Zayann II

Fables de La Fontaine et d'Ésope

Sylviane Telchid et Hector Poullet

Zayann verso
Zayann recto
ISBN : 2-912300-47-9, 2002, PLB EDITIONS, BP 155, 97181 Abymes cedex, Guadeloupe.

ZAYANN a reçu un accueil très favorable du public, tant en Guadeloupe qu'en Martinique. C'était pour nous la confirmation que des textes écrits en créole trouvaient enfin leurs lecteurs. Vous trouverez dans ZAYANN Il, d'une part une sélection de 21 autres fables de La Fontaine adaptées en créole par Sylviane TELCHID et Hector POULLET, d'autre part 20 fables d'Ésope adaptées en créole de la Guadeloupe par Hector POULLET, de Guyane par Aude Fawaka DÉSIRÉ, d'Haïti par Jocelyne TROUILLOT-LEVY et de Martinique par Daniel BOUKMANN.

Ces fables d'Ésope, principales sources d'inspiration de La Fontaine, n'avaient pas encore été traduites en Créole.
Les traducteurs ont travaillé à partir des mêmes textes, dans le même temps, et de façon indépendante.
Le lecteur appréciera la diversité et/ l'unité des Créoles. Bonne lecture.

BAY ADAN !!!

INTRODUCTION

«Zayann»: les Fables de La Fontaine en créole de la Guadeloupe était le seul livre de fables créoles disponible en librairie au moment du premier Capes de créole. Sans faire preuve de vanité, nous pouvons penser que notre ouvrage a peut-être inspiré le sujet de dissertation créole de mai 2002: «Dans quelle mesure pourrait-on dire que l'écriture des fables créoles se fonde sur un désir de mettre en scène les manières de faire et les manières de dire des univers créoles?» Nous espérons que notre travail aura aussi aidé de nombreux candidats à réussir cette épreuve.

Sachant par ailleurs que Zayann est, depuis la rentrée 2002, avec l'ouverture de cours de LCR (Langue et Culture Régionale) dans certains Collèges et Lycées de Guadeloupe, souvent utilisé par les professeurs de créole, nous sommes heureux de penser que nous avons fait œuvre utile.

Zayann 2 avait été prévu de longue date. Nous avions, en effet, encore dans nos tiroirs 50 autres fables de La Fontaine transposées en créole de la Guadeloupe. Si nous avons modifié en partie le contenu et la structure de ce tome II, c'est pour répondre à la demande de nombreux lecteurs et de quelques enseignants de créole.
Ce deuxième fascicule se présente en effet de la manière suivante :

  • 21 fables de La Fontaine adaptées en créole de la Guadeloupe
  • 20 fables d'Esope adaptées en 4 créoles de la Caraïbe: Le Guyanais, le Guadeloupéen, le Haïtien, et le Martiniquais.

Seules des raisons de place ne nous ont pas permis d'y mettre également les créoles de la Dominique et celui de Sainte-Lucie qui, nous l'espérons, participeront à une de nos prochaines publications.

Mais que nous demandaient donc nos lecteurs?

Ils nous demandaient pourquoi, puisque nous parlions d'Esope dans notre introduction de Zayann 1, et que nous prétendions qu'il était Éthiopien, ne donnions-nous pas plus de précisions sur nos sources? Et pourquoi ne pas adapter directement les fables d'Esope en créole, ceci d'autant plus qu'en dehors des pays Francophones, seules les fables d'Esope sont connues et étudiées?

Que voulaient les professeurs de créole?

Ils voulaient savoir où trouver les équivalents de nos fables de La Fontaine transposées dans les autres créoles? Et ne serait-il pas formateur d'étudier les différentes adaptations créoles d'une même fable, de voir ainsi ce qu'il pourrait y avoir comme convergences et comme divergences entre les créoles? Autrement dit d'étudier ce qui fait l'unité des univers créoles.

C'est pour nous l'occasion de répondre à ces deux questions.

À propos d'Esope: Était-il Phrygien ou Éthiopien?

La question à nos yeux n'est pas d'une importance majeure. Quand nous avons choisi pour titre Zayann (prononciation anglaise de Zion c'est-à-dire Sion) il ne s'agis-sait que d'un clin d'œil. Ce mot est utilisé par les Rastas qui se réclament de l'ex-Empereur d'Éthiopie. Or les Fables de La Fontaine avaient, elles aussi, pour origine celles d'Esope l'Éthiopien. Toutefois, étant donné le courrier que nous avons reçu et les remarques qui nous ont été faites, sur cette prétendue origine Éthiopienne d'Esope, nous nous devons de donner quelques justifications sur nos sources.

D'après la vie d'Esope écrite en grec par Planudes, dit le Grand, au VI siècle avant J.C. nous lisons: «Non seulement Ésope était né esclave, il était encore le plus hideux et le plus difforme de tous les hommes de son siècle. Il avait la tête en pointe, le nez plat, le cou gros et court, les lèvres grosses, le teint noir et livide; voilà pourquoi on lui donna le nom d'Ésope, qui signifie Éthiopien. Outre cela... il avait une voix enrouée... Il semble que tous ces défauts aient contribué à la servitude d'Ésope, car c'eût été une chose fort extraordinaire qu'avec un corps si laid et si difforme, il eût pu se garantir de l'esclavage» (chapitre premier page 9).

Point n'est besoin d'être expert en analyse pour comprendre qu'Ésope était né esclave, et qu'il l'était resté à cause de tous ces défauts physiques. Or tous ces défauts, «la tête en pointe, le nez plat, les lèvres épaisses et le teint noir» sont souvent les caractéristiques des Nègres. Il n'est jusqu'à cette «voix enrouée» qui ne nous fait penser à quelque chanteur de blues. À notre avis, il devait s'agir d'un jeune Nègre, ramené d'une razzia, mis en esclavage chez des maîtres qui l'auront vendu chaque fois pour s'en débarrasser, jusqu'à ce qu'il parvienne en Phrygie. Ce qui expliquerait que, dans les deux premiers chapitres, il ait quelques difficultés à s'exprimer dans la langue du pays et qu'il doive recourir à des signes et des gestes dans l'épisode de «qui avaient mangé les figues».

Mais d'après Planudes, Ésope lui-même, dit qu'il était noir: Xantus et ses disciples parurent étonnés de ces réponses si promptes et si vives. Il lui demande quel pays il était: je suis noir, lui dit Ésope. Ce n'est pas là ce que je vous demande, dit Xantus, mais je souhaite apprendre le nom de votre patrie, et le lieu d'où vous êtes sorti: du ventre de ma mère, lui répartit Ésope. Je ne dis pas cela, répliqua Xantus, je vous demande en quel lieu vous êtes né. Ma mère ne m'a point informé, dit Ésope si je suis né dans un lieu haut ou dans un lieu bas... (chapitre VI page 22). Ainsi Ésope, selon Planudes, était noir. Mais au XVIIe siècle, alors que la justification idéologique de l'esclavage des nègres est leur infériorité intellectuelle, il n'est pas possible d'admettre qu'un noir ait pu avoir ces traits d'esprit et qu'il ait pu être à l'origine des Fables de La Fontaine.

Que dit en effet Jean de La Fontaine:

«Comme Planude vivoit dans un siècle où la mémoire des choses arrivées à Ésope ne devoit pas être encore éteinte, j'ai cru qu'il savoit par tradition ce qu'il a laissé. Dans cette croyance, je l'ai suivi sans retrancher de ce qu'il a dit d'Ésope que ce qui m'a semblé trop puérile, ou qui s'écartoit en quelque façon de la bienséance.

Ésope étoit Phrygien, d'un bourg appelé Armorium. Il naquit vers la cinquante-septième olympiade, quelques deux cents ans après la fondation de Rome. On ne sauroit dire s'il eut sujet de remercier la nature ou bien de se plaindre d'elle car en le douant d'un très bel esprit, elle le fit naître difforme et laid de visage, ayant à peine figure d'homme, jusqu'à lui refuser presque entièrement l'usage de la parole. Avec ces défauts, quand il n'auroit pas été de condition a être esclave, il ne pouvoit manquer de le devenir. Au reste, son âme se maintint toujours libre et indépendante de la fortune.»


Et voilà comment il ne nous reste plus qu'à tirer la conclusion: dire comme Planudes l'a dit, qu'Ésope avait «le nez plat, les lèvres épaisses et le teint noir » semblait à l'époque « trop puérile, ou s'écartait en quelque façon de la bienséance».

De nos jours, qu'Ésope soit Éthiopien ou Phrygien, noir ou pas, n'a guère d'importance, sauf pour ceux qui ont encore besoin de prouver que les Nègres font partie de l'humaine condition ou qui doutent qu'ils aient pu participer de quelque façon à ce qu'est aujourd'hui notre monde.

Au reste, il n'est nullement certain qu'Ésope ait été à l'origine des Fables dites Ésopiques. En effet, c'est au cours de ce VIe siècle que prend naissance la prose en Grèce. Afin de rendre crédibles les maximes et préceptes moraux, il est courant de les attribuer à des Sages. Ces personnages ayant réellement vécu prenaient, dans l'imaginaire des Grecs, un caractère semi-fabuleux. Ainsi Bias ou Ésope, ne sont-ils pas forcément les véritables auteurs des fables et autres préceptes moraux déjà populaires à des époques antérieures.

Enfin, pour ce qui est de la réponse aux professeurs de créole, nous avons profité de la question sur les Fables Ésopiques pour demander à des amis Haïtien, Guyanais et Martiniquais de nous en traduire vingt, les mêmes, dans leur créole. Le jeu a consisté à laisser toute liberté à chacun, étant entendu qu'il fallait que nous partions tous des quatre vers que nous leur envoyions pour chacune des fables, sans chercher à connaître les quatre autres vers de la morale. Il fallait réaliser le travail dans un temps maximum de trois semaines. Chacun s'est prêté avec enthousiasme à cet exercice, et tous nous ont avoué y avoir pris beaucoup de plaisir. Nous remercions chaleureusement Jocelyn Trouillot pour son adaptation en créole d'Haïti, Aude Fawaka Désiré, pour celle de la Guyane, Daniel Boukmann pour celle de la Martinique. Nous espérons que nos lecteurs prendront le même plaisir à lire et à comparer ces adaptations créoles. A comparer ces versions à la fois si différentes dans leur vocabulaire, mais si semblables dans leur rhétorique, le lecteur ne manquera pas de constater que les adaptations en créole haïtien sont en général plus longues. Au départ il était question de faire aussi court qu'Esope, mais Jocelyne Trouillot-Levy a demandé à «un peu plus de liberté pour l'imaginaire haïtien». Nous n'avons pas voulu lui refuser cette occasion de nous aider à mieux connaître le créole d'Haïti. Nous souhaitons que ce recueil autour d'Esope constitue un premier essai de publication en multicréole et que d'autres suivront pour une meilleure connaissance par le grand public des autres créoles.

Quant à la graphie, chacun a utilisé la graphie en usage dans son pays. Nous pensons que pour le lecteur, créolophone ou non, ce ne sera pas véritablement un obstacle, et qu'il vaut mieux laisser à chacun sa liberté, plutôt que de vouloir imposer une graphie prétendument unifiée, ou de vouloir impérativement pratiquer des corrections arbitraires au prétexte de faciliter la lecture. Après tout, la graphie, qui est à la source de tant de zizanies entre créolistes, n'est souvent que l'arbre qui nous empêche de voir la forêt.

Capesterre le 29 avril 2002. Hector Poullet et Sylviane Telchid.

Le Renard et l'Aigle
Compères et voisins assortis,
A la tentation tous deux ils succombèrent;
Car l'Aigle du Renard enleva les petits,
Et le Renard mangea les Aiglons qui tombèrent.
- Ésope

Mannikou épi Ranmié
Mannikou épi Ranmié té ka rété kantékant
Yo té bon zig toubannman.
Mé an jou, sa ki té dwet fet fet !
Mannikou voré yich Ranmié
Ranmié dépotjolé yich Mannikou.
- Daniel Boukmann