Contes créoles

Tropiques

TROPIQUES1

N° 4 Janvier 1942

REVUE CULTURELLE – Fort-de-France (Martinique)

 

Conte Colibri

Lafcadio HEARN
 

— Bo-bonne fois...

— Trois fois bel conte!

Il était une fois... Il y a longtemps, longtemps. En ce temps-là, le Diable n'était encore qu'un tout petit, petit bonhomme.

crabe

Or donc, le Bon Dieu voulait faire une route et les nègres prétendaient ne savoir travailler qu'au son du tambour. Un seul tambour il y avait sur la terre: le tambour de Colibri.

Dieu manda le Cheval.

— Chouval, mon fils, va-t-en chez Coulibri lui demander son grand tambour. S'il refuse de me le prêter... frappe!!!

Chouval s'en va: Placata, Placata, Placata.

Il arrive chez Colibri

— Bonjour Coulibri!

— Bonjour Chouval!

— Bon Dié, mon maître, te demande de lui prêter ton grand tambour.

Coulibri répond, l'effronté:

—  Tu diras à Bon Dié, ton maître, qu'il aura le tambour... quand ma tête sera sous la pierre de taille, dans la cour de ma maison.

Chouval se cabre. Coulibri comprend qu'il faut se défendre.

Sans perdre la carte, il appelle Crapaud, son nègre.

Crapaud veut bien «manier» le tambour, n'est-ce-pas?

Alors Crapaud escalade le tambour, le fait sonner. Il commence à chanter:

«Ingoui, ingoua; gombou-lé zombis,
Bambous-lé-bois, bambous-lé-zombis;
Ingoui, ingoua; bam si boin, tambingoui
Tambingoua;
Timb si moin prêté pou renne.»

Et aussi, comme pour les zombis:

«Ingoui, ingoua, gomboulé zombi
Bam ou lé ga, gomboulé zombi
«Ingoui, ingoua, bam si gouin, timb,
Min goui ; tamb min goua
B'ann si moin prêté pou renne.»

Chauffe, chauffe, Crapaud!

Des pieds, des yeux, Chouval lance feux et flammes...

crabe

Coulibri y perdit quelques plumes. Mais le beau courage de la petite bête, vous le savez, vous autres?

Il tourne, il tourne, au dessus, autour de la tête de chouval et Zip, Zip, dans les yeux!!!

Voilà Chouval aveugle comme Toupie.

Chouval en a les sangs tournés, il détale, et vite comme vous pensez.

Il n'y voyait point. Il arrive pourtant chez le Bon Dieu, lui montre ce qu'a fait de lui cette bestiole.

Le Bon Dieu n'est pas content.

Sa bile s'échauffe.

Il appelle le Boeuf:

— Bef, mon fils, tu as des cornes, toi, tu en viendras à bout.

Ah! la maudite engeance! tu vois ce qu'il a fait de Chouval, Coulibri; va le corriger.

Bef s'en va, faraud comme un Docteur. Il tuera Coulibri, certes!

Il arrive:

—  Bonjour. Coulibri!

—  Bonjour, Bef!

— Bon Dié, mon maitre, vous demande votre grand tambour « bel air ».

Coulibri ne répond même pas : il fonce. Bef ne s'est pas mis en garde, qu'il a les yeux hors de la tête.

Cependant Crapaud «maniait» le tambour de toute sa force: Coulibri y puisait son courage.

«Ingoui, ingoua ; gomboulé zombis
Bambous-lé-bois, bambous-lé zombis
Ingoui, ingoua; bam si boin, tambingoui
Timbingoua;
Timb si moin prêté pou renne».

crabe

«Ingoui, ingoua, gomboulé zombi
Bam ou lé ga, gomboulé zombi
Ingoui, ingoua, bam si gouin, timb,
Min goui ; tamb min goua
Bann si moin prêté pou renne.»

Cette fois le combat fut bref:

Tac!

Pauvre Bef s'enfuit comme Chouval. Il arriva hors d'haleine près du Bon Dieu. Le Bon Dieu était encore plus fâché.

Il roula son tonnerre.

Et il poussa un grand cri.

Alors vint Poisson Armé.

Il l'envoya contre Coulibri.

Poisson Armé s'en fut: celui-là était sûr de son affaire.

crabe

Coulibri n'était plus du tout le même. Il avait laissé bien des plumes dans les cornes de Bef! Et aussi, Bef l'avait blessé aux aisselles.

Quand il vit Poisson Armé, un petit froid lui saisit le corps. Personne ne s'en aperçut: Petite bête, oui, mais petit César: ne le savez-vous pas, vous tous?

A la Bête-à-piquants, il répondit, l'air tranquille:

—  Bonjour, Pouesson Armé!

Tout de même il se sentait paresseux de se battre. Avant de se mettre en train il dit à Crapaud:

— Crapaud, mon fils, t'en prie, s'il te plait, tape fort. Chauffe-moi ce tambour, hein!

Crapaud ne se le fit pas dire deux fois: ses doigts saignaient tant il frappait dur.

Pouesson Armé s'enroula comme boule piquante, rentra ses yeux et attaqua. Pauv' Coulibri, au premier choc, eut le corps tout labouré.

Tape donc, Crapaud: chauffe-moi ce tambour voyons!

Crapaud suait l'encre:

«Bambous-lé-bois, bambous-lé-zombis».

Il chantait, il chantait…

Pouesson Armé fonçait toujours. Au second coup ce fut fini:

— Mon dernier combat, dit Coulibri qui tomba mort.

Pouesson Armé, en toute hâte, ramassa un grand coutelas qui traînait par là, coupa la tête de Coulibri, la mit sous la pierre de taille, dans la cour de la maison.

Alors seulement il prit le tambour et l'emporta.

Amis, je ne saurais vous dépeindre la frayeur de Crapaud. Non, je ne saurais. Il s'enfuit, il s'enfuit si vite que dans sa course précipitée, sa queue resta prise sous le tambour…

Et voilà pourquoi le Crapaud n'a plus de queue.

Lafcadio H earn.

crabe
  1. Césaire Aimé, Tropiques n° 1 à 34, 1941-1945, Paris, Jean-Michel Place, 1994, 848 p., ISBN: 2 85893 205 0 http://www.jeanmichelplace.com/fr/livres/detail.cfm?ProduitID=769