Le visiteur qui franchit la porte du lycée Diwan (l'éveil,
en français) a l'impression d'être en pays inconnu.
Dans les couloirs de cette ancienne maison de retraite, on discute
en breton, on se chamaille en breton, on taquine les filles en
breton et bien difficile de frapper à la bonne porte. Les
indications sont également dans la langue du pays. C'est
ce que l'on appelle l'immersion. Les quatre-vingt-quatre élèves
de ce seul lycée bretonnant, situé à quelques
landes des monts d'Arrée, sont des lycéens comme
les autres. Et le revendiquent. La différence, c'est que
dès la maternelle, ils ont fait leurs études en
s'exprimant dans la langue de Pierre Jakez Hélias, l'auteur
du mémorable Cheval d'orgueil. Et ils en sont fiers.
«C'est bien de parler avec des jeunes
de notre âge, dans la langue de nos origines, confie
Nolwen, quinze ans. Et les petits vieux de la maison de retraite
sont ravis qu'on s'adresse à eux en breton.»
Ici pas de casquette de base-ball à l'envers, le look est
plutôt baba: keffieh autour du cou, parka kaki, foulard
autour de la tête, piercing aux ailes du nez... Ils viennent
de tous horizons, mais un grand nombre d'entre eux ne cachent
pas que leurs parents sont très impliqués dans les
milieux associatifs. Logique. Aucun n'estime vivre en vase clos,
mais chacun apprécie de bénéficier d'un enseignement
personnalisé.«Diwan c'est une grande famille,
se réjouit Héloïse. Nous sommes très
encadrés. Et au moindre problème, les professeurs
prennent le temps de nous expliquer.» Au cours de sciences-éco
pour les terminales, le professeur Marie-Thérèse
Cadiou passe d'un élève à l'autre. Facile,
ils ne sont que neuf. Les textes des exposés sont rédigés
en français. Difficile de traduire en breton les matières
relatives à la comptabilité, l'exportation, l'investissement.
On travaille donc avec les moyens du bord-: «Il
n'existe aucune publication en breton, commente l'enseignante
aux longs cheveux bruns. On doit tout créer nous-mêmes.
L'association Diwan traduit certains textes, mais les programmes
changent très vite. Et il est bien difficile de trouver
le vocabulaire correspondant. De toute façon, les jeunes
devront passer le bac en français.» En effet,
seule l'histoire-géo peut se dérouler en breton,
lors de ces épreuves. Même difficulté avec
la philosophie. Les six filles de terminale L, toutes plus jolies
les unes que les autres, s'arrachent les cheveux pendant quatre
heures chaque mardi. Ce jour-là, elles devaient philosopher
sur le thème: «Natur ha sevenadu», c'est-à-dire:
«Que procure la nature à l'homme?». «La
philo n'est déjà pas évidente en français,
alors en breton...», commente Lena, une jolie rousse
au regard clair.
Il est vrai que les candidats ne se bousculent pas pour enseigner
cette matière dans la langue du pays. Jo, professeur de
philo depuis vingt ans, peut se vanter d'être le seul. Pour
dispenser cette matière dans l'idiome de ses parents, il
se partage d'ailleurs entre un lycée catholique du nord
Finistère et Diwan.
Si tous les jeunes du lycée Diwan ont,
pendant des années, essuyé les plâtres avant
de trouver des locaux décents, leurs résultats au
bac ne s'en sont pas ressentis: 26 élèves sur 27
ont été reçus dont 17 avec mention.
L'avenir de ces jeunes? Beaucoup comptent devenir enseignants
ou s'engager dans le milieu associatif mais ils sont nombreux
aussi à ne pas savoir ce qu'ils comptent faire plus tard.
Maintenant avec la diffusion de TV Breizh, un nouvel horizon se
profile pour ces jeunes bretonnants.
Françoise Lemoine
Le Figaro, 26 avril 2001.