Revue des Traditions Populaires.
7e année. Tome VIII. - N°1. Janvier 1893.

Poule

Ravet1 ké Poule

Ravet ké Poulé té marié.
Oun jou, Poule dit Ravet : “Nous gagnin nou batis, faut nous travaille li. Dimain bon matin, nou ké léve grand bonhò et pis, nous ké pati.”
Ravet dit oui.
Quand poule prête, li appelé Ravet. Ravet sòti di sô boucan sô machouai marrée cou paquet bois. Li dit Poule : “Mô chè, laissé mô la case jòdi-là, mô malade.”
Poule allé la batis li oune sô.
Dipi lisoti, ravet metté tambou dérhò, (2) li commencé chanté :

“Tibidi badi badi
Bamban,
Tambou kalé la Sosso...
Poté bouteilles champagne, ho !
Tambou kalé la Sosso.
Tibidi badi badi
Bamban,
Tambou kalé la Sosso !”

Toutes ravets di vouésinage rivé ; yé toutes ka dansé. Dipi Ravet tendé quatre hò, li serré sô tambou, li renvoyé toute moune, et pis li allé couché, li marré so machouai. Poule rivé, li doumandé Ravet coment li fika. Ravet dit li ka souffri beaucoup.

Lendimain, Poule lévé pou allé la battis. Li dit Ravet: “To pou ka vini ké mô ?”
Ravet dit li trop malade.
Tous lé jous, Ravet té ka fait méme farce. Dipi Poule allé la battis, li ka sauté dérho : fioup ! li, ka batte tambou, li ka dansé, li ka chanté :

“Tibidi badi badi
Bamdan ” etc. etc.

Poule dit : “Ça trop fò ; mô crai Ravet ka foutan di mô !”

Lendimain, en place li pati pou yé batis, li serré sô cò dèyè case.
Ravet crai li allé la batis, li metté sô tambou dérhò, li coumencé chanté :

“Tibidi badi badi
Bamban ” etc. etc.

Toutes sô zamis ravets rivé.
Pendant dansé là té bien chaud, Poule sòti dèyè case. Li dit:
“nhan ! parsou !.. A cou ça tô malade ?.. Coquin ! tô pou ka foutan di mô encò !
Li tombé lassou bande ravet-yé-là. Ravet coumencé couri toutes côtés : chouii, chouiii ! Mé avant yé gain temps di : mô manman !... poule tué yé toutes, li mangé yé toutes.

A pou ça ou ka tendé di toute temps : “Ravet pou ka jamé gagnin réson divan la pòte poulailler.”

  1. Faire sentir le t de ravet.
  2. Dans beaucoup de mots, z en guyanais se prononce comme j en espagnol; c'est le cas pour dérho, ce que j'ai essayé de rendre en introduisant un h entre l'r et l'o. 

RAVET ET POULE

Ravet s'était marié avec poule.
Un jour, Poule dit à Ravet : “Nous avons notre abatis, il faut que nous le travaillons. Demain, nous nous lèverons de très bonne heure et puis nous partirons.” Ravet dit oui.

Quand Poule fut prête, elle appela Ravet. Ravet sortit de sa cabane1 la mâchoire attachée (grosse) comme un paquet de bois.

Il dit à Poule : “ma chère, laissez-moi à la maison aujourd'hui, je suis malade. ” Poule alla sur l'abatis elle toute seule. Dès qu'elle fut partie, Ravet mit son tambour dehors, il commença à chanter :

“Tibidi badi badi
Bamban,
Le tambour va (s'en ira bientôt) au village voisin.
Portez des bouteilles de champagne, ohé !
Le tambour va au village voisin.
Tibidi badi badi
Bamban,
Le tambour va au village voisin.”

Tous les ravets du voisinage arrivèrent; eux tous se mirent à danser.
Dès que ravet entendit quatre heures2 il serra son tambour, il renvoya tout le monde, et puis il alla se coucher, il attache sa mâchoire.

Poule arriva, elle demanda à ravet comment il allait. Ravet dit qu'il souffrait beaucoup.

Le lendemain, Poule se leva pour aller à l'abatis. Elle dit à Ravet: “Tu ne viens pas avec moi ?” Ravet dit qu'il était trop malade.

Tous les jours, Ravets faisait la même farce. Dès que Poule était partie pour l'abatis, il sautait dehors: fioup !, il battait du tambour, il dansait, il chantait :

“Tibidi badi badi
Bamban ” etc. etc.

Poule dit: “C'est trop fort ! je crois que Ravet se moque de moi.”

Le lendemain, au lieu de partir pour leur abatis, elle serra (cacha) son corps derrière la case. Ravet crut qu'elle était partie pour l'abatis, il mit son tambour dehors, il commença à chanter :

“Tibidi badi badi
Bamban ” etc. etc.

Tous ses amis ravets arrivèrent. Pendant que le danser était bien chaud, Poule sortit de derrière la case. Elle dit “Ah ! ah ! paresseux !.. C'est comme ça que tu es malade ?.. Coquin ! tu ne te moqueras pas de moi encore !”

Elle tomba sur cette bande de ravets-là. Les ravets se mirent à courir de tous les côtés: chouiii, chouiii !.. Mais avant qu'ils n'aient eu le temps de dire: ma chère !… poule les tua tous, elle les mangea tous.

C'est pour cela que vous entendez dire tout le temps: “Les ravets n'ont jamais raison devant la porte d'un poulailler.”

Georges Haurigot

  1. Cabane, en français créole, signifie matelas, lit.
  2. Remarquons en passant que la journée de travail finit de bonne heure, puisque dès quatre heures Ravet suppose que Poule ne tardera pas à revenir.