Ayiti

Radiographie d'une nation

Jean Erich René
 

Haïti 1983
Haïti 1983. Photo Fabio et Franco Biaggi.

Nous devons faire preuve de maturité et d'honnêteté en prenant conscience des torts causés à une large frange de la population par la mauvaise gestion de notre économie et de notre société. La tension sociale qui règne actuellement en Haïti est le prolongement direct de ce profond déséquilibre causé par cette politique de deux poids et deux mesures menée indistinctement par tous les gouvernements passés en dépit de toute apparence populiste.

Un petit groupe est toujours favorisé au détriment de la majorité nationale qui croupit dans la crasse et la misère. Aucune politique de promotion sociale n'a jamais été entreprise pour améliorer la qualité de vie des 4/5 de la population. De père en fils c'est le même chapelet de misère qu'ils égrènent chaque jour. Le système nerveux du pauvre est sensible et la misère est mauvaise conseillère. Personne n'a choisi d'être pauvre. C'est le système économique en cours qui, en raison d'une inégale répartition de nos richesses, a créé et entretenu cette discrimination sociale basée sur l'argent.

Quoi de plus attendrissant qu'une mère qui n'a pas de quoi à donner à manger à sa famille. Quoi de plus révoltant qu'un père qui ne peut pas payer son loyer et les frais scolaires de ses enfants. La majorité des parents haïtiens se trouvent dans cette triste situation. L'insouciance et l'indifférence de nos dirigeants politiques ne font qu'aggraver le mal de jour en jour. La dépravation morale n'est pas le lot des démunis. Acculés par tant de privations ils sont souvent impliqués dans le vol et d'autres actes délictueux. Leur marginalisation économique et leur isolement social les portent à sauter les barrières de l'interdit pour assurer leur survie.

Qu'a-t-on fait pour aider les pauvres en Haiti? A l'occasion des fêtes paroissiales on leur distribue quelques habits surannés et souvent trop amples. Dans certains coins on dresse des cantines et des centres de distribution occasionnels pour leur offrir du blé mal cuit ou cru et des produits dont le shelf-life est expiré. Des cités sont construites dans les zones les plus sordides sans jamais pouvoir héberger tout le monde. Des bidonvilles viennent suppléer à la carence de logement. La misère est visible non seulement sur les visages desdémunis mais encore dans leurs mises , leurs quartiers résidentiels et leurs types d'habitat.

Ce spectacle qui devrait bouleverser les esprits et les porter à se pencher sur la situation lamentable des démunis ne semble toucher personne. Au contraire, un certain mythe social haïtien associe la pauvreté à la paresse. Pourtant les mécanismes de fonctionnement de notre société ne laissent aucune marge de manœuvre aux gagne-petits et aux laisser-pour-compte. L'œuvre de Mme La Présidente ou les Petis Projets Présidentiels est la supercherie utilisée pour donner l'impression d'une solution et tromper leurs attentes.

A l'occasion des élections, mille et un projets sont prévus pour soulager le sort de la masse nécessiteuse. Des illusions qui seront tout de suite perdues après la prise du pouvoir. L'éradication de la pauvreté en Haïti ne sera pas effective bientôt puisqu'on refuse de comprendre sa dimension réelle et ses retombées néfastes sur l'ensemble du corps social. Haïti a hérité plutôt de l'éthique catholique qui prêche la résignation et porte les victimes à accepter leur sort comme étant la volonté de Dieu. Cette philosophie sociale est à l'origine de nos attitudes, de nos mythes, de nos croyances et contribuent dans une très large mesure à garder la majorité nationale sous l'empire de la misère. L'image du pauvre, fainéant, vaurien, mal nourri, mal vêtu, mal logé, mal élevé transparaît clairement dans la radiographie de la nation haïtienne.

Il nous faut une optique plus positive en reconnaissant, sans aucun préjugé, l'importance des ressources humaines pour notre développement économique.

Jean Erich René
mai 2005