Le présent article est une version
très abrégée d’un Mémoire de Capacité
de Médecine Tropicale pour l’UFR de Médecine
Cochin-Port Royal. Je l’enverrai à ceux qui m’en
feront la demande par e-mail. Ce mémoire n’est pas
une enquête mais un journal de bord. Parlant de santé,
il se base sur l’excellente définition de l’OMS
: «la santé est un état de bien-être
physique, psychique et social».
Population concernée: celle de la commune
de Camopi dont j’étais le médecin territorial.
Cette commune regroupe Camopi et tout le territoire en amont sur
les rivières Camopi et Oyapock. De Camopi à Trois
Sauts, il faut 2 jours de pirogue à moteur, elles sont toutes
à moteur aujourd’hui ; il y a 20 ans il fallait trois
semaines à la pagaie. Haut-Oyapock: défini
ici comme l’amont de Saut Kwachitambé (cf. carte de
1962), c’est la portion de l’Oyapock protégée
par l’arrêté préfectoral qui réserve
l’accès aux personnels militaires, enseignants &
sanitaires, les touristes étant donc exclus.
Bien-être physique
«A ce que m’ont dit mes témoins, il est
rare d’y voir un homme malade ; et m’ont asseuré
n’en y avoir veu aucun tremblant, chassieux, édenté,
ou courbé de vieillesse (…) ils ont grande abondance
de poisson et de chairs qui n’ont aucune ressemblance aux
nostres» Montaigne «Essais» Livre I, 31, 1580
«Les sauvages de l’Amérique, habitans en
la terre du Brésil, nommez Toüoupinambaoults, avec lesquels
j’ay demeuré et fréquenté familierement
environ un an, n’estans point plus grans, plus gros, ou plus
petits de stature que nous sommes en l’Europe, n’ont
le corps ny monstrueux ni prodigieux à nostre égard
: bien sont-ils plus forts, plus robustes et replets, plus disposts,
moins sujets à maladie : et mesme il n’y a presque
point de boiteux, de borgnes, contrefaits, ny maleficiez entre eux.»
Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre
du Brésil, 1578
Absence du neuropaludisme chez les Amérindiens, présence
chez les Brésiliens
- Chez les Amérindiens, l’incidence est nulle sur
mes 4 mois de présence et sur les 2 années précédant
mon arrivée (0/1050 = 0). J’ai observé 3 neuropaludismes,
tous chez des Brésiliens: 2 étaient garimpeiros
(orpailleurs, c’est à dire chercheurs d’or),
1 était boucher à Villa Brasil. Hélas le
nombre de garimpeiro est inconnu… Je suis donc incapable
de calculer l’incidence du neuropaludisme chez eux.
- Le 21 décembre 1999, ses camarades déposent sur
un dégrad (débarcadère) de Camopi un garimpeiro
allongé et comateux puis, comme d’habitude, s’enfuient
aussitôt dans leur pirogue à pleine vitesse, de peur
d’un contrôle de gendarmerie, on sait seulement qu’ils
viennent de la rivière Sikini, affluent d’aval envahi
de nombreuses barges de garimpeiro en situation illégale
puisqu’en territoire français (cf. carte). Le malade
est brancardé jusqu’au centre de santé. Le
frottis sanguin montre des trophozoïtes de P. falciparum.
Une fois sorti du coma grâce à la quinine, l’homme
reste tout le jour assis au bord de notre lit d’hospitalisation,
il est sur le qui vive, il a peur, il ne répond pas à
mes questions «Como esta ? Ta melhor ? Ta bom ?»..
La nuit tombée il guette la rivière. Est-ce la peur
d’une vengeance ? De s’être fait voler ses papiers
? Son or ? Sans doute d’être emprisonné au
poste des gendarmes français, puis refoulé. Tout
le monde sait que la frontière est une passoire facile
à refranchir, tout le monde sauf peut-être lui, anxieux
de voir filer la chance, pour s’en retourner battre la semelle
dans les rues de Macapa… Le lendemain matin il a disparu.
Discussion
Comment expliquer cette différence entre Amérindiens
et Brésiliens ?
- 1° hypothèse : biais de recrutement : improbable,
certes la région est tropicale, mais c’est un département
français d’où antipaludéens de récente
génération et gratuits, soins gratuits : il est
quasi impossible qu’un neuropaludisme survienne chez un
Amérindien sans que le médecin en soit informé,
car un malade grave est toujours vite amené en pirogue
jusqu’au médecin.
- 2° hypothèse : l’hypothèse génétique;
pour la tester il faudrait comparer Amérindiens, Caucasiens
et métis, quand les uns et les autres descendent des Andes
vers l’Amazonie.
- 3° hypothèse : une prémunition acquise dans
l’enfance par les Amérindiens mais pas par les garimpeiros
ayant grandi au Sud du Brésil ou en ville (cf. l’exemple
des milliers de colons installés en 1763 à Kourou
par Choiseul et qui furent décimés par les fièvres)
.
- 4° hypothèse : protection croisée avec le
P.Vivax
- 5° hypothèse : la large diffusion de moustiquaires
épaisses chez les Amérindiens : elles sont faites
en drap épais et non en voile. Elles ne sont jamais imprégnées.
- 6° hypothèse : le temps de veille nocturne, les
Amérindiens se couchent tôt, peu après le
soleil, sauf les soirs de cachiri, alors qu’une barge de
garimpeiros peut travailler toute la nuit.
- 7° hypothèse : le diagnostic & traitement précoce
des accès palustres ; comme n’importe où,
l’auto-traitement existe mais est-ce avec des plantes ?
Avec la chloroquine ? Avec l’halofantrine ? Cette dernière
est, pour les Amérindiens gratuite au centre de santé;
pour les garimpeiros, en vente libre mais extrêmement chère…Il
faudrait une étude sur ce sujet. Je précisais que
les villages émerillon les plus en amont sont à
1 heure de pirogue du centre de santé : c’est proche
pour un coma fébrile mais c’est loin pour un banal
accès de fièvre : on ne venait pas me voir pour
cela de si loin.
Pourquoi sur le Haut Oyapock, presque tous les Amérindiens
utilisent-ils les moustiquaires ?
- 1° hypothèse : ils les utilisent contre la fraicheur
des nuits en forêt équatoriale (alors qu’à
Cayenne ou en brousse africaine la chaleur nocturne rend toute
moustiquaire insupportable)
- 2° hypothèse : contre les chauve-souris
- 3° hypothèse : contre les regards : les moustiquaires
assurent l’intimité du dormeur ou du couple.
- 4° hypothèse : le niveau de vie (allocations familiales
et RMI) des Amérindiens leur permet d’acheter la
toile épaisse et ornée de motifs qu’ils cousent
pour faire leurs moustiquaires
Incidence modeste des anémies
- Données: numérations-formules sanguines de 36
femmes enceintes, pratiquées au cours de l’année
1999 au Laboratoire Départemental d’Hygiène
de Cayenne : 8 sur 36, soit 22,22 %, sont anémiées
(hémoglobine < 11 g/dl)
- Résultats: voici ces résultats du Haut Oyapock
comparés à la proportion d’anémie dans
les pays en développement et les pays développés
en 1980 (DeMaeyer):
|
Haut Oyapock |
Pays endéveloppement |
Pays développés |
femmes enceintes |
22,22% |
59 % |
14 % |
femmes 15-49 ans |
|
47 % |
11 % |
- Discussion : si une population est indemne d’anémie,
c’est a priori qu’elle est indemne de tous les facteurs
ferriprives, à ce sujet les Indiens du Haut Oyapock:
- pêchent tous les jours, chassent souvent, or le poisson
contient, comme la viande, des fibres musculaires actionnées
par la myoglobine qui (comme l’hémoglobine) possède
un fer facilement absorbé par l’intestin (Doyle)
- ne consomment aucun des aliments qui inhibent l’absorption
du fer : thé, café, maïs, riz, haricot,
farine complète, sorgho, aliments riches en calcium
(lait, etc.) (DeMaeyer)
- multiparité : à Camopi, les femmes de moins
de 30 ans prennent la « pilule » et ont rarement
plus de deux ou trois enfants ; ce n’est cependant pas
le cas à Trois Sauts
Par contre la prévalence de l’ankylostomiase est
de l’ordre de 60%, il s’agit cependant de la variété
Necator americanus, qui serait dix fois moins hématophage
que Strongyloides stercoralis mais cela est controversé.
Il est triste de voir un Amérindien, qui doit partir chasser
pour nourrir sa famille, demander aux gendarmes de bien vouloir
lui prêter un fusil ! La pêche est une activité
quotidienne. On commencerait à aller acheter en face à
Villa Brasil du poisson congelé.
La menace du SIDA
- Aucun cas encore détecté chez les Amérindiens
du Haut Oyapock. Le système de surveillance repose sur
le dépistage chez les femmes enceintes, le sérodiagnostic
est assuré par le laboratoire départemental d’hygiène.
- Un cas a été dépisté chez une péripatéticienne
brésilienne de Villa Brasil en 1998, venue spontanément
au Centre de Santé de Camopi demander le dépistage.
Lorsqu’elle revint et apprit le résultat, sa réaction
fut le déni, elle répéta que le résultat
était faux; peu après elle avait quitté la
région.
- Le Brésil est l’un des pays du monde les plus touchés
par le Sida. La littérature médicale brésilienne
étudie surtout les populations des états développés
du Sud ou bien les Indiens contactés. Mais nettement moins
les millions de caboclo (métis) et pas les derniers Indiens
non contactés.
- En Amazonie brésilienne : deux cas de Sida ont été
publiés en 1998 (Domingues) chez deux jeunes femmes amérindiennes
près du Surinam, dans un village de 707 Amérindiens,
où la prévalence des MST était élevée
et dont un habitant était mort du Sida dans la période
1983-1996. Une autre étude a montré que les facteurs
prédictifs des MST chez les Indiens Kaiapo au Brésil
étaient : les voyages vers la ville, les routes, l’exploitation
forestière ou minière, l’apparence esthétique,
l’éducation sanitaire, la délimitation des
réserves (Tanaka). Si l’on regarde Camopi avec ces
critères, c’est inquiétant : la ville (Villa
Brasil) n’est qu’à 5 minutes de pirogue sur
la rive d’en face ; ses prostituées n’ont ni
éducation sanitaire, ni dépistage et sont fréquentées
par les Indiens de la rive française ; c’est une
base d’exploitation minière : chercheurs d’or
qui violent continuement la zone protégée par l’arrêté
prefectoral ; nouveau facteur de risque : l’installation
d’un contingent militaire brésilien.
Bien-être psychique
Joie à Trois Sauts, Tristesse à Villa Brasil
- 1. Trois Sauts évoque à
merveille une scène du vieux Bruegel, ou l’atmosphère
d’un village gaulois mythique, on y rit, boit, ripaille,
sans que cela empêche d’aller chercher de quoi nourrir
sa famille. Les enseignants sont exemplaires, seul bémol
observé : une personne qui tend à distribuer des
bonbons aux enfants malgré les recommandations répétées
d’ une Indienne Palikour : «Tu leurs abîmes
les dents et tu leur apprends à mendier».
- 2. le bourg de Camopi est le quartier
administratif où se regroupent les 15 métropolitains
en une communauté qui apparaît parfois comme un isolat
coupé des 700 amérindiens de Camopi, coupure regrettable
puisque l’on sait que les conflits internes sont classiques
dans une petite communauté humaines isolée, cela
a été bien décrit sur les vaisseaux spatiaux.
- 3. les hameaux de Camopi rappellent
Trois Sauts, malgré l’accès à la culture
télévisuelle et la proximité de Villa Brasil
- 4. Villa Brasil: c’est à
mon retour que j’ai lu l’admirable « Tristes
Tropiques ». Longtemps je n’en avais connu que le
titre et m’étais interrogé sur le sens. Pourquoi
«Tristes Tropiques» ? Peut-être un résumé
des innombrables «Villa Brasil» semés à
travers le continent américain ? Claude Lévi-Strauss,
comme Darius Milhaud, a nommé une œuvre plus tardive:
«Saudades do Brasil». Ni «allegria» brésilienne;
ni douceur de vivre indienne, réelle ou rêvée
par eux même comme elle l’est par les explorateurs
venus d’ailleurs; ni la «saudade», nostalgie
du cinquième empire; mais tristesse parce que Villa Brasil
est un de ces villages de pionniers, outposts, villes de la frontière,
où, comme l’explique cet Américain interrogé
en 1831 par Tocqueville, la civilisation tue les Indiens. Tristesse
parce que Villa Brasil avait un habitant il y a trente ans, dix
il y a cinq ans, cent aujourd’hui et demain sera peut-être,
telle Macapa, une ville champignon de 100 000 habitants avec ses
favellas où ils vivront déchus. Tristesse parce
qu’à Villa Brasil tout est laid: constructions à
la petite semaine annonciatrices de ghost town, planches vite
et mal ajustées contrairement aux carbets indiens, œil
brillant des commerçants versant les alcools forts aux
Indiens qui en attendent aujourd’hui la force magique d’un
cachiri d’ordre supérieur, puis dans quelques années
l’oubli de leur dégringolade.
«En comparant les primitifs aux maîtres de la
Renaissance et les peintres de Sienne à ceux de Florence,
j’avais le sentiment d’une déchéance:
qu’ont donc fait les derniers, sinon exactement tout ce
qu’il aurait fallu ne pas faire ? Et pourtant ils restent
admirables. La grandeur qui s’attache aux commencements
est si certaine que même les erreurs, à la condition
d’être neuves, nous accablent encore de leur beauté»
Lévi-Strauss, «Tristes Tropiques».
Contacts des Amérindiens avec les chercheurs d’or
brésiliens (garimpeiros)
Un document écrit par un garimpeiro lors de la ruée
vers l’or dans l’Etat du Rondonia de 1984 à
1990 parle de la cocaïne : «Il faut que je me rende
à l’évidence: maconha, ou coca, mes ouvriers
ne sont pas les derniers à absorber leur dose journalière
(…) tous les prétextes sont bons pour l’évasion
(…) le rêve concentré en poudre n’est pas
cher, même pour un opérateur. La drogue circule partout
sur le fleuve. Chaque drague est capable de fournir une reposition
(…) on peut aussi s’en procurer sans difficulté
dans les bars» Francis Pauly «O Garimpeiro» 1991.
L’armée brésilienne les a chassés du
Rondonia mais ils écument maintenant Guyane française
(sur l’Oyapock, la Sikini, le Maroni), Surinam et Venezuela.
Le Brésil est le deuxième consommateur mondial de
cocaïne après les USA. Souvent liés à
des affaires de drogue ou passionnelles, les meurtres ont été
hebdomadaires voire quotidiens à Villa Brasil même
! Malgré l’installation à Villa Brasil depuis
début 1999 de l’armée brésilienne pour
calmer le jeu, on m’amena un jour un garimpeiro gravement
blessé à coups de machette par sa propre épouse,
il avait trois plaies pénétrant jusqu’à
la boite crânienne et aussi larges que la tête…
Le crack, forme bon marché de la cocaïne, déjà
courant à Cayenne (comme à La Martinique, La Guadeloupe,
Rio de Janeiro, etc.) vient d’arriver à Saint-Georges
de l’Oyapock.
Suicides
Au cours de l’année 1985 une dizaine de suicides ont
eu lieu dont celui d’un enfant de douze ans. Cette horrible
épidémie suivit de peu l’arrivée d’un
magnétoscope et de cassettes vidéo de série
B, apporté par des métropolitains qui s’ennuyaient
le soir sans télévision, et invitaient les amérindiens
à regarder. Cette période correspondait aussi à
l’arrivée des premiers garimpeiros (Beltoise).
Bien-être social
Boom démographique & Planning familial
La population totale du Haut Oyapock (Wayampi & Emerillon)
est passée de 181(1962) à 1050 (1999), répartis
en 250 Emerillon et 800 Wayampi. Il y a croissance démographique,
à l’instar des Amérindiens du Surinam, ou du
Brésil (passés de 100 000 en 1960, à 350 000
aujourd’hui). Mais si cette croissance se poursuit, sols et
les rivières risquent d’être trop pauvres; abattis,
cueillette, chasse et pêche ne permettent d'entretenir que
des groupes humains peu nombreux dont la densité ne dépasse
pas un habitant par kilomètre carré. Le planning familial
rencontre un grand succès à Camopi, nettement moins
à Trois Sauts.
«Pourquoi protéger, soigner, aider une population
à l’expansion démographique si l’on n’associe
pas parallèlement sa sauvegarde culturelle et son équilibre
économique ?» Brigitte Dillies Flautre, Bilan sanitaire
d'une communauté amérindienne du Haut Oyapock (Guyane),
Thèse de médecine 1985 Rouen
«Bon nombre de nos hommes (…) ne peuvent plus chasser,
ne trouvent pas de travail et sont donc dans l’impossibilité
de subvenir aux besoins de leur famille ; ils n’ont rien à
faire. Une femme par contre peut toujours fabriquer des ouvrages
en perle qu’elle vendra aux touristes, poser pour ces mêmes
touristes le long de l’autoroute ou encore être femme
de ménage dans un motel» Mary Brave Bird-Crow Dog,
«Femme Sioux» chapitre XV, Ed. Albin Michel, 1993
L’Alcool
Ivresse festive traditionnelle (alcoolisme aigu)
«Toute la journée se passe à dancer. Une
partie des femmes s’amuse cependant à chauffer leur
breuvage, qui est leur principal office.» Montaigne, Essais,
Livre I, 31, 1580
Fort curieux des Amérindiens, Montaigne rencontra et devisa
à Rouen avec trois d’entre eux. Aujourd’hui encore
les femmes passent une partie de la journée à tirer
du manioc le breuvage qui, sur l’Oyapock a pour nom «
cachiri » et titre entre 2 et 3,5 degré d’alcool.
Il existe chez les Amérindiens du Haut Oyapock une culture
de l’ivresse, valorisée et recherchée pour ses
effets euphorisants et conviviaux, bien décrite et analysée
comme ciment de la vie sociale (Grenand). J’ai souvent observé
l’état d’ivresse, mais pas d’ivresse pathologique:
hallucinatoire, délirante, convulsivante, coma éthylique.
En 4 mois, il n’y eut pas moins de 2 accidents de pirogue
graves, tous deux provoqués par l’alcool, et nécessitant
une évacuation sanitaire de nuit grâce à l’hélicoptère
Puma de l’armée de l’air. Les Amérindiens,
sur toute l’étendue du continent américain,
sont très alcoolophiles et ceci ne date pas de l’arrivée
des Européens : le «Manuscrit Badianus» et «L’histoire
de la Nouvelle Espagne» du Frère Bernardino de Sahagún
décrivent les problèmes que posaient l’abus
de boissons alcoolisées chez les Aztèques (Calderón
Narvaez).
Passage de l’ivresse (alcool traditionnel) à
l’alcoolodépendance (alcool fort des Blancs)
Le cachiri (mot pris au sens de boisson) titre environ 2 à
3,5 degrés, mais l’Oyapock vit une époque où,
dans les cachiri (mot pris au sens de fête) peuvent circuler,
passées les premières heures, des bouteilles d’alcools
forts titrant 50°… faciles à acheter avec les revenus
sociaux (allocations familiales et RMI). Comment ne pas penser au
destin des Indiens d’Amérique du Nord ?
Je ne crois pas qu’il existe de dépendance au cachiri,
mais cela mérite d’être vérifié.
Par contre, j’ai vu quatre cas de dépendance à
l’alcool. Pour l’instant la situation est encore «en
retard» sur celle des réserves d’Amérique
du Nord où les Cheyennes comptent 60% d’alcooliques
dépendants (Krier).
«Combien de fois (…) n’avons nous pas rencontré
d’honnêtes citadins qui nous disaient (…): Chaque
jour le nombre des Indiens va décroissant. Ce n’est
pas pourtant que nous leur fassions souvent la guerre, mais l’eau
de vie que nous leur vendons à bas prix en enlève
tous les ans plus que ne pourraient faire nos armes. Les véritables
propriétaires de ce continent sont ceux qui savent tirer
partie de ses richesses.» Tocqueville «Quinze jours
dans le désert américain» 1860
«Ici, hommes et femmes boivent car, étant sans emploi,
ils n’ont rien d’autre à faire. La pauvreté
est inimaginable: tout le monde a recours à l’aide
sociale ce qui ne suffit pas pour vivre. Il n’y a aucune occupation
si ce n’est passer les uns chez les autres et se soûler.Sur
la réserve la plupart des accidents mortels sont dus à
une conduite en état d’ivresse, principale cause de
mortalité, bien avant les maladies cardiaques et le cancer
réunis. Quelques uns se tuent en buvant du «Montana
gin» un mélange mortel de Lysol, un antiseptique, et
d’eau qui devient très en vogue sur certaines réserves
indiennes (…) sans argent ni travail, les hommes étaient
complètement démoralisés et, périssant
d’ennui, se soûlaient à mort» in «Femme
Sioux» chapitres I & II
«Sur la réserve les jeunes drogués(…)
inhalent de l’essence ou du White Out, ce liquide blanc que
l’on utilise pour effacer les fautes de frappe: ils mettent
la bouteile en plastique plongent la tête dedans ; une adolescente
en est morte après être restée dans le coma
pendant plusieurs semaines (…) Toutes les sales cochonneries
qui cicrculent à New york, Chicago ou Los Angeles finissent
par arriver sur la réserve» in «Femme Sioux»
chapitre XIII
L’alcoolisme comme facteur de malnutrition infantile par négligence
parentale a été décrit en Guyane sur le fleuve
Maroni chez les enfants amérindiens des villages proches
du Bourg de Maripasoula, alors que les villages plus isolés
sont moins atteints.
Conclusion
Joachim Panapuy, chamane Emerillon, est un personnage haut en couleur.
Invité aux USA il y a plusieurs années, ébahi
de voir des «compatriotes» en blouson clouté
sur des motos Harley-Davidson, s’est exclamé : «Mais
! Ce ne sont pas des Indiens ça !». Ecartelé
entre tradition et évolution, il a quitté Saut Kwachitambé
(cf. carte de 1962) dont il était le dernier habitant - un
chamane vit souvent à l’écart du groupe - pour
Camopi afin que ses enfants puissent aller à l’école.
Publiquement il a exprimé le souhait, en tant que parent
d’élève, et en tant que chamane fantasque habitué
à faire rire, que tous les écoliers soient habillés
de blue-jean. Il n’a choisi aucun successeur.
Un beau jour de l’été 1998, excédés
de se faire voler pirogues et moteurs, les Indiens de Camopi ont
pris leurs vieux fusils de chasse et sont partis attaquer Villa
Brasil. Ce fut un échec. La Guyane est entourée par
l’énorme masse démographique brésilienne,
vague que la forêt elle-même n’arrête plus.
Le phénomène de «frontière», de
«front pionnier» destructeur des Amérindiens
perdure aux Amériques, qu’il y ait défrichement
forestier ou non. Le respect de la forêt amazonienne et de
la biodiversité est souhaitable mais doit
aller de pair avec le respect de l’ethnodiversité.
Résumé
1 – OBSERVATIONS
- La santé physique de cette population est correcte comme
cela est décrit depuis Jean de Léry et Montaigne;
peut-être grâce à l’apport protéino-ferrique
de la pêche et de la chasse.
- Cependant la santé physique est menacée par le
Sida et par la dégradation de la santé psychique
& sociale, dégradation si rapide sur le Haut Oyapock
qu'une action urgente serait souhaitable, avant bidonvilisation,
clochardisation et implosion culturelle déjà accomplies
chez les Amérindiens du Bas Oyapock (Indiens Palikour)
ou bien en Amérique du Nord, où, par exemple, les
Cheyennes comptent 60 % d’alcooliques dépendants
et chez qui, à l’alcool, s’ajoutent toutes
les toxicomanies possibles : crack, colle, laque pour cheveux,
héroïne etc.
- Les 4 problèmes de santé publique se divisent
en 2 problèmes nouveaux avec les garimpeiro pour vecteur
: toxicomanies (alcoolodépendance, crack) et Sida et 2
problèmes anciens: dysenteries du nourrisson et caries
dentaires.
2 – CE QUI SERAIT SOUHAITABLE
- Que soient reconnues comme priorités de santé
publique: toxicomanies, Sida et eau/sanitation (eau de pluie incluse).
L’incidence du neuropaludisme semble faible, celle des anémies
modeste, cela mérite confirmation.
- Que les prostituées du Bas Oyapock (Oiapoque et St Georges
de l’Oyapock) bénéficient d’un programme
Sida.
- Que soit entreprise une enquête sur l’étiologie
des dysenteries, une autre sur la qualité de l’eau
de pluie recueillie à domicile.
- Que soient respectés (comme c’est de plus en plus
le cas au Brésil) ceux des Amérindiens qui ne souhaitent
pas le contact, ce qui impliquerait comme beaucoup le désirent,
de geler les projets de poste et de piste d’atterrissage
à Trois Sauts.
- Que soit suivi l’exemple de l’Etat d’Amapa
(Brésil) où les Wayampi ont obtenu l’autonomie,
le bilinguisme dans leurs écoles et centres de santé,
le respect de leur terres et de leur culture. Ils vivent sans
revenus sociaux (RMI, etc.). Or les facteurs d’alcoolodépendance
en Guyane ou en Amérique du Nord semblent être :
disparition de la chasse et des autres repères culturels,
leur remplacement par des revenus sociaux.
- Que le Brésil fasse à Villa Brasil, ce qu’il
a fait dans l’Etat du Rondonia: stopper toute activité
des garimpeiros.
- Que soient abolis la lettre -et si c’est possible l’esprit-
de l’arrêté municipal à St Georges de
l’Oyapock qui interdit le port du vêtement amérindien.
Ce type d’interdiction a disparu au Brésil.
- Que le recrutement des métropolitains s’inspire
notamment de la police montée canadienne.
- Que la documentation soit disponible sur le terrain (Amérindiens,
gendarmes, personnel éducatif et médical), et promeuve
la transmission orale (en wayampi, émerillon, français).
Bibliographie
Elle est très riche mais méconnue. J’ai pu
réunir environ 250 références panamérindiennes
: Indiens du Brésil, Venezuela, USA, Canada etc. Je les enverrai
à ceux qui m’en feront la demande par e-mail.
LILACS (Literatura Latino-Americana e do Caribe em Ciencias da Saude)
est une base de données bibliographique médicale latino-américaine,
elle mériterait d’être mieux connue et utilisée
via le site www.bireme.br par les médecins tropicalistes,
y compris ceux d’Afrique et d’Asie.
Mots-clés: Amérindien, Amazonie,
Guyane - Autochtones (Canada) - Indios (portugais) - Indians, South
American (anglais)
Pierre BAU
1962 |
|
en fait la route Macapa-Oiapoque n’existait
alors probablement pas
les Wayampi du Brésil existaient mais ces cartes n’en
donne qu’une localisation approximativ |
|
2000 |
|
les garimpeiros arrivent facilement par la
route jusqu’à Oiapoque, puis ils remontent
en pirogue l’Oyapock, la Sikini et la Camopi (malgré
l’arreté préfectoral de 1971) |
|