Réinion 2
 
Agauria buxifolia
Petit bois de rempart, Agauria buxifolia (Ericaceae), espèce endémique, pionnière des coulée de lave du Piton de la Fournaise, Réunion. Photo FP
03.09.01

COUP FOURRE CONTRE LA GRAPHIE DU CREOLE REUNIONNAIS

Le Mouvement pour la Défense de l'Identité Culturelle Réunionnaise, dirigé par Mickaël Crochet, vient de nous informer qu'un coup bas est sur le point d'être porté à la graphie du créole réunionnais. En effet, par voix de presse, l'IPR chargé de la maîtrise des langages a annoncé que le Rectorat de la Réunion a proposé, pour le CAPES de Créole, une graphie expérimentale dite "Nouvelle écriture 2001". Cette nouvelle graphie est très proche de la graphie francisante et étymologique défendue par l'Institut d'Etudes Créoles d'Aix-en-Provence et son mentor, Robert Chaudenson.

Pour le "Mouvement" de Mickaël Crochet, cette graphie est inacceptable d'autant que 2 graphies existent déjà à la Réunion et qu'elles fonctionnent sans difficultés majeures: la graphie de 1977 (celle de la revue "Nout lang") et celle de 1983 (utilisée dans le Manuel scolaire de Roger Théodora). Pour le "Mouvement", ces deux graphies sont évidemment perfectibles mais permettent aujourd'hui de remplir efficacement leur rôle dans le domaine de l'enseignement des LCR (Langues et Cultures Régionales). En effet, la graphie de 1983 est utilisée depuis 4 ans dans le collège où travaille Mickaël Crochet et depuis 2 ans dans d'autres établissements scolaires.

Pour protester contre cette attaque à visée colonialiste et assimilationiste, le "Mouvement" s'apprête à lancer immédiatement une campagne de presse afin de sensibiliser l'opinion publique réunionnaise sur cette affaire d'une part et d'autre part à saisir la juridiction administrative pour l'annulation de l'arrêté concernant la nouvelle graphie
car, comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel en 1994 (loi Toubon), seul l'usage est souverain.

Notons le rôle peu clair des universitaires créolistes réunionnais dans cette affaire...

Viré monté

06.09.01

Graphie du créole réunionnais

LE GEREC-F (groupe d'études et de recherches en espace créole et francophone)
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Université des ANTILLES et de la GUYANE

à

Mme Evelyne POUZALGUES

OBJET: Graphie du créole réunionnais

Madame,

Nous apprenons avec stupéfaction, par voie de presse, qu'une "nouvelle graphie du créole réunionnais" a été proposée par la commission maîtrise des langages du Rectorat de la Réunion. A 5 mois d'un concours aussi difficile que le CAPES, cela nous paraît extrêmement dangereux car risquant de troubler des candidats habitués depuis près de 30 ans à la graphie dite "Lékritir 1977" et près de 20 ans à la graphie de Roger Théodora. D'autre part, cette graphie, d'orientation francisante, ne manquera pas de couper encore davantage le créole réunionnais des créoles antillo-guyanais alors même, nous vous le rappellons, que nous sommes engagés dans un seul et même CAPES par décision ministérielle. Cette unicité du CAPES de créole nous interdit, à nous autres Antillo-Guyanais, de nous désintéresser du créole réunionnais.

Nous sommes donc solidaires de tous les Réunionnais qui s'opposent à cette graphie tombée du ciel et mettrons tout en oeuvre auprès des autorités compétentes (Ministères des DOM-TOM et Education Nationale) afin de faire échouer cette manoeuvre que l'on ne peut que qualifier de scélérate et d'attentatoire à l'identité culturelle réunionnaise. Nous vous rappellon enfin, que c'est l'usage qui fait le droit selon un vieux principe du droit français et qu'en conséquence seules "Lékritir 1977" ou celle de 1983 peuvent être utilisées, après d'éventuelles modifications, pour le CAPES de créole dont les épreuves se dérouleront les 2 et 3 mars 2002.

Recevez, chère madame, nos salutations cordiales.

Raphaël Confiant
Jean Bernabé
Gerry L'Etang
Jean-Pierre Arsaye
Raymond Relouzat
Daniel Dobat
Thierry L'Etang
Manuella Antoine
Robert Damoiseau
Daniel Boukman
Marie-José Saint-Louis
Carine Gendrey
Jane Etienne

Viré monté

06.09.01

MOUVEMENT POUR LE RESPECT DE L’IDENTITE CULTURELLE REUNIONNAISE
MOUVMAN PO LO RESPE LIDANTITE KILTIREL RENYONE
B.P   22  97427 ETANG SALE
Fax 02 62 91 40 5


“Ti as i koup gro bwa”

Pou défann nout libèrté kozé

Rapor lo trikmardaz kont rèsponsab lo MRLKR, lasanblé zénéral zadéran ou sinonsa lantouraz lo Mouvman, lé paré pou done in koudmin tout sak i giny désagréman dan zot travay akoz zot i vanz pou nout kalité rényoné.

Tansalé, lo 7 avril 2001

Pour le droit à la liberté d’expression

Suite aux manœuvres de déstabilisation à l’encontre des responsables du MRICR/MRLKR, les adhérents ou sympathisants du Mouvman réunis ce jour en Assemblée générale tiennent à apporter leur soutien à toute personne qui, dans le cadre de son engagement pour la cause identitaire réunionnaise, est l’objet de harcèlement professionnel.

A Etang Salé, le 7 avril 2001

Eric ALENDROIT, Alain ANSELIN (Egyptologue, Chargé de cours en égyptien ancien à l'Université des Antilles et de la Guyane), Manuella ANTOINE (Chargée de cours en Lettres Modernes, Université des Antilles et de la Guyane), Jean-Pierre ARSAYE (traducteur, doctorant en Langues et Cultures Régionales, Martinique) Philippe AZEMA, Eddy BABET, Jean BERNABE (linguiste, Professeur des Universités, Université des Antilles et de la Guyane), Michèle BERTHOMIEU, Philippe et Ghislaine BESSIERE (Association Rasine Kaf), Elyséen BETON, Myrna BOLUS (étudiante en DEA de Langues et Cultures Régionales, Guadeloupe), Louis Georget BOYER, Maximin BOYER, Dominique CAUBET (Professeur des Universités – Arabe maghrébin INALCO), Patrick CHAMOISEAU (écrivain, Prix Goncourt 1992), Maryline CHAMPIGNEUL, Patricia CHATEAU, Raphaël CONFIANT (écrivain, Maître de Conférences en Langues et Cultures Régionales à l'Université des Antilles et de la Guyane), Carole CROCHET, Mickaël CROCHET, Brigitte DAUBELCOUR, Marie Lyne DIJOUX, Monique DIJOUX, Daniel DOBAT (Professeur de créole au collège de Saint-Joseph, Martinique), Serge DOMI (sociologue, Martinique), Jean Pierre ESPERET, Jane ETIENNE (Attachée de recherches au GEREC-F, Université des Antilles et de la Guyane, Guadeloupe), Michèle EXBRAYAT, Carine GENDREY (étudiante en DEA de Langues et Cultures Régionales, Guadeloupe), Gilles GERARD, Jean GONTIER, Chantal HOARAU, Pascale LEGROS, Gerry L'ETANG (anthropologue, Maître de Conférences à l'Université des Antilles et de la Guyane), Viviane LAROUE (professeur contractuel de français au collège des Terres-Sainvilles, Martinique), Ketty LISADOR-SABADEL, Jean Michel LUCAS, Emmanuel MIGUET, Natacha MIRABEAU, Raphaël MITHRA, Méry Rose MURAT, Daniel LAURET, Rémi LAURET, Rose May NICOLE, Marcelle NOCTURNE,  Manuel NORVAT (critique littéraire, Martinique), Bernadette PAYET, Monique PAYET, Pierre PINALIE (critique littéraire, Martinique), Philippe RANGAMA,  Raymond RELOUZAT (ethnologue, Martinique), Sophie ROTBARD, Frédéric SALVAN, Claude et Francesca SCHILLING, Marie SONGOLO, Catherine SIMOUNEAU, François SAINT OMER, Eric SORET, Irène STOJCIC, Roger THEODORA,  Monique TURPIN, Nadia VINGADESSIN, DanielVIRAMA, DanyelWARO.

Viré monté

18.09.01

Pour les graphies existantes du créole
Saint-Pierre: Réaction du MRICR

Suite aux déclarations de l’IPR chargée de la maîtrise du langage, le président du MRICR Mickaël Crochet estime que les graphies 1977 et 1983 écartent la nécessité d’une troisième écriture du créole. Le MRICR lance par ailleurs une pétition pour un (e) chargé (e) de mission réunionnais (e) et en appelle à une mobilisation accrue des intellectuels de l’île.
“Il s’agit d’une ingérence manifeste de la chargée de mission. Nous lui dénions le droit de se prononcer dans le choix d’une graphie et revendiquons d’avoir un (e) Réunionnais (e) à ce poste”. Evelyne Pouzalgues est directement visée.

Mickaël Crochet estime que seul (e) un (e) Réunionnais (e) d’origine ou d’adoption est susceptible d’avoir la “connivence culturelle nécessaire”.

Rappel des faits.
Le 26 mai 2000, le recteur affirme dans une circulaire la liberté de choix concernant la graphie du créole à l’école. La semaine dernière, la chargée de mission estime que les graphies existantes ne donnent pas satisfaction. Et qu’une “graphie expérimentale” (celle de l’association Tangol) avait été proposée au ministère de l’Education nationale pour le Capes LCR-Option Créole réunionnais. Les graphies de 1977 (Revue Nout lang) et de 1983 (Manuel de LCR de Roger Théodora) se voient ainsi écartées. Inacceptable pour le MRICR (Mouvement pour le respect de l’identité culturelle réunionnaise) pour lequel “l’usage fait la codification”:
“A ce jour, une trentaine d’établissements enseignent avec succès l’option LCR avec les graphies existantes. Le programme et les contenus ont été présentés au ministère depuis 1998. Le rectorat ne cherche en fait qu’à diviser les Réunionnais entre eux”, martèle le leader syndical avant d’ajouter: “Rien n’empêche la pluralité des graphies. Prenez l’exemple du Capes d’Occitan. Graphies classiques et mistraliennes cohabitent sans problème”.
Les adhérents du MRICR s’en sont ensuite pris aux intellectuels locaux: “Je reprendrai une expression martiniquaise pour dire qu’ils sont toujours du côté du riz qui gonfle”, commence Mickaël Crochet. Véritable malaise identitaire pour le président du MRICR, la “logique institutionnelle” des intellectuels réunionnais doit selon lui cesser.
Et Roger Théodora de citer l’un d’entre eux répondant en 1996 à propos de l’élaboration des programmes d’enseignement en créole: “C’est pas ma tasse de thé. Mi travaille pas à ce niveau-là!”.

Gwendal Audran
18/09/01
Journal de l’île de la Réunion

Viré monté

25.01.01
MOUVEMENT POUR LE RESPECT DE L’IDENTITE CULTURELLE REUNIONNAISE
MOUVMAN PO LO RESPE LIDANTITE KILTIREL RENYONE
B.P   22  97427 ETANG SALE
Fax 02 62 91 40 51

Monsieur le Premier Ministre,
 

Des informations concordantes et des avis autorisés ont attiré,  depuis un certain temps déjà, l’attention et la réflexion de notre association sur la situation très préoccupante provoquée par une politique scolaire inadaptée à l’accueil des enfants créolophones unilingues en maternelle et au primaire.

Nous venons donc, par la présente, vous exposer de la manière la plus synthétique possible la question sociolinguistique réunionnaise et les enjeux au centre desquels elle se situe. Mais avant d’aborder ce point précis, il nous paraît important de poser en quelque sorte le décor, en  dressant sur la base d’indicateurs économiques et sociaux significatifs un rapide tableau de la société réunionnaise.

Colonie française depuis 1663, la Réunion est,  en même temps que la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane française, érigée en département français le 19 mars 1946. C’est un choix original dans le contexte de la décolonisation qui a suivi la deuxième guerre mondiale et qui fera de notre pays l’île francophone de référence dans la zone du sud-ouest de l’Océan Indien.

Par le jeu des lois de décentralisation de 1982 et de 1983 et par les élections régionales du printemps 1983, les quatre DOM sont devenus administrativement des régions dont le régime est spécifique puisqu’il s’agit de régions monodépartementales où coexistent sur un même espace deux collectivités territoriales.

En outre, dans l’Union européenne, le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, qui consacre pleinement dans ses articles 299 et 158 le statut de régions ultra périphériques des départements français d’outre-mer, ouvre des perspectives nouvelles pour la prise en compte des spécificités, notamment culturelles, de ces régions.

En mars 1999, la population réunionnaise était de 706180 habitants. Elle est relativement jeune puisqu’à cette même date les moins de 20 ans représentaient 36 % de la population totale . La classe d’âge des adultes représente 54 % de la population totale soit 380 000 personnes.

Sur le plan économique, pour faire court, on relève un rythme de croissance très élevé du PIB, soit 5,4% en volume sur les quinze dernières années; un PIB par habitant de 10 600 $US qui n’atteint pas  toutefois la moitié de celui de la métropole.

Cette réserve est d’autant plus justifiée que le PIB de deux pays de la zone Océan Indien, Maurice et les Seychelles est respectivement de 3500 $/US et 5700 $US). A la différence de ces deux pays où croissance et développement vont de pair, l’économie réunionnaise, qui présente toutes les caractéristiques d’une économie de comptoir, vit sous perfusion car elle dépend largement des transferts sociaux massifs de la métropole.

On relève enfin que la France et l’U.E restent les principaux fournisseurs et clients de la Réunion avec 79,7 % des importations et 81 % des exportations. A titre indicatif les échanges avec les pays de la COI représentent seulement 2 % du total des importations et 7,3% du total des exportations.
Avec un taux de chômage de 36,7 % (au sens du B.I.T), la Réunion détient le record national avec un peu plus d’un jeune sur deux qui se retrouve sans travail. C’est aussi la région française qui compte en proportion de sa population le plus grand nombre de bénéficiaires du R.M.I soit 51 000 personnes représentant elles-mêmes 18 % de la population.

Dans un contexte marqué par la précarité et le chômage, les indicateurs sociaux sont préoccupants et révèlent en creux l’existence d’une profonde crise identitaire. Pour ne retenir que les plus significatifs, nous avons relevé:

  • dans le domaine des atteintes volontaires contre les personnes, révélatrice de la violence qui sous-tend les rapports sociaux et où l’agression verbale prend le pas sur la communication, elle occupe le 4eme rang national pour les crimes de sang et le 3eme rang national  pour les crimes de mœurs (viols):
  • en matière de délinquance juvénile, les chiffres sont inquiétants et la violence va croissant: en 1989, 11,2 % de la délinquance était imputable à des mineurs et huit ans plus tard 17,6 %. Mais c’est en matière de vols que l’évolution révèle la montée la plus inquiétante puisque les mineurs représentent, en 1997,  35 % des  personnes mises en cause pour vols à main armée. Un récent rapport sur cette question note «que la délinquance juvénile, qui progresse plus vite que celle des majeurs se caractérise de plus en plus par des passages à l’acte violent et l’augmentation de la prise de toxiques ou stupéfiants ».
  • et pour clore cette triste énumération, signalons  que l’alcoolisme reste une cause de décès préoccupante à la Réunion où il provoque près de 5 % des décès, soit 8 fois plus qu’en France, que le suicide occupe une place croissante dans la mortalité générale à la Réunion, qu’il a connu une progression explosive entre 1971 et 1987 en passant de 4,9 à 19,4/100000 habitants et qu’il est particulièrement élevé dans la tranche d’âge des 15-29 ans.

La politique de l'éducation est une bonne illustration de la croissance sans développement que connaît la Réunion depuis son érection en département. La volonté très forte de la population de sortir de sa situation coloniale et de donner une instruction à tous les enfants s'est traduite, dans un premier temps, par un recrutement massif d'enseignants natifs.

Nombre de ceux qui furent recrutés entre 1954 et 1970 étaient issus des cours complémentaires où les études étaient sanctionnées à la fin de la classe de troisième par le Brevet Elémentaire. Ce corps enseignant était en grande partie formé «sur le tas ». En 1969, deux enseignants exerçant en primaire sur dix étaient des suppléants de cette catégorie.

A partir de 1968, prend effet une politique scolaire marquée par des moyens financiers et humains considérables. Dès 1974, les élèves sont scolarisés à 95% dès l'âge de cinq ans  et à partir de 1980, ils le sont à 100% à partir de quatre ans. A la demande des syndicats, un système de formation continue se met très vite en place .

Le nombre d'élèves par classe diminue de façon spectaculaire. On passe dans le primaire, de 3 maîtres pour cent élèves en 1970 à presque 5 maîtres pour cent élèves en 1996.

La compétence de ces enseignants est notable: le corps d'enseignants natifs formés sur place avec peu de moyens est aujourd'hui minoritaire. De plus en plus d'enseignants qualifiés venant de métropole ont étoffé le personnel.

 Dans le secondaire, le nombre d'agrégés a triplé en 20 ans. Les équipes éducatives se sont renforcées dans les collèges par le recrutement de conseillers  d 'éducation, conseillers d'orientation, psychologues scolaires, assistantes sociales...

 Le parc de collèges est achevé, les lycées se construisent au rythme prévu par les plans et sont pourvus d'équipements modernes . On peut dire aujourd'hui que la Réunion a quasiment rattrapé le retard qu'elle avait en infrastructures et en moyens humains mis à disposition de la politique éducative.

Pourtant, la comparaison des données des années soixante à celles des années quatre-vingt dix montre que si les chiffres de la scolarisation elle-même sont positifs, ce qui est logique, les résultats de cette scolarisation sont moins probants et que si les indicateurs sont aujourd'hui considérés comme ayant atteint la cote d'alerte, les remarques faites par l'INSEE ne donnent pas encore toute  l'ampleur du problème. En effet dans cette société enfoncée dans une crise chronique, la situation ne cesse d'empirer, et ce, malgré les sommes considérables investies par l’Etat.

L'analphabétisme lié à la non scolarisation disparaît, certes, avec l'érosion naturelle des générations concernées, mais l'illettrisme, après un recul normal dû à la massification de la scolarisation, a stagné aux alentours de 20% de la population de plus de 16ans avant d'amorcer une nouvelle courbe ascendante entre 1989 et 1996.

L'illettrisme des plus de 35 ans qui ont fréquenté l'école concerne à 84 % ceux qui ont quitté le système scolaire après y avoir séjourné au plus 5 ans. L'illettrisme des moins de 31 ans concerne à 78% ceux qui ont quitté le système scolaire au collège ou au Lycée professionnel, après 12 ou 13 ans de scolarité.

En trente ans, le niveau de la grande majorité des jeunes scolarisés n'a cessé de baisser. Si l’on considère que la maîtrise de l’écrit ne se résume pas au remplissage plus ou moins hésitant d’un formulaire relatif à sa propre identité, et la lecture à la reconnaissance de formules de communication de base acquises en huit années de psittacisme, alors on peut mesurer l’échec scolaire à sa juste proportion. Ainsi, au collège Plateau Goyaves de Saint-Louis,  établissement situé en zone d'éducation prioritaire, 25% de l'effectif à l'entrée en sixième ne sait ni lire ni écrire. Comble pour le système éducatif, un contrat a même été passé avec une association spécialisée dans l’alphabétisation des adultes pour essayer de faire face à l’illettrisme d’une partie de l’effectif. Même lorsqu’on n’a pas affaire à des situations aussi extrêmes, l'insécurité linguistique n'a pas été vaincue.

Alors qu'au niveau national on vise à conduire 80% d'une classe d'âge au Baccalauréat, à la Réunion on constate que le taux moyen de 72% de réussite ne concerne que 41% d’une classe d’âge. A cette réalité, il faut ajouter que le bac général concerne 82% des candidats issus des catégories sociales très favorisées  et seulement 40% des candidats issus des catégories sociales défavorisées.
L’analyse des courbes des résultats aux examens met en évidence:
que la moitié des diplômes n’offre aucun débouché réel sur le marché de l'emploi, qu'on est obligé de limiter ses ambitions dans la délivrance des diplômes et qu'au moment où il faut avoir un niveau équivalent à bac +3 pour entrer en compétition sur le marché de l'emploi européen, seulement 5,2  Réunionnais sur cent ont le Baccalauréat.

Au total, avec des moyens décuplés, on fait relativement moins bien aujourd'hui qu'il y a trente ans. La situation est telle qu’au Colloque sur le projet éducatif global de la ville du Port, l'Inspecteur d'Académie, Monsieur Rafenomanjato, déclarait substantiellement ceci: "la Réunion peut être considérée, à elle seule, comme une  immense zone d'éducation prioritaire."

Mais il ne suffit pas de constater les résultats aussi décevants d'une politique scolaire, que tout observateur de bonne foi ne peut que considérer comme un échec, tant les moyens financiers, matériels et humains ont été importants. Il faut essayer d'en cerner les raisons.
L’Institution avance aujourd'hui que la cause en est imputable au chômage. Mais l'échec scolaire ne concerne pas que les enfants de chômeurs.

La raison la plus importante est, à notre avis, historique. Lorsqu'en 1960 est pensée la politique scolaire qui se met en place à partir de la fin de la même décennie, la France vit une période difficile de son Histoire avec le vent de décolonisation qui réduit à une peau de chagrin son Empire colonial . Les déclarations d'hommes politiques français de premier plan de l'époque révèlent que les DOM et en particulier la Réunion, ont été l'objet de la concentration d'une volonté jacobine de Paris qui a trouvé sur place des relais dans des associations d'éducation populaire, des médecins, des historiens et le clergé catholique. L'institution scolaire fut l'un des instruments privilégiés d'une politique d'assimilation outrancière.

On a falsifié l'Histoire de l'île, on l'a niée, on a supprimé son enseignement de tous les programmes scolaires.
On a combattu la langue . La boutade d'un Vice-Recteur “il faut fusiller le créole” est devenue parole d'évangile. Dans les compte-rendus d'épreuves psychologiques subies par des enfants de 7 ans, on a fait valoir le zézaiement et le parler créole comme des troubles (sic).
On a essayé de modifier le goût des enfants par la cantine scolaire.
On a voulu rayer l'identité.

Et on a échoué partout. On n'a pas pu éradiquer la langue créole qui est quotidiennement parlée par 89 % de la population et revendiquée par 80 % comme leur langue maternelle en 1998. On n'a pas pu, en revanche, faire avancer le français qui n'est parlé quotidiennement que par 41% de la population et  qui est de plus en plus mal maîtrisé par ceux qui devraient en avoir une pratique aisée.

Un rapport d'enquête sociologique réalisé en 1997  par  IPSOS Océan Indien révèle que “dans la population moyenne (et non plus chez quelques intellectuels ou politiques contestataires) tout plan institutionnel de développement venu de Paris va buter sur une démobilisation populaire, surtout s'il est étranger à la culture réunionnaise.”

Conclure avec les auteurs de ce rapport que: “le modèle économique est à repenser selon les mentalités, les valeurs. la logique et l'éthique de la culture réunionnaise.” c'est renvoyer tous ceux qui ont aujourd'hui vocation à décider de la stratégie de développement aux leçons d'une Histoire trop longtemps ignorée, voire déformée, réduite à la dimension d'un codicille de l'Histoire de la France  métropolitaine.

La réalité, c'est que ce cette population qui s'installe sur l'île à partir de 1663, ce que les historiens appellent “le peuplement de hasard”, est dès le début caractérisée par une forte spécificité due à 50 années de vie autonome. Elle est, pendant cette période, à l'écart du projet économique colonial. Elle doit les bases de son organisation sociale à une jurisprudence inspirée d'une ordonnance et de pratiques en vigueur à Fort Dauphin (Madagascar). La servitude qui y est pratiquée n'est pas encore l'esclavage moderne . Société ouverte, métissée dès le début, elle intègre différentes coutumes venues avec ses composantes des quatre coins de l'Ancien Monde: Isère. Picardie. Bretagne. Saintonge, Hollande, Angleterre. Ecosse. Portugal, Inde occidentale, Madagascar, Afrique de l'Ouest.
Pour des besoins vitaux de communication à l'intérieur même des foyers, se mettent en place les bases d'une langue nouvelle, le créole réunionnais, dont on trouve un échantillon en 1717, avant la mise en place de la société de plantation.

Est-il nécessaire de souligner, à ce propos, l’importance de la langue dans la construction de la personnalité et de l’identité réunionnaises?

En 1715. la décision d'étendre à l'île le schéma de colonie de rapport, et en 1723, l'entrée en vigueur du Code Noir, et en particulier de son article 6, posent les bases d'une ségrégation s'appuyant sur des critères

  • de couleur bien sûr: monde blanc/ monde noir,
  • de statut social: monde libre/ monde esclave,
  • de culture: culture européocentriste/ culture réunionnaise

Dès 1709, sont signalées dans un mémoire du magasinier de la Compagnie des Indes les incompatibilités entre les choix de valeurs faits par les habitants des 50 premières années et les lois, le modèle économique imposés par la puissance coloniale. Ces incompatibilités, qui pendant la période de l'esclavage se situèrent à l'intérieur même du monde libre, furent, tout au long de l'Histoire de l'île, la cause de problèmes sociaux dont les solutions généraient d'autres problèmes constituant autant de freins à la dynamique de développement.

Cette société a évolué au fi1 des décennies vers une dichotomie de plus en plus marquée entre un monde visible, servant de référence, mais minoritaire et incapable à lui seul d'assurer le développement du pays et l'autre monde, marginalisé, occulté et majoritaire, vivant sa spécificité sans la revendiquer forcément de façon tapageuse.

Comme nous l’avons montré, le système éducatif réunionnais reste profondément marqué par l’ère des colonies et dans son fonctionnement au quotidien l’identité réunionnaise n’a pas – loin s’en faut!- une place reconnue.
Si le temps n’est plus à l’interdiction totale du créole dans les classes, notre langue maternelle est toujours considérée comme – nous citons- «un patois fort sympathique», «un sabir incompréhensible» ou encore «une langue d’esclaves n’ayant ni grammaire ni écriture»; l’enseignement de l’Histoire, de la géographie de l’île et des pays de la zone Océan indien, la découverte des littératures réunionnaise, mauricienne ou seychelloise et des multiples facettes de la culture réunionnaise n’interviennent que de manière résiduelle dans les programmes scolaires.
 Pour diverses raisons, les tenants de l’éradication de la langue créole ou de déculturation ont été, jusqu’à ces derniers jours confortés dans leur attitude qui confine au négationnisme:
En effet, le créole réunionnais n’avait pas le statut de langue régionale. Le dispositif de la loi n°51-86 du 11janvier 1951 sur les langues et cultures régionales(«loi Deixonne ») n’était pas étendu aux créoles des D.O.M .Cette situation, qui n’était justifiée par aucune raison scientifique ou technique, était d’autant plus paradoxale que les langues mélanésiennes ont obtenu dés 1982 le statut de langues régionales.

L’absence totale de cadre juridique approprié, qui eût permis par ailleurs de dédramatiser le débat sur la langue, constituait indéniablement un obstacle majeur aux initiatives de terrain. Nous n’en voulons pour preuve que le fait que jusqu’à la rentrée 2000, il  n’existait à la Réunion qu’un seul collège où la dimension identitaire était intégrée aux  objectifs généraux du projet d’établissement: le Collège Plateau Goyaves où travaillent Michaël Crochet et Roger Théodora. Ce projet, financé par la Commission européenne, a pu être réalisé grâce à la volonté et à l’esprit d’ouverture du Chef d’établissement…

Nous voudrions rapidement vous faire part de cette expérience qui  nous a permis, malgré l’hostilité quasi générale, d’apporter un certain nombre de solutions à la question socio-linguistique réunionnaise.
A Plateau Goyaves, le projet pédagogique «Langue et culture réunionnaises »  est né du constat que pour une grande partie des élèves que nous accueillons en 6ème l'équilibre psychologique était fortement compromis, la violence était présente dans tous les rapports avec l’autre, quel qu’il fût, l'absentéisme massif, et la formation citoyenne quasi inexistante. Les rapports entre  le milieu scolaire et l’ environnement  familial étaient conflictuels à l'extrême. Nous avons donc choisi de prendre en charge les élèves qui posent le plus de problèmes, ceux qui n'avaient plus de dossier ou dont le dossier se résumait à une phrase expéditive signant la condamnation de l'élève. Certains élèves n'avaient plus écrit un seul mot depuis deux ou trois ans. Les opposants à notre initiative finirent par faire bon coeur contre mauvaise fortune en nous disant qu'avec ces élèves, «  de toute façon, si l'expérience échouait, on ne perdrait pas grand-chose » .

Avec une équipe de collègues volontaires, nous décidâmes de nous appuyer sur les valeurs identitaires et sur la langue maternelle pour donner à ces élèves le sens des responsabilités, de l’autonomie, le goût et la curiosité pour le savoir. Très vite, les résultats dépassèrent nos espérances: l'absentéisme régressa très vite, les élèves concernés devinrent même les plus assidus de l'établissement; il y eut un regain d’intérêt pour la chose scolaire, une autorégulation et  responsabilisation du groupe. Des conflits se réglèrent  dans la concertation et en référence à des valeurs du milieu d'où étaient  issus les enfants. L’intérêt pour l’apport de la discipline amena des parents d'élèves en situation de réussite scolaire  à souhaiter qu'on l'étende à d'autres classes de l’établissement.

Nous fûmes convaincus, dès la deuxième année, que cette expérience, même partielle et limitée dans le temps et dans l'espace, était quand même une interpellation  de l'ensemble de l'institution scolaire à la Réunion.  En effet, elle apportait un début de preuve   au  rapport présenté en 1995 par une mission du CREDIF qui préconisait des méthodes d'apprentissage du Français spécifiques, car, si ce n'est pas, d'un point de vue politique, une langue étrangère, ce n'est pas, d'un point de vue humain la langue maternelle. Mais il ajoutait  qu'en même temps il fallait aussi que le créole soit reconnu et valorisé et qu'il lui soit donné  toute sa place dans l'école.

Objet d’un régime de tolérance permettant l’arbitraire, les mille et une petites tracasseries, en bref, une oppression  discrète et efficace à son égard, notre projet a,  on le comprend dès lors, été ignoré par l'institution académique jusque dans les conclusions écrites qui s'en dégageaient .  Il importait donc de lui trouver un cadre légal consacrant pleinement l’identité réunionnaise. Sans cette condition, il était en effet illusoire de tenter quoi que ce soit qui pût plaider pour l’importance de la place de la langue et de l’identité dans le système éducatif. Car la politique académique s ‘appuyait, en la matière, sur le postulat  hérité des années Debré, que le créole était une non-langue et l’identité réunionnaise inexistante. C’est cette préoccupation qui a sous-tendu notre action pour l’extension de la loi Deixonne à la Réunion. Il nous semblait d’autant plus urgent d’obtenir satisfaction que notre campagne  semblait avoir été à l’origine de réactions suspectes de la part des services concernés.

En effet, sans faire de procès d’intention, force est de constater qu’il existe un mécanisme de déstabilisation, connu de tous et contre lequel les responsables académiques ne font rien. Les premières vagues d’ élèves entrés en maternelle avaient affaire à un personnel créolophone et de ce fait bénéficiaient d'une certaine connivence culturelle qui a atténué le phénomène de diglossie et d'assimilation forcenées au système de valeurs imposées par l'école. Mais depuis quelques années, ce personnel local étant arrivé en fin de carrière, il a été remplacé de plus en plus par des enseignants venus de métropole, souvent débutants, n'ayant aucune connaissance de la langue, de la culture, des valeurs réunionnaises. Aucune formation  vraiment adaptée à la situation n’est dispensée à ce personnel.

Forts d'un préjugé suivant lequel ce qui était bon pour une minorité d'enfants appartenant à des catégories sociales acquises à l'idéologie de l'assimilation était bon pour tous, on en est arrivé à généraliser cette pratique absurde et contraire à toute pédagogie: mettre au contact d'enfants de maternelle des enseignants n'ayant aucune connaissance de la langue et de la culture réunionnaises et demander objectivement à ces enfants de 4, voire 3 ans, de comprendre des adultes étrangers à leur univers. Ce faisant, on les a mis en conflit avec leur milieu familial. Il en est résulté chez les plus fragiles une déstabilisation individuelle et environnementale et chez ceux qui appartenaient à un milieu familial plus ancré dans la réalité réunionnaise un rejet du système.

Pour pallier cette aberration, le Rectorat considère aujourd’hui que les assistantes maternelles qui, elles, sont natives et parlent le créole,  sont des intermédiaires toutes trouvées. Or, excepté les titulaires qui ne sont pas la majorité, ce personnel est constitué de personnes recrutées comme CES  pour des durées n'excédant pas six mois.  Or, un CES est  bien souvent elle-même une personne exclue très tôt du système scolaire, qui n'a eu de l'école qu'une image négative, qui n'a aucune formation, et qui, malgré la meilleure volonté du monde, ne peut que reproduire des modèles dévalorisants.
Dans de telles conditions, la langue maternelle devient la langue de la répression, la langue qui amène l'enfant à avoir une idée négative  de lui-même et de ses références identitaires. On peut dès lors, imaginer les dégâts causés par une telle situation chez des enfants de trois ans à cinq ans.  Nous pensons qu’il y a là une violation  des articles 3 et 29 de la Convention des Droits de l'Enfant  ratifiée par la France en 1990, ainsi que de l'article 1er de la Loi d'orientation du 10 juillet 1989. C’est ce qui nous a amenés  à saisir  les organisations non-gouvernementales travaillant sur ces questions afin qu’une enquête soit  menée sur les conséquences de cette politique de déni d’identité.

La situation est à ce point critique aujourd’hui, que récemment, un IDEN s’est inquiété de l’ampleur de la déstabilisation des enfants consécutive à leur entrée en contact avec un système scolaire qui leur est totalement étranger.  Il faut dire qu’il avait eu entre les mains les résultats d’une enquête  tellement alarmants qu’elle a été classée «confidentiel » par le Rectorat.

Loin d’être morte, la société  coloniale a su s‘adapter à l’époque moderne, la caste au pouvoir, natifs du pays et métropolitains confondus, bénéficiant pour peaufiner ce déni institutionnel  de la connivence active des services de l’Etat. Regroupant des personnalités (tous partis politiques, professions, syndicats, religions confondus) au sein du SRECEC -Société Réunionnaise Contre l’Enseignement du Créole- elle pratique le "verrouillage démocratique" pour conserver le pouvoir et fait le jeu d'un jacobinisme désuet et d'une francophonie frileuse. Cette association qui a prôné l’éradication de la langue maternelle dès  la première année de maternelle a été reçue quatorze fois par l'institution rectorale pour des séances de travail et aujourd'hui qu'il est question d'appliquer la loi Deixonne à la Réunion, le Rectorat accorde à ses membres une place de choix dans une commission académique chargée d'assurer le suivi de l'option «langues et cultures régionales (?) » à la Réunion.

Et l’on comprend pourquoi jamais l'institution n'a pris position sur la question de la reconnaissance du créole comme langue régionale. Sauf dans une lettre confidentielle de justification adressée  à la  Madame la Doyenne de l’Inspection Générale de l’Education Nationale par Monsieur le Recteur Benéjam il y a quatre ans, jamais il n'y a eu la moindre initiative pour reconnaître l'identité de l'enfant, sa langue et sa culture, au contraire .

Ce véritable déni institutionnel est d'autant plus scandaleux que ceux qui sont victimes de ce système depuis bientôt une génération et qui constituent la majorité de la population n'ont aucun moyen démocratique de faire valoir leur point de vue sur la question car ils n'ont pas les moyens d’analyser cette question technique et d’en débattre. N'appartenant pas aux instances de pouvoir, ils n’y ont aucun relais, aucun représentant.
La situation perdure donc grâce à une pratique bien au point qui s’appuie sur trois principes:  la rétention d’information, pratiquée par la quasi totalité des techniciens, le silence des administratifs et politiques face à une situation scandaleuse évidente et la désinformation médiatique par le biais de vrais-faux courriers de lecteurs.

  • La rétention d’information: les conclusions d’une enquête grandeur nature sur une circonscription réalisée à la demande du Recteur  Patrick Genest en 1999, a été classée «top secret ». Tous nos efforts ont été vains pour  en obtenir communication.  La raison? Il en ressortait qu’entre le moment où l’enfant créolophone entrait en petite section de maternelle à 3 ans, et  celui où il arrivait  au CP à 6 ans, on avait observé «une régression globale des compétences ».
  • le silence des administratifs et politiques: on n'a jamais entendu un seul mot de contestation lorsque Monsieur Jean-François Baissac, linguiste et enseignant, a parlé de «massacre pédagogique » à propos des méthodes archaïques d’apprentissage du Français. Il n'y a pas eu non plus un seul mot de protestation lorsque Monsieur Guy Lemele, pédopsychiatre et ancien président du Collège de psychopathologie de l’Océan Indien, a déclaré que «forclore la langue maternelle c’est faire de l'enfant un débile ». Pas plus que nous n’avons entendu de réaction lorsqu' une institutrice de maternelle  Madame Denise Caro s’indignait de «véritable sacrifice d’enfants ». Il n'y a eu que le silence et la poursuite de l'entreprise de casse.
  • la désinformation médiatique: par des campagnes médiatiques, on a tellement fait accroire aux parents de condition modeste que le créole était la cause fondamentale du handicap des élèves à l'école, que nombre  de créolophones unilingues, se sont mis à communiquer avec leurs enfants dans une inter langue qui a comme conséquence  de rendre l’enfant mutique, même au sein du cercle familial. Cette non-communication dans le milieu familial prive l'enfant de ses repères essentiels, et rend impossible toute construction de personnalité, toute formation citoyenne.

Comment  avons-nous pensé pouvoir  dénouer cette situation?
Très vite nous avons pris la mesure de la difficulté à faire bouger le Rectorat et avons alors alerté les responsables  politiques de la Réunion et du Gouvernement. Les uns et les autres se renvoyant la balle, nous avons contacté les instances européennes qui nous ont immédiatement aidés moralement et financièrement dans une opération pilote nous confortant dans nos critiques et nous donnant une perspective  de solution. Dans le débat sur le bilinguisme, sur l’aspect technique de la prise en compte du créole, nous avons fait également appel au Professeur Hugo Baetens Beardsmore, expert européen de réputation internationale, pour une série de réunions d’information dans l’île.

Aujourd'hui, compte tenu de l'importance et de la gravité de la situation, nous en appelons solennellement à votre autorité pour qu’enfin un terme soit mis à ce déni permanent d’identité.
Parce qu'il est intolérable que cette situation persiste, c’est comme éducateurs et citoyens que nous vous interpellons, en ayant bien conscience que l’action  de notre association  va remettre en cause bien  des rentes de situations au sein de la société réunionnaise. Il est vrai que les  fondements du système  éducatif à la Réunion risquent d'être bouleversés. Mais nous sommes aussi persuadés qu’en amenant la France à moderniser sa démocratie et à la mettre  en phase avec les lois et conventions internationales,  nous contribuerons à faire cesser un ethnocide déguisé. C'est la construction  même de la société réunionnaise qui est en jeu, en même temps que ses rapports avec la République.
Parce que nous sommes convaincus qu’il est possible aujourd'hui de  penser l'unité de la République, non plus en termes d'assimilation comme cela s'est fait dans le passé,   mais dans la diversité et la prise en compte de l'identité réunionnaise dans le respect des valeurs universelles.

Nous vous demandons donc, Monsieur le Premier Ministre, de prendre dans les tout prochains jours une initiative forte  pour que tous les  institutionnels et partenaires concernés par la question identitaire réunionnaise puissent enfin se réunir autour d‘une même table  Aussi, souhaiterions-nous ne pas  différer plus longtemps ce chantier  fondateur de nouveaux rapports entre le pouvoir central de la République française et les pays d’Outre-mer.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre haute considération.

Etang Salé, le  25 janvier 2001
Les responsables du MRICR/MRLKR
                                 Michaël Crochet, Brigitte Daubelcourt,  Joël Grondin,
Bernadette Payet, François Saint Omer, Roger Théodora