Ki Nov?
 

Commémoration du cent-cinquantenaire de l'arrivée
des premiers travailleurs indiens
2003 en Martinique - 2004 en Guadeloupe

 
Aux Sources de l'Hospitalité Créole...
 

De l'hospitalité tamoule

par Pauline Lemordant
"LCCP No.26 de decembre 1999"
 
 
Reproduit grâce à l'aimable
viroundômbal
de M. Gobalakichenane,
Président du Cercle Culturel des Pondichériens.
 

Mariage tamoul.
Source: Chantal Boulanger

Viroundômbal ce mot tamoul qui signifie littéralement "hospitalité" ne représente pas ce que l'équivalent français sous-entend. Nous en avons découvert la réelle signification, lors de notre séjour, dans la manière dont on nous a accueillis, que ce soit au sein des familles ou par des personnes rencontrées sur les chemins, dans les rues. Ils nous ont donné une bonne leçon d'humanité à nous, petits Français, issus d'une société soit disant très civilisée.

Dans toutes nos sorties et promenades autour de. Kilvêlour, nous avons été constamment sollicités par des invitations à droite et à gauche Ces invitations ne représentaient pas un devoir que l'on doit obligatoirement remplir envers tout étranger rencontré, mais elles étaient une démarche naturelle pour satisfaire le désir de recevoir et l'envie de rencontrer et de découvrir l'autre. En effet, en tant qu'occidental nous représentions une véritable curiosité pour notre entourage. Que de fois avons-nous entendu des remarques sur la pâleur de notre peau ou sur les accessoires de nos tenues vestimentaires trahissant le matérialisme exacerbé de notre société de consommation (chaussures, lunettes de soleil, stylos, appareil photo, sac à dos...)! Notre situation nous semblait délicate à gérer à assumer, voire à accepter!!

L'accueil que les filles de l'école nous avaient réservé nous montra combien l'action de l'association AJAI-ÂDI et tout simplement la présence des Français, avait pris une importance considérable dans leur vie quotidienne. Nous eûmes droit à un accueil mémorable digne de celui que l¹on réserve aux importantes personnalités. Les filles alignées en une haie d'honneur de part et d'autre du chemin chahutaient et lançaient des pétales de bougainvillier. L'enthousiasme, l'intensité et l'honnêteté de leur joie nous a émus au point de nous faire frissonner. Déstabilisés, nous nous posions alors la question: méritons-nous cet accueil? Qu'avions-nous déjà fait, nous, les six jeunes du groupe? Jusqu'à la fin de notre séjour, je me suis toujours demandée si notre action était à la hauteur de leur gratitude. Ce peuple sait accueillir et dire merci avec bien d'autres choses que de simples mots.

C'est donc avec une certaine fierté à peine dissimulée que nos hôtes nous recevaient. Fierté que l'étranger pénètre dans son humble demeure, fierté de lui offrir l'eau qui le rafraîchira ou tout autre chose venant de soi. Une fierté mélangée de bonheur pour vivre l'instant où l'étranger lui adresse un regard un sourire, un simple mot. Ce regard qui, s'il se pose sur l'une des filles de l'école lui procure une joie immense, représente un véritable signe de distinction, une médaille invisible que l'on épinglerait au revers de l'élu.

Les filles de l'école s'appliquaient à obtenir adresses, signatures et petits dessins de nos plumes maladroites en guise de souvenir indélébile ou de précieux autographe. L'idée de cette dernière analogie nous rendait quelque peu mal à l'aise. Qu'étions-nous donc pour pouvoir délivrer notre patte de plume? Mais leur demande insistante nous prouvait, une fois de plus, que notre présence seule dans le village était source de bonheur pour leur vie quotidienne. Belle histoire illustrant l'échange culturel!

Ces villageois sont fiers que l'étranger goûte, imite, ingère leur propre culture. Une de leur principale préoccupation consiste à nous imprégner de cette culture jusqu'à ce que nos premiers mots tamouls bredouillés, ou nos gestes esquissés (boire sans toucher le bord du verre, manger avec la main, s'asseoir à même le sol malgré la chaise offerte) leur procurent cette joie intense d'avoir marqué à jamais leur empreinte. Ils rêvent de nous voir ressembler à de vrais indiens. Dès qu'elles en ont l'opportunité, les femmes nous parent de bijoux et de bracelets symétriquement bien répartis sur chaque bras, nous dessinent le "poTTou" sur le front juste entre, les deux yeux, nous nattent les cheveux. Le port du sari touche alors au paroxysme.

L'accueil qui nous était réservé dans les villages variait avec le niveau socio-économique ou professionnel de celui-ci. Un jour, dans un village très pauvre, totalement démuni, les habitants nous firent entrer dans l'unique maison construite en dur. Nous avons dû nous asseoir sur le seul banc du village alors que, tous serrés autour de nous, à même le sol, debout dans l'embrasure des portes ou apparaissant dans l'encadrement d'une fenêtre, ils profitaient du spectacle de notre, présence de leurs yeux rigolards et écarquillés. Puis, ils se sont concertés pour savoir ce qu'ils pourraient bien nous offrir. Après maintes propositions, la décision fut prise de nous apporter un peu d'eau de leur puits. Pour nous, bien plus appréciable que cette eau, leur manège fut la plus douce et la plus précieuse des offrandes.

Souvent le verre d'eau était avantageusement remplacé par une noix de coco, jeune et fraîche, juste cueillie à notre arrivée dans le village. Dans les familles plus aisées, c'était un verre de lait chaud et sucré, de café ou de thé. Parfois même l'offrande était disproportionnée en regard des ressources économiques de notre hôte. Ce fut le cas, un jour, lorsque passant devant la maison d'une des écolières de notre école, celle-ci nous invita à honorer de notre passage son humble hutte. Deux pièces quasiment vides, l'une avec des nattes pour dormir, l'autre pourvue d'un petit brasier servant à cuire le riz. Pas d'eau, pas d'électricité, aucun bien matériel. Seules, la mère et ses filles. Et pourtant afin de nous remercier de l'honneur que nous faisions à sa famille, la maîtresse de maison fit chercher une bouteille de Coca-Cola pour chacun d'entre nous, grevant ainsi sévèrement le maigre budget familial. Rapidement avertis, les voisins étaient déjà rassemblés autour de la porte. Les plus chanceux ou les plus rapides avaient pu s'asseoir autour de nous. Tous nous dévisageaient, nous regardaient boire, nous laissant faire et apprécier. Ils étaient heureux du confort qu'ils nous offraient, heureux de nous protéger, heureux que l'on soit avec eux, devant eux, chez eux. En vain nous avons essayé de partager le plaisir dont ils nous gavaient sans compter, eux qui, sans doute, n'avaient aucune idée du goût que cela pouvait avoir. Leur refus était catégorique. Ce nectar nous était entièrement et exclusivement réservé.

Pour ne froisser personne, il fallait bien souvent aller de voisin en voisin, de maison en maison, s'asseoir, rester quelques minutes à se regarder, à se sourire, faire des mimiques ou des grimaces, montrer que l'on est heureux d'être avec eux dans leur maison, sans un mot comme dans les quartiers les plus pauvres où l'anglais est aussi rare que l'or.

Pas besoin de parler pour échanger. Gestes gratuits, actes de bonheur et de plaisir pur, cette hospitalité n’attendait évidemment rien en retour. Si, comme eux, ne possédant rien on peut tant donner, en n’espérant rien ne peut-on pas tout recevoir? Voici la chose la plus précieuse que j'ai pu apprendre là bas.
 

Source: Lettre du Cercle Culturel des Pondichériens (LCCP No.26, décembre1999).
 
 
 
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