Compè Lapin et Compè Tigre
Lapin cé en ti bonhomme qui bien malin. Pas
ni gros bête qui ni lesprit qu'on Lapin. Cric.
Crac. Trois fois bel conte, conté li.1
Or une fois, il y a longtemps de cela, les
jardins du roi étaient ravagés chaque nuit par un
voleur inconnu. Les gardes du palais résolurent
de s'emparer du voleur; ils mirent à l'entrée du
jardin un bonhomme la glu2, chargé d'un pla
teau de losis3 et d'un jeu de graines dés4.
Lorsque compère lapin (c'était lui le voleur)
vint à l'heure ordinaire, le bonhomme et son
appétissant plateau le retinrent à la porte. Lapin
se saisit immédiatement du jeu, en disant: Ah,
compè en nous fait en partie, cinq losis, six m'en
gaingnin5.
Et voila lapin assis sur ses pates de derrière,
jetant les dés sur le sable: cinq, six, onze m'en
gaingnin. Chaque fois que
notre compère avait
gagné, il engloustissait les ritures. A la fin, le
mutisme de son compagnon l'agaça au plus haut
point: «Quatre, cinq, dix. Ah, où couè ou gaingnin ou cé en joli pio pio, en joli imbécile6.
«Ah, où ka fouté corps du en homme quon moin»7.
Et Lapin s'excitait lui-même.
«Ah, ou pas ka palé, ou lé batte moin, est-ce
ou save çà yo ka crié en soufflet8. Et compère
lapin appliqua une giffle magistrale sur la joue
du bonhomme. La main resta prise, et il fit de
vains efforts pour se dégager.
Ah sacré traite, ou quimbé lan main moin,
laguez moin. Ah, ou po co ni assez Pou9.
L'autre main du lapin resta prise à son tour.
Notre compère, fou de rage, y alla de tout son
cœur, des pieds, des jambes, du ventre, bientôt
il n'y eut plus que sa voix, pour exhaler sa colère.
En entendant ses cris, certains d'une bonne
prise, les gardes du palais accoururent, se saisirent de compère lapin, le ligotèrent solidement.
L'animal aux longues oreilles attendait tristement le supplice, pas folâtre du tout, d'être
brûlé sur une certaine partie de son individu que
nous ne nommerons pas. Comme il poussait de
lamentables soupirs, maudissant son impruden
ce, compère tigre vint à passer.
— Eh bien: Bonjour compè. Çà ou ka fait là,
marré qu'on en crabe?10
— Ah Compè, men bien malheureux, roi a
fait marré moin, pace men pas lé mangé en bœuf
entier. Ou ka coué en ti bonhomme qu'on moin
peut mangé un bœuf ?11
Compère tigre n'en pouvait croire ses oreilles,
lui que la faim tenaillait; il pensait à cette aubaine inespérée; manger un bœuf. Il s'empresa
donc de répondre:
«Ah, Compè, si ou lé cé épi
plaisi moins ké prend place ou».12
Compère lapin qui ne demandait pas mieux
se fit détacher, lia solidement compère tigre à
sa place, et détala des quatre pattes.
Aussi, compère tigre, au lieu d'un souper inespéré, eut la désagréable surprise d'être brûlé sur
une partie de son individu que nous ne nommerons pas.
Au sortir des mains du bourreau, il alla se
tremper à la rivière pour soulager ses douleurs.
Compère lapin, qui le surveillait au faîte d'un
arbre, se mit à le narguer: «Compère tigre
ou brulé? Barré en haut, barré en bas...»13.
Puis descendant de son observatoire, il entra
dans la rivière à l'abri d'une roche, il se mit à
piquer compère tigre avec un bâton. Compère
tigre qui ne voyait pas l'ennemi, s'agitait en tous
sens, poussait des gémissements, ne trouvait nul
repos. Ah! ces cribiches là zot peu di, zot célérat, men ja brûlé, zot ka modé moin enco !14
Lapin, cé en ti bête qui bien malin pas ni gros
bêtes qui malin quon lapin15.
- «Lapin cé en ti bonhomme qui bien malin. Pas ni
gros bête qui ni lesprit qu'on lapin. Cric Crac. Trois
fois bel conte, conté li. — Lapin c'est un petit bonhomme
bien malin. Il n'y a pas de grosse bête qui ait de l'esprit
comme le lapin. Cric Crac. Un, deux, trois, racontez-moi
un beau conte.
- Bonhomme la glu : Bonhom
me en glu.
- Losis : beignets de morue.
- Graines dés : jeu de dés.
- Ah compère allons faire une partie, cinq peignets,
six, j'ai gagné !
- Ah tu crois que tu as gagné, tu es un joli idiot, un
joli imbécile.
- Ah tu te moques d'un homme comme moi.
- Ah, tu ne parles pas, tu veux me battre, est-ce que
tu sais ce qu'on appelle un soufflet.
- Ah sacré traîte tu as tenu ma main lâche-moi.
Ah tu n'en n'as pas encore assez.
- Eh bien bonjour compère, qu'est-ce que tu fais là
attaché comme un crabe ?
- Ah compère je suis bien malheureux, le roi m'a
fait attaché parce que je ne veux pas manger un bœuf
entier. Est-ce que tu crois qu'un petit homme comme
moi puisse manger un bœuf ?
- Ah compère c'est avec plaisir que je vais prendre
ta place.
- Compère tigre tu es brûlé ? Ton derrière te fait
mal ? Tu es rayé en haut, tu es rayé en bas.
- Ah ! ces écrevisses-là vous pouvez dire, vous êtes
scélérat, je suis brûlé et vous me mordez encore !
- Lapin est un animal très malin, il n'y a pas de
grosse bête qui vaille le lapin.
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