Kréyol Linivèsité

 
Mise en place du CAPES de créole remarques et propositions
 
par Daniel BARRETEAU
Institut de Recherche pour le Développement
Centre Martinique-Caraïbes
 
Avicularia versicolor
Avicularia versicolor, matoutou-falaise, endémique de la Martinique.
Source

1. Cadre de cette étude

L'IRD effectue actuellement, en Martinique, une "Evaluation de la mise en place du CAPES de créole au regard d'autres expériences européennes" (1er mai – 30 octobre 2001). Ce projet, dirigé par Daniel Barreteau, est mené avec la participation de deux étudiantes en DESS de Paris V (Florence Barreteau et Nadège Melyon) et de deux étudiants en DEA de l'UAG (Mirna Bolus et Jacques Nelson).
Ce projet s'intègre dans un programme de l'IRD "Système éducatif et multilinguisme" et dans une axe de recherche "Didactique des langues, des littératures et des cultures régionales" du GEREC-F (Groupe d'études et de recherches en espace créolophone et francophone), auquel est associé l'IRD.

2. Objectif

L’objectif central de cette évaluation est d’analyser les outils mis en place pour l’enseignement de la langue et de la culture créoles, dans le cadre de l’institution du CAPES de créole, par comparaison avec d’autres expériences menées en Europe. On évaluera la manière dont ce projet est mené en terme de prises de décisions, de programmation, d’élaboration d’outils et de transmission des savoirs. Quelle sorte de matériel didactique sera mis à la disposition des enseignants et des élèves? Quel sera le contenu des programmes? Comment les futurs enseignants seront-ils formés et recrutés? L’introduction du créole dans l’enseignement s’inscrit-il dans un mouvement plus large de normalisation de la langue? Comment seront gérées les variations régionales de cette langue et quelles en seront les incidences sur le plan pédagogique?
Par comparaison avec d’autres expériences menées en Europe (catalan, corse, catalan...), cette évaluation a pour but de faire apparaître les avancées et les points faibles de la programmation du CAPES de créole, tout en montrant les diverses sensibilités régionales en matière d’enseignement des langues.
Dans le détail, plusieurs opérations complémentaires sont envisagées:

  1. Observations d'expériences d'enseignement du créole dans le primaire et dans le secondaire;
  2. Evaluation de la programmation du CAPES de créole et analyse des modes d'élaboration de guides didactiques;
  3. Enquête sur les types de formations et les motivations des étudiants;
  4. Etude des représentations des partenaires de l'école (directeurs d'établissements scolaires, enseignants, parents, élèves) vis à vis de l'enseignement du créole.

L'intérêt de cette opération est de mener des entretiens, des observations et des enquêtes de terrain au moment même où se fait la mise en place de ce CAPES, de manière à montrer, in vivo, les points forts et les points faibles de cette expérience, et à pouvoir, éventuellement, influer sur son déroulement. Tel est aussi le but de cette communication puisque nous ne ferons ici que quelques observations préliminaires sur des points particuliers qui appellent d'ores et déjà, de notre part, des propositions concrètes.


3. Observations et propositions

3.1. Programmation et communication

Cellule de coordination du CAPES de créole

La décision d'instituer un CAPES de créole, proclamée dans une conférence publique par le Ministre de l'Éducation Nationale, M. Jack Lang, et par le Secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer, M. Christian Paul, le 18 octobre 2000, a surpris autant qu'enthousiasmé ceux qui militaient pour cela, depuis plus de vingt ans. Des auteurs se sont engagés, immédiatement, dans l'élaboration de divers guides pour la préparation de ce CAPES, prévu pour 2002. Malheureusement, il faut souligner qu'en ce début de juin 2001, le programme de ce CAPES n'est pas encore connu officiellement, si bien que les IUFM ne sont pas en mesure d'élaborer un plan de formation pour la préparation à ce CAPES, ne disposant pas d'habilitation.
Ces trois exemples suffisent à montrer à la fois la détermination générale des politiques, l'engagement des thuriféraires de ce projet, mais aussi les lenteurs de l'administration.
La situation du créole a ceci de particulier qu'il est pratiqué dans des régions fort éloignées : Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion (pour ne citer que les Départements d'Outre-Mer). On observe également une grande dispersion des personnes et des institutions (Universités, Centres de recherche, IUFM, Rectorats...) concernées par l'enseignement de la langue et de la culture créoles. Ce fait entraîne des difficultés de communication, de concertation et d'échanges, ce qui conduit, fatalement, à des tiraillements, voire à des antagonismes qui seront difficiles à résorber, mais qui n'ont guère lieu d'être.
Dans ces conditions, sauf méconnaissance de notre part, il nous paraîtrait nécessaire de créer une Cellule de coordination du CAPES de créole, qui aurait pour tâche essentielle d'organiser les concertations et la communication concernant ce sujet, de sorte que les premiers concernés par cette expérience (les "îliens") ne soient pas à la rescousse d'informations qu'ils doivent glaner, comme tout un chacun, à travers la presse ! Cette "cellule", coordonnée par le ministère, devraient évidemment inclure divers responsables concernés et motivés par ce sujet : ministère, rectorats, universités, instituts de recherche, IUFM..., avec des représentants des différentes régions.

3.2. Concertation et harmonisation

Haut conseil de la langue et la culture créoles

Le créole écrit est jeune, même si, depuis sa constitution, on sait qu'il a "subi" de nombreuses tentatives de transpositions. La fixation moderne de sa transcription date des années 70 et 80, avec des prolongements et des débats encore d'actualité.
Par parenthèses, ces débats sont tout à fait dans l'ordre des choses. La standardisation d'une langue est une opération de longue haleine. Il faut, certes, s'arrêter à un moment donné de manière à fixer un mode d'écriture et à produire des documents de référence (textes, dictionnaires, grammaires, manuels didactiques...) qui feront autorité mais sans bloquer les réflexions et les débats. C'est en multipliant les pratiques, c'est en observant l'évolution même de la langue et en étudiant l'acceptation ou le rejet des principes par les usagers que l'on en viendra, peu à peu, à la nécessité de réformes (plus ou moins importantes). Il n'y a donc pas lieu de créer, pour l’heure, par une sorte de mimétisme, une "académie de la langue créole", ni d'arrêter, définitivement, par décret, l'orthographe de cette langue, à un moment donné.
En revanche, il conviendrait de lancer le projet d'un Haut conseil de la langue et la culture créoles, fédérant un ensemble de "Conseils régionaux" (Conseil de la langue et de la culture créoles des Antilles et de la Guyane, de Haïti, de la Réunion, etc.) qui auraient pour objectifs:

  • d'encourager, de faire connaître et de rassembler les recherches sur la langue et la culture créoles;
  • d'organiser des rencontres de manière à avancer de concert sur la standardisation, la normalisation et la modernisation des différents parlers créoles;
  • d'encourager l'édition et la diffusion de documents;
  • de veiller à la qualité de la formation (des futurs enseignants et des élèves;
  • d'encourager tous modes de diffusion par les média;
  • de créer et d'alimenter des centres de documentation (sur les lieux mêmes où l'on parle et où l'on enseigne le créole).

La constitution de ce Haut conseil de la langue et de la culture créoles (non réservé à des linguistes) impliquerait que les créoles, créolophones, créolisants, créolistes et créolophiles fassent l'effort de dialoguer pour travailler, ensemble, au développement de cette langue et de cette culture, même si, au départ, certains points de vue semblent divergents.

3.3. Le créole à l'écrit

Internet

Le créole commence à s'implanter au théâtre, à la radio et à la télévision (donc à l'oral), mais encore trop peu à l'école, dans les écrits, dans la signalisation, la publicité ou sur internet (exceptions faites de quelques rares sites).
Sans chercher à décrire cette situation (qui mériterait d'être examinée régulièrement, d'être étudiée scientifiquement, de manière à suivre, effectivement, l'évolution de la dynamique de cette langue), selon nous, il conviendrait certainement de valoriser, grâce à l'internet et aux moyens audio-visuels, les très nombreux travaux qui ont été menés sur la langue et la culture créoles. Nous pensons, notamment, aux importantes publications mais aussi aux guides didactiques que le GEREC-F est en train de préparer pour le concours du CAPES de créole.
Des présentations sommaires, des extraits pourraient être "offerts" aux internautes (avec l'agrément, bien sûr, des auteurs et des éditeurs) : dictionnaires en ligne, cours de créole, passages de littérature, etc. Des CD-ROM pourraient reprendre l'essentiel des documents écrits, sous des formes plus interactives, plus ludiques. Cette perspective nous semble d'autant plus intéressante à développer que la majorité des collèges et lycées de l'espace créolophone sont maintenant reliés à l'internet.

3.4. Des représentations à comprendre et à transformer

Enquêtes répétées et restitution

Quelles que soient les représentations et les réactions des partenaires de l'école face à l'introduction des langues et cultures régionales dans le système éducatif (on sait à quel point il est difficile d'obtenir des résultats probants en la matière), il conviendrait certainement:

  1. de tenter de cerner quelles sont les positions des uns et des autres (directeurs d'établissements scolaires, enseignants, parents, élèves), de les situer dans leurs contextes respectifs et d'essayer, en premier lieu, de les comprendre;
  2. d'entrer en dialogue avec ces différents partenaires pour leur restituer les résultats de ces "sondages", pour les informer des projets en cours, pour leur expliquer les tenants et aboutissants d'une ouverture linguistique et culturelle (sur leur propre langue et leur propre culture);
  3. de proposer des mesures qui n'entrent pas en conflit brutal avec les desiderata de la population.

En bref, les enquêtes de type sociolinguistique ne devraient pas s'en tenir à établir fictivement des positions tranchées et définitives. Par des enquêtes répétées, par des restitutions auprès des personnes enquêtées et par une sensibilisation (pas nécessairement militante), le travail des "chercheurs-intellectuels" devrait pouvoir trouver des "applications" et, notamment, modifier la perception des partenaires de l'école sur l'introduction du créole dans le système éducatif.

3.5. Recherches en didactique du créole

Quelques expériences d'enseignement de la langue et de la culture créoles sont d'ores et déjà acquises : formation en langues et cultures régionales des professeurs des écoles, à l'IUFM ; expériences d'enseignement du créole dans quelques classes du primaire et du secondaire ; cursus de langues et cultures régionales, option créole, à l'Université (de la licence au D.E.A.)...
Toutes ces expériences devraient être examinées avec la plus grande attention de manière à conceptualiser, à perfectionner et à étendre les méthodes d'enseignement. L'équipe de recherche "Didactique des langues, des littératures et des cultures régionales" du GEREC-F serait tout indiquée pour mener des recherches dans ce sens, en collaboration avec l'IUFM et des spécialistes des sciences de l'éducation.


3.6. L'introduction des langues et cultures régionales dans le système éducatif : simple effet d'annonce ou politique raisonnée?

Si la décision d'instituer un CAPES de créole a et aura un effet certain sur les esprits (la multiplication d'articles dans les journaux en témoigne), dans les faits, cela n'aura qu'une incidence limitée. Au total, il n'y aura qu'une trentaine ou quarantaine d'étudiants qui seront formés dans chaque IUFM, parmi lesquels seulement trois ou quatre en sortiront avec le diplôme. Soit un enseignant certifié pour chaque DOM! A ce rythme, il faudrait une dizaine d'années pour que chaque lycée de la Martinique puisse dispenser un enseignement de langue et de culture créoles.
En dehors de ce cadre précis (le second cycle du secondaire), si l'on enseigne actuellement le créole à titre expérimental dans le primaire, il faudra bien, à un moment donné, se pencher sur la formalisation et la généralisation de cet enseignement, en commençant par une formation conséquente dans les IUFM. Sans parler de rendre cet enseignement obligatoire dans le primaire, il va de soi que la possibilité de l'introduction du créole dès les premières années du primaire, à raison de quelques heures par semaine, devra être examinée tôt ou tard.

A cœur vaillant, rien d'impossible!

Organismes participants

Institut de Recherche pour le Développement Téléphone: ( 0596) 70 28 72
Centre Martinique-Caraïbe Télécopie : (0596) 71 73 16
15 rue Raymond Garcin Courriel: Daniel.Barreteau@ird-mq.fr
BP 8002, 97259 Fort-de-France
Coordinateur du projet : Daniel BARRETEAU

Université Paris V, DESS “Expertise et coopération en éducation et formation”
Participation de deux étudiantes dans le cadre d’un stage de DESS “Expertise et coopération en éducation et formation” : Florence BARRETEAU et Nadège MELYON

Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créolophone et Francophone
Université des Antilles et de la Guyane (Martinique)
Participation de deux étudiants de D.E.A. Langues et Cultures Régionales, option créole: Mirna BOLUS et Jacques NELSON.

Fort de France, 5 mai 2001