Travaux du GEREC-F

 

Interview du GEREC-F

Groupe d’études et de recherches en espace créole et francophone
Université des Antilles et de la Guyane

 
Rencontre avec RAPHAEL CONFIANT
Directeur-adjoint du GEREC-F chargé des affaires administratives
 

Vestiges du théatre

Vestiges du théatre de Sainte-Pierre, Martinique. Photo FP

Nous avons interrogé Raphaël Confiant, directeur-adjoint du GEREC-F, sur les enjeux actuels de la problématique du créole, en particulier ceux qui ont trait à la création du CAPES de créole.


Historique

Le GEREC-F fut créé en 1976 c’est-à-dire il y a 25 ans par Jean Bernabé, agrégé de grammaire et docteur en Linguistique.

Ce groupe de recherche dispose de 4 publications à la périodicité variable:

  • Espace Créole: revue scientifique réservée aux universitaires et aux titulaires du doctorat.
  • Mofwaz: revue pédagogique ouverte sur l’enseignement secondaire et primaire au sein de laquelle se retrouvent universitaires et enseignants du premier et second degré.
  • Textes - Etudes et Documents: revue d’analyse littéraire centrée sur la littérature antillaise et guyanaise de langue française et créole.
  •  Kabouya: journal entièrement rédigé en créole.

Organisation

Le GEREC-F rayonne sur les 3 campus que comporte l’Université des Antilles et de la Guyane et est organisé comme suit:

  •  GEREC-Matinik: Jean Bernabé (directeur/linguiste), Robert Damoiseau (directeur-adjoint chargé de la Recherche/linguiste), Raphaël Confiant (directeur-adjoint chargé des affaires Administratives/Littéraire), Jacques Coursil (responsable du Groupe Informatique Linguistique/Linguiste), Gerry L’Etang (anthropologue), Michel Dispagne (linguiste), Bernadette Cervinka (lexicologue), Elisabeth Vilayleck (ethnobotaniste), Céline Remy (informaticienne), Jean-Charles Hilaire (Linguiste);
  •  GEREC-Gwadloup: Juliette Sainton (coordonnatrice/linguiste), Alain Rutil (ethnographe), Hector Poullet (pédagogue/écrivain), Alain Dorville (psychologue), Paulette Durizot Jno-Baptiste  (anthropologue), Serge Colot (lexicologue), Diana Ramassamy (anthropologue);
  •  GEREC-Guiyàn: Serge Mam-Lam-Fouck (directeur/Historien), Pedro Urena (Didacticien), Lisa Paulin (Economiste), Monique Ndagano (Ethnologue), Biriganine Ndagano (Littéraire).

Interview

Kapeskreyol: Le GEREC-F considère-t-il qu’il n’y a dans les DOM qu’une seule langue créole et quatre dialectes: le guyanais, le guadeloupéen, le martiniquais et le réunionnais?
R. CONFIANT: Nous considérons qu’il y a 3 langues-sœurs à savoir le guyanais, le guadeloupéen et le martiniquais et une langue qui leur est typologiquement très proche, le réunionnais. En effet, l’intercompréhension est parfaite entre le martiniquais et le guadeloupéen et très forte entre ces deux langues et le guyanais. Par contre, il y a, à l’oral, j’insiste bien là-dessus, à l’oral, quelques problèmes d’intercompréhension entre ces 3 langues créoles américaines et les créoles de l’Océan Indien. A l’écrit, par contre, les difficultés sont minimes et facilement surmontables. Hector Poullet a longtemps fait étudier des extraits de «Zistwar Christian» en classe de 4ème; au collège de Capesterre Belle-Eau en Guadeloupe et moi, chaque année, en Licence de créole, des textes de Daniel Honoré, Carpanin Marimoutou, Jean-François Sam-Long ou Axel Gauvin, et jamais il n’y a eu la moindre révolte de la part des élèves de Poullet ni de mes étudiants, pour nous dire: mais qu’est-ce que c’est que cette langue bizarre que vous nous faites étudier là? JAMAIS!

Bien sûr, la différence entre leur créole et le réunionnais les amuse au début, ils s’étonnent de ce qu’ils perçoivent comme un zézaiement permanent et puis très vite, au bout de deux ou trois textes, une fois qu’on leur a expliqué le système aspecto-temporel et qu’on leur a fourni des photocopies d’extraits de dictionnaires de créole réunionnais, ma foi, ils se débrouillent pas mal.

Donc, pour résumer, il faut se rappeler qu’il y a 2 types de parenté entre les langues: la parenté génétique et la parenté typologique. Entre les créoles américains, il ya une parenté «génétique» comme entre les créoles océanindiens (réunionnais, mauricien, seychellois) tandis qu’entre les deux zones, il y a une parenté «typologique». Si tout le monde comprend la parenté génétique, beaucoup de gens ne comprennent pas bien la parenté typologique. Ca veut dire quoi? Eh bien prenons un exemple dans un tout autre domaine, celui de la miscégénation raciale: un chabin antillais ressemble fortement à un kaf blan réunionnais pourtant, ils n’ont aucun chromosome commun. Il y a une parenté typologique, ou plus exactement «phénotypique», entre le chabin et le kaf blan. Ils vont se ressembler! Eh bien je suis désolé, oui, le créole réunionnais ressemble au créole antillais, n’en déplaise aux nombrilistes, micro-régionalistes et autres obscurantistes de tous bords! Ils ne sont pas des sosies mais ils se ressemblent fortement, même s’ils n’ont pas de chromosome linguistique commun (encore qu’ils ont tous deux un fort contingent de gènes français). Sinon comment pouvez-vous expliquer qu’un élève de collègue guadeloupéen ou un étudiant de licence à l’Université des Antilles-Guyane qui n’ont jamais entendu le créole réunionnais de leur vie, parviennent à comprendre près de 60-70% des textes qu’on leur donne à étudier et cela la première fois. J’insiste: la première fois! Et au bout de deux mois, ça monte à 90%, les 10% restant étant liés à des désignations de fruits, de légumes, de poissons, d’oiseaux ou d’objets (les «realia» locaux) inconnus des Antillais. Evidemment un élève ou un étudiant martiniquais butera sur bibas puisque les nèfles n’existent pas aux Antilles! Mais il leur suffit d’un bon dico et tout est réglé en deux minutes.

Deuxième réponse à votre question: le CAPES est d’abord et avant tout un examen «écrit» et ensuite «oral», pas l’inverse! Cela signifie que si vous vous plantez à l’écrit, eh bien vous êtes renvoyés à vos foyers. Or, je viens de dire qu’à l’écrit, il n’y a aucun problème insurmontable. Nous avons une Licence et une Maîtrise de Créole à l’Université des Antilles et de la Guyane depuis 6 ans et cela fait six que dans mes cours de littérature, je fais mes étudiants plancher sur des textes réunionnais et que dans son cours de syntaxe, Jean Bernabé les initie à la grammaire des créoles océanindiens. Donc, nous n’avons aucune crainte à ce niveau: si dans l’épreuve de «Version», nos étudiants doivent traduire un extrait de Gauvin, par exemple, ils ne seront pas plus défavorisés que leurs concurrents réunionnais. D’abord, ils ont étudié en cours «Kartié twa-let» et d’autres textes de cet auteur, ensuite, ils ont eu des cours de grammaire réunionnaise, donc ils n’ont qu’à se démerder! Dans l’épreuve de «Thème», aucun problème non plus: le candidat traduit le texte français dans son propre créole. En «Dissertation créole», aucun problème: le candidat rédige son devoir dans son propre créole. Où est le problème? Et à l’oral, s’il réussit à l’écrit, il parlera dans son propre créole! Où est le problème?

Je trouve lamentable qu’à l’heure de la mondialisation, certains veulent se recroqueviller sur leur petit rocher insulaire. Et d’ailleurs, je vais vous avouer un truc que je n’ai jamais déclaré nulle part: si le créole n’existait qu’à la Martinique et uniquement en Martinique, eh bien je doute que je me serais investi autant pour le défendre. Je crois même que j’aurais fait une tranquille petite carrière d’écrivain francophone. Car ce qui fait, à mes yeux, la valeur des créoles, c’est  leur transversalité, le lien qu’ils constituent entre 8 millions de gens et entre deux continents différents. C’est aussi leur capacité d’extension: savez qu’il existe, grâce à l’émigration haïtienne, près d’1 million de créolophones aux USA, 500.000 à Cuba autant à Saint-Domingue, pays hispanophones tous les deux. Qu’il existe 700.000 créolophones en France et en Angleterre grâce à l’émigration antillo-guyanais, réunionaise, mauricienne et seychelloise.

Que certains arrêtent de se concevoir comme des Peaux-Rouges parqués dans leur petite réserve insulaire et crispés sur leur petite identité menacée!

Kapeskreyol: Faut-il aller vers un «créole unifié» c’est-à-dire une norme commune pour ce que vous appelez les quatre dialectes?
R. CONFIANT: Écoutez, je suis frappé par quelque chose, c’est l’extrême sensibilité de certains Réunionnais à l’égard du terme «dialecte». Il leur hérisse le poil et ils y voient une dénomination colonialiste, je suppose. C’est vrai que ce terme a eu une telle connotation au niveau du grand public mais au niveau des linguistes et des sociolinguistes, elle n’en a aucune. Le wallon, autrement dit le français parlé par les Belges, est un dialecte du français, de même que le québécois. Le sarde ou le sicilien sont des dialectes de l’italien. Le marocain et l’algérien sont des dialectes de l’arabe. Où est le problème? Permettez-moi d’ailleurs de faire une parenthèse pour revenir à la question de l’intercompréhension qui préoccupe tant certains Réunionnais. Je les lâcherais dans une rue de Montréal, dans le bus ou le métro, et ils réviseraient net leur position. Pourquoi? Eh bien, j’en ai fait la douloureuse expérience moi-même: je ne comprenais rien! Et au bout d’une semaine, j’avais toujours d’énormes difficultés à comprendre les gens du peuple. Je comprenais la radio et la télé mais dans les magasins, j’étais parfois obligé de dialoguer…en anglais. Quand vous faites un vendeur québécois répéter trois fois de suite sa phrase, il risque d’imaginer que vous le prenez pour un imbécile, donc vous passez à la langue haïe, l’anglais. Donc si l’on suit le raisonnement de certains Réunionnais, le français du Québec serait une langue totalement différente du français puisqu’un Gaulois lâché à Montréal ne comprend strictement rien à ce qu’on lui raconte! Je vais plus loin: Un Martiniquais comprend mieux un Réunionnais quand ils parlent chacun leur créole qu’un Français de France ne comprend un Québécois lorsqu’ils se parlent en français! Or, il n’y a qu’une parenté «typologique» entre le martiniquais et le réunionnais alors qu’il existe une parenté «génétique» entre le québécois et le français hexagonal. Vous voyez, tout ça est beaucoup plus compliqué que ne l’imaginent certains esprits simplificateurs et nombrilistes.

Alors faut-il aller vers un créole unifié, une norme écrite commune à nos quatre créoles? Le GEREC-F dit: OUI. Oui, à l’écrit et à l’écrit seulement. A l’oral, les gens continueront à parler leur dialecte tandis qu’à l’écrit, ils utiliseront le créole normé et unifié. Vous croyez peut-être qu’à Marseille, les gens parlent comme à Paris ou à Strasbourg? Non! Chacun parle avec son propre accent, utilise ses propres mots et expressions etc…mais à l’écrit Marseillais, Strasbourgeois et Parisiens se retrouvent dans le français normé et unifié. Tenez, il y a des Chinois à la Réunion, vous croyez peut-être que la langue chinoise, ça existe? Absolument pas! Il y a trente dialectes chinois, souvent non intercompréhensibles entre eux. Autrement dit un chauffeur de bus de Pékin ne comprend strictement rien à ce que raconte un chauffeur de bus de Canton. Rien! Mais tout le monde lit le Jen Min Ri Bao (Le Quotidien du Peuple) parce que ce journal est écrit en mandarin c’est à dire en chinois normé, en chinois standard.

Lors de la réunion du 3 avril dernier où nous avons, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais établi le programme des épreuves du CAPES de créole qui, je le rappelle, débutera en mars 2002, M. Salles-Lousteau, professeur d’occitan à l’Université et inspecteur général des langues régionales au Ministère de l’Éducation Nationale, nous a fait part de son expérience au moment de la création du CAPES d’occitan il y a quinze ans. D’abord, il nous a confirmé qu’à l’oral, il n’y a pas d’intercompréhension entre un Gascon (région de Bordeaux), un Provençal (région d’Aix-Marseille) et un Nissart (région de Nice). Il nous a révélé que certains refusaient même le terme trop unificateur à leurs yeux d’ «occitan» et qu’il a fallu se battre pour l’imposer mais qu’il a fallu tout de même aussi céder un bout de terrain aux micro-régionalistes puisque la dénomination officielle de ce CAPES est «CAPES d’occitan-Langue d’Oc», ce qui est une tautologie! Un peu comme si on créait un CAPES de Bourbonnais-Réunionnais, quoi! Il nous a enfin appris qu’au fil des ans, grâce aux rencontres régulières entre membres du jury que, petit à petit, un occitan écrit commun a commencé à se former, que les gens ont fini par comprendre qu’il fallait plutôt valoriser les ressemblances plutôt que les différences entre les différents dialectes occitans et qu’aujourd’hui, on peut dire qu’il existe un occitan écrit commun de Bordeaux à Nice.

Donc, notre position à nous GEREC-F, c’est qu’il faut suivre exactement la même voie que nos amis occitans. Alors combien de temps ça prendra pour qu’un créole écrit commun apparaisse? Eh bien, ça prendra le temps que ça prendra, point à la ligne. 10 ans, 20 ans, 50 ans, peut importe! L’essentiel c’est qu’on se fixe une ligne de mire, qu’on s’y tienne et qu’on arrête de se chamailler comme des gamins turbulents et boudeurs sous l’œil amusé du Papa Zorey. Et puis surtout qu’on se mette à bosser! Qu’on fabrique des Guides de préparation au CAPES de créole! Qu’on fasse des manuels du secondaire comme l’excellent livre de Roger Théodora!

Kapeskreyol: Cette norme commune peut-elle alors être autre que celle du GEREC-F (graphie, orthographe, choix des variantes et néologie dans leur déviance maximale)?
R. CONFIANT: Le GEREC-F n’a aucune ambition hégémonique. Nous bossons depuis 25 ans, c’est tout. Nous avons publié 68 ouvrages divers chez l’Harmattan, aux Éditions Caribéennes et maintenant chez Ibis Rouge. Bon, je sais, qu’ici même aux Antilles-Guyane, on trouve que les Martiniquais sont trop activistes, qu’ils veulent toujours bousculer les choses ou les prendre en main avant les autres. Je ne nierai pas que c’est un peu vrai mais est-ce de notre faute si Aimé Césaire, Frantz Fanon, Édouard Glissant, Joseph Zobel ou Patrick Chamoiseau sont des Martiniquais? Qu’est-ce qui a empêché un Guadeloupéen, un Guyanais ou un Réunionnais d’inventer la théorie de la Négritude? Qu’est-ce qui les a empêchés d’écrire Les Damnés de la terre ou de décrocher le Prix Goncourt? Certainement pas nous, les Martiniquais. On bosse, on produit, on fonce et advienne que pourra!
C’est notre tempérament, notre mentalité. Je n’y peux rien.

Bon, prenons votre question point par point. La graphie d’abord: il a été décidé au Ministère, lors de la réunion du 3 avril, qu’il y aurait deux graphies admises au CAPES de créole, celle du GEREC-F pour les Antilles-Guyane et la graphie réunionnaise moderne que l’on trouve, je crois, dans cette magnifique collection d’ouvrages en créole appelée Farfar liv kréol aux éditions du Grand Océan. Donc, soyons clair, aucun candidat réunionnais ne sera obligé d’utiliser la graphie du GEREC-F. Sauf, et là c’est important, sauf s’il coche la case «Graphie GEREC-F». Car on est dans un monde de plus en plus globalisé, des Réunionnais vivent aux Antilles-Guyane et inversement, ils y fondent des familles. Si un fils de Réunionnais né ou bien élevé très tôt aux Antilles décide de choisir de composer notre graphie, c’est son droit le plus absolu. On se fiche de savoir s’il est né à la Plaine des Cafres ou à Salazie. A l’inverse, un Martiniquais qui a vécu trente ans à la Réunion et qui veut composer dans la graphie réunionnaise, peut très bien le faire. C’est son droit le plus strict. Dois-je rappeler à certains que les copies du CAPES sont anonymées et qu’on ne connaît ni le nom ni le lieu de naissance des candidats. Seule la case qu’ils vont cocher compte. D’ailleurs, permettez-moi ici d’ouvrir une parenthèse, pour rappeler également à certains que le CAPES est un concours national français et non un concours régional réunionnais ou martiniquais. Cela, il y en a qui ont l’air de l’oublier! Qu’est-ce que ça entraîne comme conséquence? Eh bien que n’importe quel type de nationalité française ou européenne a parfaitement le droit de se présenter au CAPES de créole. Qu’il soit Zoreille, Beur, Malien, descendant de Polonais ou de Juif, il en a le droit! Et si par hasard, il est reçu, il a tout à fait le droit d’enseigner dans cette discipline. Tenez, j’ai eu un jeune Zorey une année dans mes cours de Licence, il avait appris le créole à l’âge de 18-20 ans avec des copains antillais alors qu’il était étudiant à Brest. Figurez-vous qu’il était le meilleur étudiant en dissertation créole! Il se tapait des 15 régulièrement là où ses camarades antillais indigènes, autochtones, «natif-natal» et tout, se tapaient parfois des 6 ou des 7! Donc, messieurs les nombrilistes, vous savez maintenant ce qui vous pend au nez? Un jour, un Ouzbeck de nationalité française qui aura appris le créole à l’université d’Aix-en-Provence par exemple réussira au CAPES de créole et viendra enseigner les LCR dans un collège de Saint-Pierre de la Réunion ou Saint-Pierre de la Martinique. Eh oui! Autrement, si vous voulez conservez pour vous tout seuls votre petit créole à vous, dans votre petite île à vous, dans votre petite commune à vous, réclamez l’indépendance. Il n’y a pas trente-six solutions. Vous croyez qu’aux Seychelles, ils ont la trouille qu’un Martiniquais vienne leur enseigner le créole. Non! Ils sont indépendants. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la fermière avec. On est dans un système politique français, le CAPES est un concours national français et notre école est insérée dans le système scolaire français. Donc on n’a qu’à respecter les lois de la République française ou…demander à en sortir! Et à ce niveau-là, nous Martiniquais, on n’a de leçons à recevoir de personne: nos indépendantistes, toutes tendances confondues, font régulièrement 30% de voix aux élections et le président de notre Conseil Régional, M. Alfred Marie-Jeanne, est le président du MIM autrement dit le Mouvement Indépendantiste Martiniquais. En outre, nous avons 2 maires indépendantistes, 14 conseillers régionaux indépendantistes et 4 conseillers généraux indépendantistes. Je ne crois pas savoir qu’il existe de mouvement indépendantiste à la Réunion par exemple. Concluons sur la graphie: le candidat cochera la case correspondant à celle des deux graphies qu’il considère maîtriser le mieux, cela indépendamment de son lieu de naissance, de sa race ou de sa religion.

Venons-en à votre deuxième: le choix des variantes et les questions de néologie.  Là aussi, les choses sont claires aucune variante ne sera privilégiée. Et pourquoi? Pour la simple et bonne raison qu'il n'existe pas encore d'Académie Créole, autrement dit d'instance chargée d'officialiser une variante créole. Lorsqu’en 1635, les académiciens français ont choisi le parler de l’ïle-de-France et qu’au sein de ce parler, ils ont choisi la variante pratiquée à la Cour (et non celle des Halles), lorsqu’un peu plus tard Malherbe s’est employé à «dégasconner la la langue française» etc., eh bien ils ont imposé une variante qui est devenue le français moderne. Si la Cour était installée en Vendée, ce serait le dialecte vendéen qui serait devenu le français standard d’aujourd’hui. Nous, Créoles, nous n’avons pas d’Académie et même si un jour, nous en avions une, nous serions contre l’imposition d’une seule variante. Exactement comme pour l’orthographe où nous avons été favorables à l’utilisation de 2 graphies différentes, eh bien nous sommes favorables à l’expression de toutes les variantes étant entendu qu’au fur et à mesure, et cela à l’écrit seulement, elles vont se fondre les unes dans les autres et former un créole écrit commun. Ce créole écrit commun ne sera pas un bloc monolithique comme l’est le français standard. Il ne faut reproduire sous les Tropiques l’idéologie jacobine. On peut très bien considérer, par exemple, que dans le créole écrit commun, il existera 3 ou 4 formes pour «cheval»: chival, chèval, chouval et chwal. Pourquoi à tout prix vouloir choisir l’un des 4 et éliminer les autres?  Aucun géolecte ni sociolecte ne sera favorisé. Nous ne ferons pas la chasse au créole acrolectal, par exemple, même si notre ligne de mire est le créole basilectal. A ce propos, le GEREC-F n’a jamais considéré que le créole écrit devrait être la copie d’un géolecte rural, disons le créole des mornes aux Antilles (ou celui des cirques à la Réunion). Nous n’avons jamais pensé qu’il existe un créole pur, protégé des miasmes du français, dans notre arrière-pays. Ni que les Nègres parlent mieux le créole que les Blancs créoles. Non, notre créole basilectal est un créole construit, artificiel, composé de l’addition de tous les traits basilectaux repérables dans la langue, traits qui ne se trouvent jamais chez un seul et même locuteur, diglossie oblige. Nous assumons l’artificialité de ce créole construit car toute langue écrite est artificielle. Nous assumons aussi le fait que ce soient les écrivains, les linguistes et les pédagogues qui le construisent et pas les coupeurs de canne ou les éboueurs. Le français écrit a été construit par Malherbe, Vaugelas, Grévisse, Corneille, Voltaire, Chataubriand ou Camus, pas par le paysan de la Beauce ou l’ouvrier de chez Renault. Je dis bien le français écrit. C’est d’ailleurs pourquoi nous impulsons depuis vingt ans des néologismes lesquels sont souvent repris par les radios et les télévisions des Antilles-Guyane. C’est le boulot des écrivains, des linguistes, des pédagogues et des intellectuels en général que de créer des mots pérennes. Le peuple, lui, crée des mots mais, à cause de leur oralité, ils sont rarement pérennes. Il n’y a qu’à voir comment l’argot change de génération en génération. Lorsque l’épidémie de vache folle a éclaté, vous croyez que ce sont les éleveurs de bétail qui ont inventé le mot traçabilité pour parler du trajet suivi par les farines avec lesquelles on nourrit ce même bétail? Non, ce mot a été inventé par des journalistes, des ingénieurs agronomes ou des hommes politiques, certainement pas par des garçons de ferme.

Alors faut-il inventer des néologismes en créole? Le GEREC-F dit: OUI. C’est indispensable car le créole a investi de nouveaux domaines de communication, il est sorti de sa niche écologique qu’était la «Plantation» et il est sommé de s’adapter à la modernité ou de dégénérer à terme en «petit-nègre. L’alternative est claire. C’est à nous de choisir!

Kapeskreyol: Un professeur, formé en martiniquais, pourra-t-il, comme vous l’avez obtenu le 3 avril dernier, et sans conséquence grave, venir enseigner à la Réunion? Même question pour un professeur formé en réunionnais pour un collège de Fort-de-France?
R. CONFIANT: Soyons sérieux! Même aux Antilles-Guyane où les LCR sont beaucoup plus développées qu’à la Réunion, puisque nous avons une Licence et une Maîtrise de Créole à l’Université, que le créole est LV3 (Langue vivante 3) au Lycée en concurrence avec l’allemand, l’italien et le portugais, où il y a des tas de collèges où des profs vacataires ou contractuels l’enseigne, il est peu probable que l’offre couvre un jour la demande. Car combien de postes par an croyez-vous que le Ministère va nous octroyer? Une dizaine, pas plus! Et encore, c’est une hypothèse optimiste. Donc vous croyez sérieusement qu’un type formé en créole martiniquais ou guadeloupéen demandera à enseigner le créole à la Réunion alors qu’il peut facilement trouver du boulot chez lui. Je rappelle à certains, qui font semblant de l’oublier, que lorsqu’un Réunionnais ou un Martiniquais réussit au CAPES de Lettres Modernes, d’Anglais ou de Maths, il a de fortes chances d’être nommé à Lille ou à Pau, quand ce n’est pas à Trifouillis-les-Oies. Pourquoi? Parce qu’il y a des postes en français, anglais et maths sur tout le territoire français! Ce qui n’est absolument pas le cas pour les langues régionales pour lesquelles il n’y a de postes que dans les régions concernées. On n’a jamais vu un Capésien d’Occitan ou de basque se faire nommer à Lille ou à Brest. Donc, là, c’est déjà un premier avantage. Deuxième avantage: on vous nomme selon les vœux d’affectation que vous formulez d’une part et d’après les besoins de l’autre. J’imagine donc qu’un Capésien Martiniquais demandera d’abord la Martinique, en deuxième position la Guadeloupe et en troisième la Guyane. Comme il y a une forte demande chez nous, je doute que le Ministère l’envoie enseigner à la Plaine des Cafres. Chez vous, à la Réunion, il y a aussi une forte demande d’enseignement des LCR et je doute qu’on envoie un Réunionnais enseigner le créole à Fort-de-France. Sauf s’il en fait lui-même la demande mais alors, dans ce cas-là, il n’a qu’à prendre ses responsabilités! Soit il se sent assez fort en créole antillais parce que dans son cursus universitaire il l’aura étudié soit qu’il veuille se frotter à d’autres créoles. L’inspecteur Salles-Lousteau nous disait d’ailleurs de lutter contre une dérive qui avait été constatée lors des premières années du CAPES d’Occitan: les lauréats ne voulaient pas être nommés à plus de…15 km de chez eux.  Les Nissarts ne voulaient pas traverser le Var (le fleuve) pour aller enseigner en Provence ou en Gascogne. Au fil du temps, avec l’unification progressive de l’occitan écrit, cette dérive a été bloquée. Car je le répète, il faut lutter contre le nombrilisme, toute cette histoire ridicule de «mon-petit-créole-à-moi» et bla-bla-bla. Il n’y a pas que les Réunionnais qui peuvent enseigner le créole réunionnais, sinon seul les Anglais auraient le droit d’enseigner l’anglais et les candidats réunionnais au CAPES d’anglais seraient des farfelus ou des prétentieux. Il n’y a pas que les Martiniquais qui peuvent enseigner le créole martiniquais, sinon seuls les Espagnols auraient le droit d’enseigner l’espagnol et les candidats martiniquais au CAPES d’espagnol seraient des charlots. Arrêtons ce nombrilisme ridicule, si vous le voulez-bien!

Donc je vous rassure: il est peu probable qu’un Martiniquais vienne enseigner les LCR à la Réunion et inversement. Sauf volonté expresse des intéressés parce qu’ils s’estimeront assez compétents pour le faire. Interrogés à ce sujet, aucun des 350 étudiants que nous avons formés en six ans tant en Licence et Maîtrise qu’en DEA ou Doctorat de LCR, à l’Université des Antilles-Guyane, n’a le désir d’enseigner à la Réunion. C’est trop loin, disent-ils…Mais, à mon sens, comme pour l’occitan, il faudra bien qu’un jour (dans 10 ans? dans 20 ans?), cette attitude localiste évolue. On n’est plus dans un monde villageois mais bien dans un monde globalisé.

Kapeskreyol: Y a-t-il eu réellement unanimité entre les créolistes des DOM lors de la Réunion du 3 avril dernier? Dans la négative, sur quelles questions portaient les divergences?
R. CONFIANT: Je crois qu’on a mal informé les Réunionnais sur cette fameuse rencontre du 3 avril. En effet, au cours de cette rencontre, il ne s'agissait absolument pas de réfléchir à la question de savoir s'il fallait créer «un» CAPES de créole ou «des» CAPES de créole. Pourquoi? parce que les jeux étaient déjà faits. Le Ministère avait déjà tranché, il avait déjà pris sa décision à travers un décret publié en mars, c’est-à-dire, 1 mois avant!!! Pour lui, il y aurait «un» CAPES de créole, point barre. Alors, bon, on nous a laissé nous exprimer, débattre, critiquer, proposer ou refuser ceci et cela et vers 11 h du matin, le Ministère a sifflé la fin de la récréation et on est passé aux choses sérieuses c’est-à-dire à l’établissement des différents programmes du concours de 2002.
Ce programme on l’a défini ensemble, tous, Martiniquais, Réunionnais, Guyanais et Guadeloupéens. Littérature: La Fable créole. Civilisation: Habitat et habitation en pays créole. Grammaire: Le groupe verbal et le groupe nominal.

Je voudrais ici dénoncer les mensonges proférés par certains selon lesquels nous, Martiniquais, nous étions favorables à un CAPES unique. C’est faux! Archi-faux! Nous étions favorables à un CAPES unique composé de 2 sections: section A) créole des Antilles-Guyane et section B) créole de la Réunion. Je l’ai moi-même solennellement répété au cours de la réunion du 3 avril. Autrement dit, la section A aurait ses propres épreuves et la section B les siennes. D’ailleurs, la preuve de ce que j’avance vous est donnée par les ébauches des «Guides de préparation au CAPES de créole» que nous avons fait circuler par Internet et par e-mail dès février. En ouverture de ces guides, nous exposions clairement notre vision des choses et notre désir d’avoir 2 sections différentes. Tous les universitaires et autres créolistes réunionnais ont reçu ces guides par e-mail, cela longtemps avant le 3 avril, donc qu’ils arrêtent de raconter des histoires! Nous n’avons jamais manifesté aucune volonté d’hégémonie sur le créole réunionnais, simplement une volonté de rapprochement, un désir de fraternité créole. D’où l’idée d’un CAPES unique mais avec deux sections bien distinctes. Mieux: nous avons fait parvenir nos propositions en ce sens à nos trois recteurs (Martinique-Guadeloupe-Guyane) ainsi qu’au Ministère de l’Education Nationale. Ce dernier n’a pas tenu compte de notre idée des deux sections et a choisi le CAPES unique. Est-ce de notre faute?

Ceci dit, le CAPES unique ne nous dérange absolument pas. ABSOLUMENT PAS! Notre proposition de 2 sections différentes n’avait été prise par nous qu’afin d’éviter des conflits inutiles avec les Réunionnais. Et nous nous étions mêmes dit que si les Guadeloupéens et les Guyanais ne voulaient pas d’une section A unique, eh bien nous nous rallierions à l’idée d’un CAPES unique à 4 sections: section A) Guyane, section B) Guadeloupe section C) Martinique et section D) Réunion. Nous étions mêmes prêts à aller plus loin: obtenir un CAPES entièrement différent par pays s’il le fallait. Et encore plus loin, si les Guadeloupéens, Guyanais et Réunionnais déclaraient qu’ils n’étaient pas encore prêts, eh bien qu’à nous Martiniquais, qui sommes prêts depuis longtemps, qu’on nous donne un CAPES de créole martiniquais dès 2002 et que les autres aient leurs CAPES en 2040 si ça les chante!

Vous le voyez donc, notre position n’était absolument pas figée: nous avions trois lignes de défense. Je le répète:

  1. Un CAPES unique avec 2 sections.
  2. Un CAPES unique avec 4 sections.
  3. Un CAPES de créole martiniquais.

Mais, comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas eu à utiliser ces trois lignes de défense puisque le Ministère avait déjà choisi et publié son décret dès mars.  A mon sens et là cela n’engage absolument pas le GEREC-F, c’est Raphaël Confiant qui le dit et l’assume: dans cette circonstance, le colonisateur s’est montré plus intelligent que ses colonisés.

Quant à votre question sur les positions prises par les différentes délégations sur la nature du CAPES de créole, lors de la réunion du 3 avril, je n’ai pas à m’exprimer là-dessus. Je n’ai donné tout au long de cette interview que la position du GEREC-F Matinik car les GEREC-F Gwadloup et Guiyàn sont autonomes. Vous n’avez qu’à interroger, comme vous l’avez fait pour moi, les créolistes de la Réunion, de la Guadeloupe et de la Guyane. En tout cas, il faut qu’une chose soit très claire pour tout le monde: nous mènerons une guerre sans merci contre tous ceux qui chercheront à saboter le CAPES de créole, à empêcher par exemple qu’il ne débute en mars 2002, et s’il, par malheur, nous sommes obligés d’en arriver là, eh bien nous exigerons, par le biais de nos hommes politiques, un CAPES de créole martiniquais.