On est unanime à reconnaitre que l'industrialisation, mieux que l'agriculture, charrie une croissance plus rapide du PNB. Cependant dans les
pays sous-développés où l'agriculture représente la base de l'économie il
est tout à fait indispensable de fouetter d'abord la croissance du secteur
agricole. Selon Paul Bairoch l'agriculture est à la fois la pourvoyeuse et
la consommatrice de l'industrie naissante.
La politique des 10 axes du RNDP
pour "Changer la vie en Haïti" par le biais de l'industrialisation, au lieu
de faire du secteur primaire sa priorité, préfère adopter le dicton anglais
du 19ème siècle: «qui récolte le coton, gagne 1, qui le file gagne 2, et
le tisse gagne 3». Peut-on brûler les étapes? Le développement économique
est le fruit d'un long processus. Avant de filer le coton et le tisser on
doit d'abord le planter et acquérir certaines expertises.
Nous partageons parfaitement les objectifs du RDNP privilégiant l'axe
agro-alimentaire mais nous avons le grand regret d'annoncer que les
dirigeants se sont trompés d'escaliers. Nous n'irons pas à Jérusalem avec un
tel programme. Malheureusement ils résistent à l'idée dite facile,
traditionnelle, communément admise que le premier et le dernier mot du
développement serait l'agriculture d'abord, ensuite, encore et toujours.
Mais comment vont-ils faire pour construire leurs maïzeries, leurs huileries
sans le maïs, le ricin, le soja, le palmier à huile etc... Est-il possible
de développer les rhumeries sans la canne à sucre, les parfumeries sans le
vétivert, l'industrie de la cigarette sans le tabac. Si on veut arriver au
sertissage de nos fruits et légumes dont la variété et la saveur ne sont
plusà vanter, le cri de l'Agronome industriel Louis Déjoie perce encore:"La politique de la terre est la seule et la vraie pour Haïti". La demande
est latente sur le marché international. Nous avons la grande surprise de constater que les 10 axes que propose le
RNDP pour l'industrialisation d'Haïti ne reposent sur aucun socle. Dans ce
cas aucune dynamique propre au développement économique ne sera dégagée.
Quelles sont les études scientifiques, c'est à dire les enquêtes directes
ou indirectes sur lesquelles se base le RDNP pour formuler ses
recommandations. Le RDNP a le mérite de reconnaitre, dans sa politique
industrielle complémentaire à l'agriculture, l'importance de la satisfaction
des besoins locaux. Cependant nous restons encore sur notre faim ou du moins
le RDNP nous a laissé devant un vide béant qui nous donne la tournis.
Pourquoi? Aucun chiffre n'a été avancé sur la valeur de la consommation
locale avant de penser à l'exportation ou de passer à l'industrialisation.
La vision d'une économie auto-centrée comme le prône le RDNP exige d'abord
une évaluation des besoins de consommation de la population haitienne. C'
est un préalable indispensable à l'agro-industrie, sans quoi on risque de
créer la famine.
Dans une perspective d'industrialisation d'Haïiti en mettant l'accent sur l'agro-alimentaire l'équation de consommation suivante obtenue par une analyse
de régression statistique per capita et par semaine doit être prise en
compte:
C = 0,130 M + 0,330 Mi +1,132 R + 0,694 H + 0,153 T + 0,277 Or + 0,301 Ma + 0,223
Hu - In
M = maïs; Mi = millet; R = riz; H = haricot; T = tomates; Or = oranges; Ma =
mangues, Hu = huile de cuisine; In = Insécurité
L'équation de consommation comporte une contrainte In = insécurité affectée
d'un signe - (moins) qui explique les relations négatives entre le volume de
produits disponibles et l'insécurité . Plus l'insécutité est élevée, moins
on aura de poduits disponibles à la consommation et à l'industrie
agro-alimentaire. Avant de penser à l'installation des maizeries ou encore
à l'exportation des produits agricoles haïtiens la production Y doit être
supérieure à la consommation C: Y>C.
On doit évaluer les besoins de la
population pour une année. Les besoins en Tonne Métrique (TM) en 1970
étaient :
Maïs = 17'673,08
Millet = 53'071,46
Riz = 162'.242,57
Haricot = 94'473,99
Tomates =21'.353,89
Oranges = 37'695,62
Mangues = 40'.958,74
Huile de cuisine = 30'203,48
Source: DossierK15 P3 IOWA 1988 V13 -Availability of selected food items
in haitian households.
A partir du coefficient angulaire de chaque produit on peut extrapoler pour
le futur.
Nous reconnaissons le primat de la pensée sur l'action mais on ne peut pas
se gargariser de vains propos pour arriver au développement économique d'Haïti. Il est vrai que l'industrialisation est la voie cardinale pour
obtenir une croissance exponentielle cependant la croissance a des
corollaires obligés tels que le capital, les ressources humaines et
financières nécessaires. Sans les machineries, sans les ingénieurs et les
ouvriers qualifiés, sans argent il n'y aura pas de développement économique
d'Haïti. Le programme "Changer la vie du RDNP" n'a donné aucun inventaire
tant sur le plan qualitatif que quantitatif, aucun chronogramme d'exécution.
Rappelons que le mandat du Président est de 5 ans.
De plus, il faut une idéologie politique et une théorie scientifique pour
atteindre les objectifs visés. La droite et la gauche n'ont pas les mêmes
options. Si on est Louverturien on ne doit pas s'arrêter au Fort de Joux.
Nous avons les oreilles rabattues de cette feuille de route perforée et
classée dans les archives de l'histoire En 2005 nous sommes en présence d'une autre série statistique. Il faut ressusciter Toussaint, revigorer son
discours pour le placer dans le contexte actuel afin qu'il puisse prendre
les décisions qui s'imposent pour opiner sur la présence de l'ONU et la
Minustah et sur les conditions d'ouverture des travaux de nos ateliers sous
d'autres auspices. Que ferait Toussaint dans la crise trinitaire actuelle.
Selon Robert Solow, la croissance économique qui conduit vers le
développement nécessite un modèle qu'il représente par la fonction de
production suivante:
Y= KaL(1-a)
où
Y = production totale ou revenu national
K = capital c'est à dire: bulldozer, tracteurs, moteurs, semiconducteurs, ordinateurs etc...
L = ingénieurs, techniciens en informatique, bureautique, mécaniciens, manoeuvre, etc...
a = argent nécessaire pour acheter la machinerie , les outils et les accessoires...
1- a = argent nécessaire pour payer le personnel.
Pas de palabre! Voilà les variables indispensables à l'industrialisation
.Ce n'est pas avec des mots que le développement d'Haïti sera possible.
Toute croissance soutenue et durable de la production nationale dépend de la
quantité d'argent à dépenser pour l'acquisition et l'augmentation du capital
K et l'augmentation subséquente des salaires 1-a des ouvriers
supplémentaires selon la dérivée:
Y'/Y = aK'/K + 1-aL'/L
Il nous faut des dirigeants politiques chevronnés et bien imbus des
dossiers de la République, d'autres lois et d'autres structures
administratives. Le mal haitien , avant d'être économique est d'abord
politique et social. Avec une bourgeoisie peser-sucer, les petits-fils de
colons et les nouveaux colons des temps modernes, la machine du
développement ronronne sur place. L'exploitation éhontée de nos ouvriers
avec un salaire de misère et la fuite de nos devises dans les Banques étrangères par la bourgeoisie locale qui n'est pas nationale ni nationaliste
mettent le moteur du développement en panne d'essence.
Nous n'avons rien contre la bourgeoisie locale. Cependant nous devons vous
confesser que le circuit économique est alimenté par les salaires versés aux
ouvriers, les rentes perçues par les Industriels et les Commerçants et leurs
réinvestissements éventuels. L'Etat chargé de la ges tion macro-économique
puise toute sa force dans la perception des taxes et des revenus imposables.
Scientifiquement , les conditions de premier ordre de la croissance du PNB
sont exprimées par la fonction suivante:
Y = WL + rK
Tout le Revenu National Y dépend des salaires W (wage) versés comme
compensation du travail fourni L (labor) qu'on additionne à la rente percue
r par les hommes d'affaires pour récupérer le capital investi K(kapital)...
On peut comprendre la raison essentielle de notre sous-développement parce
que notre économie est anémiée par le salaire de poitrinaire qu'on verse aux
ouvriers et à cause du non-renouvellement de notre stock de capital par
suite du transfert des rentes de la bourgeoisie haïtienne dans leurs pays d'origine et leur refus systématique de faire face aux fiscs. Si le RDNP
voudrait vraiment "Changer la vie" grâce au développement économique d'Haïti
son programme devrait inclure une évaluation équitable du salaire (W) des
ouvriers et des rentes (r) de nos hommes d'affaires de la manière suivante:
W = (1-a) Y/L et r = aY/K
Dans ce cas, sans avoir recours aux menaces politiques ni au déchouquage,
les revenus imposables et l'amortissement comptable seront les deux leviers
que peuvent utiliser le gouvernement pour faire tourner le moteur économique
d'Haïti à plein rendement. Un Etat moderne avec des dirigeants
nationalistes, compétents et honnêtes peut renverser les vapeurs en Haiti
par des incitatifs à l'investissement déductible d'impôt et par un taux de
dépréciation préférentielle du matériel.
Sans aucun esprit d'acrimonie nous
avons le regret d'annoncer que le programme du RDNP avec ces dix axes ne
rejoint pas les vecteurs réels du développement économique d'Haïti. La
quantification aussi bien que le modus operandi font défaut. Le timing est
complètement oublié. L'arithmétique commerciale n'est pas au rendez-vous. Le
Griot est encore à l'honneur. On se perd complètement dans le dédale des
axes de palabre sans aucune articulation ni support réel. Un modèle
mathématique simple, fonctionnel et vérifiable serait plus scientifique et
plus potable.
RDNP! Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots, des
mots magiques et mirifiques, paroles, paroles, juste pour nous faire
chanter selon Dalida.
Jean Erich René
mai 2005
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