Monsieur Tavernier, vous semblez cultiver un penchant net en faveur d'une écriture de qualité. Vous adoptez le nom d’une héroïne d’un roman chef-d’œuvre de l’auteur Polonais, Jean Potocki (Émina-Soleil). Ensuite, vous rééditez le roman bouleversant de l’auteure Marie Vieux-Chauvet que vous qualifiez de chef-d’œuvre. Peut-on conclure à une évidence de vos exigences littéraires ou est-ce un simple clin d'oeil à un certain lyrisme?
Exigences littéraires? Exigences est peut-être un peu excessif… Je n’exige rien. J’aime simplement les textes de qualité.
Si je me permets d’interpréter ce nom de baptême de votre maison d’édition cela ce traduit : CRÉATURE RAYONNANTE. Cela fait-il de vous un adepte, au niveau de votre croyance bien sûr, du symbolise des êtres et des choses? Pour aller plus loin: cela cache t-il un peu de superstition?
Emina Soleil = Créature rayonnante? C’est vous qui le dites! Ainsi que vous le savez, Emina Soleil vient, d’une part, du nom de l’une des héroïnes du «Manuscrit trouvé à Saragosse», de Jean Potocki, et qui est pour moi l’un des chefs d’œuvre de la littérature francophone (bien que Polonais, Potocki l’a écrit directement en français). Sans parler du lien historique, que vous connaissez, entre la Pologne et Haïti.
D’autre part, Soleil fait justement référence à Haïti (Compère Général Soleil, de J.S. Alexis, ou le groupe de peintres Saint-Soleil). Alors, symbolisme? Un peu, forcément. Mais avant tout, souhait de se rattacher à ce qui me tient à cœur: la francophonie, la Caraïbe (et Haïti en premier), le Maghreb et la Méditerranée… Cela dit, bravo pour «Créature rayonnante», ça me plait bien!
Autre que l'aspect qualitatif de l’écriture de madame Vieux, il y aurait-il d’autres raisons moins apparentes qui vous ont poussé à rééditer ses œuvres, comme celle d’agir en redresseur de torts par exemple? Une nouvelle ouverture du marché littéraire peut-être?
Redresseur de tort? Sûrement pas! Ce n’est pas ma démarche initiale. Si j’ai publié Marie Vieux Chauvet, c’est avant tout parce qu’il s’agit – à mon sens - de l’un des auteurs majeurs de la littérature francophone. Maintenant, le fait que cette œuvre ait été «occultée» durant des dizaines d’années est effectivement une injustice. Et si je peux modestement contribuer à la réparer, j’en suis bien sûr heureux.
L’industrie du livre parait florissante, peut-on déduire que les maisons d’édition connaissent une conjoncture économique faste?
L’industrie du livre florissante? Ni oui, ni non. Il est de bon ton de dire que tout va mal et que les gens ne lisent plus. Pas très vrai. Mais il n’y a pas non plus d’essor en la matière. Bref, ceux qui lisaient lisent encore, et ceux qui ne lisaient pas ne lisent pas plus qu’avant… Statu quo… Il y a des succès énormes (DaVinci Code, Harry Potter) mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt… Cela dit, quand les gens lisent Harry Potter, ils ne sont pas devant leurs écrans, et ce n’est pas plus mal…
Toujours selon mes recherches, vous semblez être préoccupé par une sorte d’injustice qui frappe de nombreux écrivains qui demeurent dans l’ombre. Peut-on qualifier leur situation «d’exclusion», «d’un malheureux filtrage», «un mauvais encadrement ou de la malchance?»
Injustices. N’exagérons pas, je ne suis ni Robin des Bois, ni Zorro! Ma démarche éditoriale, c’est de publier des ouvrages que j’estime être de qualité, qu’il s’agisse de romans, d’essais ou de livres de photos. Alors, oui, il arrive que cela concerne des auteurs ou des textes oubliés. Mais cela ne correspond pas à une volonté délibérée, même si j’avoue qu’il est particulièrement jubilatoire de remettre à disposition du public des textes injustement oubliés. Comme c’est le cas avec l’œuvre de Marie Vieux-Chauvet, et comme ce le sera bientôt avec l’un des plus grands classiques de la littérature arabe, Kalila et Dimna. Pourquoi ces textes sont-ils tombés dans l’oubli? D’abord, il y a des modes, sans que l’on sache vraiment à quoi elles correspondent, et qui font que des auteurs disparaissent des rayons, puis ressurgissent, parce qu’un éditeur ou un journaliste les fait ressortir de l’oubli, suivi souvent d’un effet «boule de neige» qui remet l’auteur à l’ordre du jour. Avant que parfois il ne disparaisse à nouveau…
Bien sûr, il y a également les différentes formes de «censure». Ce fut le cas avec «Amour, Colère et Folie», interdit de publication en 1968, sous la pression de Duvalier et de ses sbires. Là, effectivement, on peut parler d’injustice criante. Et je suis heureux d’avoir pu, avec l’aide des enfants de Marie Vieux-Chauvet, contribuer à ce que le public d’aujourd’hui découvre cette œuvre magistrale.
Quelle est votre définition personnelle: «promotion réelle et efficace»?
«Promotion réelle et efficace». J’imagine que vous faites allusion à quelques phrases figurant dans une plaquette aujourd’hui obsolète (mais pas la démarche), où Emina Soleil était présentée. Cela faisait référence au partenariat développé avec des éditeurs d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. L’idée, c’était de se démarquer de ce qui se fait habituellement, et de briser le rapport marchand traditionnel. Qui consiste à produire en France des ouvrages susceptibles d’intéresser ces pays, de les vendre à un importateur local, et de ne plus se préoccuper de ce qui va se passer ensuite.
Ce que nous voulions faire, avec Zellige, c’est proposer à des éditeurs de ces pays une véritable association. Pour que les prix de vente correspondent au pouvoir d’achat local, et partant du principe qu’étant sur place ces éditeurs sont mieux à même d’assurer la promotion et la diffusion des livres en question. Bref, remplacer une vision «centraliste», pour ne pas dire «colonialiste», par, pour me répéter, un véritable partenariat.
C’est également ce que nous essayons de faire aujourd’hui sur Haïti et l’Amérique du Nord, notamment par une politique de prix abaissés.
Zellige est un regroupement d’éditeurs de différentes nationalités mais distincts dans leur produit. Depuis combien d’années utilisez-vous cette convergence littéraire et économique?
Zellige. Cette convergence littéraire et économique, pour reprendre votre expression, qui est tout à fait adaptée, existe depuis 2001. Mais attention, Zellige ne correspond qu’aux ouvrages concernant le Maghreb et le monde méditerranéen.
Ceux intéressant la Caraïbe sont publiés dans la collection Soley.
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AMOUR, COLÈRE ET FOLIE. Marie Vieux-Chauvet. 2005. Emina Soleil et Maisonneuve & Larose, 77171 Lechelle, France. |
- Resurrection : Emina Soleil et Maisonneuve & Larose publient Amour, colère et folie de marie Vieux-Chauvet. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)
- Roger Tavernier: «La violence en Haïti n'a fait qu'accroître l'exaspération de Marie Vieux-Chauvet».
L'éditeur de la trilogie «Amour, colère et folie», de la romancière haïtienne, était l'invité, jeudi 12 mai 2005 du chat littéraire hebdomadaire de Libération.fr.
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