Rituels et Culture

- les propos de fin d’année

de France Guillain
 

Sculpteur polynésien

Sculpteur polynésien. © P. Giraud

France Guillain est originaire de Polynésie. Mère de cinq enfants, navigatrice au long cours, elle a vécu de longues périodes en Chine, aux Bahamas, aux Philippines, au Mexique, aux USA, aux îles Galápagos, mais aussi en Espagne, aux Baléares… Elle a fait des tours du monde à la voile avec ses enfants, capturé et dressé des chevaux au Vanuatu.

Familière par son origine et ses voyages de la culture des peuples dits «primitifs», elle observe l'inanité de certains aspects de la cuture dominante. En cette période qui se veut «festive», elle échange quelques idées sur le rituel du partage avec Jean-Samuel Sahaï.
 


 

JS : France Guillain, née Polynésienne, vous avez voyagé sur toutes les mers du globe et rencontré divers peuples, mais avec une attitude différente de celle de l'occidental classique. Vivant aujourd'hui à Paris, vous jetez un regard peu enthousiaste sur les «réjouissances» de fin d'année… Ou plutôt, sur la manière dont elles se passent, sur la perte de leur essence véritable…

FG : En ce temps de fêtes commerciales, on vous annonce Noël trois mois à l'avance… On vous offre des montagnes de galettes des rois un mois avant, et un mois après l'épiphanie. Le rituel, la cérémonie, la culture même se trouvent écrasés, anéantis. Sont privés de signification des actes qui ont cependant sorti l'être humain de l'animalité végétative, qui ont imposé l'échange de la pensée, de l'intention, du dialogue et de la philosophie.

JS : Ces aspects rituels de la culture se sont perdus, et avec la commercialisation du culturel est venue la perte du sens originel et de la fonction réelle des «fêtes»…

FG : Il n'est pas nécessaire de remonter très loin pour le comprendre. Il y a à peine cinquante ans, en France, dans bien des familles, le sapin de Noël n'existait que durant quelques heures, la nuit de Noël. A dix heures du soir, lorsque la famille réunie se rendait à la messe de minuit, il n'y avait plus de sapin à la maison.

Les parents expliquaient aux enfants que s'ils avaient été bien sages, le Père Noël passerait pendant la messe. Au retour, après minuit, c'était l'éblouissement : le sapin illuminé de boules et d'étoiles dorées ou argentées, faites de papier récupéré autour de tablettes de chocolat, et éclairé de vraies bougies, si dangereuses…, trônait au milieu du salon, avec, à ses pieds, la crèche et les cadeaux.

Le destinataire d'un cadeau ne pouvait pas, en principe, en identifier l'acheteur. Et il eût été grossier, déplacé, vulgaire, de s'informer de sa valeur marchande, ou de l'échanger dans un magasin. Bien des cadeaux étaient d'ailleurs confectionnés par leur donateur lui-même, ce qui, entre autres avantages, évitait une concurrence économique désastreuse.

JS : Donné et reçu, le cadeau, était empreint d'énergie vitale. Même simple, il avait un sens profond pour le donneur, et suscitait chez le receveur une reconnaissance tout aussi profonde…

FG : Anonyme, le cadeau, était chargé d'amour, de compréhension, d'analyse des besoins et des goûts de son destinataire. Et si chacun avait eu le droit de rêver tout haut, de formuler des vœux, d'écrire même au Père Noël, il était exclu que les cadeaux soient le résultat d'une simple commande.

Le récipiendaire de l'offrande recevait de l'amour venu de partout et de nulle part, il pouvait embrasser tous ceux qui étaient autour de lui, s'il était assez grand pour comprendre que rien n'était tombé du ciel, ou pour manifester sa joie.

Puis, tout le monde allait se coucher et le lendemain matin au réveil, l'arbre avait disparu, il ne restait que la crèche pour ceux qui étaient croyants, attendant que les Rois Mages s'y installent le jour de l'Epiphanie.

Essayez d'imaginer l'intensité du désir, du rêve qui entouraient l'apparition éphémère du sapin ! L'extase de ces quelques heures en pleine nuit ! Il fallait des semaines pour s'assurer qu'on n'avait pas rêvé, que les cadeaux, eux, étaient bien vrais, ils étaient toujours là ! Ce n'est pas la durée du sapin qui faisait sa valeur, c'était l'intensité de la vision.

JS : Et par conséquent on ne sait plus transmettre aux enfants la compréhension juste du rituel… Que peuvent-ils en tirer…

FG : Le sapin ne peuplait pas les rues et les boulevards pendant des mois, banalisant la fête au point d'en arriver aux enfants qui aujourd'hui commandent ferme, dès l'âge de trois ans, leurs cadeaux, les choisissent dans les magasins et sont parfois déçus ,ou en colère, lorsque la commande n'a pas été exécutée !

On en arrive même à donner de l'argent à l'enfant ou à l'ado pour qu'il s'offre son cadeau tout seul ! C'est vraiment la perte totale du rituel.

JS : Chez vous à Tahiti, et dans les contrées lointaines où vous avez navigué, l'esprit était tout autre. Et vous l'approchiez vous-même avec respect…

FG : Lorsque je suis arrivée aux Philippines, à la voile, en 1979, je me suis installée pour un an dans une île nommée Mindoro, dans le village de Puerto Galera. Je succédais à un couple de français, dans une maison philippine à étage, construite de parpaings, de bambou, avec fenêtres à carreaux de nacre et toit de feuilles de pandanus tressé.

J'avais trouvé une énorme serrure à la porte. Les fenêtres de bois du rez-de-chaussée étaient clouées-fermées, maintenant l'obscurité. Le jardin était clôturé d'une barrière rigide. Le couple de français m'avait dit : « Fais très attention, les Philippins sont gentils comme ça, mais ce sont des voleurs ».

JS : Vous ne partagiez pas ce jugement d'occupant névro-sinistrosé, cette mentalité du danger axée sur la peur vous était inconnue, à vous îlienne…

FG : A cela je ne croyais pas du tout, dans cette île. C'est pourquoi dès le premier jour, j'offris une journée de travail à un pêcheur qui ôta les clôtures, décloua les fenêtres, et me démonta la serrure dont je lui fis cadeau. Je précise que ce monsieur ne travailla pour moi qu'une journée en un an. J'installai donc mes affaires dont un magnétophone, un réchaud à gaz, un poste de radio, toutes choses d'une grande valeur dans cette île à l'époque. Et je partis au marché avec mes enfants.

A mon retour, j'ai trouvé sur la grande table de la cuisine une assiette avec des mets tout chauds, enveloppée dans une feuille de bananier. Le plat avait dû être déposé par la fenêtre ouverte, en notre absence. Nous nous sommes régalées. J'ai lavé le plat et l'ai déposé à l'endroit même où je l'avais trouvé. Et lors d'une de mes promenades suivantes, une main inconnue le récupéra. Je ne saurai jamais qui nous a fait ce cadeau.

JS : Vous étiez accueillie par des gens qui ne donnaient pas dans le but se mettre personnellement en valeur, et qui offraient, avec modestie d'âme, et au nom de tous les leurs…

FG : Je ne saurai jamais qui a eu la gentillesse, la bonté, la générosité, les moyens aussi, dans ce pays pauvre, de me faire ce cadeau. Ce qui m'a obligée à remercier tout le village de cinquante mille habitants pendant un an ! D'autres cadeaux nous ont été faits cette année là : repassage du linge, fruits, etc, alors que je vivais exactement comme tout le monde, n'achetant que les légumes du marché et le poisson de la pêche. Nous vivions exactement comme les Philippins.

JS : Et c'est ce respect de l'autre et de sa culture, dans son environnement, qui a suscité un vrai merci, un vrai ressenti, comme on n'en trouve plus chez nous… Qui nous étonne… On est loin de notre arsenal d'expressions de pseudo-politesse vide, formelle, obséquieuse, qui ne véhicule rien du cœur. Ce qui sert surtout à l'un à protéger son égo de celui de l'autre en s'enflant… ex. leplus souvent quand on se donne du « cher ami », « cordialement », « je vous en prie »…

FG : Ces remerciements ne se font pas de manière primaire ou vulgaire du style « merci beaucoup pour ce plat ! ». Ce serait répétitif et lassant. C'est bien plus subtil. C'est plus exactement un bonheur exprimé, une sorte de reconnaissance active d'être accueilli dans un pays qui n'est pas le vôtre, qui a été façonné durant des siècles par des gens qui ont le sens du partage. Ce cadeau anonyme est fait bien sûr au nom de la communauté, et la joie retombe également sur tous.

Pour moi, tout cela était naturel, c'est exactement ce qui se passait en Polynésie lorsque j'étais enfant. Là aussi cela s'est évanoui, avec ce que l'on nomme indûment « civilisation ». Avec ce genre de cadeau, le plaisir est immense pour celui qui donne, comme pour celui qui reçoit, le donateur inconnu nous obligeant à regarder tout le monde, riche ou pauvre, à égalité, nous obligeant à voir ce qui est bon dans chaque être humain.

JS : Ainsi donc le rituel fait partie de notre fonctionnement naturel. Il répond au besoin de partager, d'offrir, donner et de recevoir de l'amour, sans esprit de concurrence… Pourrions-nous réapprendre ?…

FG : En cela, le rituel du cadeau de fête a de la valeur à mes yeux, et en cela seulement. La fête de Noël étant chez nous le dernier bastion offrant cette possibilité d'anonymat, il faut arrêter de faire de Noël les plus grosses commandes de l'année !

Préserver une journée de vrai cadeau, le cadeau que l'on fabrique soi-même, celui que l'on choisit avec amour, avec passion, qui nous représente et représente les désirs de l'autre, et qui ne coûte pas nécessairement cher ! Arrêter de tuer le désir chez les enfants, de parler du prix des jouets, de comparer combien a dépensé la grand-mère, la marraine ou la tante… comme pour les mettre en concurrence, comme si leur amour se mesurait en euros !

Car le cadeau est un rituel qui existe depuis toujours, même dans le règne animal.

JS : Voilà qui n'est pas «bête» du tout…

FG : N'avez-vous jamais vu comment certains oiseaux se courtisent ? Un mâle qui offre une brindille à une femelle, dans le style : je vais t'aider à construire un nid ou je t'invite dans le mien ?), ou une graine : si tu manges ce que je te donne, tu n'as pas peur que je t'empoisonne, et ton corps sera nourri de la même matière que le mien, nous serons alors plus proches.

Nous sommes aussi comme les oiseaux !

Et les oiseaux nous relient au ciel ! Ils volent !

JS : Nous reparlerons avec vous, France Guillain, de vos voyages, et de vos découvertes chez les êtres dits « primitifs »…

Entretien Jean-Samuel Sahaï

L'œuvre de France Guillain (abrégé)

Etudes supérieures de Math et Physique à Lyon et diplôme d'Etat Diététique et Cosmétologie Paris 1970.

Son site.

Littérature générale :

  • Le Bonheur sur la Mer Collection Vécu , Editions Robert Laffont 1974, au tableau des classiques. Prix Drakkar 1974, traduit notamment USA (Harpers and Row) et Japon, Editions luxe Beauval, J'ai lu, Jeunes Plein Vent Laffont, France Loisirs. . Sélection des lycées : 500 000 exemplaires vendus en France en 1985.
  • Naviguer avec ses enfants Arthaud 1984 Traduit Espagne par Editorial Noray.
  • Les Femmes d'à Bord Arthaud Flammarion 1986
  • Maïma Roman Editions Plon 1988
  • Des Hommes et leur Mer Ed 7 Vents 1989 Prix Marine Nat. 1989 (ACORAM) et sélection Rotary. 
  • Fesch, mon nom guillotiné ! Editions du Rocher 2001
  • Le Bonheur d'être Nu ou le Naturisme, un art de vivre. Sciences Humaines Essai, Albin Michel
  • Si Monta m'était conté France Guillain et Marc-A Descamps.Ed EDIMAG 2000
  • Vivre le Naturisme Editions LPM DIFF'EDIT Lucé 28000

Forme et Bien-être :

  • En Forme (Santé) Ed 7 Vents 1991
  • Les Bains dérivatifs Ed Jouvence 1995 Recommandé par la Leche League . Best seller (selon éditeur) Traduction en slovène et Italien. FNAC et magasins Bio.
  • Le Bain dérivatif Cent ans après Louis Kuhne Editions du Rocher
  • Soyez bien, mangez Bio Editions LPM 2000
  • Nous sommes tous beaux ! Editions LPM
  • Mastiquer c'est la santé ! Ed Jouvence
  • Manger Bio c'est pas cher ! Ed Jouvence
  • Mangez intelligent, mangez Bio ! Ed Demeter
  • L'argile tout simplement Ed Demeter

Naissance  :

  • L'Allaitement : 100 questions-réponses pour que ça marche Editions La Plage
  • Bientôt mon Bébé Ed MILAN 1993.

Littérature pour enfants

  • La Petite sirène des Océans Collection Rouge et Or Presses de la cité 1975
  • Collection Etincelles Père Castor Flammarion 12 titres. Sélection Education Nationale

Conférences et séminaires en France, Suisse et Belgique sur Le Bain dérivatif, plus de 40 émissions sur France Inter. Plus de 500 passages télé et 800 radio, interviewée par de Chavannes, Marc Menant, Jacques Pradel, Sophie Davant, Valérie Durier, Mireille Darc. Grand Reporter pour SIPA PRESS durant 17 ans.
 

Réactions

J'ai vraiment beaucoup aimé et appris. Je le reçois comme un véritable cadeau : MERCI !!!!! Grâce à vous deux, je ressens la vraie valeur de Noël. - Magali Mandil, Paris, 10 Dec 2004.

 
 
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