Pou défann nout libèrté kozé
Rapor lo trikmardaz kont rèsponsab lo MRLKR,
lasanblé zénéral zadéran ou sinonsa
lantouraz lo Mouvman, lé paré pou done in koudmin
tout sak i giny désagréman dan zot travay akoz zot
i vanz pou nout kalité rényoné.
Tansalé, lo 7 avril 2001
Pour le droit à la liberté d’expression
Suite aux manœuvres de déstabilisation à
l’encontre des responsables du MRICR/MRLKR, les adhérents
ou sympathisants du Mouvman réunis ce jour en Assemblée
générale tiennent à apporter leur soutien à
toute personne qui, dans le cadre de son engagement pour la cause
identitaire réunionnaise, est l’objet de harcèlement
professionnel.
A Etang Salé, le 7 avril 2001
Eric ALENDROIT, Alain ANSELIN (Egyptologue, Chargé
de cours en égyptien ancien à l'Université
des Antilles et de la Guyane), Manuella ANTOINE (Chargée
de cours en Lettres Modernes, Université des Antilles et
de la Guyane), Jean-Pierre ARSAYE (traducteur, doctorant en Langues
et Cultures Régionales, Martinique) Philippe AZEMA, Eddy
BABET, Jean BERNABE (linguiste, Professeur des Universités,
Université des Antilles et de la Guyane), Michèle
BERTHOMIEU, Philippe et Ghislaine BESSIERE (Association Rasine Kaf),
Elyséen BETON, Myrna BOLUS (étudiante en DEA de Langues
et Cultures Régionales, Guadeloupe), Louis Georget BOYER,
Maximin BOYER, Dominique CAUBET (Professeur des Universités
– Arabe maghrébin INALCO), Patrick CHAMOISEAU (écrivain,
Prix Goncourt 1992), Maryline CHAMPIGNEUL, Patricia CHATEAU, Raphaël
CONFIANT (écrivain, Maître de Conférences en
Langues et Cultures Régionales à l'Université
des Antilles et de la Guyane), Carole CROCHET, Mickaël CROCHET,
Brigitte DAUBELCOUR, Marie Lyne DIJOUX, Monique DIJOUX, Daniel DOBAT
(Professeur de créole au collège de Saint-Joseph,
Martinique), Serge DOMI (sociologue, Martinique), Jean Pierre ESPERET,
Jane ETIENNE (Attachée de recherches au GEREC-F, Université
des Antilles et de la Guyane, Guadeloupe), Michèle EXBRAYAT,
Carine GENDREY (étudiante en DEA de Langues et Cultures Régionales,
Guadeloupe), Gilles GERARD, Jean GONTIER, Chantal HOARAU, Pascale
LEGROS, Gerry L'ETANG (anthropologue, Maître de Conférences
à l'Université des Antilles et de la Guyane), Viviane
LAROUE (professeur contractuel de français au collège
des Terres-Sainvilles, Martinique), Ketty LISADOR-SABADEL, Jean
Michel LUCAS, Emmanuel MIGUET, Natacha MIRABEAU, Raphaël MITHRA,
Méry Rose MURAT, Daniel LAURET, Rémi LAURET, Rose
May NICOLE, Marcelle NOCTURNE, Manuel NORVAT (critique littéraire,
Martinique), Bernadette PAYET, Monique PAYET, Pierre PINALIE (critique
littéraire, Martinique), Philippe RANGAMA, Raymond
RELOUZAT (ethnologue, Martinique), Sophie ROTBARD, Frédéric
SALVAN, Claude et Francesca SCHILLING, Marie SONGOLO, Catherine
SIMOUNEAU, François SAINT OMER, Eric SORET, Irène
STOJCIC, Roger THEODORA, Monique TURPIN, Nadia VINGADESSIN,
DanielVIRAMA, DanyelWARO.
Viré monté |
MOUVEMENT POUR LE RESPECT DE
L’IDENTITE CULTURELLE REUNIONNAISE
MOUVMAN PO LO RESPE LIDANTITE KILTIREL RENYONE
B.P 22 97427 ETANG SALE
Fax 02 62 91 40 51 Monsieur le Premier Ministre,
Des informations concordantes et des avis autorisés
ont attiré, depuis un certain temps déjà,
l’attention et la réflexion de notre association sur la situation
très préoccupante provoquée par une politique
scolaire inadaptée à l’accueil des enfants créolophones
unilingues en maternelle et au primaire.
Nous venons donc, par la présente, vous
exposer de la manière la plus synthétique possible
la question sociolinguistique réunionnaise et les enjeux
au centre desquels elle se situe. Mais avant d’aborder ce point
précis, il nous paraît important de poser en quelque
sorte le décor, en dressant sur la base d’indicateurs
économiques et sociaux significatifs un rapide tableau de
la société réunionnaise.
Colonie française depuis 1663, la Réunion
est, en même temps que la Martinique, la Guadeloupe
et la Guyane française, érigée en département
français le 19 mars 1946. C’est un choix original dans le
contexte de la décolonisation qui a suivi la deuxième
guerre mondiale et qui fera de notre pays l’île francophone
de référence dans la zone du sud-ouest de l’Océan
Indien.
Par le jeu des lois de décentralisation
de 1982 et de 1983 et par les élections régionales
du printemps 1983, les quatre DOM sont devenus administrativement
des régions dont le régime est spécifique puisqu’il
s’agit de régions monodépartementales où coexistent
sur un même espace deux collectivités territoriales.
En outre, dans l’Union européenne, le traité
d’Amsterdam du 2 octobre 1997, qui consacre pleinement dans ses
articles 299 et 158 le statut de régions ultra périphériques
des départements français d’outre-mer, ouvre des perspectives
nouvelles pour la prise en compte des spécificités,
notamment culturelles, de ces régions.
En mars 1999, la population réunionnaise
était de 706180 habitants. Elle est relativement jeune puisqu’à
cette même date les moins de 20 ans représentaient
36 % de la population totale . La classe d’âge des adultes
représente 54 % de la population totale soit 380 000 personnes.
Sur le plan économique, pour faire court,
on relève un rythme de croissance très élevé
du PIB, soit 5,4% en volume sur les quinze dernières années;
un PIB par habitant de 10 600 $US qui n’atteint pas toutefois
la moitié de celui de la métropole.
Cette réserve est d’autant plus justifiée
que le PIB de deux pays de la zone Océan Indien, Maurice
et les Seychelles est respectivement de 3500 $/US et 5700 $US).
A la différence de ces deux pays où croissance et
développement vont de pair, l’économie réunionnaise,
qui présente toutes les caractéristiques d’une économie
de comptoir, vit sous perfusion car elle dépend largement
des transferts sociaux massifs de la métropole.
On relève enfin que la France et l’U.E restent
les principaux fournisseurs et clients de la Réunion avec
79,7 % des importations et 81 % des exportations. A titre indicatif
les échanges avec les pays de la COI représentent
seulement 2 % du total des importations et 7,3% du total des exportations.
Avec un taux de chômage de 36,7 % (au sens du B.I.T), la Réunion
détient le record national avec un peu plus d’un jeune sur
deux qui se retrouve sans travail. C’est aussi la région
française qui compte en proportion de sa population le plus
grand nombre de bénéficiaires du R.M.I soit 51 000
personnes représentant elles-mêmes 18 % de la population.
Dans un contexte marqué par la précarité
et le chômage, les indicateurs sociaux sont préoccupants
et révèlent en creux l’existence d’une profonde crise
identitaire. Pour ne retenir que les plus significatifs, nous avons
relevé:
- dans le domaine des atteintes volontaires contre les personnes,
révélatrice de la violence qui sous-tend les rapports
sociaux et où l’agression verbale prend le pas sur la
communication, elle occupe le 4eme rang national
pour les crimes de sang et le 3eme rang national
pour les crimes de mœurs (viols):
- en matière de délinquance juvénile,
les chiffres sont inquiétants et la violence va croissant:
en 1989, 11,2 % de la délinquance était imputable
à des mineurs et huit ans plus tard 17,6 %. Mais c’est
en matière de vols que l’évolution révèle
la montée la plus inquiétante puisque les mineurs
représentent, en 1997, 35 % des personnes
mises en cause pour vols à main armée. Un récent
rapport sur cette question note «que la délinquance
juvénile, qui progresse plus vite que celle des majeurs
se caractérise de plus en plus par des passages à
l’acte violent et l’augmentation de la prise de toxiques ou
stupéfiants ».
- et pour clore cette triste énumération, signalons
que l’alcoolisme reste une cause de décès préoccupante
à la Réunion où il provoque près
de 5 % des décès, soit 8 fois plus qu’en France,
que le suicide occupe une place croissante dans la mortalité
générale à la Réunion, qu’il a connu
une progression explosive entre 1971 et 1987 en passant de 4,9
à 19,4/100000 habitants et qu’il est particulièrement
élevé dans la tranche d’âge des 15-29 ans.
La politique de l'éducation est une bonne
illustration de la croissance sans développement que connaît
la Réunion depuis son érection en département.
La volonté très forte de la population de sortir de
sa situation coloniale et de donner une instruction à tous
les enfants s'est traduite, dans un premier temps, par un recrutement
massif d'enseignants natifs.
Nombre de ceux qui furent recrutés entre
1954 et 1970 étaient issus des cours complémentaires
où les études étaient sanctionnées à
la fin de la classe de troisième par le Brevet Elémentaire.
Ce corps enseignant était en grande partie formé «sur
le tas ». En 1969, deux enseignants exerçant en primaire
sur dix étaient des suppléants de cette catégorie.
A partir de 1968, prend effet une politique scolaire
marquée par des moyens financiers et humains considérables.
Dès 1974, les élèves sont scolarisés
à 95% dès l'âge de cinq ans et à
partir de 1980, ils le sont à 100% à partir de quatre
ans. A la demande des syndicats, un système de formation
continue se met très vite en place .
Le nombre d'élèves par classe diminue
de façon spectaculaire. On passe dans le primaire, de 3 maîtres
pour cent élèves en 1970 à presque 5 maîtres
pour cent élèves en 1996.
La compétence de ces enseignants est notable:
le corps d'enseignants natifs formés sur place avec peu de
moyens est aujourd'hui minoritaire. De plus en plus d'enseignants
qualifiés venant de métropole ont étoffé
le personnel.
Dans le secondaire, le nombre d'agrégés
a triplé en 20 ans. Les équipes éducatives
se sont renforcées dans les collèges par le recrutement
de conseillers d 'éducation, conseillers d'orientation,
psychologues scolaires, assistantes sociales...
Le parc de collèges est achevé,
les lycées se construisent au rythme prévu par les
plans et sont pourvus d'équipements modernes . On peut dire
aujourd'hui que la Réunion a quasiment rattrapé le
retard qu'elle avait en infrastructures et en moyens humains mis
à disposition de la politique éducative.
Pourtant, la comparaison des données des
années soixante à celles des années quatre-vingt
dix montre que si les chiffres de la scolarisation elle-même
sont positifs, ce qui est logique, les résultats de cette
scolarisation sont moins probants et que si les indicateurs sont
aujourd'hui considérés comme ayant atteint la cote
d'alerte, les remarques faites par l'INSEE ne donnent pas encore
toute l'ampleur du problème. En effet dans cette société
enfoncée dans une crise chronique, la situation ne cesse
d'empirer, et ce, malgré les sommes considérables
investies par l’Etat.
L'analphabétisme lié à la
non scolarisation disparaît, certes, avec l'érosion
naturelle des générations concernées, mais
l'illettrisme, après un recul normal dû à la
massification de la scolarisation, a stagné aux alentours
de 20% de la population de plus de 16ans avant d'amorcer une nouvelle
courbe ascendante entre 1989 et 1996.
L'illettrisme des plus de 35 ans qui ont fréquenté
l'école concerne à 84 % ceux qui ont quitté
le système scolaire après y avoir séjourné
au plus 5 ans. L'illettrisme des moins de 31 ans concerne à
78% ceux qui ont quitté le système scolaire au collège
ou au Lycée professionnel, après 12 ou 13 ans de scolarité.
En trente ans, le niveau de la grande majorité
des jeunes scolarisés n'a cessé de baisser. Si l’on
considère que la maîtrise de l’écrit ne se résume
pas au remplissage plus ou moins hésitant d’un formulaire
relatif à sa propre identité, et la lecture à
la reconnaissance de formules de communication de base acquises
en huit années de psittacisme, alors on peut mesurer l’échec
scolaire à sa juste proportion. Ainsi, au collège
Plateau Goyaves de Saint-Louis, établissement situé
en zone d'éducation prioritaire, 25% de l'effectif à
l'entrée en sixième ne sait ni lire ni écrire.
Comble pour le système éducatif, un contrat a même
été passé avec une association spécialisée
dans l’alphabétisation des adultes pour essayer de faire
face à l’illettrisme d’une partie de l’effectif. Même
lorsqu’on n’a pas affaire à des situations aussi extrêmes,
l'insécurité linguistique n'a pas été
vaincue.
Alors qu'au niveau national on vise à conduire
80% d'une classe d'âge au Baccalauréat, à la
Réunion on constate que le taux moyen de 72% de réussite
ne concerne que 41% d’une classe d’âge. A cette réalité,
il faut ajouter que le bac général concerne 82% des
candidats issus des catégories sociales très favorisées
et seulement 40% des candidats issus des catégories sociales
défavorisées.
L’analyse des courbes des résultats aux examens met en évidence:
que la moitié des diplômes n’offre aucun débouché
réel sur le marché de l'emploi, qu'on est obligé
de limiter ses ambitions dans la délivrance des diplômes
et qu'au moment où il faut avoir un niveau équivalent
à bac +3 pour entrer en compétition sur le marché
de l'emploi européen, seulement 5,2 Réunionnais
sur cent ont le Baccalauréat.
Au total, avec des moyens décuplés,
on fait relativement moins bien aujourd'hui qu'il y a trente ans.
La situation est telle qu’au Colloque sur le projet éducatif
global de la ville du Port, l'Inspecteur d'Académie, Monsieur
Rafenomanjato, déclarait substantiellement ceci: "la Réunion
peut être considérée, à elle seule, comme
une immense zone d'éducation prioritaire."
Mais il ne suffit pas de constater les résultats
aussi décevants d'une politique scolaire, que tout observateur
de bonne foi ne peut que considérer comme un échec,
tant les moyens financiers, matériels et humains ont été
importants. Il faut essayer d'en cerner les raisons.
L’Institution avance aujourd'hui que la cause en est imputable au
chômage. Mais l'échec scolaire ne concerne pas que
les enfants de chômeurs.
La raison la plus importante est, à notre
avis, historique. Lorsqu'en 1960 est pensée la politique
scolaire qui se met en place à partir de la fin de la même
décennie, la France vit une période difficile de son
Histoire avec le vent de décolonisation qui réduit
à une peau de chagrin son Empire colonial . Les déclarations
d'hommes politiques français de premier plan de l'époque
révèlent que les DOM et en particulier la Réunion,
ont été l'objet de la concentration d'une volonté
jacobine de Paris qui a trouvé sur place des relais dans
des associations d'éducation populaire, des médecins,
des historiens et le clergé catholique. L'institution scolaire
fut l'un des instruments privilégiés d'une politique
d'assimilation outrancière.
On a falsifié l'Histoire de l'île,
on l'a niée, on a supprimé son enseignement de tous
les programmes scolaires.
On a combattu la langue . La boutade d'un Vice-Recteur “il faut
fusiller le créole” est devenue parole d'évangile.
Dans les compte-rendus d'épreuves psychologiques subies
par des enfants de 7 ans, on a fait valoir le zézaiement
et le parler créole comme des troubles (sic).
On a essayé de modifier le goût des enfants par la
cantine scolaire.
On a voulu rayer l'identité.
Et on a échoué partout. On n'a pas
pu éradiquer la langue créole qui est quotidiennement
parlée par 89 % de la population et revendiquée par
80 % comme leur langue maternelle en 1998. On n'a pas pu, en revanche,
faire avancer le français qui n'est parlé quotidiennement
que par 41% de la population et qui est de plus en plus mal
maîtrisé par ceux qui devraient en avoir une pratique
aisée.
Un rapport d'enquête sociologique réalisé
en 1997 par IPSOS Océan Indien révèle
que “dans la population moyenne (et non plus chez quelques intellectuels
ou politiques contestataires) tout plan institutionnel de développement
venu de Paris va buter sur une démobilisation populaire,
surtout s'il est étranger à la culture réunionnaise.”
Conclure avec les auteurs de ce rapport que: “le
modèle économique est à repenser selon les
mentalités, les valeurs. la logique et l'éthique de
la culture réunionnaise.” c'est renvoyer tous ceux qui ont
aujourd'hui vocation à décider de la stratégie
de développement aux leçons d'une Histoire trop longtemps
ignorée, voire déformée, réduite à
la dimension d'un codicille de l'Histoire de la France métropolitaine.
La réalité, c'est que ce cette population
qui s'installe sur l'île à partir de 1663, ce que les
historiens appellent “le peuplement de hasard”, est dès le
début caractérisée par une forte spécificité
due à 50 années de vie autonome. Elle est, pendant
cette période, à l'écart du projet économique
colonial. Elle doit les bases de son organisation sociale à
une jurisprudence inspirée d'une ordonnance et de pratiques
en vigueur à Fort Dauphin (Madagascar). La servitude qui
y est pratiquée n'est pas encore l'esclavage moderne . Société
ouverte, métissée dès le début, elle
intègre différentes coutumes venues avec ses composantes
des quatre coins de l'Ancien Monde: Isère. Picardie. Bretagne.
Saintonge, Hollande, Angleterre. Ecosse. Portugal, Inde occidentale,
Madagascar, Afrique de l'Ouest.
Pour des besoins vitaux de communication à l'intérieur
même des foyers, se mettent en place les bases d'une langue
nouvelle, le créole réunionnais, dont on trouve un
échantillon en 1717, avant la mise en place de la société
de plantation.
Est-il nécessaire de souligner, à
ce propos, l’importance de la langue dans la construction de la
personnalité et de l’identité réunionnaises?
En 1715. la décision d'étendre à
l'île le schéma de colonie de rapport, et en 1723,
l'entrée en vigueur du Code Noir, et en particulier de son
article 6, posent les bases d'une ségrégation s'appuyant
sur des critères
- de couleur bien sûr: monde blanc/ monde noir,
- de statut social: monde libre/ monde esclave,
- de culture: culture européocentriste/ culture réunionnaise
Dès 1709, sont signalées dans un
mémoire du magasinier de la Compagnie des Indes les incompatibilités
entre les choix de valeurs faits par les habitants des 50 premières
années et les lois, le modèle économique imposés
par la puissance coloniale. Ces incompatibilités, qui pendant
la période de l'esclavage se situèrent à l'intérieur
même du monde libre, furent, tout au long de l'Histoire de
l'île, la cause de problèmes sociaux dont les solutions
généraient d'autres problèmes constituant autant
de freins à la dynamique de développement.
Cette société a évolué
au fi1 des décennies vers une dichotomie de plus en plus
marquée entre un monde visible, servant de référence,
mais minoritaire et incapable à lui seul d'assurer le développement
du pays et l'autre monde, marginalisé, occulté et
majoritaire, vivant sa spécificité sans la revendiquer
forcément de façon tapageuse.
Comme nous l’avons montré, le système
éducatif réunionnais reste profondément marqué
par l’ère des colonies et dans son fonctionnement au quotidien
l’identité réunionnaise n’a pas – loin s’en faut!-
une place reconnue.
Si le temps n’est plus à l’interdiction totale du créole
dans les classes, notre langue maternelle est toujours considérée
comme – nous citons- «un patois fort sympathique», «un
sabir incompréhensible» ou encore «une langue
d’esclaves n’ayant ni grammaire ni écriture»; l’enseignement
de l’Histoire, de la géographie de l’île et des pays
de la zone Océan indien, la découverte des littératures
réunionnaise, mauricienne ou seychelloise et des multiples
facettes de la culture réunionnaise n’interviennent que de
manière résiduelle dans les programmes scolaires.
Pour diverses raisons, les tenants de l’éradication
de la langue créole ou de déculturation ont été,
jusqu’à ces derniers jours confortés dans leur attitude
qui confine au négationnisme:
En effet, le créole réunionnais n’avait pas le statut
de langue régionale. Le dispositif de la loi n°51-86
du 11janvier 1951 sur les langues et cultures régionales(«loi
Deixonne ») n’était pas étendu aux créoles
des D.O.M .Cette situation, qui n’était justifiée
par aucune raison scientifique ou technique, était d’autant
plus paradoxale que les langues mélanésiennes ont
obtenu dés 1982 le statut de langues régionales.
L’absence totale de cadre juridique approprié,
qui eût permis par ailleurs de dédramatiser le débat
sur la langue, constituait indéniablement un obstacle majeur
aux initiatives de terrain. Nous n’en voulons pour preuve que le
fait que jusqu’à la rentrée 2000, il n’existait
à la Réunion qu’un seul collège où la
dimension identitaire était intégrée aux
objectifs généraux du projet d’établissement:
le Collège Plateau Goyaves où travaillent Michaël
Crochet et Roger Théodora. Ce projet, financé par
la Commission européenne, a pu être réalisé
grâce à la volonté et à l’esprit d’ouverture
du Chef d’établissement…
Nous voudrions rapidement vous faire part de cette
expérience qui nous a permis, malgré l’hostilité
quasi générale, d’apporter un certain nombre de solutions
à la question socio-linguistique réunionnaise.
A Plateau Goyaves, le projet pédagogique «Langue et
culture réunionnaises » est né du constat
que pour une grande partie des élèves que nous accueillons
en 6ème l'équilibre psychologique était fortement
compromis, la violence était présente dans tous les
rapports avec l’autre, quel qu’il fût, l'absentéisme
massif, et la formation citoyenne quasi inexistante. Les rapports
entre le milieu scolaire et l’ environnement familial
étaient conflictuels à l'extrême. Nous avons
donc choisi de prendre en charge les élèves qui posent
le plus de problèmes, ceux qui n'avaient plus de dossier
ou dont le dossier se résumait à une phrase expéditive
signant la condamnation de l'élève. Certains élèves
n'avaient plus écrit un seul mot depuis deux ou trois ans.
Les opposants à notre initiative finirent par faire bon coeur
contre mauvaise fortune en nous disant qu'avec ces élèves,
« de toute façon, si l'expérience échouait,
on ne perdrait pas grand-chose » .
Avec une équipe de collègues volontaires,
nous décidâmes de nous appuyer sur les valeurs identitaires
et sur la langue maternelle pour donner à ces élèves
le sens des responsabilités, de l’autonomie, le goût
et la curiosité pour le savoir. Très vite, les résultats
dépassèrent nos espérances: l'absentéisme
régressa très vite, les élèves concernés
devinrent même les plus assidus de l'établissement;
il y eut un regain d’intérêt pour la chose scolaire,
une autorégulation et responsabilisation du groupe.
Des conflits se réglèrent dans la concertation
et en référence à des valeurs du milieu d'où
étaient issus les enfants. L’intérêt pour
l’apport de la discipline amena des parents d'élèves
en situation de réussite scolaire à souhaiter
qu'on l'étende à d'autres classes de l’établissement.
Nous fûmes convaincus, dès la deuxième
année, que cette expérience, même partielle
et limitée dans le temps et dans l'espace, était quand
même une interpellation de l'ensemble de l'institution
scolaire à la Réunion. En effet, elle apportait
un début de preuve au rapport présenté
en 1995 par une mission du CREDIF qui préconisait des méthodes
d'apprentissage du Français spécifiques, car, si ce
n'est pas, d'un point de vue politique, une langue étrangère,
ce n'est pas, d'un point de vue humain la langue maternelle. Mais
il ajoutait qu'en même temps il fallait aussi que le
créole soit reconnu et valorisé et qu'il lui soit
donné toute sa place dans l'école.
Objet d’un régime de tolérance permettant
l’arbitraire, les mille et une petites tracasseries, en bref, une
oppression discrète et efficace à son égard,
notre projet a, on le comprend dès lors, été
ignoré par l'institution académique jusque dans les
conclusions écrites qui s'en dégageaient . Il
importait donc de lui trouver un cadre légal consacrant pleinement
l’identité réunionnaise. Sans cette condition, il
était en effet illusoire de tenter quoi que ce soit qui pût
plaider pour l’importance de la place de la langue et de l’identité
dans le système éducatif. Car la politique académique
s ‘appuyait, en la matière, sur le postulat hérité
des années Debré, que le créole était
une non-langue et l’identité réunionnaise inexistante.
C’est cette préoccupation qui a sous-tendu notre action pour
l’extension de la loi Deixonne à la Réunion. Il nous
semblait d’autant plus urgent d’obtenir satisfaction que notre campagne
semblait avoir été à l’origine de réactions
suspectes de la part des services concernés.
En effet, sans faire de procès d’intention,
force est de constater qu’il existe un mécanisme de déstabilisation,
connu de tous et contre lequel les responsables académiques
ne font rien. Les premières vagues d’ élèves
entrés en maternelle avaient affaire à un personnel
créolophone et de ce fait bénéficiaient d'une
certaine connivence culturelle qui a atténué le phénomène
de diglossie et d'assimilation forcenées au système
de valeurs imposées par l'école. Mais depuis quelques
années, ce personnel local étant arrivé en
fin de carrière, il a été remplacé de
plus en plus par des enseignants venus de métropole, souvent
débutants, n'ayant aucune connaissance de la langue, de la
culture, des valeurs réunionnaises. Aucune formation
vraiment adaptée à la situation n’est dispensée
à ce personnel.
Forts d'un préjugé suivant lequel
ce qui était bon pour une minorité d'enfants appartenant
à des catégories sociales acquises à l'idéologie
de l'assimilation était bon pour tous, on en est arrivé
à généraliser cette pratique absurde et contraire
à toute pédagogie: mettre au contact d'enfants de
maternelle des enseignants n'ayant aucune connaissance de la langue
et de la culture réunionnaises et demander objectivement
à ces enfants de 4, voire 3 ans, de comprendre des adultes
étrangers à leur univers. Ce faisant, on les a mis
en conflit avec leur milieu familial. Il en est résulté
chez les plus fragiles une déstabilisation individuelle et
environnementale et chez ceux qui appartenaient à un milieu
familial plus ancré dans la réalité réunionnaise
un rejet du système.
Pour pallier cette aberration, le Rectorat considère
aujourd’hui que les assistantes maternelles qui, elles, sont natives
et parlent le créole, sont des intermédiaires
toutes trouvées. Or, excepté les titulaires qui ne
sont pas la majorité, ce personnel est constitué de
personnes recrutées comme CES pour des durées
n'excédant pas six mois. Or, un CES est bien
souvent elle-même une personne exclue très tôt
du système scolaire, qui n'a eu de l'école qu'une
image négative, qui n'a aucune formation, et qui, malgré
la meilleure volonté du monde, ne peut que reproduire des
modèles dévalorisants.
Dans de telles conditions, la langue maternelle devient la langue
de la répression, la langue qui amène l'enfant à
avoir une idée négative de lui-même et
de ses références identitaires. On peut dès
lors, imaginer les dégâts causés par une telle
situation chez des enfants de trois ans à cinq ans.
Nous pensons qu’il y a là une violation des articles
3 et 29 de la Convention des Droits de l'Enfant ratifiée
par la France en 1990, ainsi que de l'article 1er de la Loi d'orientation
du 10 juillet 1989. C’est ce qui nous a amenés à
saisir les organisations non-gouvernementales travaillant
sur ces questions afin qu’une enquête soit menée
sur les conséquences de cette politique de déni d’identité.
La situation est à ce point critique aujourd’hui,
que récemment, un IDEN s’est inquiété de l’ampleur
de la déstabilisation des enfants consécutive à
leur entrée en contact avec un système scolaire qui
leur est totalement étranger. Il faut dire qu’il avait
eu entre les mains les résultats d’une enquête
tellement alarmants qu’elle a été classée «confidentiel
» par le Rectorat.
Loin d’être morte, la société
coloniale a su s‘adapter à l’époque moderne, la caste
au pouvoir, natifs du pays et métropolitains confondus, bénéficiant
pour peaufiner ce déni institutionnel de la connivence
active des services de l’Etat. Regroupant des personnalités
(tous partis politiques, professions, syndicats, religions confondus)
au sein du SRECEC -Société Réunionnaise Contre
l’Enseignement du Créole- elle pratique le "verrouillage
démocratique" pour conserver le pouvoir et fait le jeu d'un
jacobinisme désuet et d'une francophonie frileuse. Cette
association qui a prôné l’éradication de la
langue maternelle dès la première année
de maternelle a été reçue quatorze fois par
l'institution rectorale pour des séances de travail et aujourd'hui
qu'il est question d'appliquer la loi Deixonne à la Réunion,
le Rectorat accorde à ses membres une place de choix dans
une commission académique chargée d'assurer le suivi
de l'option «langues et cultures régionales (?) »
à la Réunion.
Et l’on comprend pourquoi jamais l'institution
n'a pris position sur la question de la reconnaissance du créole
comme langue régionale. Sauf dans une lettre confidentielle
de justification adressée à la Madame
la Doyenne de l’Inspection Générale de l’Education
Nationale par Monsieur le Recteur Benéjam il y a quatre ans,
jamais il n'y a eu la moindre initiative pour reconnaître
l'identité de l'enfant, sa langue et sa culture, au contraire
.
Ce véritable déni institutionnel
est d'autant plus scandaleux que ceux qui sont victimes de ce système
depuis bientôt une génération et qui constituent
la majorité de la population n'ont aucun moyen démocratique
de faire valoir leur point de vue sur la question car ils n'ont
pas les moyens d’analyser cette question technique et d’en débattre.
N'appartenant pas aux instances de pouvoir, ils n’y ont aucun relais,
aucun représentant.
La situation perdure donc grâce à une pratique bien
au point qui s’appuie sur trois principes: la rétention
d’information, pratiquée par la quasi totalité des
techniciens, le silence des administratifs et politiques face à
une situation scandaleuse évidente et la désinformation
médiatique par le biais de vrais-faux courriers de lecteurs.
- La rétention d’information: les conclusions d’une
enquête grandeur nature sur une circonscription réalisée
à la demande du Recteur Patrick Genest en 1999,
a été classée «top secret ».
Tous nos efforts ont été vains pour en obtenir
communication. La raison? Il en ressortait qu’entre le
moment où l’enfant créolophone entrait en petite
section de maternelle à 3 ans, et celui où
il arrivait au CP à 6 ans, on avait observé
«une régression globale des compétences
».
- le silence des administratifs et politiques: on n'a jamais
entendu un seul mot de contestation lorsque Monsieur Jean-François
Baissac, linguiste et enseignant, a parlé de «massacre
pédagogique » à propos des méthodes
archaïques d’apprentissage du Français. Il n'y a
pas eu non plus un seul mot de protestation lorsque Monsieur
Guy Lemele, pédopsychiatre et ancien président
du Collège de psychopathologie de l’Océan Indien,
a déclaré que «forclore la langue maternelle
c’est faire de l'enfant un débile ». Pas plus que
nous n’avons entendu de réaction lorsqu' une institutrice
de maternelle Madame Denise Caro s’indignait de «véritable
sacrifice d’enfants ». Il n'y a eu que le silence et la
poursuite de l'entreprise de casse.
- la désinformation médiatique: par des campagnes
médiatiques, on a tellement fait accroire aux parents
de condition modeste que le créole était la cause
fondamentale du handicap des élèves à l'école,
que nombre de créolophones unilingues, se sont
mis à communiquer avec leurs enfants dans une inter langue
qui a comme conséquence de rendre l’enfant mutique,
même au sein du cercle familial. Cette non-communication
dans le milieu familial prive l'enfant de ses repères
essentiels, et rend impossible toute construction de personnalité,
toute formation citoyenne.
Comment avons-nous pensé pouvoir
dénouer cette situation?
Très vite nous avons pris la mesure de la difficulté
à faire bouger le Rectorat et avons alors alerté les
responsables politiques de la Réunion et du Gouvernement.
Les uns et les autres se renvoyant la balle, nous avons contacté
les instances européennes qui nous ont immédiatement
aidés moralement et financièrement dans une opération
pilote nous confortant dans nos critiques et nous donnant une perspective
de solution. Dans le débat sur le bilinguisme, sur l’aspect
technique de la prise en compte du créole, nous avons fait
également appel au Professeur Hugo Baetens Beardsmore, expert
européen de réputation internationale, pour une série
de réunions d’information dans l’île.
Aujourd'hui, compte tenu de l'importance et de
la gravité de la situation, nous en appelons solennellement
à votre autorité pour qu’enfin un terme soit mis à
ce déni permanent d’identité.
Parce qu'il est intolérable que cette situation persiste,
c’est comme éducateurs et citoyens que nous vous interpellons,
en ayant bien conscience que l’action de notre association
va remettre en cause bien des rentes de situations au sein
de la société réunionnaise. Il est vrai que
les fondements du système éducatif à
la Réunion risquent d'être bouleversés. Mais
nous sommes aussi persuadés qu’en amenant la France à
moderniser sa démocratie et à la mettre en phase
avec les lois et conventions internationales, nous contribuerons
à faire cesser un ethnocide déguisé. C'est
la construction même de la société réunionnaise
qui est en jeu, en même temps que ses rapports avec la République.
Parce que nous sommes convaincus qu’il est possible aujourd'hui
de penser l'unité de la République, non plus
en termes d'assimilation comme cela s'est fait dans le passé,
mais dans la diversité et la prise en compte de l'identité
réunionnaise dans le respect des valeurs universelles.
Nous vous demandons donc, Monsieur le Premier Ministre,
de prendre dans les tout prochains jours une initiative forte
pour que tous les institutionnels et partenaires concernés
par la question identitaire réunionnaise puissent enfin se
réunir autour d‘une même table Aussi, souhaiterions-nous
ne pas différer plus longtemps ce chantier fondateur
de nouveaux rapports entre le pouvoir central de la République
française et les pays d’Outre-mer.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier
Ministre, l’expression de notre haute considération.
Etang Salé, le 25 janvier 2001
Les responsables du MRICR/MRLKR
Michaël Crochet, Brigitte Daubelcourt, Joël Grondin,
Bernadette Payet, François Saint Omer, Roger Théodora
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