.
Cependant, cette rigueur même permet des analyses beaucoup
plus fines des phénomènes linguistiques avec un ensemble
de type de règles très restreint. En effet, il est
possible de traiter sous forme de règles plusieurs des phénomènes
décrits dans la phonétique combinatoire de même
que des phénomènes comme la chute de consonnes, le
cas du "e» muet et de la liaison en français
par exemple. Mais n'oublions pas que comme pour les autres approches
descriptifs de la langue, l'approche générative reste
une hypothèse destinée à rendre compte du fonctionnement
de la langue, une hypothèse destinée à mettre
en évidence le code de la langue puisque ce code est entreposé
dans le cerveau de chacun des sujets parlants qui n'ont conscience
ni du code qu'ils utilisent ni des opérations mentales effectuées.
Par conséquent, les linguistes n'ont pas directement accès
au code de la langue. Le modèle génératif résulte
donc de l'examen systématique des phrases prononcées
par les sujets parlants et le sens que ceux-ci leur attribuent.
Ce modèle revient, on le sait, à définir un
dispositif de taille finie (une grammaire = un système de
règles) qui puisse construire mécaniquement (générer)
toutes les séquences qui font partie de ce langage, et qui
ne puisse construire que ces séquences-là (Dell: 1973).
La grammaire générative cherche non seulement la formulation
de règles les plus abstraites et les plus simples possibles,
mais aussi la description du système réel de la langue
tel que l'utilise un groupe d'humain pour articuler quelque 40 sons
minimaux en des milliers de phrases (Bibeau: 1975). On sait que
le principe de la faculté de langage innée anime toute
la démarche de Chomsky (1969) et va contribuer à l'élaboration
du modèle de la compétence des usagers, i.e de la
grammaire de leur langue. La recherche de la compétence linguistique
que les générativistes ont menée s'est faite
au niveau le plus abstrait et le plus général dans
l'établissement des règles d'une langue. L'idée,
on le voit, c' est que ces règles se retrouvent dans d'autres
langues et éventuellement dans toutes les langues. Cela explique,
chez ces linguistes, la part octroyée à la formalisation
des règles et aux conventions techniques. Les générativistes
en travaillant sur la compétence et en isolant la performance
(utilisation de la compétence par le sujet parlant dans des
situations concrètes) ne peuvent pas mesurer les règles
phonologiques au plan de la performance. Celles-ci ne pourraient
être appréciées d'après le comportement
ou l'intuition des sujets parlants. Les règles de la phonologie
générative restent donc, pour l'instant, une simulation
de la façon dont sont engendrées les séquences
à partir des traits distinctifs. Par ailleurs, le concept
de simplicité a été mis en avant par Chomsky
pour rendre le modèle linguistique plus économique.
Et, une description est d'autant plus simple pour lui que le nombre
d'éléments ultimes (traits pertinents en l'occurrence)
auxquels elle a recours est plus petit. Mais cela correspond-il
à ce qui est simple pour les usagers d'une langue? La remarque
de Ladefoged (1972) nous avise que la réalité n'est
pas aussi simple que cela. En effet,"la neuropsychologie et
la psychologie nous indiquent qu'au lieu d'emmagasiner un petit
nombre d'éléments primaires et de les organiser selon
un grand nombre de règles, nous emmagasinons un grand nombre
d'items complexes que nous manipulons à l'aide dopérations
comparativement simples". Autrement dit, une autre façon
de gagner en simplicité serait de réduire les règles
et d'augmenter les éléments. Là encore, le
test de la validité d'un tel programme reste ouvert au chercheur.
6. CONCLUSION
Le parcours que nous venons d'entreprendre dans le paysage des
programmes de recherches en phonologie suscitent plusieurs remarques.
Depuis Saussure, depuis l'école pragoise les réflexions
en ce domaine ne se sont pas taries. Chacune d'elles a apporté
sa part de compréhension et son modèle pour tenter
de rendre compte de ce qui part du son et qui n'est pas le son à
savoir des phonèmes et de son organisation propre dans la
gestion des faits de langue. Il est intéressant de noter
que chaque programme de recherche sur la langue repose sur un protocole
de recherche qui se laisse voir pour certains et qui apparaît
implicite pour d'autres. Le modèle pragois n'est pas similaire
au modèle chomskyen. Le premier présente l'objet langue
comme une réalité qui se laisse saisir sans trop de
difficulté et, à l'aide d'une méthodologie
éprouvée, celle de la commutation, les chercheurs
de cette école travailleront à décrire, à
formaliser les mécanismes de la langue et à expliquer
ce qui est en jeu dans le rapport entre son et sens. Le protocole
de recherche des générativistes est autre. L'objet-langue
est assimilé dans le cerveau du sujet à un modèle
struc-turé comme les modèles formels utilisés
en mathématiques, comme un modèle où la notion
de règles, de systèmes de règles jouent un
rôle notoire dans le rapport entre le son et le sens et expliquent
comment tout sujet est capable de reconnaître et de produire
toutes les phrases bien formées de sa langue. Le modèle
saussurien repris et reprécisé par Coursil se singularise
des autres dans la mesure où ce modèle considère
la langue comme correspondant à une activité de pensée.
L'objet-langue se doit d'être un modèle simulant cette
activité de pensée, exprimant en somme la position
du sujet écoutant, la position du sujet en train de déconstruire
la chaîne phonique pour la reconstruire par son dispositif
de lecture interne. Il n'empêche que tous ces modèles
laissent percevoir qu'il y a en deçà de la variation
de la parole humaine de l'invariant symbolisé par la langue.
Il n'empêche également que tous ces modèles
phonologiques restent des hypothèses de chercheurs pour traduire
cet invariant symbolisé qui entretient une intimité
avec l'activité de pensée et avec celle de la parole.
Parler d'hypothèses, c' est laisser entendre que rien n'est
définitif, que les différents modèles explicatifs
peuvent être remis en cause et que d'autres programmes de
recherches issus d'autres modèles peuvent voir le jour. A
ce sujet, signalons que, depuis les années soixante-dix,
quatre-vingts, phonologie générative, basée,
on le sait, sur le modèle SPE (Sound Pattern of English:
1968) a été reconnu comme insuffisant pour décrire
le fonctionnement des langues à tons et des langues sémitiques.
Certains générativistes ont abandonné le modèle
linéaire SPE pour des modèles plus adaptés
qui conduisent à des phonologie multilinéaires et
permettent de rendre compte des langues qui invalidait le modèle
SPE (Laks: 1997). Cette floraison des recherches phonologiques d'une
part et, celle des divergences légères ou profondes
constatées d'autre part, laissent apparaître de prime
abord une balkanisation du champ. Il nous semble au contraire que
cet éclatement n'a rien d'inquiétant. Il nous offre
au contraire en cette fin du XXè siècle un exemple
vivant du fonctionnement de l'histoire des sciences qui, on le constate,
est faite de ruptures, de retours en arrière et de continuités.
Dans cette démarche à la fois discontinue et continue,
l'objectif est le même: rendre compte de la vérité
des choses et la phonologie, comme science, n'échappe nullement
à cette visée.
|
|
7. BIBLIOGRAPHIE
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