| Viroundômbal 
              ce mot tamoul qui signifie littéralement "hospitalité" 
              ne représente pas ce que l'équivalent français 
              sous-entend. Nous en avons découvert la réelle signification, 
              lors de notre séjour, dans la manière dont on nous 
              a accueillis, que ce soit au sein des familles ou par des personnes 
              rencontrées sur les chemins, dans les rues. Ils nous ont 
              donné une bonne leçon d'humanité à nous, 
              petits Français, issus d'une société soit disant 
              très civilisée.  Dans toutes nos sorties et promenades autour de. Kilvêlour, 
              nous avons été constamment sollicités par des 
              invitations à droite et à gauche Ces invitations ne 
              représentaient pas un devoir que l'on doit obligatoirement 
              remplir envers tout étranger rencontré, mais elles 
              étaient une démarche naturelle pour satisfaire 
              le désir de recevoir et l'envie de rencontrer et de découvrir 
              l'autre. En effet, en tant qu'occidental nous représentions 
              une véritable curiosité pour notre entourage. Que 
              de fois avons-nous entendu des remarques sur la pâleur de 
              notre peau ou sur les accessoires de nos tenues vestimentaires trahissant 
              le matérialisme exacerbé de notre société 
              de consommation (chaussures, lunettes de soleil, stylos, appareil 
              photo, sac à dos...)! Notre situation nous semblait délicate 
              à gérer à assumer, voire à accepter!!  L'accueil que les filles de l'école nous avaient réservé 
              nous montra combien l'action de l'association AJAI-ÂDI et 
              tout simplement la présence des Français, avait pris 
              une importance considérable dans leur vie quotidienne. Nous 
              eûmes droit à un accueil mémorable digne de 
              celui que l¹on réserve aux importantes personnalités. 
              Les filles alignées en une haie d'honneur de part et d'autre 
              du chemin chahutaient et lançaient des pétales de 
              bougainvillier. L'enthousiasme, l'intensité et l'honnêteté 
              de leur joie nous a émus au point de nous faire frissonner. 
              Déstabilisés, nous nous posions alors la question: 
              méritons-nous cet accueil? Qu'avions-nous déjà 
              fait, nous, les six jeunes du groupe? Jusqu'à la fin de notre 
              séjour, je me suis toujours demandée si notre action 
              était à la hauteur de leur gratitude. Ce peuple sait 
              accueillir et dire merci avec bien d'autres choses que de simples 
              mots. C'est donc avec une certaine fierté à peine dissimulée 
              que nos hôtes nous recevaient. Fierté que l'étranger 
              pénètre dans son humble demeure, fierté 
              de lui offrir l'eau qui le rafraîchira ou tout autre chose 
              venant de soi. Une fierté mélangée de bonheur 
              pour vivre l'instant où l'étranger lui adresse un 
              regard un sourire, un simple mot. Ce regard qui, s'il se pose sur 
              l'une des filles de l'école lui procure une joie immense, 
              représente un véritable signe de distinction, une 
              médaille invisible que l'on épinglerait au revers 
              de l'élu. Les filles de l'école s'appliquaient à obtenir adresses, 
              signatures et petits dessins de nos plumes maladroites en guise 
              de souvenir indélébile ou de précieux autographe. 
              L'idée de cette dernière analogie nous rendait quelque 
              peu mal à l'aise. Qu'étions-nous donc pour pouvoir 
              délivrer notre patte de plume? Mais leur demande insistante 
              nous prouvait, une fois de plus, que notre présence seule 
              dans le village était source de bonheur pour leur vie quotidienne. 
              Belle histoire illustrant l'échange culturel! Ces villageois sont fiers que l'étranger goûte, imite, 
              ingère leur propre culture. Une de leur principale préoccupation 
              consiste à nous imprégner de cette culture jusqu'à 
              ce que nos premiers mots tamouls bredouillés, ou nos gestes 
              esquissés (boire sans toucher le bord du verre, manger avec 
              la main, s'asseoir à même le sol malgré la chaise 
              offerte) leur procurent cette joie intense d'avoir marqué 
              à jamais leur empreinte. Ils rêvent de nous voir ressembler 
              à de vrais indiens. Dès qu'elles en ont l'opportunité, 
              les femmes nous parent de bijoux et de bracelets symétriquement 
              bien répartis sur chaque bras, nous dessinent le "poTTou" 
              sur le front juste entre, les deux yeux, nous nattent les cheveux. 
              Le port du sari touche alors au paroxysme. L'accueil qui nous était réservé dans les 
              villages variait avec le niveau socio-économique ou professionnel 
              de celui-ci. Un jour, dans un village très pauvre, totalement 
              démuni, les habitants nous firent entrer dans l'unique maison 
              construite en dur. Nous avons dû nous asseoir sur le seul 
              banc du village alors que, tous serrés autour de nous, à 
              même le sol, debout dans l'embrasure des portes ou apparaissant 
              dans l'encadrement d'une fenêtre, ils profitaient du spectacle 
              de notre, présence de leurs yeux rigolards et écarquillés. 
              Puis, ils se sont concertés pour savoir ce qu'ils pourraient 
              bien nous offrir. Après maintes propositions, la décision 
              fut prise de nous apporter un peu d'eau de leur puits. Pour nous, 
              bien plus appréciable que cette eau, leur manège fut 
              la plus douce et la plus précieuse des offrandes.  Souvent le verre d'eau était avantageusement remplacé 
              par une noix de coco, jeune et fraîche, juste cueillie à 
              notre arrivée dans le village. Dans les familles plus aisées, 
              c'était un verre de lait chaud et sucré, de café 
              ou de thé. Parfois même l'offrande était 
              disproportionnée en regard des ressources économiques 
              de notre hôte. Ce fut le cas, un jour, lorsque passant 
              devant la maison d'une des écolières de notre école, 
              celle-ci nous invita à honorer de notre passage son humble 
              hutte. Deux pièces quasiment vides, l'une avec des nattes 
              pour dormir, l'autre pourvue d'un petit brasier servant à 
              cuire le riz. Pas d'eau, pas d'électricité, aucun 
              bien matériel. Seules, la mère et ses filles. Et pourtant 
              afin de nous remercier de l'honneur que nous faisions à sa 
              famille, la maîtresse de maison fit chercher une bouteille 
              de Coca-Cola pour chacun d'entre nous, grevant ainsi sévèrement 
              le maigre budget familial. Rapidement avertis, les voisins étaient 
              déjà rassemblés autour de la porte. Les plus 
              chanceux ou les plus rapides avaient pu s'asseoir autour de nous. 
              Tous nous dévisageaient, nous regardaient boire, nous laissant 
              faire et apprécier. Ils étaient heureux du confort 
              qu'ils nous offraient, heureux de nous protéger, heureux 
              que l'on soit avec eux, devant eux, chez eux. En vain nous avons 
              essayé de partager le plaisir dont ils nous gavaient sans 
              compter, eux qui, sans doute, n'avaient aucune idée du goût 
              que cela pouvait avoir. Leur refus était catégorique. 
              Ce nectar nous était entièrement et exclusivement 
              réservé. Pour ne froisser personne, il fallait bien souvent aller de voisin 
              en voisin, de maison en maison, s'asseoir, rester quelques minutes 
              à se regarder, à se sourire, faire des mimiques ou 
              des grimaces, montrer que l'on est heureux d'être avec eux 
              dans leur maison, sans un mot comme dans les quartiers les plus 
              pauvres où l'anglais est aussi rare que l'or.  Pas besoin de parler pour échanger. Gestes gratuits, actes 
              de bonheur et de plaisir pur, cette hospitalité n’attendait 
              évidemment rien en retour. Si, comme eux, ne possédant 
              rien on peut tant donner, en n’espérant rien ne peut-on 
              pas tout recevoir? Voici la chose la plus précieuse 
              que j'ai pu apprendre là bas.
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