Pour la survie d'Haïti

Odette Roy Fombrun
 

Haïti 1983
Haïti 1983. Photo F. & F. Biaggi.
Alors que tout le pays est en train de sombrer physiquement; que les menaces de catastrophes sont tellement graves que la Communauté internationale en arrive à envisager l'extinction du pays… les Haïtiens s'entre-tuent et les partis politiques proposent des programmes basés sur les idéologies étrangères auxquelles la majorité nationale n'entend goutte. Les menaces sont tellement graves qu'il faut – pour faire pression et convaincre les dirigeants et la Communauté internationale sur les actions à entreprendre en urgence- un très large Rassemblement basé sur les problèmes qui menacent la SURVIE D'HAÏTI . Ainsi, la bataille de survie d'Haïti exige le regroupement des partis politiques

Ce texte, que nous citons en hommage à Gérard Pierre-Charles, qui décrit la situation de dégradation du pays, ajouté aux constats tragiques faits par la communauté internationale, justifie ce cri d'alarme du Konbitisme à la nation, cet appel au regroupement des partis politiques pour renforcer la bataille de sauvetage du pays. Il est tiré de son Préambule à l'édition haïtienne de Économie Haïtienne et sa voie de Développement (p.11) « … l'état actuel de l'économie… met en relief le fait que la «  voie  » adoptée durant ce dernier quart de siècle n'a pas été celle du développement sinon celle de l'anti-développement, de la dégradation de l'économie, des privilèges monopolistes, des contrastes sociaux les plus criards. Les traits de cette crise sont rendus combien évidents par la croissante baisse de la production agricole, la catastrophe écologique, l'impossible dynamisation de l'industrie, la corruption institutionnalisée, l'abandon des campagnes par des paysans. Conséquence de cette dégradation, 70% de la population d'Haïti vit dans la «  misère absolue  », terme utilisé par les organismes internationaux pour se référer à une situation infra humaine de privation du droit à la vie, à la nourriture, à la santé, à l'éducation.»

Les Haïtiens ne semblent pas comprendre la gravité de la situation. Peut-être que ce nouvel ANMWE les convaincra de l'impérative nécessité de s'unir.

A. Gravité de la situation politique, physique et économique

Elle est ainsi décrite par la Communauté internationale :

1. Situation politique

Haïti est en voie de devenir un État ingouvernable, un État voyou, dominé par le banditisme, le terrorisme, imposés par des gangs lourdement armés et des dealers de drogue. Un pays dans lequel l'insécurité qui règne paralyse la vie économique, empêche tout projet de développement, tout investissement. Ce qui explique la présence de la MINUSTAH, sorte d'application amicale du droit d'ingérence.

2. Situation physique

Haïti est le seul pays d'Amérique en voie de totale désertification, en passe de subir les effets dévastateurs du déboisement sauvage. Gonaïves n'est qu'un prélude car le désastre écologique a atteint le point proche du non-retour. Haïti devient un danger pour ses voisins, une menace pour la santé des populations.(pays fatras).

3. Situation économique

Haïti est le seul PMA d'Amérique (Pays Moins Avancé) dans lequel la pauvreté est déjà misère. Les études tant nationales qu'internationales s'accordent sur ce point.

Puisqu'il y va a de la survie du pays, il s'avère impératif que toutes les forces disponibles se penchent sur les stratégies possibles pour tenter en urgence de redresser cette tragique situation.

B. Trois stratégies seraient à mener parallèlement.

  1. La lutte contre le banditisme, contre le terrorisme, pour le rétablissement de l'autorité de l'État car sans sécurité, sans autorité de l'État, pas de salut pour Haïti.
     
  2. La lutte pour la protection et la réhabilitation de l'environnement car, sans solution aux problèmes de l'environnement, pas de salut pour Haïti.
     
  3. La lutte contre la pauvreté - que nous traduisons par la formule plus dynamique de production de richesses car, sans production de richesses, pas de salut pour Haïti.

I. Stratégie d'Actions pour établir la sécurité et l'autorité de l'État

Réalisons nous l'enjeu de nos disputes?

L'option amicale MINUSTAH peut se changer en mise sous tutelle internationale si le Gouvernement, la Police nationale et la MINUSTAH, triumvirat responsable de combattre l'insécurité, n'arrivent pas à contrôler les gangs qui sèment la panique et empêchent d'implanter les programmes du CCI . Elle le sera encore plus si les militaires démobilisés et les corps armés ne trouvent pas d'insertion et si les divers problèmes comme celui des carrières de sable, celui de l'énergie ne sont pas réglés en concertation. Elle sera mise sous tutelle si l'autorité de l'État n'est pas vite rétablie. A moins qu'Haïti ne soit abandonnée à son triste sort – comme certains le suggèrent!

II. Stratégie d'Actions pour la protection et la réhabilitation de l'environnement.

Les Grandes Puissances s'étant engagées publiquement à aider massivement les pays défavorisés à protéger leur environnement, la stratégie appropriée serait :

  • leur présenter la situation de l'environnement en Haïti, sur la base des études faites par les experts nationaux et internationaux;
     
  • leur montrer l'incapacité pour le Pays de résoudre seul ce problème aux conséquences tragiques pour les Haïtiens, mais aussi menaçants pour ses voisins immédiats et même pour le globe terrestre;
     
  • leur faire admettre que pour éviter les catastrophes prévues, il est indiqué d'entreprendre des actions préventives concertées . Il leur coûtera bien moins cher d'aider Haïti à résoudre les problèmes de l'environnement avant que les catastrophes ne fassent leurs œuvres de destruction massive;
     
  • les inviter à constituer une équipe de techniciens nationaux et internationaux pour solutions dont elles assumeraient l'implantation, en harmonie avec le Gouvernement et les ONG en action sur le terrain.

III. Stratégie d'Actions pour la lutte contre la pauvreté

La lutte contre la pauvreté doit se traduire par une bataille nationale, dynamique de PRODUCTION DE RICHESSES.

Les Grandes Puissance se sont engagées à réduire la pauvreté de 50% d'ici 2015.

En général, les projets qu'elles financent, comme ceux que proposent le Gouvernement et la plupart des partis politiques sont conservateurs: travaux à haute intensité de main-d'œuvre (routes), industries d'assemblage; augmentation des revenus de l'État par la révision de la taxation, des impôts, une assistance accrue au petit commerce… Rien susceptible de dynamiser la majorité nationale. Rien qui montre que l'on entend produire de la richesse à son bénéfice. Aucune vision dynamisante.

Vision dynamique du Konbitisme*

Axes ou Pôles de développement -Tourisme rural - Inclusion

Pour le Konbitisme, les causes majeures de la violence étant la misère et l'exclusion, les solutions sont à trouver dans la création d'emplois susceptibles de produire de la richesse, de favoriser l'inclusion et la production nationale.

Il appuie en priorité la création de grands Axes ou Pôles de Développement en dehors de Port-au-Prince, le Tourisme rural et l'assistance aux petits producteurs.

a) Axes ou Pôles de développement, comme l'agronome Fritz Noël les décrit dans son intéressant livret Plaidoyer pour l'étude, l'élaboration et la mise á exécution d'un plan directeur national de développement d'Haïti, avec ports, aéroports internationaux, installations sportives, université, projets de développement touristique, industriel, agricole dans lesquels se trouvent incluses les zones franches. Ainsi Gonaïves pourrait être le coeur d'un de ces Pôles ou Axes de développement avec Marchand Dessalines pour le tourisme historique. Le Gouvernement présenterait ces projets mais ne les financerait point. Il ferait des appels d'offres nationaux et internationaux en accordant certains avantages aux investisseurs.

Pourquoi ne pas commencer immédiatement avec le Pôle Gonaïves ?

•  Le tourisme rural, parce que sans développement rural, pas de salut pour l'environnement, pas d'inclusion de la paysannerie.

Le tourisme rural est un développement communautaire axé sur l'exploitation des richesses naturelles, historiques, culturelles, disponibles sur le terrain; exploitation qui se ferait en priorité par les communautés rurales encadrées et à leur bénéfice. Il y a déjà des centaines d'initiatives paysannes qu'il importe de canaliser, d'aider à réussir, de contrôler pour éviter le gaspillage et le mauvais usage des sites. Ainsi, le Gouvernement devrait établir en urgence les règles d'utilisation du lac Azuéi avant que sa faune, sa flore, son environnement ne soient attaqués par des développeurs, même bien intentionnés .

Le tourisme rural doit conscientiser la paysannerie sur son intérêt à protéger l'environnement et le patrimoine pour produire de la richesse à son bénéfice. Il doit mettre fin à l'exclusion de la paysannerie en assurant la participation conjointe des trois principaux groupes sociaux: citadin, rural et diaspora.

c) production nationale

Parce que l'importation telle que la pratique le secteur informel est ennemie de la production nationale, le Konbitisme recommande aux Banques et aux Organismes de financement d'accorder le crédit aux petits producteurs, aux petits entrepreneurs et non aux commerçants d'articles d'importation – dont les activités doivent être orientées progressivement vers la production . D'où l'intérêt d'avoir un Office d'études de petits projets rentables à leur présenter avec possibilité de financement.

OPTIONS ET QUESTIONNEMENTS

1. Violence et création d'emplois

Pour le Konbitisme, le meilleur moyen de combattre la violence est la dynamisation des communautés où elle sévit (comme Cité Soleil), leur mobilisation autour d'un grand projet de développement, utilisant au maximum leurs cadres et leur main-d'oeuvre disponibles. L'intérêt immédiat, palpable, de création d'emplois dans une communauté et à son bénéfice mobiliserait constructivement sa population, faisant reculer la violence. Cette dynamisation massive, créatrice d'emplois, protégerait l'environnement, et apporterait, avec le développement, la sécurité et le mieux-être pour toute la communauté. Elle faciliterait l'installation des nécessaires antennes concernant la drogue, les gangs…(Un plan pour Cité Soleil existe. Le Gouvernement aurait eu intérêt à le présenter pour appel d'offres)

2. L'intervention étrangère

Les Nations-Unies doivent réviser leur stratégie d'intervention dans les pays défavorisés, comme Haïti. La misère étant à la base de la plupart des violences, il est absurde de dépenser des milliards dans du matériel de guerre et dans des soldats, ne connaissant en général ni la langue, ni la culture, ni le terrain. Il est indiqué de dépenser ces sommes dans des interventions massives et spectaculaires de développement. Combattre la violence se ferait avec plus d'efficacité via la mise en route immédiate de grands projets de développement. Les bataillons composés surtout de techniciens et de soldats du développement, créant massivement des emplois, seraient chaleureusement accueillis et protégés par les populations intéressées par cet espoir palpable de lendemains meilleurs. Un contingent armé et la police protégeraient leurs activités.

3. Les ordures – L'énergie

Il est inadmissible que le peuple haïtien accepte de vivre dans les ordures sans protestations énergiques. Il est inadmissible que les élites et les dirigeants ne recherchent point des solutions à ce grave problème qui défigure les villes et porte une grave atteinte à la santé des populations. Il est inadmissible qu'aucun appel d'offres ne soit lancé pour recherche d'une compagnie à même de résoudre ce problème odieux, une compagnie qui non seulement résolve le problème du ramassage des ordures, mais celui de son utilisation, sa transformation en engrais (ce qui se faisait déjà sous Jean -Claude Duvalier) et en gaz. Que de villes dans le monde sont déjà électrifiées via les ordures ! Il est à souhaiter que le Gouvernement étudie des solutions à long terme du problème énergétique et que le black out ne réapparaisse pas sitôt l'actuel contrat épuisé .

Quant au solaire, nous savons que des études sont faites pour le rendre utilisable à bon marché (fours solaires – électrification possible par la détaxe des plaques solaires, du matériel nécessaire pour leur fabrication chez nous.)

Qu'attend-on pour encourager et favoriser l'utilisation des éoliennes ? On en fabrique déjà chez nous. Des pays comme l'Allemagne, Taïwan pourraient nous aider à étudier les sites où les installer productivement .

4. L'éducation - La jeunesse

Il est évident que le système éducatif est une faillite. il n'est pas adapté aux réalités nationales. On jette sur le pavé chaque année des milliers de bacheliers – à niveau ou sans niveau - sans ouverture sur le marché du travail, sans ouverture dans les écoles supérieures dont la capacité est fort limitée. Il ne faut plus entreprendre de réformes de l'éducation, mais une révolution éducative. Il faut aussi descendre sur le terrain pour résoudre les problèmes de la base, car le développement des communautés doit jouer un rôle important dans la résolution des problèmes de l'éducation.**

5. L'éducation civique et le service civique***

Le CEP, le Ministère de l'Education nationale, les Partis politiques, la Société civile… parlent de l'éducation civique (et morale) comme impérative. Par qui ? Quand ?

Le Service civique , inscrit dans la Constitution, n'est malheureusement pas utilisé. Pourtant, il serait d'un grand secours pour dynamiser les communautés, pour les campagnes de vaccination, d'alphabétisation, de reboisement et surtout pour décongestionner les grandes villes. Le CEP devrait utiliser au maximum les bacheliers chômeurs, pour former des brigades de formateurs en éducation civique, des contrôleurs.…susceptibles d'inspirer confiance. Ceci en harmonie avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports qui devrait jouer un rôle important dans la formation et l'orientation des Jeunes, via des Centres sportifs et des maisons de Jeunes.

6. Élections

En dehors des problèmes de division interne du CEP – qui n'augurent rien de bon pour la tenue d'élections crédibles, le Konbitisme pose 4 questions majeures:

  1. Comment va se faire pratiquement l'identification des citoyens ?
  2. Comment le CEP envisage-t-il de présenter aux électeurs tant de candidats ?
  3. Comment et quand pense-t-il réaliser sa campagne d'éducation civique ?
  4. Comment envisage-t-il d'utiliser le service civique ? (secteur éducatif, jeunes… ) ?
  5. Décentralisation

Quand on votera des amendements à la Constitution ou quand on en votera une nouvelle, le Konbitisme suggère, pour une décentralisation effective, la division administrative du pays en 4 Régions avec 4 Gouvernorats, (comme prévu dans l'intéressante étude du Ministère du Plan d'octobre 1984) administrativement et financièrement autonomes, assistés d'une Commission technique d'application des projets de développement prévus dans le Plan de développement national. Il y aurait un Sénat, pas de députés mais des représentants de ces Gouvernorats au Gouvernement central de Port-au-Prince. Les élections se feraient plus aisément par Gouvernorat.

8. Conférence, Dialogue, États généraux ? Contrat social

Le COLLECTIF propose une Conférence, M. Juan Valdès un Dialogue et l'Église catholique des États généraux . Quelle différence entre les trois ? Personne ne définit de procédure. Qui doit prendre l'initiative de les convoquer ? de les planifier ? Qui les financerait ? Qui participerait ? Comment se tiendrait l'une ou l'autre rencontre ?

En tout cas, Conférence, Dialogue ou États généraux, le Konbitisme recommande de définir un modus operandi très réaliste, très précis, pour éviter de créer des tribunes pour politiciens verbeux ou lieux de renforcement de nos divisions.(CEP –Avocats…)

Pour le Contrat social, nous souhaitons vivement qu'il s'appelle KONBITISME, mot natif-natal qui implique solidarité, coopération, participation.

Odette Roy Fombrun, promotrice du KONBITISME

 

Notes

  1. Le Konbitisme est une idéologie inspirée du sens que les Haïtiens donnent au mot konbite : faisons ensemble. Message de solidarité que devrait véhiculer tout Contrat social haïtien . Le Konbitisme prêche l'union nationale, le tètansanm . Il a deux volets qui sont : la coopération et la participation . Il croit que seule une grande konbite nationale et internationale conjointe peut assurer la survie d'Haïti. Il ne recherche pas les coupables de la dramatique situation actuelle. Il s'évertue à lui trouver des solutions, à suggérer des voies susceptibles de mettre fin aux exclusions, d'unir nos trois sociétés: citadine, paysanne, diaspora. Sa vision est exprimée dans diverses publications parmi lesquelles: Solutions pour Haïti, Konbite Solidarité Nationale – Contrat social et un projet de tourisme rural, capable de protéger l'environnement, de dynamiser la paysannerie et de produire la richesse indispensable au développement..
     
  2. (Voir : Dossier adressé au Ministre Pierre-Louis sur l'Éducation – Problèmes de l'Éducation Primaire en Haïti - Solutions pour Haïti: Konbite solidarité nationale – Contrat social )
     
  3. Le FERF (Fonds éducatif Roy-Fombrun) leur a proposé un matériel d'éducation civique, en créole, dont Eleksyon, Ti koze sou Konstitution, Konbit tètansanm pou Ayiti kanpe, Dwa ak devwa tout Ayisyen.

octobre 2004