Le propos de ce livre est de montrer comment l'étude des langues a
toujours proposé, au bout du compte, une certaine vision des
communautés linguistiques et de leurs rapports, et comment cette
vision a pu être utilisée pour justifier l'entreprise coloniale. Les
sciences humaines sont en effet enfermées dans un carcan séculier:
qu'elles le veuillent ou non, elles parlent de nous, de nos
conflits, de nos luttes. Et la traduction qu'elles en donnent est
souvent, qu'elles le veuillent ou non, utilisée au profit de
certains, dans ces conflits et dans ces luttes.
D'un certain point
de vue, la linguistique a été jusqu'à l'aube de notre siècle une
manière de nier la langue des autres peuples, cette négation, avec
d'autres, constituant le fondement idéologique de notre "supériorité", de la supériorité de l'Occident chrétien sur les
peuples "exotiques" que nous allions asservir joyeusement. Le
phénomène n'a d'ailleurs pas disparu avec la "décolonisation".
Louis-Jean Calvet le montre très clairement à travers un certain
nombre de comportements, non seulement outre-mer, mais à l'intérieur
même de l'hexagone où les langues régionales demeurent les victimes
d'un impérialisme linguistique dont l'un des masques les plus
récents est peut-être celui de la francophonie.
Une linguistique
consciente de ces implications politiques ne peut être que
militante. C'est aux linguistes concernés, dans leurs pays
respectifs, dans leurs régions, qu'ils appartient d'assumer cette
prise en charge, ce combat pour la défense et l'épanouissement de
leur langue et de leur culture propres. Ce texte se rapporte à
l'édition Broché.
Louis-Jean Calvet est professeur de linguistique. Il a publié de
nombreux ouvrages sur les rapports entre les langues et les sociétés
(par exemple "La Guerre des langues et les politiques
linguistiques"), ainsi qu'une biographie de Roland Barthes. C'est
aussi un grand spécialiste de la chanson française, auteur notamment
chez Payot d'un "Georges Brassens" (PBP n°129) et de "Chanson et
société".
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